TERRITOIRE ET HISTOIRE

SELON JEAN-JACQUES ROUSSEAU

 

 

 

 

 

 

 

UNIVERSITÉ DE TOULOUSE LE MIRAIL

UFR DE LETTRES, PHILOSOPHIE, MUSIQUE

DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

 

 

 

TERRITOIRE ET HISTOIRE

SELON JEAN-JACQUES ROUSSEAU

 

 

Mémoire présenté pour l’obtention de la maîtrise

d’enseignement de Philosophie,

Par Vincent Gray

Sous la direction de Mme Éliane Martin-Haag

Assesseur, M. Jean-Marie Barrande

 

 

Toulouse, septembre 2005

INTRODUCTION

 

 

On réduit souvent la question du territoire chez Rousseau à la question géographique de son étendue, que l’on résume par une opposition du type : critique des grands territoires – éloge des petits territoires. Cette opposition, sans être aussi caricaturale, est certes présente dans sa pensée, mais les raisons qu’a Rousseau pour la forger sont rarement interrogées, de la même manière qu’est rarement interrogée la définition que Rousseau donne du territoire, notion qui est immédiatement et constamment posée non comme géographique mais comme politique.

C’est pourquoi, nous nous attacherons en premier lieu à examiner en quoi le territoire, principalement à travers la question de son étendue, constitue, dans la pensée de Rousseau, un problème politique. Pour répondre à cette question, nous tenterons d’abord de comprendre comment Rousseau problématise, dans une visée politique, la notion de territoire ou de « territoire public ». Puis, nous serons amenés a voir que le territoire constitue un des premiers problèmes politiques que rencontre un peuple, puisque d’une part il doit produire les ressources naturelles nécessaires à sa subsistance, et d’autre part il doit produire un surplus nécessaire à la subsistance du gouvernement. En outre, nous verrons que la question de l’étendue du territoire est à l’œuvre dans d’autres problèmes spécifiques de la philosophie politique de Rousseau, tels que l’efficacité du gouvernement, le lien social ou la légitimité de l’exercice du pouvoir législatif, ceux-ci ne se réduisant pas à la question du territoire mais l’intégrant comme un élément déterminant. Nous nous attacherons alors à montrer comment ces problèmes politiques amènent Rousseau à accorder une préférence aux petits Etats, conçus sur le modèle de la polis ou de la cité antiques. Or, le fait que Rousseau pense le territoire sur le modèle de réalités passées, c’est-à-dire de territoires antiques, tels que la polis et la cité, nous incitera à souligner que la formulation du problème du territoire par Rousseau, n’est pas seulement politique mais également historique. Nous examinerons donc comment Rousseau historicise le problème politique du territoire. Nous nous demanderons alors si l’admiration que Rousseau porte à ces territoires antiques est uniquement liée à la faible étendue de leur territoire. Ceci nous amènera à développer l’idée selon laquelle ce qu’il admire dans la polis et la cité, ce sont leurs hommes vertueux et leurs bonnes institutions, qui définissent selon lui ce qu’est la patrie. Nous soutiendrons alors que la polis et la cité ne sont pas seulement des modèles de petits territoires mais des modèles de territoire comme patrie. Par ailleurs, nous verrons que Rousseau considère que toutes les polis ou toutes les cités antiques ne sont pas des patries et que seulement certaines sont habitées par des hommes vertueux vivant dans de bonnes institutions. Rousseau élève deux de ces patries antiques au rang de mythe : Rome, mais surtout Sparte.

Nous consacrerons alors la deuxième partie de notre étude à ce mythe rousseauiste de Sparte, en tant que modèle du territoire comme patrie. Nous nous demanderons dans quelle mesure ce sont ses vertus et ses institutions qui font de Sparte le modèle de la patrie, en les définissant et en les situant dans l’économie globale de la pensée de Rousseau. Nous suivrons pour cela la problématique de la patrie telle qu’elle est formulée par Rousseau, et qui est celle de ses conditions de possibilité : la patrie suppose la liberté, qui nécessite la vertu, qui requiert des citoyens, qui doivent être formés par de bonnes institutions. Nous examinerons donc, dans un premier temps, l’ensemble liberté-vertu, puisque certaines vertus sont nécessaires à la liberté, puis nous nous pencherons sur l’ensemble citoyens-institutions, puisque les vertus impliquent que les hommes de la patrie soient des citoyens, ce qui implique de bonnes institutions.

Enfin, nous tenterons de replacer ce modèle du territoire antique comme patrie dans l’économie générale de la pensée de Rousseau. Nous montrerons d’abord que Sparte n’est pas un modèle unique, uniformisant, puisque Rousseau construit deux autres modèles antiques, deux autres mythes, de patrie : Rome et la nation juive. Ceci nous amènera à nous interroger sur les fonctions que Rousseau attribue à ce modèle ou à ce mythe du territoire antique comme patrie : lui attribue-t-il une fonction simplement critique, ce qui serait le signe d’une « pensée du malheur », ou pense-il qu’il peut avoir en outre une fonction pratique ? Nous verrons que, le modèle de Sparte n’étant pas uniformisant, il s’insère, avec celui de Rome et de la nation juive, non pas dans un volonté de retour à l’antique, mais dans une pensée plus générale des moyens pour réaliser un territoire comme patrie, une pensée qui intègre la particularité de chaque société civile, notamment avec l’œuvre du législateur qui doit instaurer des institutions adaptées au « génie » de chaque peuple.

 

 

                      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE 

 

 

LE TERRITOIRE,

DU PROBLEME POLITIQUE

AU PROBLEME HISTORIQUE

 

 

 

 

 

 

 

I - Le territoire et son étendue : un problème politique

 

A/ Le territoire ou « territoire public » : une notion politique

 

 Dans le chapitre de Du contrat social[1] intitulé « Du domaine réel »[2], consacré à la propriété des choses ou des biens, Rousseau explique comment peut se constituer le territoire ou « territoire public ». Il peut se constituer de deux manières, soit au moment du contrat social soit après le contrat social. Au moment du contrat social, « chaque membre de la communauté se donne à elle au moment qu’elle se forme, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possede font partie », c’est-à-dire qu’il aliène ses possessions, dont ses terres, à la communauté, qui loin de l’en dépouiller lui en assure la légitime possession, c’est-à-dire une propriété fondée sur les lois, et le défend de toutes ses forces sans pour autant le placer dans la dépendance d’un autre particulier. Ainsi, « les terres des particuliers réunies et contigues deviennent le territoire public ». Mais il peut également arriver que « les hommes commencent à s’unir avant que de rien posséder, et que, s’emparant ensuite d’un terrain suffisant pour tous, ils en jouissent en commun, ou qu’ils le partagent entre eux ».

Le territoire, qui chez Rousseau est toujours à entendre au sens de « territoire public », c’est-à-dire d’espace sur lequel vit une communauté, est constitué par l’ensemble des terres des membres de cette communauté. Mais il faut préciser immédiatement que le territoire n’est pas chez Rousseau un agrégat de terres contiguës, attenantes ou adjacentes, car il a d’emblée une dimension supérieure politique. En effet, le droit de souveraineté s’étend « des sujets au terrain qu’ils occupent », et par conséquent, de quelque manière que se fasse la constitution du territoire, « le droit que chaque particulier a sur son propre fond est toujours subordonné au droit que la communauté a sur tous » et par conséquent l’Etat a un droit « éminent » sur les terres de ses membres. C’est dans l’Émile[3] que Rousseau explicite cette idée fondamentale, que l’on ne peut comprendre qu’à partir de la différence qu’il pose entre le « domaine éminent » et le « domaine particulier ». Dire que l’Etat en tant que souverain a sur les terres de ses membres un droit « éminent » ne signifie pas que le droit de propriété n’existe plus : « Si c’est sur le droit de propriété qu’est fondée l’autorité souveraine, ce droit est celui qu’elle doit le plus respecter ». Le droit de propriété est sacré « tant qu’il demeure un droit particulier et individuel », c’est-à-dire que le « domaine particulier », la propriété individuelle doit être garantie par l’autorité souveraine et par suite « le souverain n’a nul droit de toucher au bien d’un particulier ni de plusieurs », toute spoliation individuelle de la part de l’Etat étant illégitime. Mais l’Etat, en tant que souverain, a sur les terres de ses membres, considérées dans leur totalité comme territoire ou « territoire public », un droit « éminent », puisqu’elles constituent son « domaine éminent ». Ainsi considéré, le droit de propriété « est soumis à la volonté générale et cette volonté peut l’anéantir », c’est-à-dire qu’elle peut légitimement s’emparer du bien de tous ou supprimer la propriété pour l’intérêt de la communauté.

Ce droit du souverain sur le territoire est essentiel car sans lui « il n’y auroit ni solidité dans le lien social, ni force réelle dans l’exercice de la Souveraineté »[4], puisque « la propriété est (…) le vrai garant des engagemens des citoyens »[5], ceux-ci entrant dans la société civile pour garantir leur liberté mais aussi pour garantir la protection de leurs biens. Nous voyons ici que le territoire ou « territoire public » a d’emblée une dimension politique, puisque même si il est constitué physiquement de l’ensemble des terres des membres de l’Etat, il est soumis à la volonté du souverain qui transforme cet agrégat de terres en un territoire proprement dit.

 

 

B/ Le territoire et le problème politique de la production de ressources naturelles nécessaires à la subsistance du peuple

 

Dans la suite de chapitres intitulés « Du peuple » de Du contrat social[6], qui reprennent avec quelques modifications le chapitre intitulé « Du peuple à instituer » du Manuscrit de Genève[7], Rousseau énonce les maximes de la politique que le législateur doit prendre en compte avant l’institution d’un peuple, car  « le sage instituteur ne commence pas par rédiger de bonnes loix en elles-mêmes, mais il examine auparavant si le peuple auquel il les destine est propre à les supporter »[8]. Comme le rappelle Roger D. Masters dans son ouvrage intitulé La philosophie politique de Rousseau[9], les maximes de la politique, qui sont à la base de « la science du législateur », sont des « propositions suggérées par Rousseau comme des guides pour le législateur ou l’homme politique »[10], et dans cette suite de chapitres ces maximes concernent soit « les conditions historiques de la fondation »[11] soit « les conditions physiques de la fondation »[12]. Nous traiterons des conditions historiques de la fondation dans la troisième partie de ce travail, car ce sont « les conditions physiques de la fondation » qui nous intéressent ici, c’est-à-dire « les propositions de Rousseau qui concernent les conditions géographiques et climatiques dont il faut particulièrement tenir compte durant la fondation »[13].

Ces « conditions physiques » requises pour la fondation sont celles d’un juste équilibre entre l’étendue du territoire et le nombre d’habitants de ce territoire, cet équilibre étant réalisé lorsque la quantité de ressources naturelles est suffisante au peuple pour se nourrir et subvenir à ses besoins et ainsi pour qu’il ne soit pas dépendant des autres peuples ou du hasard des évènements. Roger D. Masters rappelle que, dans la question de l’étendue et de la population appropriées à la communauté politique,  « c’est la proportion entre la population d’un Etat et la taille et le caractère de son territoire qui détermine la force d’une société civile, et non pas l’un de ces facteurs pris isolément »[14]. Ainsi Rousseau écrit : «  On peut mésurer un corps politique de deux manieres ; savoir, par l’étendue du territoire, et par le nombre du peuple, et il y a, entre l’une et l’autre de ces mésures, un rapport convenable pour donner à l’Etat sa véritable grandeur : Ce sont les hommes qui font l’Etat, et c’est le terrain qui nourrit les hommes ; ce rapport est donc que la terre suffise à l’entretien de ses habitans, et qu’il y ait autant d’habitans que la terre en peut nourrir. C’est dans cette proportion que se trouve le maximum de force d’un nombre donné de peuple »[15].

Ce rapport équilibré entre la population et l’étendue du territoire est primordial, puisque le territoire est la source fondamentale des moyens de conservation de la population. Sans ce rapport équilibré la population sera dépendante des autres peuples et du hasard des évènements : « s’il y a du terrein de trop, la garde en est onéreuse, la culture insuffisante, le produit superflu ; c’est la cause prochaine des guerres deffensives ; s’il n’y en a pas assés, l’Etat se trouve pour le supplément à la discretion de ses voisins ; c’est la cause prochaine des guerres offensives. Tout peuple qui n’a par sa position que l’alternative entre le commerce ou la guerre, est foible en lui-même ; il dépend de ses voisins, il dépend des événemens ; il n’a jamais qu’une existence incertaine et courte »[16].

Mais la proportion requise pour garantir l’indépendance d’une société civile ne peut être formulée dans l’abstrait : « On ne peut donner en calcul un rapport fixe entre l’étendue de terre et le nombre d’hommes qui se suffisent l’un à l’autre ». En effet, pour déterminer le juste équilibre entre l’étendue du territoire et le nombre d’habitants de ce territoire, il faut tenir compte d’un grand nombre de critères. Ainsi, il faut tenir compte des caractéristiques du sol du territoire que le climat et la géographie déterminent, c’est-à-dire « des différences qui se trouvent dans les qualités du terrein, dans ses degrés de fertilité, dans la nature de ses productions, dans l’influence des climats », et il faut tenir compte du caractère de la population de ce territoire également déterminé par le climat et la géographie, c’est-à-dire des différences « qu’on remarque dans les temperamens des hommes (…), dont les uns consomment peu dans un pays fertile, les autres beaucoup sur un sol ingrat ». Mais il faut également prendre en compte des critères démographiques tels que « la plus grande ou moindre fécondité des femmes » afin de prévoir l’état futur de la population. A ces critères s’ajoutent une multitude d’autres, car « il y a mille occasions où les accidens particuliers du lieu exigent ou permettent qu’on embrasse plus de terrein qu’il ne paroit nécessaire. Ainsi l’on s’étendra beaucoup dans un pays de montagnes (…). Au contraire, on peut se resserrer au bord de la mer (…) parce que la pêche y peut suppléer en grande partie aux productions de la terre »[17].

Une remarque nous semble ici nécessaire. La notion de territoire semble chez Rousseau recouvrir la notion grecque de « chora », non pas dans son sens acception générale d’espace ou de lieu, mais dans son sens plus restreint de terrain agricole, de campagne située autour de la polis, de territoire cultivé autour de la polis et dépendant de la polis[18]. En effet, dans un chapitre de son Histoire du gouvernement de Genève intitulé « Du Territoire »[19], Rousseau reconduit la conception du territoire comme « chora », en soulignant son caractère politique, puisque le territoire est bien un terrain agricole mais sur lequel l’Etat exerce son autorité : « Quoique le Diocese de Genève fut très etendu, le territoire de la ville étoit très petit, ou pour mieux dire il étoit nul ; car les particuliers avoient des terres mais la ville n’avoit aucun pouvoir hors de ses murs ». Le territoire comme « chora » est considéré par Rousseau comme une condition essentielle de la liberté d’un peuple en tant qu’il permet quant à sa subsistance sa non dépendance à l’égard d’un autre peuple. Ainsi, à Genève, « tout dépendoit des chateaux qui l’environnoient et (…) appartenoient à l’Evèque, aux comtes de Geneve, aux comtes de Savoye (…). Les Genevois, comme emprisonnés dans leurs murs, dépendoient de leurs voisins pour leur subsistance  (…). Il n’est pas possible que Genéve soit jamais vraiment libre puisqu’elle ne peut se suffire à elle même et qu’elle sera toujours pour sa subsistance à la discretion d’autrui » [20].

A travers l’étude des conditions « physiques » propices à la fondation, la question du territoire apparaît essentiellement comme problème de la subsistance du peuple, le territoire étant ce qui offre cette subsistance. Or, d’une étude au départ géographique du territoire, Rousseau fait un problème politique puisque dans le fait de trouver entre l’étendue et le nombre d’habitants du territoire un juste équilibre, cet équilibre étant réalisé lorsque la quantité de ressources naturelles est suffisante au peuple pour subvenir à ses besoins, il s’agit de rendre ce peuple indépendant des autres peuples ou du hasard des évènements.

 

C/ Le territoire et le problème politique de la production d’un surplus nécessaire à la subsistance du gouvernement

 

La question du territoire comme problème de la subsistance se politise un peu plus dans un autre chapitre de Du contrat social[21] où, comme le dit Roger D. Masters, Rousseau énonce qu’« il faut que le législateur procure les ressources qui subviendront aux frais du gouvernement (en tant qu’il est distinct des citoyens eux-mêmes) »[22] : « Dans tous les Gouvernemens du monde la personne publique consomme et ne produit rien. D’où lui vient donc la subsistance consommée ? Du travail de ses membres. C’est le superflu des particuliers qui produit le nécessaire du public. D’où il suit que l’Etat civil ne peut subsister qu’autant que le travail des hommes rend au delà de leurs besoins »[23].

Or, Rousseau note que cet excédent de production sur la consommation privée n’est pas le même dans tous les pays : « Ce rapport dépend de la fertilité du climat, de la sorte de travail que la terre exige, de la nature de ses productions, de la force de ses habitans, de la plus ou moins grande consommation qui leur est nécessaire, et de plusieurs autres rapports semblables desquels il est composé »[24]. C’est pourquoi Rousseau pense que les éléments naturels tels que la géographie ou le climat, sont des limites de la vie politique : « toute forme de gouvernement n’est pas propre à tout pays » ou encore en reprenant Montesquieu : « La liberté n’étant pas un fruit de tous les Climats n’est pas à la portée de tous les peuples »[25]. Ainsi, Rousseau tente de déterminer la forme de gouvernement selon la production du surplus relativement au caractère des habitants et à la fertilité des terres sous différents climats[26]. L’analyse de Rousseau repose sur la distinction entre climats chauds et climats froids, l’excédent agricole diminuant lorsque l’on va « de la ligne au pole »[27]. Or, comme cet excédent est ce qui fait vivre le gouvernement, le climat tend à déterminer la forme du gouvernement : « Les lieux ingrats et stériles où le produit ne vaut pas le travail doivent rester incultes et deserts, ou seulement peuplés de Sauvages : Les lieux où le travail des hommes ne rend exactement que le nécessaire doivent être habités par des peuples barbares, toute policie y serait impossible : les lieux où l’excès du produit sur le travail est médiocre conviennent aux peuples libres ; ceux où le terroir abondant ou fertile donne beaucoup de produit pour peu de travail veulent être gouvernés monarchiquement »[28]. Ainsi, Rousseau comme Montesquieu[29], souligne le lien entre les climats chauds et fertiles et le despotisme : « les pays chauds ont moins besoin d’habitans que les pays froids, et pourroient en nourrir davantage ; ce qui produit un double superflu toujours à l’avantage du despotisme »[30]. En effet, les climats chauds sont propices au despotisme, car une population dispersée sur le territoire sera faible en face d’un gouvernement fort de part l’utilisation du grand surplus. Et Rousseau, comme Aristote[31], souligne le lien entre les climats intermédiaires et les sociétés civiles libres.

Mais une remarque semble ici nécessaire : Rousseau ne dit pas que la corrélation entre le climat et les différents types de régimes est inévitable. Les maximes de la politique ne sont pas des prédictions scientifiques, d’une part parce qu’aucun facteur comme le climat n’opère isolément, et d’autre part parce que les hommes peuvent aller contre les déterminations physiques. Comme le précise Roger D. Masters : « Rousseau s’intéresse au régime qui convient à telle sorte de peuple, et donc quand il dit que les habitants de certains climats doivent être gouvernés d’une façon particulière, il ne veut pas dire que cela implique une nécessité naturelle. L’analyse de Rousseau revêt ainsi le caractère de conseils adressés à l’homme d’Etat. Au lieu de présenter une analyse objective de la tendance inévitable des phénomènes politiques, Rousseau essaie d’utiliser une connaissance de ces tendances pour prévenir le risque d’une législation erronée ou imprudente ». C’est pourquoi « si de nombreuses relations découvertes par Rousseau se réfèrent à des tendances naturelles (…), elles débouchent sur un conseil de prudence qui n’est ni purement scientifique ni purement éthique »[32]. En outre, comme l’acte de la législation a pour objet « un sistême particulier d’institution, qui soit le meilleur, non peut-être en lui-même, mais pour l’Etat auquel il est destiné », le climat et la géographie peuvent déterminer une législation non seulement inférieure au meilleur régime mais encore inférieure à un régime légitime[33] : « (…) outre les maximes communes à tous, chaque Peuple renferme en lui quelque cause qui les ordonne d’une maniere particuliere et rend sa législation propre à lui seul »[34]. Par conséquent, l’examen des nécessités physiques qui conditionnent la politique est un moyen pour trouver la solution la meilleure possible à ce problème unique que pose chaque société humaine.

 

D/ Raisons politiques de la préférence accordée aux petits Etats

 

Nous avons vu que la question de l’étendue du territoire est, pour Rousseau, un problème politique, dans la mesure où le territoire est d’une part la source de la subsistance du peuple garantissant son indépendance, et d’autre part la condition de possibilité du gouvernement et un élément déterminant de la forme de celui-ci. Mais le problème de l’étendue du territoire est également en jeu dans des problèmes politiques qui ne s’y réduisent pas, mais qui l’intègrent comme un élément primordial, tels que l’exercice efficace du pouvoir par le gouvernement, le lien social ou l’exercice légitime du pouvoir législatif par le peuple souverain.

La question de l’étendue du territoire considérée du point de vue de l’efficacité du gouvernement, peut se résumer ainsi : « il y a (…) eu égard à la meilleure constitution d’un Etat, des bornes à l’étendue qu’il peut avoir, afin qu’il ne soit ni trop grand pour pouvoir être bien gouverné, ni trop petit pour pouvoir se maintenir par lui-même »[35]. Il s’agirait donc de trouver un équilibre entre une trop grande étendue du territoire qui nuit au gouvernement de l’Etat et une trop faible étendue qui met l’Etat en péril face aux autres peuples. La critique rousseauiste des grands territoires relativement à l’efficacité du gouvernement est formulée ainsi : « Il y a dans tout corps politique un maximum de force qu’il ne sauroit passer, et duquel souvent il s’éloigne à force de s’aggrandir ; (…) et en général un petit Etat est proportionnellement plus fort qu’un grand »[36]. En effet, les grands territoires comportent trois défauts : l’administration devient plus difficile dans les grandes distances, car « les Chefs » ne peuvent rien voir par eux-mêmes et doivent redoubler d’effort pour maintenir l’autorité générale ; l’administration est « plus onéreuse à mesure que les degrés se multiplient (…) » ; et le gouvernement a moins de force pour faire observer les lois, d’autant plus que « les mêmes loix ne peuvent convenir à tant de provinces diverses qui ont des mœurs différentes, qui vivent sous des climats opposés, et qui ne peuvent souffrir la même forme de gouvernement »[37]. Par conséquent, comme « il faudroit des facultés plus qu’humaines pour gouverner de grandes nations »[38], pour que l’Etat soit bien gouverné il faudrait que « son étendue fut mesurée aux facultés de ceux qui le gouvernent », or comme il est impossible que de grands génies se succèdent infiniment dans le gouvernement, il faut la régler sur la « portée commune »[39]. D’où l’idée selon laquelle « presque tous les petits Etats, républiques et monarchies indifféremment, prospèrent par cela seul qu’il sont petits (…) »[40]. Si un trop grand territoire nuit au bon gouvernement de l’Etat, il ne faut cependant pas qu’il soit trop petit, car il doit avoir « une certaine base » pour résister à l’« espece de force centrifuge » par laquelle les Etats « tendent à s’aggrandir aux dépens de leurs voisins »[41]. Rousseau reconnaît par conséquent qu’il y a « des raisons de s’étendre et des raisons de se resserrer »[42]. Or, selon lui, les raisons de s’étendre, c’est-à-dire les considérations de défense, qui sont « extérieures et rélatives », doivent être subordonnées aux raisons de se resserrer, c’est-à-dire aux conditions d’un bon gouvernement, « qui sont internes et absolues » : « une saine et forte constitution est la premiere chose qu’il faut rechercher, et l’on doit plus compter sur la vigueur qui nait d’un bon gouvernement, que sur les ressources que fournit un grand territoire »[43]. Quant à la défense, il faut faire jouer les alliances et l’équilibre entre les forces des rivaux : « nul ne peut gueres se conserver qu’en se mettant avec tous dans une espece d’équilibre, qui rende la compression par-tout à peu près égale »[44]. C’est d’ailleurs parce qu’il faut préférer un petit Etat permettant une constitution forte et saine, que Rousseau soutient que le législateur, pour instituer un petit Etat, doit tenir compte du voisinage. Non seulement il ne faut pas que ce petit Etat soit enclavé dans un autre Etat, car sinon il « doit être compté pour rien »[45], mais encore il ne faut pas qu’il soit voisin de grands Etats : « Ce qui fit subsister les petits Etats de la Gréce, c’est qu’ils étoient eux-mêmes environnés d’autres petits Etats, et qu’ils en valoient tous ensemble un fort grand, quand ils étoient unis pour l’intérest commun »[46].

