Réédition : Robert Caze, « A propos de Rousseau » dans Poèmes rustiques, Paris, Sandoz et Fisbacher, 1880, p. 38-39.

 

 

A PROPOS DE ROUSSEAU

J' 'ÉTAIS encore enfant, lorsque j'ai lu Julie.
Tout pensif, j'inclinais ma figure pâlie
Sur le récit fatal des amours de Saint-Preux.
Je ne cherchais point là les passages scabreux,
Ni les émotions trop poignantes, ni même
La science qui montre au lecteur comme on aime.
Je suivais simplement les tableaux de l'auteur,
Me plaisant à gravir avec lui la hauteur,
Et montant au sommet des cimes désolées
Pour embrasser des yeux les lacs et les vallées.
Et je me recueillais, malgré les mille cris.
Et les mille chansons du mugissant Paris.
Je n'avais jamais vu que de loin la montagne,

C'était en France, auprès des frontières d'Espagne,
Le livre de Rousseau me fit ambitieux ;
Je voulus voir les monts dont la tête est aux deux,
Ecouter la chanson argentine des sources,
Contempler et le Rhône et le Rhin dans leurs courses.
Je suis heureux; j'ai vu; j'ai trouvé, près des monts,
Les forêts pleines d'ombre et les amours profonds,
La rêverie intime et la femme charmante
Qui parfois est ma soeur et parfois mon amante.

1876.