Épître extraite de : 

  

  

Les Abus 

dans les Cérémonies et dans les Mœurs 

  

développés par Mr. L*** 

Auteur du Compère Mathieu. 

  

(texte daté de 1765) 

  

  

Voir la notice " Reproduction d’après l’édition de 1788. 

  

   ► L’orthographe et la ponctuation d’origine ont été respectées. 

Merci de nous pardonner ou de nous signaler les fautes qui nous auront échappé. 

  


  

  

EPITRE 

  

DEDICATOIRE 

  

A MON FRERE 

  

JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 

  

CI-DEVANT 

  

CITOYEN DE GENEVE 

  

  

FRERE,

  

JE suis un petit Polichinel de la Littérature Française, & toi le plus grand Ecrivain de ton siécle : je suis un pauvre Auteur en tous sens, mais je ne vole personne ; tu es riche en tous sens, & dérobes les vivants & les morts. Frere Jacques, cela n’est pas honnête, tu veux corriger ton prochain ; tu es un insensé, si tu ne te corriges toi-même. [iv→] 

Après avoir lu ton contract-social, je m’écriai : Voici le triomphe de la maison d’Adam. Oui, depuis la fondation du premier homme, ce Contract est incontestablement le plus beau, qui ait paru sur la terre : c’est mon Frere Jacques qui a composé cet immortel Ouvrage ; je ne connais point de garçon dans les Treize Cantons Suisses qui fasse mieux un Contract ; il ferait la barbe à tous les Notaires de Vire & du Pays Manceau. 

Je chantais ta gloire dans toutes les rues d’Amsterdam ; j’accablais d’injures & d’impertinences ceux qui étaient assez bêtes pour flétrir, brûler ou mépriser tes écrits. J’allai un Dimanche à la Paroisse des Quakers, où le saint Esprit me conduit quelquefois ; à la sortie de cette assemblée, je rencontrai un Quaker de mes amis, qui venait de faire un long discours sur la charité, plus beau, plus onctueux, plus pressant que tous ceux que j’avais entendu dans l’Eglise Romaine. [v→] 

Pierre, c’était le nom de ce bon Quaker, m’aborda le chapeau sur la tête : Frere, me dit-il, es-tu toujours le panégyriste de notre frere Jacques ? Pourquoi non. Depuis Demosthenes, trouverais-tu un homme, qui ait tant fait d’honneur à la raison par des paradoxes ; suis-moi, me dit Pierre ; & sans me questionner davantage, il me conduisit à la Bibliothèque, où nous montâmes par un grand escalier de marbre noir, couvert, selon l’usage Hollandais, d’une fine toile de Frise [ HYPERLINK "http://du.laurens.free.fr/epitres/epitr_abus.htm" \l "Note_1" \o " Lire la note d'origine " 1]. 

Je fus surpris de l’arrangement de cette superbe Bibliothèque & du rare choix des livres. Aucun insecte n’y rongeait les respectables morts qui habitaient ce sejour. L’Abbé Trublet, Palissot, & Fréron, qui [vj→] tombent par lambeaux sur nos quais, n’avaient pas la moindre égratignure de cette vermine qui par-tout ailleurs s’attache à leurs productions. Ils devaient cette faveur à la poudre contre les vers que Pierre, avait répandus sur leurs écrits. 

Nous nous promenâmes quelques temps dans ce lieu si agréable pour les personnes qui cultivent les Lettres & les Sciences ; nous nous plaçâmes à côté d’une Mappe-Monde, où Pierre rompit le silence, & me dit : Vois-tu, Frere, cette ingénieuse machine ? Tu sçais qu’elle contient en petit, l’immensité du monde : prends un compas, mesure la hauteur & la largeur de ton incapable figure ; approche ta courté étendue de la plus petite Province de ce globe ; compte les degrés, tu verras que tu n’es qu’un point infiniment petit dans ce grand tout. 

Après cette effrayante expérience, la Quaker me dit, succomberas-tu encore à l’orgueil de barbouiller du papier ? Le mau-[vij→]vais succès de tes ouvrages ne t’a-t-il pas encore corrigé, est-ce à cause que tu n’as, pas assez de tête pour faire un bon livre, que tu continues à en faire de mauvais ? Tiens, regarde toutes ces parties isolées du monde ; vois-tu ces Lapons qui vivent long-temps, & ne font point de livres ! Ces Pongos, qui ignorent encore s’ils pensent ou s’ils existent ! Ces peuples innombrables ne connaîtront jamais ton nom, ni celui de Jean-Jacques, quoiqu’il fasse beaucoup de bruit à l’Opéra, à Géneve, à Montmorenci, & dans les Montagnes de la Suisse. 

