Réédition: Postaire, “Le Camping”, Arts-Matières. Organe rédigé par les élèves de l’Ecole Boulle, n°4, juin 1949, p. 7.

 

 

Le Camping

 

   Quel est celui d’entre vous, en entendant prononcer ce nom, camping, qui n’a pas pensé à son origine.

   Comme pour toute grande œuvre humaine, son origine est plus ou moins obscure et perdue dans la nuit des temps.

   Laissez-moi vous la conter.

   “Il était une fois un certain J.-J. ROUSSEAU qui vivait dans une vieille maison, bien vieille, mais qui allait contenir la destinée du monde, comme vous allez voir.

   Jean-Jacques vivait là, rêvant, méditant, pensant. Les belles pensées mûrissent dans le silence, tout le monde le sait. Un jour notre ami Jean-Jacques se promenait dans la forêt avec son pupille Emile, et si vous étiez passés à cet instant, vous eussiez surpris ce dialogue.

 

   — Emile, tu sais que je t’ai toujours tenu loin de tes semblables et que j’ai cherché pour ton éducation le contact direct avec la nature. Eh bien, sais-tu que bientôt les hommes n’auront plus ce contact et que de jour en jour l’humanité sombre dans une décadence qui la conduira à sa chute.

      As-tu songé à l’avenir des hommes?

   Emile sans doute, y avait songé, il était intelligent, mais ses souliers lui faisaient mal et que lui importait l’avenir d’hommes qu’il ne connaîtrait jamais. Il sera ce qu’il sera

   Mais Jean-Jacques poursuivait comme pour lui-même, d’une voix prophétique:

   — Ces hommes avec leurs machines, car il y aura des machines... immenses; je le sais, je les vois ces hommes pris dans ces engrenages et avec leurs tourments, leur vie, leur famille, ces hommes qui crêveront d’ennui le dimanche après-midi, eh bien, ils auront besoin pour rétablir leur équilibre, de revenir à la condition première de l’humanité et sais-tu ce à quoi j’ai pensé, Emile?

   Emile mourant de faim, d’une voix plaintive:

   — Non.

   — Eh bien, je vais fonder une société. La Société des “Probiti homines deambulanti” pour sauvegarder la condition d’homme et tout honnête homme qui voudra retrouver son équilibre devra se plier à ces quelques indications:

 

       Voici le règlement de ma Société.

   1) Interdiction aux hommes de se servir des machines en dehors     des heures de la semaine anglaise.

   2) Tout homme devra faire au moins 30 km. de marche dans sa semaine (non anglaise).

   3) Défense de porter des épingles à nourrice, elles peuvent s’ouvrir pendant la marche.

   4) Interdiction de marcher sur les bordures de trottoirs.

   5) Défense de cracher sous les tentes.

   6) Ne pas camper près des villages atteints de fièvre aphteuse ou du varron, ou sur les terrains en pente.

   7) Laisser les leiux tels qu’on souhaiterait les trouver en arrivant.

   8) Ne pas camper au milieu des voies et du bruit.

   9) Tout homme devra se munir d’un sac à dos, le bâton est facultatif.

   10) Ne pas camper entre Janvier et les abattoirs communaux.

   11) Emporter le moins possible de conserves qui donnent des maladies de peau.

   12) Se munir d’une licence de ma Société.

         (Siège Social: 23, Rue de l’Odéon, Tel: ODE.88-24)

 

   Mais la nuit vint et les surprit. Ils se sont égarés et le soleil n’est pas là pour les orienter.

   Et Jean-Jacques qui ne pensait pas au bivouac, dit: “Comment allons-nous faire cette nuit pour nous coucher, nous n’avons pas de tente.”

 

                                                 POSTAIRE — 4ème année —