La préférence pour les petits Etats est également liée au problème du lien social. En effet, plus l’Etat est grand plus le lien social s’étend et « plus le lien social s’étend, plus il se relâche »[47]. Pour que le lien social soit ferme il faut que les citoyens se connaissent, or cette connaissance n’est pas une vague idée de ses concitoyens, comparable à celle que l’on a de l’humanité, c’est une connaissance physique, une connaissance visuelle. Ainsi, dans les grands Etats « le peuple a moins d’affection pour ses chefs qu’il ne voit jamais, pour la patrie qui est à ses yeux comme le monde, et pour ses concitoyens dont la plus-part lui sont étrangers »[48]. Ce terme d’« étrangers » est caractéristique, car le lien social ne peut exister qu’entre des concitoyens. Or, si les concitoyens ne sont entre eux que des étrangers non seulement ce lien ne peut exister, mais encore les relations qui se développent entre les concitoyens sont comparables à celles qu’ils ont avec des étrangers, c’est-à-dire des relations conflictuelles, voire belliqueuses. Au contraire, « presque tous les petits Etats, républiques et monarchies indifferemment, prospèrent par cela seul qu’il sont petits, que tous les citoyens s’y connoissent mutuellement et s’entreregardent »[49].

Enfin, la préférence de Rousseau pour des petits Etats est déterminée par la question du « souverain » et du pouvoir législatif et ceci pour deux raisons principales. D’abord, plus un Etat est grand plus il comporte de membres et donc plus la part de l’autorité souveraine que possède chaque citoyen diminue, c’est-à-dire plus son influence sur l’énonciation des lois diminue, alors que sa soumission aux lois en tant que sujet reste la même, « d’où il suit que plus l’Etat s’aggrandit, plus la liberté diminüe »[50]. Ensuite, et c’est la raisons primordiale, Rousseau considère que les grands Etats sont incompatibles avec un exercice légitime de la souveraineté, qui implique que le peuple s’assemble régulièrement pour promulguer la loi[51]. Or, dans un grand Etat c’est chose impossible et par suite on a recours à la députation que Rousseau considère comme illégitime. En effet, les députés du peuple « ne peuvent être ses représentans, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement », selon ce principe que « la Souveraineté ne peut être réprésentée » puisqu’elle consiste dans la volonté générale et que la volonté ne se représente pas : « Toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi »[52]. C’est pourquoi il écrit qu’ « une régle fondamentale pour toute société bien constituée (…), seroit qu’on en put assembler aisément tous les membres toutes les fois qu’il seroit nécessaire ; car (…) les assemblées par députation ne peuvent ni représenter le corps ni recevoir de lui des pouvoirs suffisans pour statüer en son nom comme souverain ». De là découle directement sa préférence pour le modèle de la Cité-Etat : « Il suit de là que l’Etat devroit se borner à une seule Ville tout au plus ; que s’il en a plusieurs la Capitale aura toujours de fait la souveraineté et les autres seront sujettes, sorte de constitution où la Tyrannie et l’abus sont inévitables »[53]. Malgré cette préférence, Rousseau prend en compte le cas de grands Etats comprenant plusieurs villes. Ces grands Etats semblent nécessiter soit un partage de l’autorité souveraine, ce qui est impossible puisque « l’on ne peut la diviser sans la détruire », soit une concentration de l’autorité souveraine dans une capitale, à laquelle « tout le reste » de l’Etat sera assujetti, ce qui est illégitime. Rousseau envisage donc deux solutions : la première, qui doit être privilégiée, consiste à borner l’étendue de son territoire, la seconde consiste à créer une confédération, qui n’ait pas de capitale et dans laquelle le peuple et le gouvernement siègent « alternativement dans chaque ville ». Mais pour cela il faut que la confédération soit aussi égalitaire que possible, c’est-à-dire que la population soit également répartie sur le territoire, que les droits soient les mêmes partout et que les ressources naturelles et les richesses soient abondantes dans l’ensemble du territoire : « Peuplez également le territoire, étendez-y par tout les mêmes droits, portez-y par-tout l’abondance et la vie, c’est ainsi que l’Etat deviendra tout à la fois le plus fort et le mieux gouverné qu’il soit possible »[54]. Rousseau envisage donc comme solution aux grands Etats l’institution du fédéralisme qui doit être accompagné d’une décentralisation politique et économique, même si il privilégie les petits Etats.

Toutes les qualités des petits Etats, Rousseau les résume dans un de ses éloges de Genève : « Si j’avois eu à choisir le lieu de ma naissance, j’aurois choisi une société d’une grandeur bornée par l’étendue des facultés humaines, c’est-à-dire par la possibilité d’être bien gouvernée, et où chacun suffisant à son emploi, nul n’eût été contraint de commettre à d’autres les fonctions dont il étoit chargé : un Etat où tous les particuliers se connoissant entr’eux, les manœuvres obscures du vice ni la modestie de la vertu n’eussent pû se dérober aux regards et au jugement du Public, et où cette douce habitude de se voir et de se connoître, fît de l’amour de la Patrie l’amour des Citoyens (…) »[55].

Nous avons vu que Rousseau poursuit la politisation du problème de l’étendue du territoire à travers la question du gouvernement, du lien social et du souverain, et que dans cette question Rousseau tranche en faveur des petits Etats, même s’il propose des solutions comme la confédération pour résoudre le problème des grands Etats, nous en reparlerons avec la Pologne. Il n’en demeure pas moins que la préférence de Rousseau quand à l’étendue du territoire va aux petits Etats, voire aux Cité-Etats. Or, Rousseau trouve le modèle de la Cité-Etat dans la polis et la cité antiques, qui deviennent donc pour lui le modèle quant à l’étendue du territoire d’un Etat. C’est ici que le problème du territoire prend une dimension historique.

 

 

II - Le territoire et la patrie antique : historicisation d’un problème politique

 

La fascination et la nostalgie de Rousseau pour la polis et la cité semblent se fonder sur l’idée selon laquelle un Etat bien constitué doit avoir un territoire de faible étendue. Or, cette idée reste à interroger à partir du rapport de Rousseau à l’histoire antique.

 

A/ L’instruction offerte par l’histoire antique : hommes vertueux et bonnes institutions

 

On a souvent insisté sur le mépris de Rousseau pour l’histoire moderne : « Nous renoncerons pour jamais à l’histoire moderne » et son intérêt pour l’histoire ancienne, cette préférence étant déterminée par le principe selon lequel « l’histoire la plus intéressante est celle où l’on trouve le plus d’exemples, de mœurs, de caracteres de toute espece ; en un mot, le plus d’instruction » et non pas « celle de son pays » à moins que ce soit « un pays libre et simple, où l’on trouve des hommes antiques dans les tems modernes » et qu’ainsi elle offre également une bonne instruction[56]. C’est par conséquent l’histoire antique qui est la plus instructive. Mais pour comprendre cet intérêt pour l’histoire antique, il faut préciser le contenu de cette instruction.

Ainsi, Rousseau écrit : « je me plais à tourner les yeux sur ces venerables images de l’antiquité où je vois les h[ommes] elevés par de sublimes institutions au plus haut dégré de grandeur et de vertus où puisse atteindre la sagesse humaine »[57]. Comme le note Robert Derathé : « Rousseau (…) unit dans un même sentiment d’admiration pour l’antiquité les hommes et les institutions »[58], la grandeur des hommes antiques reposant sur leur vertu et étant déterminée par leurs bonnes institutions. Ce qui corrobore cela c’est que l’image des modernes est le miroir inversé de l’antiquité, car ce qui a manqué aux hommes modernes pour être vertueux, ce sont de bonnes institutions fondées par un législateur : « Nos préjugés, nôtre basse philosophie, et les passions du petit intérest, concentrées avec l’égoïsme dans tous les cœurs par des institutions ineptes que le génie ne dicta jamais »[59].

Par conséquent, dans l’antiquité Rousseau n’admire pas seulement la polis ou la cité en tant qu’elles sont de petits Etats, mais en tant qu’elles étaient peuplées d’hommes vertueux car vivant dans de bonnes institutions. Or, dire que Rousseau admire l’antiquité pour ses hommes vertueux et pour ses institutions, c’est dire, ainsi que nous allons le montrer, qu’il admire la patrie antique.

 

                        B/ La patrie : hommes vertueux et bonnes institutions

 

Dans les fragments rassemblés sous le titre « De la patrie »[60], Rousseau tente de savoir « ce que c’est que la patrie et par quelle espèce de liens [les hommes] y tiennent ». Il définit la patrie comme « ce qu’on aime dans son pays », c’est-à-dire qu’il la définit par le « sentiment particulier [qui] nous attache à elle »[61], la patrie étant d’abord un territoire moral. La question se résume donc pour Rousseau à savoir ce qui nous attache à elle, ce qui nous la fait aimer.

Si l’on tente de le savoir en remontant « aux prémiers raports de l’homme en général », nous serions tentés de dire que ce qui nous attache à elle serait l’habitude née de la satisfaction répétée de nos appétits naturels nécessaires à notre conservation, et par conséquent ce serait un attachement au « sol », au territoire, en tant qu’il produit les ressources naturelles nécessaires à notre subsistance[62]. En effet, « pour que les hommes se conservent (…) il faut que leurs appetits naturels soient satisfaits, et de leurs appetits journellement satisfaits naissent les habitudes convenables à leur conservation. D’où il suivroit que par un effet de l’amour d’eux-mêmes tous les peuples étant également attachés aux objets de leurs appetits et de leurs habitudes qui sont aussi les instrumens de leur conservation devroient avoir le même attachement pour le sol qui les nourrit dès leur naissance et qui seul offre à leurs sens ces objets »[63]. A satisfaction égale des appétits naturels, l’attachement à la patrie devrait être équivalent et à une moindre satisfaction il devrait être moindre : « Que s’il y avoit quelque différence, elle devroit être en raison de la facilité plus ou moins grande d’atteindre à ces mêmes objets, et ceux qui recouvreroient plus difficilement le necessaire devroit aimer moins le pays qui le leur fournit »[64]. Or, Rousseau rappelle : certains qui sont « nés dans un bon pays l’oublient sans peine pour vivre dans un plus mauvais », alors que d’autres « dans le bien-être d’une terre étrangére regrettent sans cesse leur triste demeure et soupirent au souvenir de leurs sables et de leurs rochers »[65]. Par conséquent, ce qu’on aime dans son pays, c’est-à-dire la patrie, n’est pas « ce qui se rapporte à nos appetits et aux habitudes qui en naissent, ce n’est pas simplement le lieu, ce ne sont pas simplement les choses »[66]. Ce qu’un peuple aime dans son pays, la patrie, n’est donc pas le territoire en tant qu’il fournit les ressources naturelles nécessaires à notre subsistance ou à notre conservation.

Ce qui nous attache à la patrie, ce qui nous la fait aimer, c’est-à-dire ce qui définit la patrie, est révélé par Rousseau dans une lettre écrite au colonel Pictet le Ier mars 1764 : « Ce ne sont ni les murs ni les hommes qui font la patrie : ce sont les loix, les mœurs, les coutumes, le Gouvernement, la constitution, la maniére d’être qui résulte de tout cela. La patrie est dans les rélations de l’Etat à ses membres ; quand ces rélations changent ou s’aneantissent, la patrie s’évanouit »[67]. La patrie, selon Rousseau, n’est donc définie ni par « les murs », c’est-à-dire par un attachement au sol ou au territoire permettant la subsistance, ni par « les hommes », c’est-à-dire par un lien du sang qui attache les compatriotes entre eux et avec leurs ancêtres communs. Elle est définie par ses institutions propres et la manière d’être des hommes que ces institutions produisent, c’est-à-dire par la vertu de ces hommes. Ainsi, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Robert Derathé lorsqu’il écrit : « Rousseau restera toute sa vie fidèle à cette conception de la patrie, conception exempte de tout nationalisme. La patrie proprement dite n’est pour lui ni le pays natal ni la terre des ancêtres, elle est liée aux institutions politiques et le patriotisme est l’attachement ou le dévouement à ces institutions »[68].

Si la patrie est définie par ses institutions et la vertu de ses hommes et que dans l’antiquité Rousseau admire les institutions et la vertu de ses hommes, cela signifie que dans l’antiquité Rousseau n’admire pas seulement la polis ou la cité en tant que petits Etats, mais en tant que patrie. Or, dans cette histoire antique, Rousseau prend pour modèle de la patrie Sparte et Rome.

 

 

C/ Sparte et Rome : mythes de l’antiquité et modèles de la patrie

 

Dans le fragment intitulé « Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome », Rousseau fait l’éloge de Sparte et Rome comme étant les républiques de l’antiquité les plus admirables : « Rome et Sparte portérent la gloire humaine aussi haut qu’elle puisse atteindre ; (…) brillérent à la fois par les vertus et par la valeur, (…) et démentirent par une constitution ferme et durable les préjugés vulgaires contre l’instabilité des peuples libres (…), la même fierté, les mêmes mœurs, les mêmes maximes, surtout le même enthousiasme pour la patrie se remarquent dans l’une et dans l’autre »[69]. Par conséquent, ce qu’il retient de ces territoires antiques que sont Sparte et Rome ce ne peut pas être uniquement leur petite taille, mais ce sont les hommes et les institutions, c’est-à-dire la patrie, dont Rousseau bâti un mythe.

Denise Leduc-Fayette, dans son ouvrage Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité,  soutient que, chez Rousseau, l’appel à l’Antiquité ne se réduit ni à la rhétorique en honneur à l’époque, même si depuis Montaigne et la Renaissance il était traditionnel d’emprunter aux écrivains anciens des exemples et des citations, ni à une imprégnation culturelle, même si les œuvres antiques constituent le terreau culturel de la plupart des œuvres depuis la Renaissance[70], les sources antiques de Rousseau « n’ayant rien d’original à une époque toute imprégnée de classicisme »[71]. Elle pense que Rousseau opère une rupture avec l’imitation conventionnelle des anciens, qui a cours dans la première moitié du siècle, dans la mesure où, imprégné de culture classique, il « élève à la hauteur du mythe une antiquité pseudo-historique » ou « semi-légendaire », et « a opéré de l’Antiquité une reconstruction selon son cœur »[72] : « Ne voyant rien d’existant qui fût digne de mon délire, je le nourris dans un monde idéal que mon imagination créatrice eut bientôt peuplé d’êtres selon mon cœur »[73]. Cette reconstruction remonte à son enfance, au cours de laquelle s’est gravée cette image idéalisée d’une antiquité héroïque et vertueuse, à partir de trois éléments déterminants : « (…) ce premier levain d’heroisme et de vertu que mon Pere et ma patrie et Plutarque y avoient mis dans mon enfance »[74]. Cette reconstruction est donc déterminée premièrement par une lecture précoce des Hommes illustres de Plutarque[75], dont l’hellénisme influence sa conception antique, puisque Rousseau comme lui préfère les Grecs aux Romains, et Lacédémone à toute autre cité. Deuxièmement, par la figure vertueuse de son père qui est associée dans son esprit à celle des auteurs antiques[76]. Enfin, par sa patrie, Genève, idéalisée en cité antique[77]. Rousseau reconstruit donc l’antiquité comme un mythe : il traite les territoires antiques de Sparte et de Rome « comme des figures mythiques devenues pour lui symboles, manifestation sensibles de ses idées essentielles »[78], et parallèlement donne aux concepts liés à l’antiquité «une signification nouvelle, ainsi celui de vertu ou encore celui de patrie (…) »[79].

 

C’est à ce mythe antique construit par Rousseau que nous allons nous intéresser et plus précisément au mythe de Sparte, en tant que modèle de la polis et donc du petit Etat, mais surtout en tant que modèle de la patrie définie par la vertu de ses citoyens et par ses institutions qui font des hommes ce qu’ils sont. Ainsi, notre étude du mythe rousseauiste de Sparte comme modèle de la patrie suivra la problématique posée par Rousseau lui-même et qu’il résume ainsi : « La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens ; vous aurez tout si vous formez des citoyens »[80]. La patrie suppose la liberté, qui suppose la vertu, qui suppose des citoyens, qui supposent d’être formés, cette formation impliquant de bonnes institutions. Nous tenterons donc de dégager en deux parties les deux ensembles liés que suppose la patrie, d’une part l’ensemble liberté-vertu, puisque certaines vertus sont nécessaires à la liberté, et d’autre part l’ensemble citoyens-institutions, puisque les vertus impliquent que les hommes de la patrie soient des citoyens et pour qu’ils soient des citoyens il faut de bonnes institutions.

 

                       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DEUXIEME PARTIE 

 

 

LE MODELE ANTIQUE DE SPARTE :

LE TERRITOIRE COMME PATRIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction : la reconstruction du mythe de Sparte

 

Denise Leduc-Fayette rappelle, en s’appuyant sur les travaux de François Ollier[81], que l’idéalisation de Lacédémone a commencé très tôt dans l’Antiquité : elle est due aux Spartiates eux-mêmes qui forgent la légende de Lycurgue aux Ve et IVe siècles av. J.-C., aux aristocrates athéniens de la même époque haineux de la démocratie, tel Xénophon, mais elle est aussi et surtout due aux philosophes, d’abord aux pythagoriciens, à Platon, à Aristote et enfin aux cyniques et aux stoïciens, le mythe connaissant son apogée avec Plutarque. Par conséquent, l’image de Lacédémone est déformée par la légende, d’autant plus que chacun de ses admirateurs l’a imaginée en fonction de ses idéaux personnels et ne s’est attaché qu’aux aspects conformes avec ceux-ci, et c’est précisément de cette image idéalisée, de ce mythe de Sparte, dont Rousseau hérite, essentiellement de Plutarque et de Platon[82]. De ce mythe il va à son tour forger un autre mythe au service de sa philosophie politique.

Le mythe que Rousseau construit est d’abord celui de Sparte comme modèle de la polis. Au-delà, c’est celui de la patrie, c’est-à-dire d’un territoire libre, ce qui implique un certain nombre de vertus, et d’un territoire où ces vertus sont soutenues et développées par des institutions telles que l’éducation publique ou la fête qui font des hommes des citoyens. Le mythe de Sparte ne relève pas d’un patriotisme plat, car le mode de constitution du politique dans l’antiquité repose sur des vertus et des institutions tournées vers l’effectuation de la communauté.

Ce qui corrobore l’idée selon laquelle Rousseau construit le mythe de Sparte comme modèle de la patrie, c’est que dans son « Histoire de Lacédémone » il avoue ne pas s’intéresser à la Sparte d’avant la République : « Je n’occuperai point l’attention du Lecteur à parcourir la stérile et douteuse suite des Rois qui gouvernérent Lacedemone depuis Lelex jusqu’au tems de la Rep[ubliqu]e (…). Si j’en rappelle ici quelques uns c’est (…) que leur histoire offre des éclaircissemens necessaires à celle des tems posterieurs »[83], à savoir ceux de la République de Sparte. La Sparte dont il entreprend d’écrire l’histoire est celle qui débute avec Lycurgue : la République de Sparte, c’est-à-dire, comme nous le verrons, Sparte en tant que patrie. Cependant, une objection se présente à nous : pourquoi dans les deux principaux textes où Rousseau entreprend d’écrire l’histoire de Sparte, à savoir dans les fragments rassemblés sous le titre « [Histoire de Lacédémone] »[84] et  « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] »[85], il est moins question de la République de Sparte que de ce qui l’a précédée ? Ainsi dans son « Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome », le premier fragment s’arrête précisément au moment de l’apparition de Lycurgue : « C’est dans ces circonstances où le corps politique étoit prét à se dissoudre que parut le Législateur. Pour bien juger de ce qu’éxecuta Lycurgue imaginons un instant qu’il s’en tint au simple projet… »[86]. L’on pourrait répondre à cette objection en disant simplement qu’il s’agit de deux textes inachevés, mais la question demeure sous la forme : pourquoi sont-ils inachevés et surtout pourquoi ce manque concerne la République de Sparte si importante aux yeux de Rousseau ? Mais l’objection peut être levée si l’on rappelle que bien que Rousseau n’ait pu mener à son terme cette histoire de Sparte dans un ouvrage, il a cependant écrit son histoire de la République de Sparte au travers de ses différents écrits, de manière éclatée ou fragmentaire certes, mais une histoire à part entière comme un fil conducteur de sa pensée. L’histoire que Rousseau a entrepris d’écrire et a réussi à écrire est donc bien celle de la Sparte fondée par Lycurgue, la patrie de Sparte.

 

I – Les vertus de Sparte : conditions de la liberté

 

                        A/ Sparte, modèle de la polis vertueuse

                      

Si Rousseau admire Sparte c’est qu’elle est le type même de la polis, de la cité, qu’il prend comme modèle dans Du Contrat social. En effet, Rousseau écrit à propos du « contrat social » : « A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif (…). Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenoit autrefois le nom de Cité (…) »[87]. Les caractéristiques de la polis retenues par Rousseau sont d’une part la faible étendue de son territoire et d’autre part le fait qu’il s’agit d’une Cité-Etat. Mais, comme nous l’avons déjà dit, la polis ne se réduit pas aux caractéristiques de son territoire. Ainsi, Rousseau écrit en parlant de la « cité » : « Le vrai sens de ce mot s’est presque effacé chez les modernes ; la plupart prennent une ville pour une cité et un bourgeois pour un citoyen ; ils ne savent pas que les maisons font la ville mais que les Citoyens font la Cité »[88].

Mais si la polis est pour Rousseau le modèle du Contrat social, pourquoi Sparte est-elle privilégiée par rapport aux autres cités ? Pourquoi la préférer à Athènes par exemple ? Toutes les cités ne constituent-elles pas des modèles équivalents ? La réponse se trouve dans le Discours sur les Sciences et les Arts[89], dans lequel Rousseau oppose Sparte à Athènes et prend parti pour Sparte. Les deux cités sont restées dans l’histoire, seulement Sparte y est restée pour ses exemples de vertu alors qu’Athènes y est restée pour ses œuvres scientifiques et artistiques. Les deux cités sont des modèles, seulement Sparte est le modèle de la cité vertueuse alors qu’Athènes est le modèle de la cité corrompue, de la cité de la corruption corrélative des mœurs et des sciences et des arts.

Rappelons en premier lieu que, pour Rousseau, c’est la corruption des mœurs qui produit celle des sciences et des arts, puisque « les sciences et les arts doivent (…) leur naissance à nos vices »[90] : « Voici comment j’arrangerais cette généalogie. La première source du mal est l’inégalité ; de l’inégalité sont venues les richesses (…), des richesses sont nés le luxe et l’oisiveté ; du luxe sont venus les beaux-arts et de l’oisiveté les sciences »[91]. Et rappelons en second lieu que ces sciences et ces arts corrompus produisent une perte de la vertu. Ainsi, Athènes répond à ce schéma : « les vices conduits par les beaux Arts s’introduisoient ensemble dans Athénes» qui « devint le séjour de la politesse et du bon goût, le païs des Orateurs et des Philosophes » de « l’élégance des Bâtiments » et « du langage » : « C’est d’Athénes que sont sortis ces ouvrages surprenans qui serviront de modéles dans tous les âges corrompus »[92]. Or, le développement conjoint du luxe et des sciences et des arts fait disparaître tout courage : alors que « les arts se perfectionnent et que le luxe s’étend ; le vrai courage s’énerve, les vertus militaires s’évanouissent » et  « l’étude des sciences est bien plus propre à amollir et efféminer les courages, qu’à les affermir et les animer »[93]. Rousseau écrit : « Il est vrai, les connoissances rendent les hommes doux : Mais (…) la vertu n’est pas toujours douce ; elle sçait s’armer à propos de sévérité contre le vice, elle s’enflamme d’indignation contre le crime. (…) Ce fut une réponse très sage que celle d’un Roi de Lacedémone à ceux qui loüoient en sa présence l’extrême bonté de son Collègue Charillus. Et comment seroit-il bon, leur dit-il, s’il ne sçait pas être terrible aux méchans ? Les âmes « ne sont douces que par indifférence pour le bien et pour le mal »[94]. Or, selon Rousseau, il existe un lien étroit entre « le courage et la vertu », car « celui qui s’est une fois accoutumé à préférer sa vie à son devoir, ne tardera guéres à lui préférer encore les choses qui rendent la vie facile et agréable »[95]. Par suite, Athènes symbolise la civilisation corrompue, dans la mesure où il juge que le goût des sciences et des arts s’accompagne nécessairement de la perte des vertus éthiques et militaires. Athènes est une cité raffinée, mais par là même c’est une cité amollie, désertée par les qualités guerrières et morales.