Le Contract-Social, dont tu parais toujours enchanté, n’est point de ton Genevois : Jacques, avec sa façon tranchante de raisonner, n’as pas ce que tu appelles en France un genie créateur ; va à la troisième planche, prends le livre, numero H., ouvre-le, tu verras que ton Frere Jacques a été le plus effronté voleur du Vallais. [viij→] 

Ne sachant trop ce que Pierre voulait me dire, j’exécutai machinalement ses ordres ; j’allai prendre le livre qu’il m’indiquait : je l’ouvris, ô Ciel ! quel étonnement de voir, ô frere Jacques ! que tu avais pris ton systême, tes pensées, tes arguments d’Ulric Hubert ! [ HYPERLINK "http://du.laurens.free.fr/epitres/epitr_abus.htm" \l "Note_1_viii" \o " Lire la note d'origine " 2]. 

J’ai pâli de rage en voyant ton crime, les larmes de désespoir coulerent comme deux fontaines de mes yeux. O douleur ! mon Frere Jacques, quels vernis honteux as-tu jeté sur notre maison ! je te croyais le plus joli garçon de la famille d’Adam, & tu n’es qu’un misérable brigand [ HYPERLINK "http://du.laurens.free.fr/epitres/epitr_abus.htm" \l "Note_2_viii" \o " Lire la note d'origine " 3], [ix→] enrichi des dépouilles dérobées au pauvre Hubert. O mon Frere ! tu es dans la littérature, ce que Le Kain est sur le théâtre ; on peut te comparer à cet acteur adoré des étourneaux de Paris ; ainsi que lui, tu as jeté du sable dans les yeux du public. On peut bien être aveuglé pendant quelques instants ; mais insensiblement le mouvement de l’œil écarte le sable : on apperçoit peu-à-peu la lumiere, qu’on supporte d’abord avec peine ; l’œil débarrassé de tout ce qui le gêne, revoit le jour avec d’autant plus de plaisir, que la privation qu’il a soufferte, le lui fait revoir plus pur, plus serein & plus brillant. 

Pour t’engager à devenir honnête homme, & ne plus voler les Anciens, ni glaner parmi les plus habiles des modernes, je t’offre l’image de mon Livre, puisse-t-elle te servir d’exemple pour faire le bien ; tu ne verras aucun larcin dans cet ouvrage ; je n’y brillerai point, comme le Geai de la Fable, d’une parure volée à autrui : content de mon simple plumage, [x→] j’y paraîtrai pauvre ; une honnête pauvreté est préférable aux richesses acquises par le brigandage & la fraude. Puisse le Grand Architecte de l’Univers t’accorder force, sagesse, prospérité & santé ; ce sont les vœux les plus ardents de 

  

TON FRERE ; 

  

Modeste & Tranquille 

Xan-Xung 

  

  

page V : 

[1] Les Hollandais respectent infiniment les marches de leurs escaliers, & les planches de leurs appartements, qu’ils ont la coutume de couvrir d’une toile, d’un tapis de Turquie, le tout surmonté d’une natte ; par cette heureuse invention, ils conservent la propreté de leurs planchers & de leurs escaliers. 

  

page VIII : 

(2) M. Rousseau a pris son Contract Social, mot pour mot : d’Ulrici Huberti de Jure Civitatis, Lib. III. Imprimé à Francquer en Frise en 1684, & réimprimé à Franccfort en 1718. Ce livre est dans toutes les grandes Bibliotheques : on peut vérifier cette accusation, 

  

[3] Les partisans du Philosophe Genevois diront peut-être : peu importe que M. Rousseau ait volé Hubert le Frison ; c’est Promethée, qui dérobe pour nous le feu sacré. Mauvaise comparaison Jacques ne doit point aspirer à la gloire du Fils de Japhet & de Clymene, il n’a point pris son feu dans le Ciel ; mais dans une Bibliotheque. On trouve dans le même endroit le canevas de tous ses Ouvrages. 

  

 

  


  

[Texte original daté de 1765 selon le faux titre de l’édition de 1767, 

mais il peut s’agir d’un canular, aucune éd. de 1765 n’étant localisée.] 

  

Selon l’édition :    LES / ABUS / DANS LES / CÉRÉMONIES / ET / DANS LES MŒURS / DÉVELOPPÉS / PAR Mr. L***. Auteur du / COMPERE MATHIEU. / Trouvés en manuscrit dans son porte- / feuille après sa mort. / [cul-de-lampe : 2 personnages sur une figure, globe au milieu] / A PARIS / Chez les Libraires associés. / [double filet] / M. DCC. LXXXVIII. 

  

Publication            1788, Paris, Libraires associés. 

Description           In-12., X + 188  [+2] p. 

Note                       La pagination passe de la page 169 à la page 190, continue jusqu’à 200, puis reprend à la page 181 jusqu’à 188 alors que le texte est continu. 

  

Un exemplaire de cette édition (1788) figure aux Archives du Pas-de-Calais 

( Cote : A. 741, Collection Historique / Barbier ) 

  

Un exemplaire de l’édition originale (1767/65) figure à la B. M. de Grenoble 

( Cote : P.262, CGA ) 

  

  

  

  

2003-2005  ©  http://du.laurens.free.fr