Réédition : Pastoret, Ode sur
l’inauguration du buste de J.J. Rousseau dans la Société populaire de Montauban, s.l.n.d.,
[Montauban, 1795], 4 p.
ODE
SUR L’INAUGURATION DU BUSTE
DE J.J. ROUSSEAU
DANS LA SOCIETE POPULAIRE
DE MONTAUBAN
Paroles de Pastoret. Musique de Bonet.
Tressaillez d’alégresse, ames républicaines !
Vous voyez sous ces traits un Sage respecté,
Rousseau, ce Spartiate au sein même d’Athènes,
Rousseau, l’ami de l’homme et de la vérité.
La tendre humanité respira dans son ame :
La liberté nourrit ses stoiques vertus.
La raison, qui l’arma de sa céleste flamme,
Lui fit de l’Univers foudroyer les abus.
Sous le marbre vivant, ô France ! ô ma Patrie !
Offre ce Philosophe à l’hommage des cœurs :
L’ame du grand Rousseau, le feu de son génie
Est le flambeau divin de tes Législateurs.
Le Sénat des Français est l’organe sublime
De la raison sacrée et de l’humanité :
C’est la vertu qui parle, et Rousseau qui s’exprime :
Que le monde abusé cède à la vérité.
Ils ne sont plus ces jours de deuil et de misère,
Où loin de consoler ses paisibles amans,
Aux mortels vertueux la liberté si chère,
Leur faisoit regretter le règne des tyrans ;
Ces jours où la terreur, promenant le ravage,
Dépeupla les cités et remplit les cachots ;
Où la main fratricide, avide de pillage,
Fatigua de la mort la redoutable faux.
Hélas ! la liberté, cette idole du Sage,
Qui prépare aux Français les plus brillans destins,
L’aimable liberté fut un monstre sauvage,
L’horreur de la nature et l’effroi des humains.
Que dis-je ? ah ! sous son nom c’étoit la tyrannie,
Qui s’entoure du crime et proscrit la vertu.
Peuple ! réjouis-toi ; Rousseau ! reprends la vie ;
La liberté renaît, le monstre est abattu.
Il n’est plus : ses suppôts, ces ligues meurtrières
Rentreront comme lui dans la nuit des enfers.
Effaçons à jamais leurs traces sanguinaires :
L’aurore du bonheur sourit à l’Univers.
Rousseau ! renais au monde ; au cri de la justice
Les complots des méchans ont été confondus.
Tu vois de la raison briller l’astre propice,
Triompher la nature, et régner les vertus.
Aux tragiques accens de ta philosophie
Du puissant préjugé croule l’antique autel ;
L’erreur brise son sceptre, et voit son ennemie,
La vérité, s’asseoir sur son trône éternel.
La douce égalité, fille de la nature,
Couche devant la loi le riche et l’indigent :
Le Français a vaincu, terrassé l’imposture,
R’ouvert les yeux au jour, son cœur au sentiment.
Le succès n’a jamais enorgueilli ses armes ;
Ses drapeaux triomphans offrent l’égalité :
Aux yeux de l’ennemi sa victoire a des charmes ;
Ses exploits font partout chérir la liberté.
Il sait associer l’audace à la sagesse,
La flamme du courage à la bonté du cœur,
Respecte l’infortune, honore la vieillesse,
Et sur la vertu seule il fonde sa grandeur.
[Note : Ce poème thermidorien, dénonciateur de Robespierre et de la Terreur, a été lu dans la séance du 10 Ventôse an III (1795) de la Société des Amis de la Constitution à Montauban, séance consacrée à la fête de l’humanité et au cours de laquelle fut inauguré un buste de J.-J. Rousseau. Il figure aux Archives municipales de Montauban et dans le Fonds Buffenoir du Musée Rousseau de Montmorency.]
Texte numérisé par Tanguy L’Aminot