Sparte, contrairement à Athènes, n’est riche ni en monuments ni en œuvres d’art, elle n’a abrité ni philosophes ni savants, car elle a chassé de ses « murs les Arts et les Artistes, les Sciences et les Savans »[96]. Mais les Spartiates apprennent « ce qu’ils doivent faire étant hommes »[97], car « nous pouvons être hommes sans être savants »[98]. En effet, il y a chez Rousseau un primat de la pratique sur le théorique, de l’agir sur le savoir, du faire sur le dire : l’homme « est né pour agir (…) non pour réfléchir »[99] car « les œuvres d’un homme ne sont pas ce qu’il dit mais ce qu’il fait »[100]. Or, Rousseau dit respectivement du peuple athénien et du peuple spartiate que «  l’un savoit bien dire, et l’autre, bien faire »[101]. Or, « bien faire » c’est être vertueux. Ainsi, si « le Tableau de Lacedemone est moins brillant », elle est contrairement à Athènes une cité vertueuse : « , disoient les autres Peuples, les hommes naissent vertueux, et l’air même du Païs semble inspirer la vertu » et sa gloire réside non pas dans ses sciences et ses arts mais dans les actions héroïques de ses habitants : « Il ne nous reste de ses Habitans que la mémoire de leurs actions héroïques »[102].

Rousseau se pose alors une question dont la réponse détermine la préférence accordée à Sparte sur les autres cités grecques et en particulier sur Athènes : « De tels monumens vaudroient-ils moins pour nous que les marbres curieux qu’Athénes nous a laissés ? »[103]. Cette question consiste à se demander ce que l’on doit retenir de l’histoire, pour le présent, pour notre instruction : est-ce les monuments artistiques et les œuvres scientifiques ou est-ce les actions héroïques et les exemples de vertu ? La réponse à cette question détermine la direction dans laquelle nous devons tourner notre regard historique : vers Athènes ou vers Sparte ? Athènes laisse en héritage des monuments artistiques, littéraires ou scientifiques qui ne sont que des « débris », des « dépouilles » de l’ancienne Grèce, car « l’esprit » de celle-ci ne se trouve ni dans ses livres ni dans ses arts, mais dans ses vertus[104]. Or, c’est Sparte qui laisse en héritage le souvenir de ses vertus, l’exemple de ses vertus, bien plus important pour le présent selon Rousseau. Il y a ici un parallèle entre Sparte et Socrate : comme Sparte, Socrate n’a laissé « pour tout precepte à ses disciples (…) que l’exemple et la mémoire de sa vertu. C’est ainsi qu’il est beau d’instruire les hommes ! »[105]. D’où l’idée de « territoire socratique », comme territoire ne laissant à l’histoire que la mémoire de l’exemple vertueux. A ce titre, Sparte serait un « territoire socratique ».

Mais que sont ces « vertus » dont Sparte est la porteuse paradigmatique ? Nous avons vu que ce qui faisait défaut à Athènes était le « courage », les « vertus militaires », et nous serions tentés de dire que les « vertus » spartiates sont les « qualités guerrières »[106]. En effet, pour Rousseau, le « principal objet » de Sparte fut « la guerre », alors que celui d’Athènes fut « les Lettres »[107]. Ainsi, Rousseau reconduit l’image mythique forgée dès l’antiquité de la supériorité guerrière de Lacédémone, d’une Sparte modèle des « vertus militaires ». Mais encore faut-il comprendre dans quelle mesure Rousseau justifie la guerre et ce que signifient pour lui « vertus militaires » ou « qualités guerrières ».

 

 

 

B/ La première vertu spartiate : la « valeur guerrière »

 

                        1/ Dangerosité du mythe du héros guerrier

 

Le Discours sur cette question : Quelle est la vertu la plus nécessaire au héros et quels sont les héros à qui cette vertu a manqué ?[108] est d’un intérêt certain pour la compréhension de la pensée politique de Rousseau, bien que ce dernier n’ait pas envoyé ce texte écrit en réponse à la question proposée par l’Académie de Corse en 1751, considérant que « cette Piéce est très mauvaise » car « il n’y a jamais de bonne réponse à faire à des questions frivoles »[109], et bien que certains critiques tel Charly Guyot le classent parmi les « purs exercices littéraires »[110]. En effet, à travers la question de la vertu la plus nécessaire au héros, cet écrit pose le problème des personnages mythiques à construire et donc des modèles à proposer aux hommes. Or, Rousseau ne reconduit pas le mythe antique du héros conquérant, du héros guerrier, qui fonde la figure paradigmatique du citoyen-soldat, soit disant chère à Rousseau. Si Rousseau établit dès le premier paragraphe de son texte une équivalence entre le « Conquérant » et le « Héros »[111], ce n’est que pour la déconstruire.

Ce texte nuance donc l’idée du culte rousseauiste de la vertu guerrière. La « valeur guerrière », également appelée par Rousseau « vaillance martiale », « courage », « bravoure », « talens militaires » ou simplement « valeur », est le plus communément admise par le « préjugé vulgaire » comme la vertu la plus nécessaire au héros. Or, il s’agit d’une « opinion dangereuse et trop répandue ». Les peuples ont tord de reconduire ce modèle du héros guerrier, car en pensant suivre des héros et en devenir peut-être eux-mêmes, ils n’ont fait que suivre des conquérants avides de gloire personnelle et verser leur sang pour asservir d’autres peuples.[112] Par conséquent Rousseau semble ici vouloir échapper à l’idée selon laquelle il serait un théoricien de la vertu guerrière conquérante. Mais il ne renonce pas pour autant à l’idée que le courage ou la valeur guerrière est nécessaire et peut être une vertu.

 

2/ Dans quelle mesure la « valeur guerrière » peut-elle être une vertu ?

 

C’est encore le Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros qui permet de comprendre dans quelle mesure la valeur guerrière peut être une vertu. Selon Rousseau, « la bravoure ne constitue point un caractere », car elle « est susceptible de toutes les formes » selon l’âme qui la possède, « vertu dans une ame vertueuse et vice dans un méchant », et selon les circonstances, elle peut être « l’épée du vice ou le bouclier de la vertu »[113]. Il y a ici deux idées fondamentales quant à la juste évaluation de la « valeur guerriere » dans la pensée politique de Rousseau. D’une part, le courage n’étant ni une vertu ni un vice en soi, mais vertu dans un homme vertueux et vice dans un homme vicieux, il y aurait donc une bonne et une mauvaise « valeur guerriere », une bravoure vertueuse et une bravoure vicieuse. D’autre part, lorsqu’il dit que « selon les circonstances, elle est l’épée du vice ou le bouclier de la vertu », la métaphore est le sommaire de la conception rousseauiste de la valeur guerrière et définit ce que sont respectivement la bravoure vicieuse et la bravoure vertueuse : la valeur guerrière est vicieuse lorsqu’elle est « l’épée du vice », c’est-à-dire lorsqu’elle sert à être offensif, et elle est vertueuse lorsqu’elle est « le bouclier de la vertu », c’est-à-dire lorsqu’elle sert à être défensif. Par conséquent, si Rousseau prône la valeur guerrière comme vertu modèle c’est dans la mesure où elle est un vertu défensive et non un vice conquérant.

Mais qu’est-ce qui distingue la bravoure en tant que vertu défensive et en tant que vice conquérant ? La valeur guerrière comme vertu défensive est définie par deux caractéristiques, qui sont évoquées dans la conclusion du passage sur la valeur guerrière où Rousseau s’adresse au peuple corse : « ce n’est point à la bravoure de ceux de vos Concitoyens qui ont versé leur sang pour leur pays que j’accorderai la Couronne Héroïque, mais à leur ardent amour pour la Patrie et à leur constance invincible dans l’adversité. Pour être des Héros avec de tels sentimens, ils auroient même pu se passer d’être braves »[114]. Ainsi, si les Corses (mais cela est valable pour tout peuple), qui se sont battus et ont versé leur sang, sont héroïques, c’est dans la mesure où ils ont combattu par « amour de la patrie », c’est-à-dire pour défendre la vie de leur patrie, et où ils possédaient une « constance invincible dans l’adversité ». Or, selon Rousseau, c’est de ces deux caractéristiques que naît la bonne valeur guerrière, qui est une vertu défensive. L’amour de la patrie est le premier élément différenciant la bravoure comme vertu défensive de la bravoure comme vice conquérant. La bravoure comme vertu défensive est toujours sous-tendue par l’amour de la patrie, qui lui donne son unique objet, la défense du territoire aimé, alors que la bravoure comme vice conquérant est sous-tendue par l’amour de la gloire personnelle, qui lui donne son objet, la conquête d’autres territoires.

Mais l’amour de la patrie ne pourrait donner lieu à la bonne valeur guerrière, qui est une vertu défensive, sans une « constance invincible dans l’adversité », c’est-à-dire sans « la force de l’âme », qui n’est rien d’autre que la vertu la plus nécessaire au héros, et qui « consiste à pouvoir toujours agir fortement »[115]. Reste à préciser ce que cela signifie en analysant chaque terme de la proposition. D’abord, « agir fortement » consiste à agir selon deux principes : le premier relève de la raison et consiste à ce que le choix de l’objet de notre action soit déterminé par un jugement certain, qui discerne « la réalité de l’apparence », c’est-à-dire qui ne se laisse pas attirer par « de petits intérêts présens qui nous font oublier les choses plus importantes et plus éloignées » ; le deuxième principe consiste à ce que en agissant nous nous fixions avec « fermeté » à l’objet de notre jugement, en résistant à l’appel des sirènes des « petits intérêts présents » et en surmontant « les plus grands obstacles ». Avec l’idée de « grands obstacles » est introduit le deuxième terme de la définition, « toujours », qui signifie dans toutes les circonstances, dans le bonheur comme dans l’adversité. La force d’âme consiste donc à agir fortement dans toutes les circonstances. Enfin, le troisième terme de la définition est « pouvoir ». Cette vertu ne consiste pas seulement à toujours agir fortement mais à pouvoir toujours agir fortement, ce qui implique qu’elle n’est pas simplement une vertu d’action mais une vertu de puissance d’action : « Le Héros ne fait pas toujours de grandes actions ; mais il est toujours prêt à en faire au besoin ». Pour résumer, « la force de l’âme », qui consiste à « pouvoir toujours agir fortement », est une vertu de puissance d’action, qui consiste à être potentiellement capable dans toutes les circonstances d’agir fortement, c’est-à-dire par la double action de la raison et de la volonté de choisir l’objet de notre action par un jugement certain et d’agir en se fixant fermement à cet objet[116].

L’amour de la patrie et la « force de l’âme » combinés font donc de la valeur guerrière une vertu en tant que vertu défensive : « l’amour de la patrie » impliquant de désirer défendre son territoire aimé donne le sentiment qui sous-tend cette vertu et « la force de l’âme » donne la puissance d’effectuation nécessaire à cette vertu.

 

3/ La « valeur guerrière » comme vertu défensive pour garantir sa liberté

 

C’est un devoir pour l’homme s’il veut être citoyen d’être un bon soldat, d’aller à la guerre et de mourir pour la patrie s’il le faut, c’est pourquoi cette tâche ne doit pas être déléguée[117] à des mercenaires, et c’est pourquoi tout citoyen doit posséder cette valeur guerrière en tant que vertu défensive pour défendre sa patrie : « La guerre est quelquefois un devoir, et n’est point faite pour être un métier (…) et mourir en servant la patrie est un emploi trop beau pour la confier à des mercenaires »[118].

Or, la défense de la patrie peut prendre une forme offensive légitime, pour anticiper un risque d’agression par exemple, et au contraire peut dissimuler une volonté de conquêtes. C’est pourquoi Rousseau précise sa définition de la valeur guerrière comme vertu défensive : « Tout homme doit être soldat pour la défense de sa liberté ; nul ne doit l’être pour envahir celle d’autrui »[119]. Servir la patrie et la défendre consiste donc seulement en la défense de sa liberté dans le respect de la liberté d’autrui. Et c’est ainsi que la valeur guerrière a été instituées à Sparte par Lycurgue, comme à Rome par Numa : « tous deux ennemis de la violence et des conquêtes ne songérent qu’à rendre l’Etat indépendant et tranquille »[120], car « on ne doit faire la guerre que pour avoir la paix »[121].

Mais, selon Rousseau, cette supériorité militaire et cette exemplarité des « valeurs guerrières » de Sparte sont une conséquence de la frugalité spartiate, car comme nous l’avons vu c’est le développement conjoint des arts, des sciences et du luxe qui effémine le courage. Par suite, un peuple pauvre comme Sparte est plus valeureux au combat qu’un peuple riche : « Sparte sans or ni argent avec la cape et du bouillon soumit la Grèce et Athènes même »[122] ou encore : « Deux fameuses Républiques se disputèrent l’empire du monde : l’une [Athènes] était très riche, l’autre [Sparte] n’avait rien, et ce fut celle-ci qui détruisit l’autre »[123]. Or, c’est cette frugalité qui constitue la deuxième vertu de Sparte.

 

 

 

 

C/ La seconde vertu spartiate : la frugalité

 

Nous avons déjà vu que depuis le Discours sur les Sciences et les Arts, Rousseau oppose Sparte à Athènes, Athènes étant le modèle de la polis corrompue, en grande partie par son désir d’enrichissement à la source de son activité commerçante. Au contraire, la grande qualité de Sparte est d’avoir été une cité frugale, d’avoir su se contenter du strict nécessaire et d’avoir méprisé les richesses  qui « ne passoient que pour des usurpations »[124].

Denise Leduc-Fayette, soutenant que le culte rousseauiste de la frugalité spartiate est lié à « un souci éthique » qui le rapprocherait des stoïciens, écrit : « Comme les stoïciens, il pense que le culte de la civilisation matérielle est aliénant. Nous désirons avoir, et nous sommes esclaves de cette soif de biens extérieurs, alors que le seul bien (…) est cette liberté intérieure, que nul ne peut nous ôter »[125]. Or, si le culte rousseauiste de la frugalité est bien lié à un refus de l’aliénation et à une recherche de restauration de la liberté humaine, encore faut-il préciser, et c’est ce que nous allons démontrer, que d’une part l’aliénation en question n’est pas celle des hommes aux objets mais celle des hommes aux hommes, et que d’autre part la liberté en question n’est pas seulement une liberté « intérieure » mais une liberté effective pensée comme indépendance, et que par conséquent le culte de la frugalité spartiate relève moins de ce souci éthique que d’un souci politique.

 

1/ La liberté comme indépendance vis à vis des autres hommes et obéissance à la loi

 

Il semble d’abord nécessaire de rappeler que la dépendance aux choses, aux biens matériels par exemple, ne peut pas être source d’aliénation ou de perte de liberté. En effet,  dans l’Émile, Rousseau énonce qu’il y a deux sortes de dépendances, « celle des choses qui est de la nature » et « celle des hommes qui est de la société », et ce n’est pas dans la dépendance aux choses qu’il faut chercher la source de l’aliénation, car « n’ayant aucune moralité, [elle] ne nuit point à la liberté (…) »[126]. C’est pourquoi Robert Derathé[127] peut soutenir que l’un des principaux objectifs visés par Rousseau dans Du Contrat social est de garantir les citoyens de toute « dépendance particulière » ou « personnelle », c’est-à-dire d’éviter que quiconque soit soumis à la volonté d’autrui.

Il s’agit donc, ainsi que l’écrit André Charrak, de « rappeler aux hommes leur qualité d’agents libres, lors même qu’ils font l’expérience généralisée de l’aliénation »[128]. Bien sûr, cette entreprise implique d’abord que l’on restaure la liberté au plan métaphysique, en posant l’existence du libre arbitre, de la « liberté intérieure », dans l’homme : il faut d’abord affirmer que l’homme est libre par nature[129] pour exiger qu’il le soit effectivement. C’est pourquoi, Rousseau récuse les arguments nécessitaristes des philosophes matérialistes, qui comprennent l’action volontaire comme la résultante des forces matérielles et la réduisent à ses déterminations physiques. Il faut préciser que Rousseau ne rend volontairement pas compte de la complexité de la pensée des matérialistes comme par exemple d’Holbach, Helvétius ou Diderot. Le matérialisme qu’il attaque, principalement dans la « Profession de foi du Vicaire savoyard »[130], désigne la doctrine de la secte philosophique, réduite d’une part à la thèse selon laquelle la matière posséderait en elle-même un principe d’activité et de sensibilité et d’autre part à la thèse de la négation de la liberté humaine. Contre cette dernière thèse, Rousseau développe le critère du « sentiment intérieur », emprunté à Malebranche, qui est une instance affirmant de manière irrécusable l’existence du libre arbitre : « (…) un raisonneur a beau me prouver que je ne suis pas libre, le sentiment intérieur, plus fort que tous ses arguments, les dément sans cesse »[131].

Mais comme le souligne André Charrak : « c’est surtout dans champ de la politique que s’éprouve l’urgence de restaurer la liberté de l’homme, qui n’est alors plus comprise comme libre-arbitre mais comme indépendance »[132]. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il faut comprendre cette phrase de Rousseau : « Renoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs »[133]. Renoncer à sa liberté ne signifie pas renoncer à son libre arbitre, à sa liberté intérieure, mais renoncer à son indépendance qui est la liberté effective. Personne ne peut nous ôter notre libre arbitre, mais celui-ci n’est rien si l’on n’est pas libre dans l’effectivité, c’est-à-dire si l’on est dépendant d’un autre individu. Ainsi, même un esclave conserve son libre arbitre, sa liberté intérieure, mais il n’est pas pour autant libre car il est dépendant d’un autre individu, et c’est pourquoi Rousseau ne peut pas être comparé aux stoïciens sur la question de la liberté. L’essentiel est donc pour Rousseau de rétablir la liberté de l’homme comprise comme indépendance, et c’est peut-être pour cela qu’il ne prend pas la peine de démontrer l’existence du libre arbitre et se contente de l’affirmer grâce au sentiment intérieur. Il s’agit de la rétablir car elle existe à l’état de nature comme « liberté naturelle », mais le développement désordonné de l’amour-propre l’a anéantie en assujettissant les particuliers les uns par rapport aux autres. Cependant, il ne s’agit pas de restaurer la « liberté naturelle », la liberté de l’état de nature qui est liée à l’isolement des hommes et à leur vie solitaire, mais de convertir la « liberté naturelle » des hommes en une « liberté civile » par le contrat social.

Cette « liberté civile », qui permet de « remédier à ce mal dans la société » qu’est la dépendance des hommes, consiste à « substituer la loi à l’homme »[134], c’est-à-dire à remplacer la dépendance des hommes par la dépendance à la loi, la loi étant garante dans la nature comme dans la société de la liberté comme indépendance : « Il n’y a (…) point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes »[135]. Restaurer la liberté implique donc d’instaurer la « liberté civile », grâce à laquelle le citoyen n’est plus contraint par un autre individu, c’est-à-dire dépendant, mais obligé par la loi qui est générale et donc impersonnelle, et pour cela il faut armer la volonté générale, la loi, « d’une force (…) supérieure à l’action de toute volonté particulière »[136]. Il faudrait même dans l’idéal que les lois soient aussi inflexibles que les lois naturelles, car alors « la dépendance des hommes redeviendroit alors celle des choses »[137]. Remarquons au passage que la « liberté civile » est ici pensée sur le modèle de la dépendance aux choses. Mais la « liberté civile » réalise, selon lui, un ordre supérieur à celui de la « liberté naturelle » ou de la nécessité qui régit l’état de nature, parce que l’homme au lieu d’agir par instinct choisit librement de se conformer aux lois de l’Etat[138].

Nous avons montré d’une part que, pour Rousseau, la liberté ne pouvait pas être aliénée dans la dépendance aux choses, mais dans la dépendance aux hommes, d’autre part que la liberté qui lui importait de restaurer n’était pas la liberté intérieure ou le libre arbitre, mais la liberté comprise comme indépendance vis à vis d’un particulier, et qu’enfin cette indépendance ne pouvait être réalisée qu’en substituant la dépendance aux lois à la dépendance aux hommes, c’est-à-dire en instaurant la « liberté civile » qui est obéissance aux lois. Par conséquent, si le culte rousseauiste de la frugalité est lié à un refus de l’aliénation et à une recherche de restauration de la liberté humaine, c’est dans la mesure où l’aliénation en question est celle des hommes aux hommes et où la liberté en question est la liberté comme indépendance. Reste à comprendre en quoi la frugalité peut empêcher l’aliénation vis à vis d’un particulier et être condition de la liberté comme indépendance.

 

2/ Les conditions économiques de la liberté : l’égalité rousseauiste ou la médiocrité

 

Du contrat social se base sur l’idée que la finalité de tout système de législation doit résider dans le bonheur public, dans « le plus grand bien de tous », or celui-ci « se réduit à ces deux objets principaux, la liberté, et l’égalité »[139]. La première visée de la législation doit donc être la « liberté civile »[140], qui est essentiellement comprise par Rousseau comme indépendance à l’égard d’un autre particulier et obéissance aux lois, celle-ci garantissant cette indépendance, nous l’avons montré. Sa second visée doit être l’égalité « parce que la liberté ne peut subsister sans elle »[141].

Que faut-il entendre par égalité ? Certainement pas que « les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes »[142], car il croit plutôt en une égalité proportionnelle qu’en une égalité parfaite, concevant la juste égalité comme celle qui proportionne les droits aux mérites : comme la nature établit des inégalités « physiques »[143] entre les hommes, et « comme tous les membres de l’Etat lui doivent des services proportionnés à leurs talents et à leurs forces », « les citoyens (…) doivent être distingués et favorisés à proportion de leurs services »[144]. Par suite, il faut entendre par égalité « que, quant à la puissance, elle soit au dessous de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des loix, et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre »[145]. L’égalité est donc une certaine égalité ou une moindre inégalité, variant selon le mérite mais restant dans les bornes de la loi, c’est-à-dire de la non violence et de la liberté. Du point de vue plus spécifique de la richesse[146], l’égalité, qui « suppose du côté des grands modération de biens et de crédit, et du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise »[147], est pour Rousseau une médiocrité.

L’égalité, qui est à entendre au sens de médiocrité, est donc nécessaire à l’effectivité de la liberté, en tant qu’indépendance à l’égard d’un autre particulier, cette indépendance ne pouvant être garantie que par l’obéissance aux lois. Rousseau sait que la richesse est un outil de domination qui tend à priver les pauvres de leur liberté au sens de les rendre dépendants d’un autre particulier : « Les riches (…) connurent à peine le plaisir de dominer, qu’ils dédaignerent bientôt tous les autres »[148]. C’est pourquoi Rousseau tient à ce que les écarts de richesses existant entre les citoyens soient assez restreints pour empêcher tout « trafic de la liberté publique »[149]. En outre, la liberté comme indépendance n’est assurée que par l’obéissance aux lois, or « c’est sur la médiocrité seule que s’exerce toute la force des lois », qui sont impuissantes à la fois « contre les thrésors du riche » qui les élude et « contre la misere du pauvre » qui leur échappe[150]. Le seul moyen de garantir la liberté consiste donc à rapprocher « les degrés extrêmes autant qu’il est possible »[151], c’est-à-dire à instaurer une relative homogénéité économique, une certaine médiocrité dans les richesses, car « l’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose et qu’aucun d’eux n’a rien de trop »[152].

La question est alors de savoir comment instaurer cette médiocrité afin de rendre effective la liberté ? Si l’on pose que Rousseau prend Sparte pour modèle, on est tenté de dire qu’il pense que cette médiocrité ne peut être établie qu’au moyen de la communauté des biens et de la suppression de la propriété individuelle. En effet, Lycurgue a instauré à Sparte l’égalité de fortune entre les citoyens, prenant le nom d’« Egaux » ou d’« omoioi », et ceci essentiellement grâce au partage des terres comme le décrit Plutarque : « Lycurgue, pour bannir de Sparte l’insolence, l’envie, le vice, le luxe et les maladies sociales plus anciennes encore et plus graves que celles-là, à savoir la richesse et la pauvreté, persuada aux citoyens de mettre tout le pays en commun, d’en faire d’abord un nouveau partage, puis de vivre tous égaux entre eux avec les mêmes lots pour se nourrir (…) »[153]. Il faut donc ici nous demander quelle est la position de Rousseau quant à la propriété, s’il prône une forme de collectivisme, et si oui, dans quelle mesure ?

