Réédition : Un Sans-Patrie, « Après la fête de Rousseau », La Guerre Sociale, 9 juillet 1912.

 

 

 

                 Après la fête

 de Rousseau

 

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   Compliments ! nos seigneurs républicains pour votre fête du bicentenaire de Rousseau !

   Quel triomphe ! quelle apothéose !

   La cérémonie de la Sorbonne, où les camelots du roi hachèrent les discours officiels, n’était déjà pas mal.

    Mais il paraît que celle du Panthéon fut encore plus réussie, la sortie de Fallières surtout. Pour se soustraire aux ovations des camelots du roi, le premier magistrat de notre caricature de république dut filer à une vitesse qui l’eût fait arriver bon premier à la course de Dieppe. Quant au sympathique ministre de l’Intérieur, bien lui a pris de se faire protéger par une armée de flics, sans quoi il risquait de se faire calotter come jadis Briand à une autre cérémonie.

   Il faut espérer que lorsque sur les sommations de l’Action Française, notre Parlement-croupion aura, par une dernière capitulation, transformé la fête royaliste et catholique de Jeanne d’Arc en fête nationale et républicaine, les camelots du roi iront plus loin, qu’ils déshabilleront le président de la République, à moins que ce ne soit le ministre de l’Intérieur ou le président de la Chambre et qu’ils lui donneront la fessée en public, au chant de la Vendéenne !

   Le plus reluisant pour le régime, c’est que pas une voix ne s’éleva au quartier latin pour répondre aux camelots du roi, pas une contre-manifestation ne s’organisa pour les faire taire.

   Le Rappel s’en inquiète et il incrimine Lépine qui n’aurait pas organisé un service d’ordre suffisant.

   Non ! non ! ce n’est pas la faute de Lépine ce qui est arrivé autour du Panthéon, excellent confrère, c’est de votre faute, de la faute de vos radicaux.

   Ces bons radicaux, hier clémencistes, briandistes, caillautistes, aujourd’hui millerandistes, se sont figuré qu’ils pouvaient pendant huit ans, taper à tour de bras sur le peuple, sans dommage pour leur République.

   Il y a cinq ans déjà, je leur ai signalé le péril ; je leur ai dit : « Prenez garde ! dans les milieux populaires les plus ardemment républicains hier, votre politique de combat contre nous produit un tel écœurement qu’on peut déjà y crier à bas la République ! sans se faire casser la figure… »

   Au lieu de profiter de l’avertissement que moi, ancien blocard et républicain impénitent, je leur donnais gratuitement, ils se sont bouché les oreilles ou ils ont feint de comprendre que je criais moi-même « A bas la République ! »

   Qu’ils ne se plaignent pas de ce qui leur est arrivé dimanche. Ils ne l’ont pas volé !

   Ah ! ils peuvent faire appel aux forces d’enthousiasme populaires, maintenant que les moins aveugles d’entre eux voient poindre la menace royaliste et la menace autrement dangereuse quoique moins bruyantes des Césariens !

   Le peuple socialiste et révolutionnaire, malgré le dégoût qu’il a pour la radicaille, ne laissera pas sombrer la République car la République c’est lui ; c’est la chair de sa chair, c’est lui qui l’a fondée au prix de son sang et elle reste la condition nécessaire de la réalisation de son rêve d’égalité et de justice sociales. Quand il en aura assez des coassements des grenouilles qui demandent un roi, il saura les faire taire.

   Seulement pour le quart d’heure, il lui plaît – comme Achille offensé – de rester sous sa tente et de voir barboter les seigneurs républicains qui l’ont bafoué, meurtri, cravaché et fusillé.

   Avant qu’il lève le petit doigt, Messeigneurs, il faudra faire votre mea culpa.

   Il faudra nous demander l’amnistie. Car ce n’est pas nous qui en avons besoin – quoi qu’en pensent certains de mes amis – c’est vous !

   Il faudra venir dire au peuple : « Pardon pour Narbonne et Villeneuve Saint-Georges !  Pardon pour Durand ! Pardon pour Aernoult ! Pardon pour l’interdiction de séjour appliquée à  vos militants ouvriers !

   « Pardon pour avoir introduit des provocateurs dans vos rangs !

   « Pardon pour la grève des cheminots que nous avons étranglée !

   «  Pardon pour la nouvelle loi scélérate que nous avons laissé Millerand vous appliquer !

   «  Pardon pour Rousset ! Pardon pour le gosse de Le Scornec ! »

   Alors seulement Populo, parce qu’au fond il déteste la royauté et l’empire et parce qu’il aime la République, vous tendra l’absolution au bout de ses pincettes.

 

UN SANS-PATRIE.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte numérisé par Tanguy L’Aminot