 

3/ Le problème de la propriété

 

Le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes nous apprend que, pour Rousseau, contrairement à Locke par exemple, le droit de propriété ne peut être un droit naturel, puisque l’idée même de propriété dépendant « de beaucoup d’idées antérieures » ne peut se situer dans le pur état de nature[154], mais seulement dans son « dernier terme »[155]. Il a fallu, selon Rousseau, de nombreux et lents progrès pour que s’introduise « une sorte de propriété » à « l’époque d’une premiére révolution qui forma l’établissement et la distinction des familles »[156], et il a fallu encore une autre étape caractérisée par la réunion des familles en « nation »[157], avant qu’enfin une causalité étrangère produise, avec la découverte de la métallurgie et de l’agriculture, la « grande révolution »[158], qui introduit le partage des terres et le droit de propriété et fera éclater la guerre de tous contre tous, jusqu’à ce que la conclusion d’un pacte mette fin à l’état de nature[159].

Mais si Rousseau ne fait pas du droit de propriété un droit naturel, il met l’invention de l’idée de propriété à l’origine de la société civile : « Le premier qui ayant enclos un terrain (…) fut le vrai fondateur de la société civile »[160]. Cette corrélation entre le droit de propriété et la société civile instituée est une constante dans sa pensée, que ce soit dans le Discours sur l’économie politique[161] ou dans Du contrat social[162], cette corrélation se résumant à cette idée : « Tous les droits civils étant fondés sur celui de propriété, sitôt que ce dernier est aboli aucun autre ne peut subsister »[163]. Or, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau critique la société et par suite cette corrélation implique qu’il critique aussi l’idée de propriété : « Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de miséres et d’horreur, n’eût point épargnés au Genre-humain celui qui arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables. Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la Terre n’est à personne »[164]. Mais il ne s’agit pas pour Rousseau de vouloir revenir à l’état de nature, ni de bannir la propriété comme ses contemporains Meslier, Morelly ou Dom Deschamps, puisqu’il reconnaît la société comme nécessaire : « il y a grande apparence, qu’alors les choses en étoient déjà venües au point de ne pouvoir plus durer comme elles étoient »[165]. Par suite, une fois la société reconnue comme nécessaire, si « la propriété est le vrai fondement de la société civile, et le vrai garant des engagemens des citoyens », Rousseau ne peut qu’être cohérent en soutenant que « le droit de propriété est le plus sacré de tous les droits des citoyens »[166]. Ainsi, le passage de l’état de nature à l’état civil fait « que l’homme perd par le contract social (…) un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre » mais « il gagne (…) la propriété de tout ce qu’il possede », Rousseau distinguant la possession qui résulte de la « force » ou du « droit du premier occupant », de la propriété qui ne peut être fondée que sur un « titre positif », c’est-à-dire par la loi.[167] Ainsi, au moment du contrat social, « chaque membre de la communauté se donne à elle au moment qu’elle se forme, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possede font partie », c’est-à-dire qu’il aliène ses possessions à la communauté, qui loin de l’en dépouiller « ne fait que [lui] en assurer la légitime possession », car elle défend de toutes ses forces les biens de ses membres sans pour autant les placer dans la dépendance d’un autre particulier et change « l’usurpation en un véritable droit, et la jouissance en propriété »[168].

Cependant, si Rousseau dit que l’Etat garantit la propriété à chacun de ses membres, il dit également dans un chapitre de Du contrat social intitulé « Du domaine réel »[169], consacré à la propriété des choses ou des biens et dont nous avons déjà parlé en première partie, que le droit de souveraineté s’étend des sujets à leurs biens et que « le droit que chaque particulier a sur son propre fond est toujours subordonné au droit que la communauté a sur tous »[170]. Or, cette thèse semble contredire le fait que Rousseau défend le droit de propriété.

Pour bien comprendre ce que Rousseau pense, il faut se référer à l’Emile[171] dans lequel cette idée est explicitée à partir de la distinction entre le droit que l’Etat possède sur le « domaine éminent » et celui qu’il a sur le « domaine particulier ». Le droit de propriété « est inviolable et sacré (…), tant qu’il demeure un droit particulier et individuel », c’est-à-dire que le souverain n’a aucun droit sur le « domaine particulier », sur la propriété individuelle de chacun pris séparément. Par contre, le droit de propriété « considéré comme commun à tous les citoyens, (…) est soumis à la volonté générale et cette volonté peut l’anéantir », c’est-à-dire que le souverain a un droit « éminent » sur les biens de ses membres pris dans leur ensemble, c’est-à-dire en tant que « domaine éminent ». Dans la pratique cela signifie que « le souverain n’a nul droit de toucher au bien d’un particulier ni de plusieurs », c’est-à-dire de s’emparer de la propriété d’un individu ou de plusieurs, car la propriété est alors considérée comme « domaine particulier » et il s’agirait d’une spoliation, par contre « il peut légitimement s’emparer du bien de tous », c’est-à-dire de tous les biens de la communauté pris dans son ensemble, car la propriété est ici considérée collectivement comme « domaine éminent ». Ainsi, le souverain peut se saisir de la totalité de la propriété de la communauté et supprimer ainsi toutes les propriétés individuelles pour en faire une propriété collective, « comme cela se fit à Sparte au tems de Lycurgue ; au lieu que l’abolition des dettes par Solon fut un acte illégitime »[172], illégitime car il s’agit d’un acte qui ne concerne qu’une partie des citoyens alors que les actes du souverain concernent l’ensemble des citoyens et que « l’objet des lois est toujours général »[173].

Nous voyons donc que la théorie rousseauiste du droit de propriété est complexe, puisque d’une part il ne le considère pas comme un droit naturel, que d’autre part il le met à l’origine de la société civile et reconnaissant celle-ci comme nécessaire en fait un droit inviolable, et qu’enfin si le souverain ne considère plus la propriété comme « domaine particulier », c’est-à-dire la propriété de chacun des membres de la communauté pris individuellement, mais comme « domaine éminent » il peut s’emparer de l’ensemble des propriétés et instaurer une forme de collectivisme, dont le modèle est Sparte. Il y a donc chez Rousseau une certaine nostalgie de la mise en commun des biens, dont le modèle est Sparte, et une possibilité de droit de l’instaurer, ce qui règlerait le problème des inégalités entre riches et pauvres et instaurerait de fait une médiocrité nécessaire à la liberté. Cependant, si une forme de collectivisme est envisagée par Rousseau comme solution, Rousseau lui préfère une autre, plus réaliste, mais toujours inspirée de Sparte : la frugalité.

 

                        4/ La frugalité, vertu permettant une bonne médiocrité nécessaire à la liberté

 

Rappelons cette phrase de Rousseau : « C’est donc une des plus importantes affaires du gouvernement, de prévenir l’extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les thrésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d’en accumuler »[174]. Or, pour ôter à chacun les moyens d’accumuler les richesses, Rousseau pense qu’il suffirait d’insuffler une vertu dans le cœur des citoyens, la frugalité, celle-ci les faisant se contenter de peu ou plutôt du nécessaire, et par suite instaurant une médiocrité dans les fortunes.

La frugalité est donc la réponse politique au mal que constitue l’inégalité et qui est incompatible avec la liberté : elle permet d’instaurer une heureuse médiocrité nécessaire à l’indépendance des particuliers les uns à l’égard des autres et à l’obéissance à la loi, seule vraie liberté. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il défend le modèle spartiate contre ses contemporains, car il considère que ce n’est pas la richesse qui est condition de la liberté mais la frugalité, la richesse et le luxe dans un Etat étant « un signe de corruption dans les mœurs et de foiblesse dans le gouvernement », c’est-à-dire le signe de la dégénérescence et de la mort prochaine du corps politique[175].

Nous avons dit que la frugalité était une vertu, mais encore faut-il dire dans quelle mesure et dans quel sens. Si la frugalité relève chez Rousseau d’un « souci éthique », c’est dans la mesure où elle peut être comparée à une « vertu éthique » au sens aristotélicien, qui est une « médiété ». En effet, dans l’Ethique à Nicomaque Aristote écrit : « La vertu est (…) une sorte de médiété, en ce sens qu’elle vise le moyen »[176]. Il faut préciser que Aristote distingue les vertus dianoétiques ou vertus intellectuelles et les vertus éthiques ou vertus morales[177] et que la théorie de la « médiété » ne s’applique qu’aux vertus éthiques : « J’entends ici la vertu morale, car c’est elle qui a rapport à des affections et des actions, matières en lesquelles il y a excès, défaut et moyen »[178]. En effet, les vertus dianoétiques qui importent au développement de l’esprit ne comportent aucun excès, alors que les vertus éthiques qui résultent de la discipline par laquelle nous réglons nos passions sont les « habitudes »[179] qui nous maintiennent dans un juste milieu: « le vice a pour caractéristiques l’excès et le défaut, et la vertu la médiété »[180]. Chez Rousseau, la frugalité ou l’heureuse médiocrité serait donc une vertu éthique au sens aristotélicien, dans la mesure où elle est une sorte de « médiété », puisqu’elle consiste dans le juste milieu entre le fait d’avoir trop et le fait d’avoir trop peu. Or, pour Aristote, de ces vertus éthiques ne dépend pas seulement le bonheur des individus mais aussi celui des groupes humains que sont la famille et la cité, c’est pourquoi elles se rattachent directement à un souci politique et c’est pourquoi l’Ethique à Nicomaque se termine par la transition entre l’éthique et la politique[181]. De la même manière, si l’on dit que la frugalité chez Rousseau en tant que « médiété » est une vertu éthique au sens aristotélicien et qu’elle relève d’un « souci éthique », il faut préciser qu’en dernier lieu elle est tournée vers un souci politique.

Rousseau est bien seul à défendre cette frugalité spartiate parmi ses contemporains et en a conscience : « Que ne donneraient-ils point pour que cette fatale Sparte n’eût jamais existé ! »[182]. Comme le schématise Denise Leduc-Fayette : « le siècle des Lumières est pour Athènes contre Sparte. Rousseau est pour Sparte, contre Athènes ! »[183]. En effet, le XVIIIe siècle, qui est celui de l’essor de la bourgeoisie, prône majoritairement le luxe dont la source est le commerce, car il pense que la richesse est une condition fondamentale de la liberté[184], et par conséquent condamne majoritairement la frugalité spartiate et prend parti pour Athènes[185]. Nous voyons que dans ce débat sur le luxe qui oppose Rousseau à la majorité de ses contemporains, la question de la frugalité est bien une question politique, puisqu’elle est celle de la liberté politique ou liberté civile, Rousseau défendant l’idée selon laquelle ce n’est pas la richesse ou le luxe qui est condition de possibilité de la liberté, mais au contraire la frugalité.

 

                        5/ Une position régressive ?

 

Denise Leduc-Fayette soutient que dans le débat sur l’utilité du luxe Rousseau « opte contre le progressisme de la plupart de ses contemporains et choisit une solution régressive pour ne pas dire archaïsante »[186]. Régressive dans la mesure où elle s’appuierait sur le modèle antique spartiate et archaïsante dans la mesure où elle s’appuierait sur le modèle du bon sauvage pleinement heureux bien que n’ayant que le minimum vital  : « On me reproche d’avoir affecté de prendre chez les anciens, mes exemples de vertu. Il y a bien de l’apparence que j’en aurois trouvé encore davantage, si j’avois pû remonter plus haut »[187]. Qu’ils soient fondés sur le modèle spartiate ou sur le modèle du sauvage, la critique du luxe et le culte de la frugalité rousseauistes ne font pas de doute, les deux modèles tendant d’ailleurs à se côtoyer dans sa pensée, Denise Leduc-Fayette rappelant que « la mise en rapport des Indiens et des Spartiates (…) était fréquente dans les récits des voyageurs » que Rousseau connaissait[188].

Comprendre le culte rousseauiste de la frugalité spartiate comme une position régressive, voire archaïsante, est une tentation réelle dans la mesure où en son siècle l’économie devient une grille de lecture primordiale des questions politiques. Mais en s’inscrivant à contre-courant de ce mouvement dont nous savons avec le recul qu’il est devenu pensée dominante, Rousseau ne fait-il pas preuve de « modernité », puisqu’il soutient que l’économie n’est pas la seule détermination de la politique et qu’au contraire elle doit être subordonnée à la politique ? Il faut donc s’interroger sur la place de l’économie rousseauiste dans les débats économiques de son temps, et ceci à partir du Discours sur l’économie politique, qui est un des rares textes de Rousseau consacré à cette question. Pour cela nous nous appuierons sur le travail érudit de Bruno Bernardi[189], qui tente de définir la place que Rousseau accorde à l’économie dans sa pensée et la place qu’occupe sa pensée dans les débats économiques de son temps. Rappelons d’abord que la théorie rousseauiste du corps politique se divise en deux parties : la première concerne la constitution du corps politique, c’est la théorie de la souveraineté, la seconde son administration, c’est la théorie du gouvernement, l’objet de l’administration étant l’économie politique. Par suite, le concept d’économie politique est aligné avec ceux d’administration et de gouvernement. Pour préciser la place de sa pensée dans les débats économiques de son temps, Bruno Bernardi s’appuie sur les travaux de Jean-Claude Perrot[190], qui montrent que du XVIe au XVIIIe siècle il existe plusieurs mouvements qui forment la problématique de l’économie politique : le plus ancien, auquel se rattachent Bodin et Montchrétien, érige l’économie domestique en modèle pour la bonne gestion de l’Etat ; le second mouvement correspond au développement de la question de l’impôt lié à l’expansion et la centralisation étatiques, ayant soulevée un débat dans la première moitié du XVIIIe siècle dont les principaux acteurs sont Vauban et l’abbé de Saint-Pierre ; le troisième mouvement concerne la place centrale qu’occupe le commerce dans la représentation de l’économie ; le quatrième mouvement, le plus important aux yeux de Jean-Claude Perrot, est un mouvement d’autonomisation de l’économie comme discipline : dans les objets (elle fait une place croissante aux enquêtes empiriques), les méthodes (intervention des statistiques et de l’arithmétique économique) et les repères théoriques (elle se dégage de la philosophie politique). En réduisant l’économie politique à l’administration ou à la question du bon gouvernement Rousseau semble renouer avec le courant le plus ancien, mais selon Bruno Bernardi il rompt au contraire avec cette tradition : alors que Montchrétien ou Bodin voient dans l’économie domestique le modèle normatif de l’économie politique, Rousseau fonde sa pensée de l’économie politique en rupture avec celle-ci. En effet, il rejette à la fois le patriarcalisme politique dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes et le patriarcalisme économique dans le Discours sur l’économie politique. Mais Bruno Bernardi insiste sur le fait que si Rousseau va contre ce courant archaïsant, il va également contre la tendance de l’économie à s’autonomiser de la politique, tendance exprimée par l’émergence de la science économique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : Rousseau au contraire affirme le primat du politique en économie. C’est pourquoi Bruno Bernardi peut en conclure que la pensée de Rousseau d’une part ne reconduit pas une position archaïsante, et donc n’est pas une pensée d’avant celle des physiocrates, et d’autre part se situe à l’écart de la pensée dominante de son époque, et donc est à côté de celle des physiocrates.

                        Par conséquent, il semble difficile de soutenir que la pensée économique de Rousseau est régressive, puisqu’elle ne se situe pas en amont mais à côté des courants dominants de son époque, cette pensée ne consistant pas à refuser une place à l’économie mais à la subordonner à la politique. La frugalité montre que Rousseau ne met pas de côté la question économique, mais bien au contraire, puisqu’elle est au centre du problème de l’effectivité de la liberté.

Les deux vertus fondamentales qui habitaient la Sparte reconstruite par Rousseau sont donc la valeur guerrière en tant que vertu défensive et la frugalité. Nous avons essayé de démontrer que ces deux vertus spartiates ont en commun d’être des moyens de la liberté, la valeur guerrière étant le moyen pour un peuple de garantir sa liberté vis à vis des autres peuples et la frugalité étant le moyen de garantir une certaine égalité ou médiocrité nécessaire à la liberté comprise comme indépendance des hommes entre eux. Mais selon ce principe que « la patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens ; vous aurez tout si vous formez des citoyens »[191], ces vertus qui font de Sparte une patrie, c’est-à-dire une terre de liberté, ne peuvent exister que parce que les Spartiates sont des citoyens. Or, on ne naît pas citoyen, prêt à être vertueux pour défendre sa liberté, ce sont les bonnes institutions qui font les citoyens. C’est pourquoi, si l’on suit la pensée même de Rousseau, notre étude de Sparte comme modèle de la patrie doit examiner les institutions spartiates.

II- Les institutions de Sparte : conditions de la citoyenneté

 

Selon Rousseau, le miracle spartiate est essentiellement lié à ses institutions : « Sparte n’était qu’une ville, il est vrai ; mais par la seule force de son institution cette ville donna des lois à toute la Grèce, en devint la capitale, et fit trembler l’Empire persan »[192]. Or, les bonnes institutions sont l’œuvre d’un homme exceptionnel, le législateur, ce législateur étant à Sparte Lycurgue[193].

 

A/ Le modèle du législateur : Lycurgue

 

Nous avons vu, lorsque nous avons traité du problème de la propriété, que Rousseau nie le fait que la société civile soit naturelle. Par suite, il peut considérer celle-ci comme l’œuvre d’un seul homme, le législateur, qui « est le méchanicien qui invente la machine », c’est-à-dire qui fait « l’institution »[194], qui institue un peuple. Cette question du législateur est étudiée avec rigueur et clarté par Roger D. Masters, à laquelle il consacre un chapitre entier de son ouvrage La philosophie politique de Rousseau[195]. La principale source d’influence est ici Machiavel, pour qui les bonnes institutions qui font la force et la durée d’un Etat ne peuvent être l’œuvre du peuple, mais celle d’un législateur : « il n’arrive jamais, ou rarement, qu’une république ou une royauté soit bien ordonnée dès le début, ou totalement réformée ex novo en dehors de ses vieilles institutions, si elle n’est pas ordonnée par un seul homme. Il est même nécessaire que ce soit un seul homme qui indique la façon de le faire, un homme de l’esprit duquel dépende toute institution semblable »[196]. Mais il faut noter, et seulement noter car notre propos n’est pas de faire une étude comparative, que d’une part il existe une seconde source quant au législateur qui est constituée par Platon, et que d’autre part Rousseau apporte de nombreuses modifications tant à la conception classique du législateur qu’à la conception machiavélienne du législateur[197]. Le législateur serait donc le fondateur des institutions civiles et son action consisterait à proposer des institutions complètes pour une communauté. Or, le modèle du législateur privilégié par Rousseau est Lycurgue, fondateur de Sparte.

 

                        1/ Le législateur : un homme extraordinaire

 

Rousseau écrit que « le legislateur est à tous égards un homme extraordinaire dans l’Etat. S’il doit l’être par son génie, il ne l’est pas moins par son emploi »[198]. Il est extraordinaire par son génie, car pour accomplir sa tâche le législateur doit avoir une nature exceptionnelle : « une intelligence supérieure », qui soit capable de voir toutes les passions des hommes sans en éprouver aucune, c’est-à-dire qui n’ait aucun rapport avec notre nature tout en la connaissant parfaitement, et aussi dont le bonheur soit indépendant de nous et qui pourtant voudrait bien « s’occuper du notre », en « se ménageant une gloire éloignée »[199]. Rousseau est conscient, que ces qualités relèvent quasiment du caractère divin : « Il faudroit des Dieux pour donner des lois aux hommes »[200]. Et c’est en quoi le législateur est une figure mythique, le héros fondateur.

Mais le législateur est également un homme extraordinaire par sa fonction, puisque « ce n’est point magistrature, ce n’est point souveraineté », Roger D. Masters offrant dans son ouvrage La philosophie politique de Rousseau[201] une excellente analyse de cette question. En effet, le législateur n’a ni pouvoir exécutif ni pouvoir législatif, et par suite sa fonction n’a pas de véritable statut dans le droit politique : « cet emploi, qui constitue la république, n’entre pas dans sa constitution : C’est une fonction particuliere et supérieure qui n’a rien de commun avec l’empire humain »[202]. Le législateur ne peut donc avoir aucun pouvoir législatif, on ne peut pas lui attribuer la souveraineté, car seule la volonté générale du corps des citoyens dans sa totalité peut être souveraine : « Celui qui rédige les loix n’a (…) ou ne doit avoir aucun droit législatif, et le peuple même ne peut, quand il le voudroit, se dépouiller de ce droit incommunicable ; parce que selon le pacte fondamental il n’y a que la volonté générale qui oblige les particuliers, et qu’on ne peut jamais s’assurer qu’une volonté particuliere est conforme à la volonté générale, qu’après l’avoir soumise aux suffrages libres du peuple »[203]. Le législateur ne fait que rédiger les lois, le pouvoir de les ratifier, c’est-à-dire le pouvoir législatif, réside dans les mains du peuple souverain, selon le principe que  « toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi »[204]. Mais, comme le soutient Roger D. Masters, si « l’incompatibilité entre le souverain et le législateur individuel est une affaire de droit qui ne souffre aucun compromis, la distinction entre le législateur et un magistrat est plus une question de prudence »[205]. En effet, les fonctions du législateur sont proches de celles du magistrat, car comme le soutient Rousseau dans la « Dédicace » du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, dans la meilleure cité seuls les magistrats ont le droit de proposer de nouvelles lois[206], même si seul le peuple souverain peut la promulguer. Mais la prudence voudrait que le législateur soit distinct du magistrat, selon ce principe que comme le magistrat doit respecter les lois existantes et être subordonné à elles, il ne peut être leur créateur sans risquer d’abuser du pouvoir : « si celui qui commande aux hommes ne doit pas commander aux loix, celui qui commande aux loix ne doit pas non plus commander aux hommes ; autrement ses lois, ministres de ses passions, ne feroient souvent que perpétuer ses injustices, et jamais il ne pourroit éviter que des vues particulieres n’altérassent la sainteté de son ouvrage »[207]. Ainsi, comme le résume Roger D. Masters : « la différence principale entre le législateur et les magistrats ordinaires, c’est que ces derniers sont obligés de respecter les lois existantes, tandis que le premier doit détruire et remplacer toutes les lois et coutumes incompatibles avec la volonté générale et le véritable intérêt public »[208].

Rousseau est bien conscient qu’il s’agit d’une fonction exceptionnelle, pourtant cette fonction a été incarnée, ainsi « quand Lycurgue donna des Loix à sa patrie, il commença par abdiquer la Royauté »[209], c’est-à-dire tout pouvoir exécutif. Et il est également conscient que l’on trouve dans « l’ouvrage de la législation deux choses qui semblent incompatibles : une entreprise au dessus de la force humaine, et pour l’éxécuter, une autorité qui n’est rien »[210]. D’où le subterfuge consistant à avoir recours à la religion pour sacraliser les lois, et ainsi « entraîner par l’autorité divine ceux que ne pourroit ébranler la prudence humaine »[211]. Rousseau pense que « dans l’origine des nations » la religion « sert d’instrument » à la politique[212]. Ainsi, les religions nationales des polis antiques sont, selon lui, de véritables moyens du politique : « chaque Etat avoit son culte et ses Dieux » propres « aussi bien que son Gouvernement », et c’est pourquoi il « ne distingoit point ses Dieux de ses loix »[213], les Dieux particuliers de la polis et les lois particulières de la polis, le culte de ses Dieux et le respect de ses lois, le but étant de renforcer l’autorité des lois par celle de la religion. Il faut noter que cette finalité est au fondement de la « religion civile », telle qu’elle est développée dans Du Contrat social, et qui est explicitement un moyen du politique : « Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles (…), sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen (…) », « d’aimer sincerement les loix, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir ». Ainsi, les dogmes de la « religion civile », qui doivent être simples, peu nombreux et n’appeler aucun commentaire, sont majoritairement des dogmes « positifs » : « l’existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante », « la vie à venir », « le bonheur des justes, le châtiment des méchans », et surtout « la sainteté du Contract social et des Loix ». Mais il y a également un dogme « négatif », « l’intolérance », qui constitue une des différences principales existant entre la « religion civile » et les religions nationales, ces dernières étant « exclusives » et intolérantes à l’égard des autres religions[214]. L’action du législateur, de part les difficultés qu’elle présente, nécessite donc une instrumentalisation de la religion.

 

                        2/ Un acte exceptionnel

 

La tâche du législateur est d’autant plus difficile que son action, qui consiste à proposer des institutions complètes pour une communauté afin d’instaurer la vertu civique et la citoyenneté, est inutile si elle ne remonte pas à la source des vices existants et par des mesures extrêmes déracine les traditions établies, car l’établissement de lois est vain si elles ne sont pas soutenues par de bonnes moeurs : « Malgré tous les travaux des plus sages Législateurs, l’Etat politique demeura toûjours imparfait, parce que (…) mal commencé (…) ; On raccommodoit sans cesse, au lieu qu’il eut fallu commencer par nettoyer l’aire et écarter tous les vieux matériaux, comme fit Licurgue à Sparte, pour élever ensuite un bon Edifice »[215]. Or, la plupart du temps une réforme totale est impossible, car « quand une fois les coutumes sont établies et les préjugés enracinés, c’est une entreprise dangereuse et vaine de vouloir les réformer », « à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu’elle voudrait guérir ». Cependant, il y a des évènements « rares » ou « exceptionnels » au cours desquels une république vraiment légitime peut être constituée, comme celle de Sparte : « Ce n’est pas que, comme quelques maladies bouleversent la tête des hommes et leur ôtent le souvenir passé, il ne se trouve quelquefois dans la durée des Etats des époques violentes où les révolutions font sur les peuples ce que certaines crises font sur les individus, où l’horreur du passé tient lieu d’oubli, et où l’Etat, embrasé par les guerres civiles, renaît pour ainsi dire de sa cendre et reprend la vigueur de la jeunesse en sortant des bras de la mort. Telle fut Sparte au tems de Lycurgue »[216]. Sparte est donc une de ces exceptions, elle a pu bénéficier d’une bonne législation, mettant un terme à ses vices passés et instaurant de bonnes institutions, et Lycurgue a été cet homme exceptionnel qui a fondé la république de Sparte en faisant une grande « révolution ». Reste à déterminer en quoi a consisté cette révolution et quels moyens il a utilisés.

 

                        3/ Changer la nature des hommes : en faire des citoyens

 

L’action du législateur consiste donc à instituer un peuple, c’est-à-dire à proposer des institutions complètes pour une communauté afin d’instaurer la vertu civique et la citoyenneté, mais avant cela il doit supprimer les vices et les traditions établies, « nettoyer l’aire ». C’est ce que fit Lycurgue à Sparte, malgré le fait que les coutumes et les préjugés étaient établis, surmontant l’impossibilité apparente et le danger réel d’une telle entreprise en réalisant une « grande révolution ». Cette « grande révolution » Rousseau la résume ainsi : « celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine ; de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d’un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être ; d’altérer la constitution de l’homme pour la renforcer ; de substituer une existence partielle et morale à l’existence physique et indépendante que nous avons tous reçue de la nature »[217]. La « grande révolution » exécutée par Lycurgue a donc été de faire table rase sur le passé des Spartiates, leurs traditions et coutumes, de telle sorte qu’ils reviennent à un « quasi » état de nature, le but étant de pouvoir transformer à sa base la nature humaine. Il s’agit donc de changer l’homme tel qu’il est à l’état de nature, c’est-à-dire isolé, solitaire et indépendant puisque se suffisant à lui-même et ne rencontrant les autres que par hasard et pour s’en séparer aussitôt.

Ce changement consiste en une bonne « dénaturation », qui n’est pas la dénaturation viciée qui s’est historiquement produite lorsque les hommes se sont finalement assemblés et qui n’a aboutit qu’à des rassemblements qui ne sont que des agrégats d’individualités. Cette bonne « dénaturation » doit aboutir à une véritable union. Or, comme le pense Rousseau : « Il y a mille maniéres de rassembler les hommes, il n’y en a qu’une seule de les unir »[218] et cette manière consiste à transformer l’homme isolé, solitaire et indépendant en partie d’un plus grand tout, à ce que son moi s’étende à la totalité, à lui faire adopter un mode de vie communautaire, c’est-à-dire à en faire un citoyen. Or, c’est ce que Lycurgue a réussi et c’est pourquoi Rousseau en fait la figure emblématique du mythe du héros législateur dans le Discours la vertu la plus nécessaire au héros : « Faudra-t-il (…) refuser l’Héroïsme à celui qui a fait des Héros de tous ses compatriotes ? »[219], c’est-à-dire des citoyens.

 

 

Rousseau est fasciné par le mode de vie communautaire de Sparte, tel qu’il est décrit par Plutarque[220]. Il ne s’agit pas d’une simple vie en communauté, dont un exemple serait « l’institution des repas pris en commun »[221], mais d’une vie pour et par la communauté, c’est-à-dire que la finalité de la vie de l’individu ne réside pas dans son propre accomplissement mais dans celui de la vie de la communauté, ou plutôt que l’accomplissement de la vie de l’individu passe par celui de la vie de la communauté. Rousseau illustre son propos par un exemple emprunté à Plutarque : « Une femme de Sparte avait cinq fils à l’armée et attendait des nouvelles de la bataille. Un hilote arrive ; elle lui en demande en tremblant. Vos cinq fils ont été tués. Vil esclave, t’ai-je demandé cela ? Nous avons gagné la bataille. La mère court au temple et rend grâce aux Dieux. Voilà la citoyenne »[222].

Or, quel est le moyen pour réaliser cette bonne « dénaturation » ? Selon Rousseau ce moyen réside dans de « bonnes institutions sociales », qui sont « celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croie plus un, mais partie de l’unité, et ne soit plus sensible que dans le tout »[223]. Il faut maintenant préciser quelles sont ces bonnes institutions sociales permettant une « bonne dénaturation » de l’homme en vue de lui faire adopter un mode de vie communautaire et de le faire devenir citoyen, institutions qui sont celles instituées par Lycurgue à Sparte. Rousseau en retient deux principales : l’éducation publique et la fête.

 

 

B/ L’éducation publique

 

Le problème essentiel pour Rousseau est donc de former des citoyens : « Or former des citoyens n’est pas l’affaire d’un jour ; et pour les avoir hommes, il faut les instruire enfans » [224]. La formation des citoyens passe donc par l’éducation, et plus particulièrement par l’éducation publique qui seule est une véritable institution sociale. En effet, pour Rousseau, le modèle d’éducation se trouve dans la République de Platon : « Voulez-vous prendre une idée de l’éducation publique ? Lisez la République de Platon. Ce n’est pas un ouvrage de politique (…). C’est le plus beau traité d’éducation qu’on ait jamais fait »[225]. Or, comme le rappelle Denise Leduc-Fayette[226], le problème des éducateurs grecs, tels que Platon, était de savoir comment réprimer l’individualisme et conformer le caractère de chaque citoyen au modèle commun, et ceux-ci ont pensé trouver dans l’éducation spartiate la solution à ce problème. Rousseau reconduit donc l’éducation publique spartiate comme modèle d’éducation pour former des citoyens.

 

1/ Pourquoi l’éducation doit être publique dans une patrie et qui doit éduquer ?

 

C’est dans le Discours sur l’Economie politique[227] que Rousseau exprime le plus clairement sa conception de l’éducation publique conçue sur le modèle spartiate. Il explique que dans une patrie on ne doit pas abandonner l’éducation des enfants, c’est-à-dire des futurs citoyens, à l’initiative privée, « aux lumieres et aux préjugés des peres », car elle importe bien plus à l’Etat, en tant que cette éducation doit former les citoyens qui sont son avenir. Or, comme une bonne éducation est vitale pour la communauté, elle ne peut prendre le risque qu’elle échoue à cause de la mort de l’éducateur : « la mort du pere lui dérobe souvent les derniers fruits de cette éducation, mais la patrie en sent tôt ou tard les effets ; l’état demeure, et la famille se dissout ». C’est pourquoi l’éducation doit être publique, dans une patrie. Nous insistons sur cette restriction, « dans une patrie », car Rousseau développe également le modèle d’une éducation « privée » dans l’Emile, mais s’il le fait c’est précisément parce qu’il n’y a plus de patrie.

Cette éducation publique doit être confiée à des magistrats choisis par le souverain selon le critère de l’exemplarité : « que des guerriers illustres (…) prêchent le courage ; que des magistrats integres (…) enseignent la justice ». Il faut que les éducateurs enseignent non par la raison mais par l’exemple, « car par-tout où la leçon n’est pas soûtenue par l’autorité, et le précepte par l’exemple, l’instruction demeure sans fruit, et la vertu même perd son crédit dans le bouche de celui qui ne la pratique pas », selon ce principe que « les œuvres d’un homme ne sont pas ce qu’il dit mais ce qu’il fait ». Le but de l’éducation pour ces magistrats est donc de former de « vertueux successeurs » et que les vertus se transmettent « d’âge en âge aux générations suivantes »[228].

 

                        2/ Méthode et finalité de l’éducation publique

 

Toujours dans le Discours sur l’Economie politique[229]  Rousseau explique la méthode et la finalité de cette éducation publique. Sa méthode consiste à exercer les enfants « à ne jamais regarder leur individu que par ses relations avec le corps de l’Etat, et à n’appercevoir, pour ainsi dire, leur propre existence que comme une partie de la sienne », c’est-à-dire à ce qu’on habitue les enfants à concevoir leur individu comme ayant sa raison d’être, sa destination et son accomplissement dans la patrie, ou autrement dit à ce qu’on les habitue à mener une vie communautaire, dont les caractéristiques recoupent ce que nous avons dit précédemment, à savoir une vie « en commun dans le sein de l’égalité », dans le respect « des lois de l’Etat », c’est-à-dire dans la liberté.

Sa finalité, elle, réside dans le fait que les hommes parviennent « à s’identifier (…) avec ce plus grand tout, à se sentir membres de la patrie, à l’aimer de ce sentiment exquis que tout homme isolé n’a que pour soi-même, à élever perpétuellement leur ame à ce grand objet (…) », c’est-à-dire que sa finalité est de développer le patriotisme, caractérisé par l’amour de ses compatriotes qui consiste à « se chérir mutuellement comme des freres », et par la possibilité de « devenir un jour les défenseurs (…) de la patrie ».

Mais nous voyons ici poindre la dangereuse interprétation de la fascination rousseauiste pour la vie communautaire : une interprétation qui ferait de Rousseau un penseur du totalitarisme.

 

                        3/ Sparte n’est pas un modèle totalitaire

 

Denise Leduc-Fayette, rappelle la longue tradition critique qui fait de Rousseau un totalitariste[230]. Ainsi, elle cite Taine qui écrit au XIXe siècle : « Dans le couvent démocratique de Rousseau, construit sur le modèle de Sparte et de Rome, l’individu n’est rien, l’Etat est tout »[231]. Ou encore, Léon Duguit qui plus récemment écrit : « Rousseau est le père du despotisme jacobin, de la dictature césarienne et, à y regarder de près, l’inspirateur des doctrines absolutistes de Kant et de Hegel »[232]. Enfin, elle fait référence à des théoriciens anglo-saxons, comme Jacob L. Talmon qui écrit : « Imprégné d’antiquité, Rousseau éprouve intuitivement l’ivresse du peuple rassemblé pour légiférer et définir l’intérêt général (…). A l’époque prédémocratique, Rousseau ne peut pas comprendre qu’une création des hommes volontaires à l’origine puisse se transformer en Léviathan (…) qu’une absorption totale et de caractère très émotionnel dans l’activité politique collective est faite pour supprimer toute vie privée, (…) que l’extension de l’activité politique dans tous les domaines de l’intérêt et de l’entreprise humaine, et le fait d’interdire à toute démarche fortuite et empirique de se développer sont le meilleur moyen d’aboutir au totalitarisme »[233].

Denise Leduc-Fayette poursuit cette tradition critique, même si elle ne parle que de « virtualités totalitaires de l’idéologie rousseauiste », puisque, selon elle, Rousseau « souhaitait la liberté »[234]. Elle voit cette tendance totalitaire essentiellement dans la fascination rousseauiste pour le mode de vie communautaire spartiate et donc pour l’éducation publique : « (…) l’éducation ne concerne en rien l’individu, elle est ce qui le supprime en tant que tel pour en faire un rouage de la communauté »[235].

Or, c’est une erreur de dire que l’éducation prônée par Rousseau « supprime » l’individu en tant qu’individu pour en faire un « rouage » de la mécanique communautaire, car bien au contraire elle réalise pleinement l’individu pour en faire la fin même de la communauté. En effet, l’éducation a bien pour fonction de « transporter le moi dans l’unité commune »[236], de faire adopter à l’individu un mode de vie communautaire en vue d’accomplir la vie de la communauté. Mais n’oublions pas que pour Rousseau l’homme est sociable par nature ou du moins fait pour le devenir, c’est-à-dire que la destination de l’individu est la société, la vie communautaire, la vie pour et par la communauté, et que par conséquent c’est dans la vie communautaire que se réalise pleinement l’individu, que c’est dans l’accomplissement de la vie de la communauté que s’accomplit la vie de l’individu. Autrement dit, si la destination de l’individu est la communauté, la destination de la communauté est l’individu, et donc l’individu n’est pas un « rouage » de la communauté mais bien la fin de la communauté elle-même. C’est pourquoi Rousseau écrit : « le salut d’un citoyen est-il moins la cause commune que celui de tout l’état ? Qu’on nous dise qu’il est bon qu’un seul périsse pour tous, j’admirerai cette sentence dans la bouche d’un digne et vertueux patriote qui se consacre volontairement et par devoir à la mort pour le salut de son pays ». Par contre, si l’on entend par là « qu’il soit permis au gouvernement de sacrifier un innocent au salut de la multitude », Rousseau tient « cette maxime pour une des plus exécrables que jamais la tyrannie ait inventée (…), et la plus directement opposée aux lois fondamentales de la société »[237]. L’individu est la finalité de la communauté, sa défense, sa protection et sa préservation constituent la fin de l’association politique, du corps politique, car « loin qu’un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens et leurs vies à la défense de chacun d’eux, afin que la foiblesse particuliere fût toûjours protégée par la force publique, et chaque membre par tout l’état »[238]. Il ne s’agit donc pas dans ce mode de vie communautaire, qui est en partie le résultat de l’éducation publique, d’annihiler l’individu pour la communauté et si besoin est de le sacrifier pour la survie de la communauté. Au contraire, ce mode de vie communautaire est essentiel pour préserver l’individu qui s’est associé et a intégré cette communauté et pour préserver sa liberté, essentiel car sans ce mode de vie communautaire il n’y a pas de citoyens et donc pas de vertus et donc pas de liberté, sans ce mode de vie communautaire il n’y a pas la force publique nécessaire pour défendre les individus. Et comme si Rousseau avait prévu la critique, il soutient que c’est précisément Sparte qui constitue le meilleur modèle quant au respect de la valeur d’un individu, quant au respect de la personne : « Veut-on trouver des exemples de la protection que l’état doit à ses membres, et du respect qu’il doit à leurs personnes ? ce n’est que chez les plus illustres et les plus courageuses nations de la terre qu’il faut les chercher, et il n’y a guere que les peuples libres où l’on sache ce que vaut un homme. A Sparte, on sait en quelle perplexité se trouvoit toute la république lorsqu’il étoit question de punir un citoyen coupable »[239].

Nous terminons cette examen de la question d’un prétendu totalitarisme chez Rousseau, par une mise au point sur sa conception de la « volonté générale », sur laquelle on s’est souvent appuyé pour démontrer qu’il était un penseur du totalitarisme. Nous voulons rappeler avec Alexis Philonenko[240] que pour Rousseau ce n’est pas la « volonté générale » qui peut aboutir au totalitarisme, mais la « volonté de tous ». En effet, Rousseau fait la différence entre « volonté de tous »  et « volonté générale » : « celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulieres : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale »[241]. Alexis Philonenko, soutenant que la théorie rousseauiste de la « volonté générale » est fondée sur le calcul infinitésimal, tente de comparer dans une perspective mathématique la « volonté de tous » et la « volonté générale ». Ainsi, il écrit : « La volonté de tous est une opération élémentaire : l’addition au sein d’un ensemble déterminé d’éléments particuliers et de même sens. Cela signifie que la volonté de tous ne peut jamais par principe prétendre exprimer la totalité ou l’ensemble », car comme elle regarde à l’intérêt privé elle ne sera jamais que « la volonté de quelques-uns ou si l’on préfère la majorité ». Par contre, la constitution mathématique de « la volonté générale » est plus complexe, car Rousseau lui confie la fonction d’exprimer la totalité du corps politique et social et la caractérise comme « somme des différences »[242]. Notre propos n’est pas de développer les principes mathématiques qui fondent la notion de « volonté générale », mais simplement de montrer que la théorie rousseauiste de la « volonté générale » n’implique pas des virtualités totalitaires, mais au contraire les combattent et que c’est la « volonté de tous » qui peut aboutir au totalitarisme. En effet, la « volonté de tous » ne peut exprimer que la majorité, or toute majorité implique une opposition et donc des « exclus ». Par conséquent, comme le souligne Alexis Philonenko : « A l’horizon on voit se profiler la détestable notion de ‘’parti unique’’ et si l’on veut trouver quelque fondement au totalitarisme politique de Rousseau, on doit bien moins se pencher sur la volonté générale que sur la volonté de tous », car le totalitarisme suppose qu’il y ait des « exclus », contre lesquels on lutte par une politique répressive à leur égard. Par suite, « le totalitarisme vise moins l’intégration raisonnée que l’unité silencieuse et la prévalence d’un ‘’avis particulier’’ sur la totalité »[243].

L’ambiguïté d’une interprétation faisant du modèle rousseauiste de Sparte le signe d’une pensée du totalitarisme étant levée, il convient d’examiner un deuxième type d’institution spartiate, la fête, qui permet le développement du mode de vie communautaire et donc de la citoyenneté, au moyen d’un sentiment particulier, l’« émulation ».

 

C/ La fête à l’antique : du théâtre athénien aux jeux spartiates

 

Denise Leduc-Fayette rappelle que pour Rousseau « la fête à l’antique (…) était le moment culminant de cette existence communautaire, dont l’équation fondamentale était : être pour soi = être pour autrui »[244]. Point culminant car la fonction de la fête, qui est politique, consiste à affirmer la réalité de la communauté, à exprimer son unité plénière, et à stimuler le patriotisme. Nous savons que Rousseau prend cette fête à l’antique comme modèle de ses fêtes publiques. Mais, selon nous, il existe pour Rousseau deux modèles de fête à l’antique, le modèle spartiate avec les jeux et le modèle athénien avec le théâtre. Ainsi Rousseau écrit : « Le même esprit guida tous les anciens Législateurs dans leurs institutions. Tous chercherent des liens qui attachassent les Citoyens à la patrie et les uns aux autres, et ils les trouvérent dans des usages particuliers, dans des ceremonies religieuses (…) »[245] mais aussi « dans des jeux qui tenoient beaucoup les citoyens rassemblés (…), dans des spectacles »[246], les spectacles désignant ici le théâtre. Voilà les deux modèles de fêtes à l’antique, des jeux et des spectacles, dont la fonction est de renforcer et d’affirmer la communauté. Mais Rousseau préfère un modèle à l’autre, les fêtes spartiates : « Je donnois les fêtes de Lacedemone pour modèle de celles que je voudrois voir parmi nous »[247]. Reste à savoir pourquoi Rousseau donne sa préférence au modèle des fêtes spartiates.

 

1/ Le modèle athénien des fêtes antiques : le théâtre

 

Ces spectacles antiques, « ce sont les poésies d’Homere recitées aux Grecs solemnellement assemblés (…) en plein air et en corps de nation »[248], mais ce sont surtout « les tragedies d’Eschyle, de Sophocle, et d’Euripide »[249]. Cette approbation peut sembler paradoxale, dans la mesure où dans le Discours sur les Sciences et les Arts il fait l’éloge de Sparte qui a « chass[é] de [ses] murs les Arts et les Artistes »[250], et où surtout il fait à première vue une critique implacable du théâtre. Cette critique du théâtre s’articule principalement sur deux points : le théâtre est un espace clos et c’est le lieu du paraître illusoire et mensonger. Mais si Rousseau condamne l’art, et plus précisément le théâtre, lié à la corruption des mœurs et au luxe, il ne condamne pas l’art authentique, et plus précisément le théâtre grec, et au contraire la critique du théâtre de son époque sert de repoussoir au théâtre grec, qui a une fonction politique. Autrement dit, le théâtre de son époque s’oppose au théâtre grec, pour reprendre une expression de Denise Leduc-Fayette, « comme le paraître à l’être, le clos à l’ouvert »[251].

La première critique adressée par Rousseau au théâtre de son époque est qu’il s’agit d’un espace clos où l’on s’enferme et ceci en trois sens. Au sens propre, car les théâtres ne sont qu’« antre[s] obscur[s] »[252], « obscures prisons »[253], « salles bien fermées »[254]. En un sens socio-politique, car le théâtre enferme les grands et les riches en les séparant des petits et des pauvres : « Il faut abolir (…) les amusemens ordinaires des cours, le jeu, les théatres, comédies, opera ; tout ce qui (…) les isole »[255]. En un sens proprement politique, car les consciences y restent enfermées dans leur solipsisme  : « L’on croit s’assembler au Spectacle, et c’est là que chacun s’isole »[256]. Le théâtre grec, lui, est un espace ouvert, ici aussi en trois sens. Au sens propre, car il se déroule à ciel ouvert : « Ces grands et superbes spectacles donnés sous le Ciel (…) »[257], espace symbolique de la liberté. En un sens socio-politique car il est ouvert à tous : « Ces grands et superbes spectacles donnés (…) à la face de toute une nation »[258], car il ne faut « rien, s’il se peut, d’exclusif pour les Grands et les riches »[259]. Enfin, et c’est le point le plus important, en un sens politique, car les hommes ne sont pas isolés mais réunis, l’art ne devant pas être un simple divertissement mais avoir une fonction politique, à savoir être un instrument de communion entre les hommes[260] : tous les citoyens sont assemblés à l’occasion de ces manifestations, qui consacrent le lien qui les unit, par la participation à une commune émotion. Reste à déterminer comment le théâtre grec permet de renforcer et de consacrer le lien unissant les citoyens grecs. Premièrement, étant l’expression du génie propre des Grecs et la représentation de leur histoire nationale, le théâtre grec était propre à attacher le cœur des citoyens à leur patrie  : « Tous les sujets des Piéces n’étant tirés que des antiquités nationales dont les Grecs étoient idolatres, ils voyoient dans ces mêmes acteurs (…) des Citoyens instruits qui réprésentoient aux yeux de leurs compatriotes l’histoire de leur pays »[261], c’étaient « des spectacles qui, leur rappellant l’histoire de leurs ancêtres (…) les attachoient fortement à cette patrie dont on ne cessoit de les occuper »[262]. Deuxièmement le théâtre grec possède une dimension religieuse et par conséquent participe à la communion des citoyens : « Comme la Tragedie avoit quelque chose de sacré dans son origine, d’abord ses acteurs furent plustôt regardés comme des Prêtres (…) »[263]. Troisièmement, le théâtre grec provoquait chez les spectateurs un sentiment d’émulation, qui les faisait vouloir être le meilleur pour le bien de la patrie : « Ces grands et superbes spectacles (…) n’offroient de toutes parts que des combats, des victoires, des prix, des objets capables d’inspirer aux Grecs une ardente émulation »[264] ou encore « des spectacles qui, leur rappellant l’histoire de leurs ancêtres (…) les enflamoient d’une vive émulation, et les attachoient fortement à cette patrie dont on ne cessoit de les occuper »[265].

La deuxième critique qu’il adresse au théâtre de son époque concerne le fait qu’il n’est que le culte du paraître illusoire et mensonger, de la part des comédiens qui jouent un rôle, se déguisent, se griment, de la part des spectateurs qui se donnent en spectacle dans la salle mais surtout sont vertueux par procuration. Il est nécessaire de s’attarder sur ce dernier point, qui relève de sa critique de la « katharsis », car il est à la fois le pivot de sa critique du théâtre de son époque et le pivot de son éloge du théâtre grec. Dans son ouvrage intitulé Poétique de l’histoire[266], Philippe Lacoue-Labarthe tente de démontrer que la Lettre à d’Alembert serait en fait destinée à Aristote et que son véritable objet serait la critique de la « katharsis », de la fonction thérapeutique de la représentation théâtrale des passions[267]. Rousseau comprend que la « katharsis » est autorisée par la « mimèsis », activité productrice de simulacres, et par suite pense que cette purgation est de l’ordre du semblant, vil soulagement : « (…) quand un homme est allé admirer de belles actions dans les fables, et pleurer des malheurs imaginaires, qu’a-t-on encore à exiger de lui ? (…) Ne s’est-il pas acquité de tout ce qu’il doit à la vertu par l’hommage qu’il vient de lui rendre ? Que voudroit-on qu’il fit de plus ? Qu’il la pratiquât lui-même ? »[268]. L’effet de la « mimèsis » passionnelle n’est pas ici la purgation des passions mais le soulagement, en vertu de l’allègement de nos obligations vis-à-vis d’autrui ou de nous-mêmes, car elle nous exempte de nos devoirs réels par une délégation éthique. C’est parce que l’imitation poétique est faite pour plaire et non pour « l’utilité publique », parce qu’elle ne nous présente pas « ce qui est », « nos semblables »[269], que la « katharsis » est un soulagement illusoire. Cependant, pour Rousseau, une bonne imitation et une purgation efficace des passions sont possibles, si on saisit le théâtre dans son moment grec, à partir du « génie » propre des Grecs, qui fait « exception ». De « l’exception grecque », du « génie » grec, du théâtre, Rousseau retient trois éléments. En premier, le personnage tragique grec représente « ce qui est », « nos semblables », contrairement aux personnages du théâtre français qui ne sont que « scelerats » ou « Heros » : « Ne seroit-il pas à désirer que nos (…) Auteurs daignassent (…) nous attendrir (…) pour la simple humanité souffrante, de peur que n’ayant de la pitié que pour des Heros malheureux, nous n’en ayons jamais pour personne ? »[270]. Ensuite, le théâtre grec représentait « des antiquités nationales (…) qu’ils avoient leurs raisons pour se rappeler sans cesse »[271] et les Grecs croyaient en leur histoire, c’était même l’essentiel de leur religion, au sens de « relegere » (recueillir : tradition, mémoire) et de « religare » (relier : liaison politique). C’est pourquoi, selon Lacoue-Labarthe, l’imitation était celle de ce que Hegel appellera l’« éthicité », était « mimèsis » de l’ « èthos » grec, et c’est pourquoi la « katharsis » avait un effet réel. Enfin, dans ce théâtre, « ce Peuple,  enthousiaste de sa liberté (…) se rappelloit avec un vif sentiment de plaisir ses anciens malheurs et les crimes de ses Maitres »[272], c’est-à-dire l’horreur du temps de sa servitude. La « katharsis » de la tragédie grecque épurait donc la liberté fanatique née chez eux de sa « négation » même, la tyrannie. Rousseau pense donc le paradoxe de l’effet tragique, de l’opération cathartique : la joie provoquée par la représentation de l’horreur, de l’immémoriale servitude. Rousseau pense donc le sens et la fonction proprement politiques du théâtre grec, en tant qu’institution permettant la communion, la réunion des citoyens et en tant qu’il est un instrument pour l’effectuation de la liberté.

Lacoue-Labarthe remarque que les éléments du théâtre grec retenus par Rousseau en font un théâtre trop politique, trop républicain, en un mot « trop spartiate »[273] : les acteurs qui sont des citoyens instruits ou des officiants d’une « religion civile », le culte des antiquités nationales, l’opposition maîtrise-servitude, l’instruction civique. Trop spartiate, dans la mesure où Rousseau fait justement de Sparte une exception au sein de la Grèce : « Sparte qui ne souffroit point le théatre, n’avoit garde d’honorer ceux qui s’y montrent »[274]. Tout se passe comme si Rousseau projetait les qualités de Sparte dans le théâtre grec. Jean Rousset note que Rousseau a reçu une lettre de J.-D. Le Roy lui signalant qu’il existait un théâtre à Sparte et il en tint compte[275], mais l’important pour Rousseau est que Sparte n’ait pas eu de théâtre pour en faire le modèle authentique de la « fête civique »[276], les fêtes spartiates avec leurs jeux constituant un modèle supérieur aux fêtes athéniennes avec leurs théâtres.

                      2/ Le modèle spartiate des fêtes antiques : les jeux

 

Lacoue-Labarthe[277] démontre que pour Rousseau, la fête civique est la « relève » du théâtre. En effet, elle a les caractéristiques de la tragédie grecque : ciel et air, culte de la liberté, « agôn » généralisé (concours, émulation, triomphe des meilleurs)[278], mais elle est plus grande que la tragédie. La fête est la tragédie grecque « moins la scène », c’est-à-dire moins la séparation spectacle-spectateur, non pas moins la représentation, car il y a représentation de « Rien », c’est-à-dire des spectateurs eux-mêmes : « donnez les Spectateurs en Spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voye et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis»[279]. C’est ce qui fait dire à Jean Starobinski qu’il s’agit du « milieu optique de la transparence : les consciences pourront être purement présentes les unes aux autres, sans que rien ne s’interpose entre elles »[280]. Les spectateurs deviennent acteurs, mais ne jouent pas de rôle, ils sont eux-mêmes, manifestent ce qu’ils sont et ainsi communient, c’est pourquoi la fête civique possède une dimension éminemment religieuse. Rousseau tente donc d’envisager un spectacle réduit à la seule auto-représentation du peuple dans la joie et la fraternité, dans la communion en mode spartiate. C’est l’effectuation de la communauté comme œuvre d’art vivante, Lacoue-Labarthe faisant l’hypothèse qu’il y a chez Rousseau un « national-esthétisme », une conception poétique du politique : la Cité elle-même comme œuvre d’art[281]. Pour Rousseau, la « mimèsis » de « rien » c’est le jeu, c’est pourquoi le « monument » des Grecs n’est pas Athènes et son théâtre mais Sparte et ses jeux, dont il retient quatre caractéristiques essentielles[282]. Premièrement, le dispositif des jeux n’est pas un dispositif sans dispositif, mais un dispositif « presque » nul : un signe suffit pour indiquer que la fête a lieu (un piquet planté sur une place où le peuple se rassemble) ou que le concours est ouvert (un drapeau arboré au but lors de la joute navale), car pour être civile la fête doit être « presque » spontanée. Deuxièmement, la fête qui exalte tant l’habileté technique ne prétend plus à l’art, mais à « à peine » de l’art, à des arts « faciles » (un piquet décoré, un drapeau brodé, un peu de musique militaire). Troisièmement, la fête est « populaire-aristocratique » : chacun dans son métier propre et à sa juste place s’exerce par la vertu d’une saine émulation à devenir le « Roi » de l’arquebuse, du canon, de la navigation et à exceller pour le plaisir de la communauté. Quatrièmement, il s’agit d’un « agôn » apaisé, qui suscite la « pure joye » qu’est la « joye publique »[283], la joie de l’être-ensemble, qui n’interdisant pas à chacun d’être soi, n’est pas fusion. Cette joie est en fait celle que le théâtre depuis Aristote pensait illusoirement procurer.

Donc pour Rousseau, le modèle de la fête à l’antique n’est pas les fêtes d’Athènes avec ses théâtres mais les fêtes de Sparte avec ses jeux, cette supériorité des fêtes spartiates sur celles d’Athènes allant de soi à un double titre. D’abord, elles possèdent, aux yeux de Rousseau, les quatre caractéristiques de Sparte elle-même, à savoir la simplicité, l’amour de la patrie, l’esprit martial et la liberté : « Ce n’est pas seulement par leur objet, mais aussi par leur simplicité que je les trouve recommandables. Sans pompe, sans luxe, sans appareil, tout y respiroit avec un charme secret de patriotisme qui les rendoit intéressantes, un certain esprit martial convenable à des hommes libres »[284]. Ensuite, les fêtes spartiates se confondent avec la vie de Sparte, puisque la fête y étant permanente, « la vie y était une fête »[285] : « C’est là que les citoyens continuellement assemblés, consacroient la vie entiére à des amusemens qui faisoient la grande affaire de l’Etat, et à des jeux dont on ne se délassoit qu’à la guerre »[286]. Et c’est d’ailleurs parce que cette fête est quotidienne qu’elle permet de dépasser l’opposition entre travail et loisir : « C’est à Sparte que dans une laborieuse oisiveté, tout étoit plaisir et spectacle. C’est là que les rudes travaux passoient pour des récréations, et que les moindres délassemens formoient une instruction publique »[287].

Mais nous pensons que si les fêtes de Sparte sont un modèle privilégié par Rousseau, c’est essentiellement parce qu’elles ont su remplacer l’amour-propre par un autre sentiment, l’émulation. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur l’opposition rousseauiste de « l’amour de soi » et de « l’amour-propre », ce dernier constituant un des premiers maux de l’humanité : « L’Amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation et qui, dirigé dans l’homme par la raison et modifié par la pitié, produit l’humanité et la vertu. L’Amour propre n’est qu’un sentiment rélatif, factice, et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre, qui inspire aux hommes tous les maux qu’ils se font mutuellement (…) »[288]. Ainsi comme le rappelle Géraldine Lepan : « Morale et politique supposent (…) comme condition première la régulation de cette passion [l’amour-propre], que Rousseau considère comme étant à l’origine (…) de tous les vices »[289]. Pour réguler l’amour-propre Rousseau envisage, selon elle, deux solutions. La première consisterait à faire « refluer l’amour-propre en diminuant les relations sociales et en faisant cesser l’esclavage à l’égard de l’opinion »[290]. Ainsi, Rousseau écrit : « L’amour-propre, principe de toute méchanceté, s’avive et s’exalte dans la societé qui l’a fait naitre et où l’on est à chaque instant forcé de se comparer ; il languit et meurt faute d’aliment dans la solitude »[291]. C’est ce que ferait Emile qui « sait garder ses distances et ne pas être dupe de la comédie sociale »[292]. La deuxième solution se trouverait dans « les textes politiques [qui] prescrivent quant à eux un mode de relation entre les individus qui les délivre de l’amour-propre, pour lui substituer une autre forme de compétition, qui est une lutte pour la reconnaissance de sa vertu et de sa valeur civique »[293]. Or, nous pensons que l’émulation présente dans la fête participe de cette deuxième solution. L’amour-propre, qui n’est que le désir enfermé dans l’individu d’être préféré par les autres pour sa satisfaction personnelle, se transforme en émulation, qui est le désir partagé collectivement, provoqué collectivement, d’être préféré par la communauté pour le bien de la communauté, c’est-à-dire pour prouver à la communauté qu’on la mérite.

D’ailleurs, si Rousseau fait l’éloge du théâtre grec c’est dans une certaine mesure parce qu’il s’apparente aux jeux grecs, parce que  « les acteurs (…) partageoient selon leurs talens les honneurs rendus aux vainqueurs des jeux »[294], mais surtout c’est dans la mesure où le théâtre grec provoque chez les spectateurs un sentiment d’émulation identique à celui provoqué par les jeux. Ainsi, il écrit « Ces grands et superbes spectacles (…) n’offroient de toutes parts que des combats, des victoires, des prix, des objets capables d’inspirer aux Grecs une ardente émulation »[295] ou encore : « des spectacles qui, leur rappellant l’histoire de leurs ancêtres, leurs malheurs, leurs vertus, leurs victoires, interessoient leurs cœurs, les enflamoient d’une vive émulation (…) »[296]. Par conséquent, ce que Rousseau retiendrait en dernier lieu des fêtes à l’antique, qu’elles soient sur le modèle athénien ou spartiate, ce serait ce sentiment d’émulation.

Cependant, c’est dans les fêtes spartiates que ce sentiment est le plus exacerbé, principalement grâce aux jeux : « Ce sont les prix dont (…) on couronnoit les vainqueurs dans leurs jeux, qui les embrasant continuellement d’émulation et de gloire, portèrent leur courage et leurs vertus à ce degré d’energie dont rien aujourd’hui ne nous donne l’idée »[297]. Ainsi, il conseille aux Polonais d’instituer « beaucoup de jeux publics où la bonne mere patrie se plaise à voir jouer ses enfans », qu’en « certaines occasions, la jeune noblesse fasse preuve de force et d’adresse » : « on (…) devroit faire pour [la jeunesse] des théatres d’honneur et d’émulation »[298]. Mais cette émulation est également produite dans les fêtes spartiates par d’autres « divertissemens publics », comme le chant et la danse. Ainsi, Rousseau, s’inspirant de Plutarque, décrit la Fête des Gymnopédies : « Il y avoit (…) toujours trois danses en autant de bandes, selon la différence des âges ; et ces danses se faisoient au chant de chaque bande. Celle des vieillards commençoit la premiére, en chantant le couplet suivant,

 

Nous avons été jadis,

Jeunes, vaillans, et hardis.

Suivoit celle des hommes, qui chantoient à leur tour, en frappant de leurs armes en cadence.

Nous le sommes maintenant,

A l’épreuve à tout venant.

Ensuite venoient les enfans qui leur répondoient, en chantant de toute leur force.

Et nous bientôt le serons,

Qui tous vous surpasserons »[299].

 

La danse et le chant dans les fêtes spartiates offrent une nouvelle fois l’occasion d’une émulation, ici générationnelle, le dernier mot du chant étant « surpasserons ». Ainsi, la fête à l’antique permet de renforcer et de consacrer le lien qui unit les citoyens par la participation à une commune « émulation ». C’est pourquoi si nous pouvons souscrire à l’idée de Denise Leduc-Fayette selon laquelle « la fête est le phénomène total de la communauté »[300], car elle consacre l’union des consciences dans « l’effusion collective » et car il y règne « la communion la plus totale »[301], nous ne pouvons pas souscrire à la thèse selon laquelle dans la fête spartiate les individualités se confondent, s’appuyant pour démontrer cela sur Gusdorf qui écrit : « Le même tourbillon entraîne l’unanimité des hommes dans cet effort de réintégration où les individualités mêmes perdent leurs distances et tendent à se confondre (…). La fête (…) est le point culminant de l’existence communautaire »[302]. Certes, la fête est bien le point culminant de l’existence communautaire, mais les individus ne s’y confondent pas pour autant, la communion n’est pas fusion, et cela grâce à l’émulation qui y est omniprésente et qui, selon nous, est la vraie finalité de la fête : elle engendre la volonté d’être le meilleur non pour soi mais pour le bien de la communauté, ce qui implique une différenciation et non une fusion. C’est précisément parce que dans la fête, il n’y a pas de fusion et que l’individu peut s’y épanouir grâce à l’émulation, que l’on ne peut pas parler du modèle spartiate chez Rousseau comme d’un modèle qui tendrait vers le totalitarisme, la patrie étant comprise non comme un amas indifférencié, mais comme la collectivité des individus. C’est également à cause de cette émulation, que pour qualifier la fête spartiate telle que Rousseau la conçoit, nous préférons à l’idée de « fête démocratique » développée par Denise Leduc-Fayette[303], celle de fête « populaire-aristocratique », telle que la développe Philippe Lacoue-Labarthe[304] : même si la fête fait participer tous les citoyens dans l’égalité la plus parfaite, elle met en avant le culte du meilleur (aristocratique) pour le bien de la communauté (populaire). Pour le bien de la communauté, l’émulation remplace l’amour-propre, qui est un poison social, et transforme la vile jalousie, dérivé de l’amour-propre, en une saine combativité, et ainsi incite l’individu à vouloir se hisser au niveau des autres individus meilleurs que lui (plus vertueux, plus courageux…), au lieu de l’inciter à vouloir rabaisser les autres individus à son niveau. Ainsi Rousseau écrit : « Il y a cette différence entre la jalousie et l’emulation, que l’emulation tend à nous elever au niveau des autres et la jalousie à rabbaisser les autres à notre niveau »[305].

 

Cette partie s’est donc attachée à montrer que le mythe rousseauiste de Sparte constitue un modèle du territoire comme patrie, dans la mesure où Sparte possède d’une part les vertus nécessaires à l’effectuation de la liberté comprise comme indépendance et obéissance aux lois, sans laquelle il n’y a pas de patrie, et d’autre part de bonnes institutions nécessaires à la formations des citoyens, sans lesquels il n’y a pas de vertus. Nous allons nous attacher à présent à interroger le mythe du territoire antique comme modèle de la patrie, d’une part à partir des autres territoires antiques modèles de la patrie que sont Rome et la nation juive, et d’autre part à partir de ses fonctions et de ses limites.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TROISIEME PARTIE 

 

AUTRES MODELES ET FONCTIONS

DU TERRITOIRE COMME PATRIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I – Le modèle antique de Rome : l’autre modèle du territoire comme patrie

 

                        A/ Le mythe de Rome n’est pas celui de la cité mais de la cité républicaine

 

                        Les territoires antiques de la polis ou de la cité ne sont pas des modèles en soi pour Rousseau. Nous l’avons vu pour la polis, puisque Athènes est une polis et pourtant constitue à ses yeux un anti-modèle. Sparte, elle, est un modèle, dans la mesure où c’est une polis qui est vertueuse (vertu guerrière et frugalité), où l’individu existe pour et par la communauté, c’est-à-dire est citoyen grâce à de bonnes institutions, autrement dit, Sparte est un modèle parce que c’est une patrie. De la même manière, la cité n’est pas un modèle en soi, Rome n’échappant pas à la règle. Ce qui confirme cette idée, ce n’est pas le fait que Rousseau compare deux cités entre elles comme il l’avait fait pour la polis avec Sparte et Athènes, mais le fait qu’il compare la même cité en des temps différents, dans la mesure où un même territoire, entendons par là avec les mêmes caractéristiques géographiques, peut constituer un modèle en certains temps et un anti-modèle en d’autres : « les comparaisons de Peuple à Peuple sont difficiles (…) et (…) manquent toujours d’exactitude par quelque côté ; on est beaucoup plus sûr de ce qu’on fait en suivant l’histoire d’un même Peuple »[306]. Remarquons, que ceci renforce l’idée selon laquelle la conception rousseauiste du territoire est éminemment historique. Ainsi, il compare la Rome républicaine avec la Rome décadente, corrompue par le développement conjoint du luxe, des arts et des sciences. Par conséquent, Rousseau ne fait pas un modèle de la cité de Rome, mais de la république de Rome, dans la mesure où comme Sparte elle est une patrie, c’est-à-dire un territoire habité par des hommes vertueux vivant dans de bonnes institutions.

Comme le soutient Denise Leduc-Fayette, la vision stéréotypée, que les XVIIe et XVIIIe siècles ont de Rome, est essentiellement un héritage de Tite-Live et de son Histoire romaine : « amour de la res publica allant jusqu’au renoncement à soi, respect des lois et passion de la liberté, les deux choses étant liées, frugalité et austérité des mœurs, dédain de la mort préférée au déshonneur, autrement dit grandeur d’âme »[307]. Rousseau n’échappe pas à l’héritage du mythe de Rome véhiculé par Tite-Live, mais il ne se contente pas de le reconduire, puisqu’il en opère une reconstruction et forge son propre mythe du territoire antique de Rome comme patrie. C’est donc la teneur de ce mythe de la Rome républicaine comme patrie qu’il faut expliciter.

 

B/ Rome comme modèle de la patrie : ses conditions de possibilité

                     

                        Si Rome est pour Rousseau un modèle de la patrie elle doit correspondre au problème que constitue celle-ci tel que Rousseau le définit : « La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens ; vous aurez tout si vous formez des citoyens »[308]. Si Rome est une patrie elle possède donc, comme Sparte, la liberté, qui suppose la vertu, qui suppose des citoyens, qui supposent d’être formés, cette formation impliquant de bonnes institutions que seul un législateur peut créer. Nous allons donc comme pour Sparte remonter la chaîne causale qui permet l’existence de la patrie.

La patrie implique la liberté, or ce qui caractérise le peuple romain c’est qu’il est le « modéle de tous les Peuples libres »[309]. Comme nous l’avons dit précédemment, la liberté est à comprendre ici comme soumission aux lois : « J’aurois voulu vivre et mourir libre, c’est-à-dire tellement soumis aux loix que ni moi ni personne n’en pût secouer l’honorable joug  »[310]. Cette liberté conçue comme indépendance à l’égard d’autrui, garantie par l’obéissance aux lois, est donc réalisée dans la Rome républicaine comme à Sparte, mais avec une différence : « Toujours pret à mourir pour son païs, un Spartiate aimoit si tendrement la Patrie qu’il eut sacrifié la liberté même pour la sauver. Mais jamais les Romains n’imaginérent que la Patrie put survivre à la liberté (…) »[311]. Autrement dit, si pour les Spartiates le patriotisme pouvait aller jusqu’au sacrifice de leur liberté, pour les Romains la passion de la liberté était plus forte que leur patriotisme ou plus précisément ils avaient compris ce que Rousseau soutient, à savoir que la partie ne peut subsister sans liberté. C’est ici qu’apparaît une différence fondamentale entre Sparte et Rome, confirmant l’idée qu’il y a une pluralité de modèles de patrie antique dans la pensée de Rousseau. En effet, si Rome est le modèle des peuples libres, c’est dans la mesure où elle est caractérisée par une plus grande liberté des mœurs, alors que le modèle de Sparte semble toujours suspect de ce que Montesquieu appelle une « tyrannie d’opinion », « qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la manière de penser d’une nation »[312], et qui consiste à contredire ou à changer brusquement par les lois les « mœurs » ou les « manières » particulières d’un peuple[313]. Cette idée semble indiquer que Rousseau, dans une certaine mesure, pense avec la Rome républicaine l’amorce d’un progrès dans l’histoire, car leur esprit n’est pas tant l’amour de la patrie que l’amour de la liberté.

Or, comme nous l’avons déjà posé, la liberté ne peut subsister sans vertus. Comme les Spartiates, les Romains possédaient la valeur guerrière comme vertu défensive et la frugalité, conditions nécessaires à la liberté. Mais Rousseau, insiste davantage sur le fait que les Romains de la Rome républicaine possédaient « le plus délicieux sentiment de l’âme qui est l’amour de la vertu »[314]. La vertu a ici un sens analogue à celui que lui donne Montesquieu, celui de vertu républicaine, d’« amour de la république »[315]. Tout homme possède cette vertu « quand sa volonté particuliere est conforme en tout à la volonté générale »[316], c’est-à-dire qu’il « ne regarde qu’à l’intérêt commun »[317]. Comme à Sparte, cette vertu républicaine ne peut exister que si il y a des citoyens.

C’est pourquoi, dans le mythe rousseauiste romain de la même manière que dans le mythe spartiate, le législateur joue un rôle essentiel. Chez Rousseau, c’est Numa, personnage mythique, qui est le « vrai fondateur de Rome », alors que Romulus n’a fait « qu’assembler des brigands »[318]. Numa a réalisé à Rome ce que Lycurgue avait réussi à Sparte, c’est-à-dire qu’il est parvenu à changer la nature des hommes « en les transformant en Citoyens » et ainsi il est parvenu à réaliser non pas une simple assemblée mais une véritable union « en unissant ces brigands en un corps indissoluble ». Et cette transformation des individus en citoyens a été produite par des « institutions douces » qui les ont liés entre eux et à leur patrie.

                        Parmi ces institutions Rousseau met l’accent sur « la langue des signes », qui consiste à ne pas exprimer « par des mots mais par des signes »[319] : « Que d’attentions chez les Romains à la langue des signes ! »[320]. Cette langue des signes est élevée au rang d’institution de telle sorte que « tout chez eux étoit appareil, réprésentation » : « Des vétemens divers selon les âges, selon les conditions, des toges, des sayes, des pretextes, des bulles, des laticlaves, des chaires, des licteurs, des faisseaux, des haches, des couronnes d’or, d’herbes, de feuilles, des ovations, des triomphes »[321]. Cette pompe romaine ne contredit pas la simplicité tant vantée par Rousseau, car elle est un moyen de créer un environnement propre à renforcer le vertu républicaine, de faire « impression sur les cœurs des citoyens » et d’exprimer la grandeur de l’Etat.

                        Nous voyons donc que le mythe de Rome, ou plus exactement de la Rome républicaine, que Rousseau construit, est bien celui du territoire antique comme patrie, dans la mesure où Rousseau s’efforce de démontrer que la Rome républicaine possède toutes les conditions nécessaires pour être une patrie. Le modèle antique de Rome en tant qu’autre modèle du territoire comme patrie renforce le modèle de Sparte, dans la mesure où Sparte n’est pas un cas unique, isolé dans l’histoire. Ainsi, si la constitution d’un territoire comme patrie reste un cas exceptionnel, il n’est pas un cas unique. Mais ce modèle de Rome révèle également qu’il n’y a pas chez Rousseau la pensée d’un modèle uniformisant de territoire comme patrie, qui serait représenté par Sparte. Il s’agit donc à présent d’interroger les fonctions que Rousseau attribue à ce modèle.

 

 

II – Les fonctions et les limites du modèle du territoire antique comme patrie

 

                        A/ Fonction critique : les modèles antiques de la patrie contre les Etats d’Europe

 

Rousseau ne cesse de faire une histoire comparée, dont le cas le plus évident réside dans le Discours sur les Sciences et les Arts[322] entre les territoires modernes et les territoires antiques. Or, cette histoire comparée peut être interprétée comme ayant une fonction critique. Rousseau développerait les modèles du territoire antique comme patrie pour critiquer les territoires dans lesquels ses contemporains vivent. Ainsi, à travers le patriotisme exacerbé de Sparte et de Rome, Rousseau critiquerait le cosmopolitisme de ses contemporains et à travers les patries de Sparte et de Rome il critiquerait la corruption et l’uniformité des nations contemporaines.

Victor Goldschmidt dans son ouvrage Anthropologie et Politique, les principes du système de Rousseau[323] soutient que « l’exaltation du patriotisme (…) procède (…) de la recherche d’une authenticité perdue et s’oppose (…) aux platitudes de la conscience contemporaine, d’où sont effacés les mots de cité, de patrie et de citoyen »[324], et aurait pour fonction de faire une critique non pas du cosmopolitisme, car Rousseau reconnaît qu’il y a de « grandes âmes cosmopoplites » qui possèdent le véritable « amour de l’humanité »[325], mais de « ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux »[326], de « ces prétendus cosmopolites, qui justifiant leur amour pour la patrie par leur amour pour le genre humain, se vantent d’aimer tout le monde pour avoir le droit de n’aimer personne »[327]. En effet, l’amour de l’humanité est un sentiment tardif et qui a besoin d’un intermédiaire pour se développer, l’amour de la patrie, dont il est le prolongement rationnel : « nous ne commençons proprement à devenir hommes qu’après avoir été citoyen »[328]. Or, si l’on inverse le rapport on passe à côté du patriotisme et du cosmopolitisme : « il ne sera jamais ni homme ni citoyen »[329]. Ainsi, Sparte et Rome en tant que modèles de patrie seraient pour Rousseau un repoussoir révélant l’absence d’amour de la patrie de ses contemporains. C’est également dans cette perspective que Rousseau oppose les religions nationales antiques au Christianisme. Dans les religions nationales antiques, les Dieux de la polis ou de la cité et les lois de l’Etat se confondent, « le culte divin et l’amour des loix » sont réunis, et par conséquent ces religions font « de la patrie l’objet de l’adoration des Citoyens », elles sont un véritable moyen du politique. Le Christianisme, considéré d’un point de vue strictement politique, est « plus nuisible qu’utile à la forte constitution de l’Etat », non seulement parce que c’est une religion qui « n’ayant nulle rélation particuliere avec le corps politique » n’ajoute aucune force aux lois, mais encore parce que « loin d’attacher les cœurs des Citoyens à l’Etat, elle les en détache », puisque d’une part elle ne s’occupe que « des choses du Ciel » et détache l’homme « de toutes les choses de la terre », la patrie du chrétien n’étant « pas de ce monde », et d’autre part elle fait que « les hommes, enfans du même Dieu, se reconnoissent tous pour frere », alors qu’une religion pour être un instrument du politique doit rapprocher les hommes de leurs concitoyens avant de les rapprocher de l’humanité dans son ensemble[330].

Or, si Sparte et Rome révèlent une absence d’amour de la patrie dans les Etats contemporains de Rousseau, c’est parce qu’il n’y a plus de patrie à aimer. Par conséquent les modèles antiques de territoire comme patrie semblent être développés par Rousseau pour mettre en lumière le fait qu’il n’existe plus à son époque de patrie proprement dite. Ainsi, si l’on remonte la chaîne des conditions de possibilité de la patrie, de la liberté jusqu’aux institutions en passant par les vertus et les citoyens, on s’aperçoit que Rousseau considère qu’aucune n’est remplie en Europe et que par conséquent « ces deux mots, patrie et citoyen, doivent être effacés des langues modernes »[331].

Les peuples modernes ne sont pas libres. En effet, nous avons déjà dit que la liberté était comprise par Rousseau comme indépendance à l’égard de tout particulier, celle-ci étant garantie par l’obéissance et la dépendance aux lois. En outre, une loi n’est pas une véritable loi si elle n’est pas l’expression de la « volonté générale » qui ne peut être représentée. Or, les modernes sont plus occupés par leur « intérêt privé », le commerce et l’« avide intérêt du gain » que par le « service public » et préfèrent élire et payer des députés, comme ils payent des soldats pour rester chez eux. C’est pourquoi, « très peu de Nations ont des loix » au sens où dans les Etats modernes, les lois ne sont que l’expression des « représentants » et donc de l’« intérêt particulier »[332]. Par suite, « c’est en vain qu’on aspire à la liberté sous la sauvegarde des loix »[333], car si les modernes ont des lois ce n’est que pour « obéir à leurs maîtres »[334].   Rousseau est conscient que si « les anciennes Républiques » n’avaient pas de représentants et que le Peuple pouvait être « sans cesse assemblé sur la place » c’est parce « des esclaves faisoient ses travaux ». Bien qu’il ait condamné l’esclavage dès le début de Du contrat social, il se pose la question : « Quoi ! la liberté ne se maintient qu’à l’appui de la servitude ? ». Et sa réponse est qu’« il y a de telles positions malheureuses où l’on ne peut conserver sa liberté qu’aux dépends de celle d’autrui (…). Telle étoit la position de Sparte »[335]. Précisons que Rousseau déplore la condition des Hilotes à Sparte : « les habitans d’Helos vaincus et asservis à jamais donnerent dans Sparte le vain et funeste exemple du plus cruel esclavage au sein de la plus parfaite liberté »[336]. Or, comme le montre Éliane Martin-Haag dans son article intitulé « L’histoire dans Du contrat social de J.-J. Rousseau : philosophie du malheur ou théorie de la prudence ? », Rousseau « renoue alors avec l’idée aristotélicienne que l’esclavage est un mal nécessaire », et soutient que « l’esclavage antique s’avère préférable à l’esclavage moderne » dans la mesure où l’esclavage moderne est plus « lâche », c’est-à-dire « consenti et bien dissimulé sous l’illusion d’une liberté assurée par les représentants »[337].

Si les modernes ne sont pas libres, c’est parce que ce sont des « peuples policés », c’est-à-dire qui ont « les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune »[338]. Rousseau accuse le développement conjoint du luxe et de l’oisiveté, des arts et des sciences[339], qui a eu pour conséquence d’une part la disparition des « vertus militaires »[340] indispensables à la défense de la liberté, les hommes préférant payer des soldats pour rester chez eux en paix et s’occuper de leurs affaires privées[341], et d’autre part l’accroissement du désir d’enrichissement alors que seule la frugalité permet une bonne médiocrité sans laquelle la liberté ne peut voir le jour[342]. Or, sans ces vertus pas de citoyens.

Rousseau n’a de cesse de le répéter : « Nous avons des Physiciens, des Géometres (…), des Peintres ; nous n’avons plus de citoyens » ou s’il en reste, ils son « dispersés dans nos campagnes abandonnées » où ils « périssent indigens et méprisés »[343]. La ville étant le lieu du vice et de la corruption, le dernier espace où peuvent subsister des citoyens est donc la campagne et les derniers citoyens sont des « laboureurs ».

S’il n’y a plus de citoyens c’est essentiellement parce qu’il n’y plus de bonnes institutions : « je savois qu’en regardant de près nos institutions tu serois bien éloigné d’y prendre la confiance qu’elles ne méritent pas » [344]. Ainsi, les deux exemples d’institutions spartiates développés précédemment n’existent plus. L’éducation publique « n’existe plus, et ne peut plus exister » parce que « où il n’y a plus de patrie il ne peut plus y avoir de citoyens »[345], et elle a été remplacée par « des établissemens immenses, où l’on éleve (…) la jeunesse pour lui apprendre toutes choses, excepté ses devoirs »[346]. De même, les fêtes spartiates, puisque dans les fêtes des modernes le peuple est « toujours méprisé » et « le blame et l’approbation publique ne produisent rien » et par conséquent ne sont en rien « des stimulans pour le patriotisme »[347]. Or, s’il n’y a pas de bonnes institutions, c’est-à-dire des institutions nationales, c’est parce que les peuples modernes n’ont pas eu la chance d’avoir de législateur, le problème de la patrie se réduisant en dernière instance à celui du législateur : « Je regarde les nations modernes : j’y vois force faiseurs de loix et pas un legislateur »[348].

                        Mais si il n’y a plus de patrie en Europe, les modèles de Sparte et de Rome n’ont-ils pour autant qu’une fonction critique, ne peuvent-ils pas permettre une action politique. Autrement dit, faut-il croire Rousseau lorsqu’il dit que « les anciens Peuples ne sont plus un modèle pour les modernes ; ils leur sont trop étrangers à tous égards »[349]. C’est ce que nous allons essayer de déterminer en interrogeant la fonction du mythe de Sparte et de Rome dans sa pensée.

 

B/ Pourquoi Rousseau construit un mythe et veut faire croire en une histoire

 

Rousseau écrit que l’on doit concevoir « l’histoire comme un tissu de fables dont la morale est très appropriée au cœur humain »[350]. Comme le soutient Éliane Martin-Haag[351], Rousseau ne conçoit pas la vérité historique comme « une simple copie servile des faits empiriques », mais comme une « poétique de l’histoire », c’est-à-dire non pas comme « un mensonge romanesque » n’ayant pour finalité qu’une « lecture agréable », mais comme une fiction poétique « plus vraie que la réalité », dans la mesure où elle offre une véritable instruction morale utile à la politique et permet un « perfectionnement éthique » du peuple. L’histoire serait donc pour Rousseau une « fiction utile »[352], ce qui corroborerait l’idée de Denise Leduc-Fayette selon laquelle il construit un « mythe de l’antiquité » et en particulier de Sparte et de Rome. Or, lorsqu’il écrit son « Histoire de Lacédémone » il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de mythe mais bien d’histoire et tente de démontrer la véracité de celle-ci : « je sais quels sont les droits sacrés de l’histoire ; si j’honore Lacedemone, j’honore encore plus la vérité »[353]. Mais la contradiction n’en est pas une car si il insiste sur la crédibilité de son histoire c’est justement parce qu’il écrit un mythe et qu’un mythe doit avoir une utilité morale ou politique et pour cela implique que les hommes y croient. Par conséquent, lorsque Denise Leduc-Fayette écrit à propos de Sparte ou de Rome que « le mythe a son origine dans la réalité, mais ce qui importe, c’est (…) le motif qu’il exprime par-delà le fondement historique parfois obscur, ou même contesté »[354], nous ne pouvons qu’être partiellement d’accord avec elle. En effet, si pour le critique de Rousseau l’important réside dans les idées véhiculées à travers ces mythes, il doit cependant tenir compte du fait qu’il est primordial pour Rousseau lui-même que l’on croit à ces mythes et par conséquent qu’ils aient une base historique crédible.

Pourquoi cette crédibilité est-elle primordiale ? Rousseau veut que l’on croit en ses mythes pour que sa pensée politique échappe à deux critiques : la première et la plus courante est celle de l’utopie, la seconde, moins évidente, est celle d’une « pensée du malheur ». Comme sa pensée politique s’appuie sur les modèles antiques de Sparte et de Rome pour se développer, il est nécessaire qu’on ne lui reproche pas que la peinture qu’il en fait relève de la chimère, car sinon sa pensée politique ne sera considérée que comme une utopie dont la fonction sera essentiellement critique. Ainsi, comme le rappelle Marcel Raymond, « la Cité du Contrat Social » ne sera qu’une « cité introuvable (…) en fonction de laquelle on appréciera la valeur , le degré de justice, des cités terrestres »[355]. La seconde critique est celle développée par Alexis Philonenko, qui dans son étude intitulée Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur soutient que le Contrat social ne nous instruit pas sur les « hommes tels qu’ils doivent être » mais sur l’homme tel qu’il « aurait dû être » ou « aurait pu être » et par conséquent que Du contrat social serait moins une utopie qu’une « élégie juridique, dont le thème angoissant était la perte de l’homme et de tout ce qui aurait pu être »[356]. Quant au fait que Rousseau ne construit pas une utopie nous ne pouvons qu’être d’accord. Cependant, dire que Du contrat social montre ce que l’homme « aurait dû être » ou « aurait pu être », c’est oublier que Rousseau répète sans cesse que les principes politiques qu’il développe et qui définissent ce que l’homme (soit-disant) « aurait dû être », ont été incarnés dans Sparte et Rome. En effet, Rousseau écrit à propos des Spartiates qu’ils « nous apprennent ce que les h[ommes] peuvent être en nous montrant ce qu’ils ont été »[357]. Par suite, il n’y a pas pour Rousseau perte de ce qui « aurait pu être » ou « aurait dû être », mais de ce qui a été. La question étant de savoir si ce qui a été perdu est récupérable. Par conséquent, Rousseau refusant que l’on considère sa pensée politique comme une utopie dont la fonction serait de critiquer son époque ou comme une « pensée du malheur » qui imaginant ce que l’homme « aurait pu être » déplorerait ce qu’il est, il est primordial que l’on croit en son mythe de Sparte et de Rome, qui constituent la preuve « historique » que ses principes politiques construits selon ces modèles de patrie sont réalisables, même si comme nous le verrons les conditions sont restreintes.

Rousseau ne nie pas le fait qu’il y a un « inconvénient » majeur dans l’histoire antique, dans la mesure où l’on « se croit transporté dans un autre univers et parmi d’autres êtres », des êtres dont les « fortes âmes » semblent être des « exagérations de l’histoire »[358], des êtres « qui ne nous ressemblent presque en rien »[359], si ce n’est dans « la figure »[360], et encore, puisqu’il y a « plus de sentiment et de beauté dans les visages des Anciens grecs »[361]. Pourtant, Rousseau tient à ce que nous croyons dans le fait que les Spartiates et les Romains ont existé et n’étaient pas surhumains : « Ils existent pourtant, et c’étoient des humains comme nous » et c’est pourquoi en droit rien ne « nous empêche d’être des hommes comme eux »[362], entendons par là aussi grands qu’eux. C’est à cause de cet inconvénient que Rousseau adopte une stratégie consistant à démontrer que si Sparte et Rome paraissent des chimères à ses contemporains c’est parce que ceux-ci sont trop petits et trop faibles pour y croire. L’« incredulité » de ses contemporains quant à l’existence de Sparte ou de Rome n’est pas le fait de leur « raison » qui démontrerait l’impossibilité qu’elles aient pu exister, mais de leur « lacheté », dans la mesure où ils n’ont pas le courage d’y croire et ainsi de tenter de se hisser à leur hauteur. Ainsi, « les bornes du possible dans les choses morales sont moins étroites que nous ne pensons : Ce sont nos foiblesses, nos vices, nos préjugés qui les rétrécissent »[363]. Rousseau veut donc que ses contemporains croient en ces mythes de Sparte et de Rome, incarnations de ses principes politiques, et par suite que nous regardions avec lui ce qui s’est produit dans l’histoire afin que « par ce qui s’est fait [nous] considérons ce qui se peut faire »[364]. Ainsi, comme le rappelle François Bouchardy : « on s’est étonné (…) de son admiration pour le passé, de sa sévérité envers le présent. Au vrai, c’est l’avenir qu’il envisage et qu’il prépare »[365].

 

C/ Sparte et Rome véhiculent-elles une « pensée du malheur » ?

                       

Mais les mythes de Sparte et de Rome ne sont pas pour autant lavés de tout soupçon quant au fait qu’ils soutiendraient une « pensée du malheur ». Ainsi, Alexis Philonenko dans Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur[366] analyse le chapitre XI du livre III de Du contrat social, intitulé « De la mort du corps politique » dans lequel Rousseau écrit : « Telle est la pente naturelle et inévitable des Gouvernemens les mieux constitués. Si Sparte et Rome ont péri, quel Etat peut espérer de durer toujours ? »[367]. En disant que même les Etats possédant la meilleure constitution comme Sparte ou Rome meurent un jour, et donc que « l’histoire enseigne que le corps politique (…) est mortel », Rousseau développerait, selon Alexis Philonenko, une « pensée du malheur » qui condamnerait tout remède politique à l’échec, ceci impliquant que « le médecin du monde a signé de manière éclatante son arrêt de mort en tant qu’éducateur politique »[368].

Or, nous pensons avec Éliane Martin-Haag qu’il faut nuancer cette idée. En effet, dans son article intitulé « L’histoire dans Du contrat social de J.-J. Rousseau : philosophie du malheur ou théorie de la prudence ? »[369], elle parvient à montrer « que la temporalité politique laisse place à un ‘’art’’ qui est pensé à partir du concept aristotélicien de prudence »[370]. Ainsi, lorsque Rousseau écrit que, pour former « un établissement durable », il ne faut pas songer « à le rendre éternel » et « tenter l’impossible » en essayant de lui donner « une solidité que les choses humaines ne comportent pas »[371], il indique que c’est précisément « lorsque l’homme se propose de bâtir une ‘’utopie’’ située hors du lieu et du temps qu’il trahit sa propre perfectibilité et s’interdit une véritable praxis »[372]. Par conséquent, la mort de Sparte et Rome montrant que l’on ne peut pas bâtir un Etat éternel du fait même de la limitation de l’art humain, n’est pas le signe d’une « pensée du malheur », mais plutôt, comme le propose Éliane Martin-Haag, celui d’une « théorie de la prudence »[373]. En effet, cette mort de Sparte et de Rome montre qu’il dépend de l’art des hommes de prolonger la vie de l’Etat « aussi loin qu’il est possible, en lui donnant la meilleure constitution qu’il puisse avoir ». Ainsi, « le mieux constitué finira, mais plus tard qu’un autre »[374]. Par suite, les modèles antiques de patrie peuvent nous enseigner comment peut se faire cette meilleure constitution possible.

 

D/ Fonction pratique : modèle pour une bonne législation 

 

Roger D. Masters dans son ouvrage intitulé La philosophie politique de Rousseau[375] défend l’idée selon laquelle Rousseau « comprend l’histoire de chaque société civile, comme une évolution de la jeunesse à la maturité et à la vieillesse »[376] : le changement politique à l’intérieur d’une société commence avec les peuples sauvages ou barbares, qui peuvent devenir civilisés et libres s’ils reçoivent une bonne législation, et qui ensuite déclinent, lorsque l’inégalité, les lumières et le luxe se développent selon des « tendances inévitables » de la société civile. Puis, Roger D. Masters, rappelle qu’il ne s’agit pas d’un déclin linéaire, qui irait de la bonté de l’état de nature à la corruption des sociétés éclairées et corrompues, puisque Rousseau développe « un modèle historique cyclique ». En effet, à l’époque de Rousseau la majorité des hommes vivent dans des sociétés non civilisées et puisque les peuples civilisés peuvent reculer dans la barbarie, la naissance de sociétés nouvelles semble continuellement possible. Or, « comme l’institution de nouvelles lois aurait, parmi ces peuples, les mêmes conséquences que celles qu’elle eut dans les nations civilisées antérieurement, la notion rousseauiste de déclin politique et moral se comprend mieux si on y voit une partie d’un cycle historique susceptible de se répéter dans le futur »[377]. Roger D. Masters montre que la science du législateur développée par Rousseau présuppose cette continuelle possibilité « d’instituer des lois dans des sociétés qui n’étaient pas civilisées auparavant »[378]. Ainsi, dans la suite de chapitres intitulés « Du peuple » de Du contrat social[379], dont nous avons déjà parlé en première partie, Rousseau énonce « les maximes de la politique » que le législateur doit prendre en compte avant l’institution d’un peuple, ces maximes concernant soit « les conditions historiques de la fondation »[380] soit « les conditions physiques de la fondation »[381].

Les conditions historiques de la fondation, qui constituent le moment opportun pour promulguer une nouvelle législation, sont de deux sortes, « internes » et « externes »[382]. Les conditions historiques internes de la fondation concernent le « niveau général de développement social le plus favorable à la fondation d’un régime »[383]. Ainsi Rousseau écrit : « Les Peuples ainsi que les hommes ne sont dociles que dans leur jeunesse, ils deviennent incorrigibles en vieillissant ; quand une fois les coutumes sont établies et les préjugés enracinés, c’est une entreprise dangereuse et vaine de vouloir les réformer », car un peuple « peut se rendre libre tant qu’il n’est que barbare, mais il ne le peut plus quand le ressort civil est usé »[384]. D’où la maxime suivante : « Peuples libres, souvenez-vous de cette maxime : On peut acquérir la liberté ; mais on ne la recouvre jamais »[385]. Mais, comme il est peu probable de rendre libre et vertueux un peuple moralement corrompu, si l’on tente de policer un peuple trop rapidement « l’ouvrage est manqué » : « Il est pour les Nations comme pour les hommes un tems de maturité qu’il faut attendre avant de les soumettre à des loix », ainsi « les Russes ne seront jamais vraiment policés, parce qu’ils l’ont été trop tôt »[386]. Par conséquent, Rousseau définit le niveau de développement social le plus favorable à une législation comme suit : « Quel peuple est donc propre à la législation ? Celui qui, se trouvant déjà lié par quelque union d’origine, d’intérêt ou de convention, n’a point encore porté le vrai joug des loix ; celui qui n’a ni coutumes ni superstitions bien enracinées »[387].

Mais au niveau général de développement social le plus favorable à la fondation d’un régime, viennent s’ajouter des circonstances historiques plus spécifiques  et qui constituent les conditions historiques externes de la fondation : il faut que ce peuple «  jouisse de l’abondance et de la paix », car « le tems où s’ordonne un Etat est (…) l’instant où le corps est le moins capable de résistance et le plus facile à détruire »[388]. Roger D. Masters[389] rappelle que précédemment Rousseau avait caractérisé la législation qui fonda les deux plus grandes républiques de l’histoire, Sparte et Rome, comme le résultat d’ « époques violentes » ou de « révolutions », mais qu’il s’agissait de « guerres civiles »[390], et c’est pourquoi il précise que « c’est principalement la guerre extérieure, ou la dépendance à l’égard d’Etats extérieurs (…) qui est incompatible avec l’établissement de nouvelles institutions politiques »[391]. Ainsi, Rousseau pense qu’un peuple propre à la législation est « celui qui ne craint pas d’être accablé par une invasion subite, qui, sans entrer dans les querelles de ses voisins, peut résister seul à chacun d’eux, ou s’aider de l’un pour repousser l’autre ; (…) celui qui peut se passer des autres peuples et dont tout autre peuple peut se passer »[392].

Outre ces conditions historiques de la fondation il faut également, selon Rousseau, prendre en compte « les conditions physiques de la fondation », d’où « les propositions de Rousseau qui concernent les conditions géographiques »[393]. Nous en avons déjà parlé en première partie, c’est pourquoi nous nous contenterons de rappeler les deux principales conditions que le législateur doit prendre en compte : un peuple propre à la législation est « celui qui peut se passer des autres peuples et dont tout autre peuple peut se passer ; Celui qui n’est ni riche ni pauvre et peut se suffire à lui-même » et un peuple propre à la législation est quand au gouvernement celui « où l’on n’est point forcé de charger un homme d’un plus grand fardeau qu’un homme ne peut porter », quand au lien social « celui dont chaque membre peut être connu de tous »[394].

Rousseau reconnaît que « toutes ces conditions, il est vrai, se trouvent difficilement rassemblées »[395]. Mais, pour Rousseau, si la chose est rare aujourd’hui elle l’a toujours été, car ces conditions étaient aussi difficiles à réunir dans l’antiquité qu’aujourd’hui, la preuve étant que la Grèce antique n’était pas recouverte de Sparte mais abritait bien des Athènes. C’est pourquoi, la modernité peut encore réunir ces conditions pour former un Etat bien constitué, une patrie, même si c’est en un lieu et en un temps rares. Or, c’est l’étude de ces modèles antiques de Sparte, de Rome, ou comme nous le verrons de la nation juive, chacun étant particulier, avec ses vertus et ses institutions propres, son « génie » propre, qui instruit sur les moyens qu’il est possible de mettre en œuvre pour instituer un territoire comme patrie.

Ainsi Rousseau écrit : « Il est encore en Europe un pays capable de législation ; c’est l’Isle de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté, mériteroit bien que quelque homme sage lui apprit à la conserver »[396]. Dans cette phrase tout est dit : il s’agit d’une île et donc d’un petit territoire éloigné des autres, et ce peuple possède un amour de la liberté qu’il est prêt à défendre, or si il y a la liberté la constitution d’une patrie est possible, il ne lui manque qu’un législateur pour cela. Or, Rousseau écrit un Projet de constitution pour la Corse dans l’« Avant-propos » duquel il dit : « Le peuple corse est dans l’heureux état qui rend une bonne institution possible »[397]. La Corse peut donc atteindre en théorie la félicité et la perfection de Sparte ou de Rome.

Il existe un autre pays d’Europe capable de législation : la Pologne, dont Rousseau dit qu’il est « celui de tous les peuples d’aujourd’hui qui [l’]éloigne le moins »[398] des peuples antiques. Le problème majeur de la Pologne est qu’elle est à la merci de ses nations voisines et court sans cesse le risque de perdre sa liberté[399]. Le moyen que Rousseau propose est le patriotisme qui consiste à « établir tellement la République dans les cœurs des Polonois, qu’elle y subsiste malgré tous les efforts de ses oppresseurs »[400]. Il s’agit de former des citoyens, dont Sparte et Rome offrent le modèle, et pour cela il voudrait voir des institutions forgées sur le modèle antique, c’est-à-dire non pas des institutions parfaitement identiques aux institutions antiques, mais des institutions nationales, propres au peuple en question, renforçant son caractère singulier, telles que l’éducation publique ou les fêtes. Les modèles antiques de territoire comme patrie, Sparte ou Rome, ne sont donc pas des modèles à plaquer sur la réalité, sur un peuple, même si il est apte à accueillir une bonne législation. Ce sont des modèles en tant qu’elles instruisent sur un certain nombre de moyens permettant de produire une bonne législation pour un peuple, c’est-à-dire une législation adaptée à la réalité singulière de ce peuple. Ainsi, il conseille aux Polonais d’une part d’instaurer l’éducation publique qui permet de « donner aux âmes la force nationale, et diriger tellement leurs opinions et leurs goûts, qu’elles soient patriotes par inclination, par passion, par nécessité »[401], et d’instituer « beaucoup de jeux publics », « des théatres d’honneur et d’émulation »[402]. Mais avant toute chose, il faudrait régler le problème de son territoire. Dans ses Considérations sur le Gouvernement de Pologne  au chapitre intitulé « Vice radical »[403], Rousseau affirme que la première réforme dont la Pologne aurait besoin concerne la trop grande étendue de son territoire, ce qui montre que les « maximes de la politique » qui concernent les « conditions physiques » de la fondation sont bien des règles de prudence, puisque la trop grande étendue d’un territoire n’empêche pas une bonne législation, mais doit être prise en compte comme un problème et accueillir des solutions si l’on veut instaurer une bonne législation. Rousseau envisage deux solutions à ce problème, dont nous avons déjà parlé dans la première partie de ce travail, et qui ne sont pas une simple amélioration mais le moyen de maintenir un grand pays loin du despotisme et de l’anarchie. La première solution consiste à diminuer l’étendue de son territoire en se séparant d’une partie de celui-ci. La seconde solution est le fédéralisme, qui consiste à décomposer le grand Etat en une fédération de petits Etats : « appliquez-vous à étendre et perfectionner le système des Gouvernements fédératifs, le seul qui réunisse les avantages des grands et des petits Etats, et par là le seul qui puisse vous convenir »[404]. Il faut rappeler que le fédéralisme n’est pas qu’un découpage géographique du territoire, car, comme le précise Olivier Krafft dans son livre La politique de Jean-Jacques Rousseau : aspects méconnus[405], il doit être accompagné de mesures politiques, comme une décentralisation non seulement gouvernementale mais aussi législative.

 

 

III – Le modèle de la patrie juive : la patrie sans territoire ou la patrie éparse parmi les autres nations

 

Dans son ouvrage Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité Denise Leduc-Fayette ne parle pas du mythe de la nation juive chez Rousseau, si ce n’est de Moïse en tant que figure du Législateur. Cependant, s’il est vrai que dans le mythe de l’antiquité construit par Rousseau, il est fait le plus souvent référence au mythe juif pour mettre en avant la figure mythique de Moïse, et s’il est également vrai que le mythe de la nation juive occupe proportionnellement une place moins importante que les mythes de Sparte et de Rome, il n’en reste pas moins qu’il est pour Rousseau d’une importance capitale, voire même d’une importance supérieure à ces derniers. En effet, Rousseau demande que l’on reconnaisse unanimement la supériorité de la nation juive sur toutes les autres nations y compris Sparte et Rome : « tout homme quel qu’il soit y doit reconnoitre une merveille unique dont les causes divines ou humaines méritent certainement l’étude et l’admiration des sages préférablement à tout ce que la Gréce et Rome nous offrent d’admirable en fait d’institutions politiques et d’établissemens humains »[406]. Reste à déterminer les raisons de cette supériorité et pour cela cerner les caractéristiques que Rousseau attribue à son mythe de la nation juive. Il existe sur la question de la nation juive deux passages particulièrement éclairant sur lesquels nous pouvons nous appuyer, le premier se trouvant dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne[407] et le second dans les Fragments politiques intitulé « [Des Juifs] »[408].

 

A/ Un peuple fondé sans territoire possédant pourtant une institution « durable »

 

Pour Rousseau, le peuple juif détient sa particularité du fait qu’il a été institué en corps de nation alors même qu’il ne possédait pas de territoire propre, ce qui conforte l’idée de Rousseau, dont nous avons parlé dans la première partie de cette étude, et selon laquelle le contrat social peut avoir lieu avant que la future société civile ne possède un territoire. En effet, Moïse a institué « en corps de nation », en « corps politique », en « peuple libre », « un essain de malheureux fugitifs », qui ne possédait pas de territoire, pas « un seul pouce de terrain », et par conséquent constituait « une troupe étrangère sur la face de la terre », « une troupe errante »[409].

A cette troupe sans territoire, qui « erroit dans les déserts », Moïse donna « cette institution durable », dans la mesure où après cinq mille ans elle « subsiste » encore, non seulement sans être « altér[ée] », mais encore en gardant « toute sa force ». Ainsi, le peuple juif a conservé « ses coutumes, ses loix, ses mœurs, son amour patriotique et sa prémiére union sociale », de telle sorte qu’il offre l’exemple d’une institution antique dans le monde moderne[410]. Mais il faut noter que pour Rousseau, l’institution du peuple juif est d’autant plus solide, qu’elle subsiste encore malgré le fait que « depuis près de deux mille ans » ce peuple n’ayant plus « ni lieu ni terre », c’est-à-dire de territoire propre, est un peuple « expatrié » et apatride, « un peuple épars, dispersé sur la terre »[411].

 

B/ Une nation sans « corps de nation » subsistant grâce à deux vertus : l’« inaliabilité » et l’idolâtrie de la règle  

 

C’est ce dernier trait qui fascine le plus Rousseau. Le peuple juif, expatrié, apatride et dispersé sur la terre, c’est-à-dire dont « le corps de la nation ne subsiste plus », constitue pourtant une nation qui subsiste encore. Or, comment expliquer qu’une nation sans « corps de nation », c’est-à-dire dispersée sur le globe, « éparse parmi les autres » nations puisse subsister ? Rousseau trouve la réponse dans le fait que la nation juive est restée « éparse parmi les autres [nations] sans s’y confondre»[412]. Reste à déterminer comment elle a pu être dispersée dans les autres nations sans se confondre avec elles. Rousseau l’explique par deux vertus que possède le peuple juif.

La première vertu, que nous serions tentés d’appeler par un néologisme l’« inaliabilité », consiste dans le fait de ne pouvoir se mêler, se mélanger, s’incorporer, à d’autres peuples. C’est le législateur Moïse qui instaura cette vertu. Ainsi, « pour empêcher que son peuple ne se fondit parmi les peuples étrangers », il usa de trois moyens : premièrement « il lui donna des mœurs et des usages inaliables avec ceux des autres nations », deuxièmement « il le surchargea de rites, de ceremonies particulieres ( …) pour (…) le rendre toujours étranger parmi les autres hommes », troisièmement « tous les liens de fraternité qu’il mit entre les membres de sa république étoient autant de barriéres qui le tenoient séparé de ses voisins et l’empêchoient de se mêler avec eux ». Autrement dit, Moïse usa des mœurs, de la religion et de l’amour pour ses concitoyens comme autant de moyens pour le rendre « inaliable », tel un corps étranger, aux autres peuples. C’est cette vertu, l’« inaliabilité », que Moïse a placée dans le cœur du peuple juif lorsqu’il l’a institué en « corps de nation », qui a permis à la nation de se conserver bien que le « corps de la nation » ait péri : une fois le peuple juif dispersé à travers le monde, c’est-à-dire une fois le « corps de la nation » détruit, la nation juive s’est conservée car ses membres dispersés parmi les autres peuples ne s’y sont pas dissout et ont continué à se considérer comme appartenant au peuple juif, à la nation juive : « C’est par là que cette singuliére nation, si souvent subjuguée, si souvent dispersée, et détruite en apparence, mais toujours idolatre de sa régle, s’est pourtant conservée jusqu’à nos jours éparse parmi les autres sans s’y confondre, et que ses mœurs, ses loix, ses rites, subsistent et dureront autant que le monde, malgré la haine et la persécution du reste du genre humain »[413].

Mais nous voyons ici que, selon Rousseau, si le peuple juif n’avait pas été « idolatre de sa régle », la nation aurait péri au même temps que le « corps de la nation », car chaque membre aurait alors adopté la « régle » (les mœurs, les lois, les rites) de la nation qu’il aurait intégrée. Ainsi, l’ « inaliabilité » a eu pour corollaire indispensable une autre vertu : l’idolâtrie de la règle, reposant sur le fait que chaque dimension de la vie a été réglée et rendue sacrée par Moïse[414], qui en tant que législateur a usé du subterfuge de la religion, au moyen de ce que Rousseau considère comme l’un des « dogmes de la Religion civile », à savoir « la sainteté (…) des Loix »[415]. Rousseau soutient que « dans l’origine des nations », la religion « sert d’instrument » à la politique[416], et par suite que la religion juive, en tant que religion nationale, c’est-à-dire caractéristique d’un peuple et ne distinguant pas le divin des lois de l’Etat[417], a été utilisée par Moïse comme un moyen du politique pour donner une autorité divine aux lois. Le cas de la religion juive est particulièrement intéressant, dans la mesure où il montre que ce n’est pas parce que les Dieux de la polis ou de la cité sont morts qu’une religion nationale, nécessaire à la constitution d’une patrie, n’est plus possible. La religion juive constitue donc un argument pour les temps modernes, dont un des problèmes centraux est, selon Rousseau, celui de l’antinomie existant entre le religieux et le politique, entre l’universalisme moral de la religion chrétienne et la particularité qui doit caractériser toute société civile bien constituée. La religion juive montre qu’il est possible pour une religion monothéiste d’être une religion nationale et par suite d’être un moyen pour fonder une patrie. Nous voyons ici que le modèle de la nation juive, comme celui de Sparte ou de Rome, n’est pas un modèle à plaquer sur la réalité présente, mais appartient à une pensée des moyens pour instituer une patrie.

Selon Rousseau, ce sont donc ces deux vertus, l’« inaliabilité » et l’idolâtrie de la règle, qui ont permis à la nation juive, dispersée parmi les autres nations, sans « corps de nation », de se conserver jusqu’à présent et qui lui permettront de se conserver « autant que le monde »[418], en empêchant qu’elle se confonde avec ces autres nations.

 

 

 

 

 

C/ Supériorité du mythe de la nation juive sur les mythes de Sparte et Rome

 

Cette conservation quasi éternelle de la nation juive aboutit au fait que Rousseau pense une supériorité de la nation juive sur Sparte et Rome. Pour démontrer cette suprématie, Rousseau s’appuie sur trois éléments.

Le premier élément concerne les lois : les lois judaïques subsistent encore, contrairement aux lois romaines ou spartiates. Ainsi Rousseau écrit : « les loix de Solon, de Numa, de Lycurgue sont mortes, celles de Moyse bien plus antiques vivent toujours ». Lorsque Rousseau dresse un tableau « de tous les sistêmes de legislation qui nous sont connus », il les classe en quatre catégories : les bons systèmes qui ne sont que de « êtres de raison », c’est-à-dire des utopies, les bons systèmes qui « n’ont duré que quelques siécles » comme ceux de Sparte et de Rome, les mauvais systèmes qui « n’ont jamais fait un état bien constitué », comme ceux des Etats européens corrompus, enfin le système de législation juif, presque éternel, puisque « nul excepté celui-là n’a subi toutes les épreuves et n’y a toujours résisté », la plus spectaculaire étant « de survivre aux coutumes, aux loix, à l’empire de toutes les nations », c’est-à-dire de subsister à travers l’ensemble des Juifs dispersés sur le globe dans des nations ayant leurs propres lois qui tendent à s’imposer à eux. Le deuxième élément concerne les citoyens. Si, contrairement aux lois de Sparte ou de Rome, les lois judaïques continuent à vivre, c’est parce même si comme elles son « corps de nation » a péri, contrairement à elles ses hommes, ses citoyens, continuent à vivre, et à travers eux se perpétuent les lois : « Athénes, Sparte, Rome ont péri et n’ont plus laissé d’enfans sur la terre. Sion détruite n’a point perdu les siens ». Et non seulement « ils se conservent », mais encore « ils multiplient, s’étendent par tout le monde ». Le dernier élément concerne le lien social. Les Juifs « se reconnoissent toujours », c’est-à-dire qu’ils se considèrent toujours comme appartenant à une entité commune et reliés entre eux, ce qui semble extraordinaire si l’on rappelle d’une part que le peuple juif est dispersé sur la terre et d’autre part que plus le lien social s’étend plus il est sensé se relâcher. Or, c’est parce que ce lien entre les Juifs existe encore et qu’ils se considèrent comme appartenant à un même tout, que la nation juive peut supplanter Sparte et Rome, parce que c’est grâce à lui que les Juifs « se mêlent chez tous les peuples et ne s’y confondent jamais » et donc que la nation a encore des citoyens[419].

Ces trois éléments, à savoir des lois, des citoyens, et la reconnaissance par ces derniers d’une appartenance à une même entité commune, font que la nation juive est une patrie. Or, Rousseau écrit que les membres du peuple juif « n’ont plus de patrie et sont toujours citoyens »[420], ce qui semble contradictoire, dans la mesure où Rousseau soutient qu’une patrie suppose en dernier lieu des citoyens et que si l’on a des citoyens l’on a une patrie. Mais la contradiction se lève si l’on précise que Rousseau parle ici d’une patrie qui ait un support physique, un territoire existant. Par conséquent, le peuple juif aurait, selon Rousseau, une patrie, entendue au sens de ce que l’on aime dans son pays, de ce qui nous attache à lui, ce pays n’étant pas un territoire existant, mais un territoire rêvé, imaginaire et souhaité, la « terre promise ».

Nous avons vu que le mythe de la nation juive est bien celui d’une partie puisqu’elle a des citoyens, d’autre part celui d’une patrie sans territoire, instituée sans territoire et subsistant sans territoire, et enfin d’une patrie quasi éternelle, cette dernière idée infirmant la thèse d’une « pensée du malheur » chez Rousseau. Or, si l’on rapproche ces éléments, nous sommes tentés de dire que seule une patrie sans territoire peut subsister, selon ce principe que tout corps politique est mortel, ce qui confirme l’idée selon laquelle la question politique du territoire est fondamentale puisqu’une patrie sans territoire semble pouvoir durer toujours.

 

 

 

 

Conclusion

 

 

Le point de départ de notre étude consistait à replacer la question du territoire chez Rousseau à la place que lui attribue celui-ci, c'est-à-dire parmi les problèmes politiques. En effet, la question du territoire ne peut qu’être politique, dans la mesure où Rousseau ne définit pas le territoire seulement comme l’ensemble des terres contiguës appartenant aux membres d’une société civile, mais comme une totalité supérieure à cet ensemble sur lequel le souverain exerce son autorité et a un « droit éminent ». La question du territoire, essentiellement à travers celle de son étendue, constitue donc un problème politique en tant qu’il est la condition de possibilité de toute communauté politique : d’une part, c’est le territoire qui offre la condition première de la survie d’un peuple en lui fournissant les ressources naturelles nécessaires à sa subsistance, et d’autre part, c’est lui qui offre également la condition d’existence du gouvernement par le surplus qu’il produit, celui-ci pouvant déterminer dans une certaine mesure la forme du gouvernement lui-même. En outre, la question du territoire est en jeu dans des problèmes politiques spécifiques à la pensée de Rousseau, tels que l’efficacité du gouvernement, le lien social ou la légitimité du pouvoir législatif, ceux-ci ne se réduisant pas à la question du territoire mais l’intégrant en leur sein. Nous avons montré que Rousseau répond à ces problèmes politiques posés par le territoire et son étendue par une préférence accordée aux petits Etats pensés sur le modèle de la polis ou de la cité antiques. Ceci nous a amené à ouvrir notre étude, non plus seulement au problème politique, mais au problème historique que constitue le territoire. Or, il est paru clair que Rousseau ne recherche pas seulement dans la polis et la cité, des modèles d’Etats ayant des territoires de faible étendue. Il y recherche aussi et surtout des modèles d’Etats peuplés d’hommes vertueux vivant dans de bonnes institutions, c'est-à-dire des modèles de patrie, la patrie étant ce que l’on aime dans notre pays et qui nous attache à lui, ce qui n’est ni l’attachement au sol, ni le lien du sang, mais l’amour des institutions et des vertus. Ainsi, toutes les polis et toutes les cités ne constituent pas des modèles en soi pour Rousseau, seules quelques unes le sont dans la mesure où ce sont de véritables patries. Parmi celles-là, à leur sommet, figurent Sparte et Rome, dont Rousseau construit le « mythe » comme nous l’avons démontré avec Denise Leduc-Fayette, celui de Sparte étant privilégié par Rousseau, probablement du fait de son hellénisme hérité de Plutarque.

Nous nous sommes donc proposés, dans un deuxième temps, d’étudier le mythe rousseauiste de Sparte, en tant qu’il est le modèle du territoire comme patrie. Notre plan a été déterminé par Rousseau lui-même qui soutient que l’on ne peut pas avoir de patrie s’il n’y a pas de liberté, qu’il n’y a pas de liberté sans vertu, qu’il n’y a pas de vertu sans citoyen et que pour avoir des citoyens, il faut de bonnes institutions. Par conséquent, nous nous sommes attachés à étudier d’abord les vertus de Sparte en tant qu’elles sont nécessaires à l’effectuation de la liberté, elle-même indispensable pour qu’il y ait patrie, et ensuite à étudier les institutions de Sparte qui forment des citoyens sans lesquels il n’y a pas de vertu, donc de liberté et donc de patrie. Rousseau met l’accent sur deux vertus spartiates : la première est la valeur guerrière comme vertu défensive, et non conquérante, qui permet de se garantir du joug des autres peuples. La seconde, la frugalité, permet d’instaurer une bonne médiocrité, exigée pour l’effectuation de la liberté comprise comme indépendance vis-à-vis de tout particulier et dépendance à l’égard des lois ; ce culte rousseauiste de la frugalité est en opposition avec les thèses de la majorité des contemporains de Rousseau mais n’est cependant pas une position régressive. La seconde partie de cette étude sur le modèle de Sparte a été consacrée à ses institutions, conditions de la citoyenneté. Elles sont l’œuvre d’un homme exceptionnel par son génie et sa fonction, le législateur, Lycurgue, qui a réalisé un acte exceptionnel par sa dangerosité et sa rareté, changeant la nature des hommes pour en faire des citoyens. Dans cette perspective, nous avons examiné deux institutions spartiates caractéristiques du fait que les bonnes institutions doivent former des citoyens. La première institution est l’éducation qui doit être publique parce que la formation des citoyens constitue l’avenir de la patrie et qui doit être confiée à des magistrats modèles qui enseignent par l’exemple de leur vertu. La finalité de cette éducation est le mode de vie communautaire, c'est-à-dire que la fin de la vie de l’individu réside dans l’accomplissement de la communauté. Nous avons précisé que ce mode de vie communautaire n’est pas le signe que Sparte constitue un modèle totalitaire, puisque si la fin de l’individu réside dans l’accomplissement de la communauté, la fin de la communauté réside dans l’accomplissement de l’individu, puisque par nature il est fait pour devenir sociable. L’autre type d’institution est la fête spartiate, qui constitue une institution supérieure au théâtre authentique grec, car d’une part, elle érige la vie de la communauté en un spectacle vivant, dont les citoyens ne sont pas simplement les spectateurs mais les acteurs, et car d’autre part, à travers les jeux, elle transforme l’amour-propre en une saine « émulation » qui pousse chaque citoyen à être le meilleur, non par désir orgueilleux d’être préféré aux autres, mais pour le bien de la communauté. Cette étude du modèle antique de Sparte aura donc tenté de montrer que ce sont ses vertus nécessaires à la l’effectuation de la liberté et ses bonnes institutions nécessaires à la formation de citoyens dont la fin réside dans l’accomplissement pour et par la communauté, qui en font le modèle du territoire comme patrie.

Mais à ce point de notre travail, il restait à interroger ce modèle antique du territoire comme patrie à partir des autres modèles antiques de patrie que sont Rome et la nation juive, et à partir des fonctions qu’attribue Rousseau à ce mythe du territoire comme patrie et donc à partir de la place que ce mythe occupe dans l’économie globale de sa pensée. Nous nous sommes donc penchés en premier lieu sur l’autre modèle du territoire comme patrie, à savoir Rome. Nous avons vu que Rome, comme Sparte, n’est pas pour Rousseau un modèle en soi du fait qu’elle est une cité et donc un petit Etat. Si Rousseau en fait un modèle c’est parce qu’elle a été à un moment de son histoire une cité républicaine et surtout une patrie. Ainsi, comme pour Sparte, nous avons remonté la chaîne causale qui en fait une patrie : de la liberté en passant par la vertu, qui prend à Rome la forme de la vertu républicaine, puis par les citoyens, pour arriver aux institutions qui forment ceux-ci, œuvres du législateur Numa, dont nous avons vu un exemple avec la « pompe » romaine exaltant la grandeur de la patrie. Cet examen de Rome a montré que Sparte n’était pas un cas isolé dans l’histoire, et par suite, a renforcé l’idée de l’importance qu’a le modèle antique du territoire comme patrie dans la pensée de Rousseau. Mais il a également montré, notamment avec l’idée d’une plus grande liberté de mœurs chez les Romains, que Sparte n’est pas un modèle uniformisant et qu’il s’insère au contraire dans une pensée politique prenant en compte la multiplicité des cas historiques, et la particularité de chacun d’eux. Il était alors nécessaire de définir les fonctions que Rousseau attribue à ce modèle. A première vue, il semble que Rousseau attribue à ce mythe des territoires antiques, qui sont l’incarnation de ses principes politiques, une fonction critique, puisqu’il oppose, dans une histoire comparée, les modèles antiques de la patrie que sont Sparte et Rome aux Etats d’Europe de son époque. En effet, Rousseau, en opposant terme à terme les Etats d’Europe avec Rome et Sparte, critique, comme le montre Victor Goldschmidt, le prétendu cosmopolitisme de ses contemporains, qui cache en réalité une absence d’amour de la patrie. Et par suite, il critique le fait qu’il n’y a plus ni patrie ni citoyens dans le monde qui l’entoure. Mais, l’insistance de Rousseau à montrer que le mythe qu’il construit de ces territoires antiques comme patrie relève de l’histoire, et que Sparte et Rome ont été telles qu’il les décrit, nous a amené à l’idée selon laquelle Rousseau veut que l’on croit en son mythe, parce qu’il lui confie une tâche pratique, celle de rendre ses principes politiques effectifs dans son époque. En effet, si les hommes ne croient pas que Sparte et Rome ont existé telles qu’il les dépeint, il ne pourra échapper à la critique qui consiste, soit à faire de sa pensée politique une utopie, soit à en faire, comme Alexis Philonenko, une « pensée du malheur » déplorant ce que les hommes auraient pu être. Cette question d’une éventuelle « pensée du malheur », nous a confrontés à la question de savoir si Sparte et Rome, qui incarnent les meilleures constitutions forgées dans l’histoire et qui pourtant ont péri, ne révèlent pas, chez Rousseau, l’idée d’une impossibilité ou du moins d’une limite de l’action politique à remédier à la mortalité du corps politique, cette idée entraînant un renoncement de la part de Rousseau à toute volonté d’action politique. Or, nous avons pu montrer, grâce à l’étude d’Éliane Martin-Haag, que ces modèles antiques de Sparte et de Rome, en tant qu’ils sont mortels, n’indiquent pas une « pensée du malheur » mais une « théorie de la prudence ». Ces modèles de territoire comme patrie, enseignent, précisément par leur mortalité, dans quelle mesure il est possible de prolonger au maximum la vie d’un corps politique, par nature mortel, grâce à une bonne constitution. Ainsi que les travaux de Roger D. Masters le prouvent, Rousseau, à travers notamment le modèle de Sparte ou de Rome, énoncerait, au moyen des « maximes politiques » qui constituent la « science du législateur », quelles sont les conditions requises pour instituer un peuple ayant la constitution qui lui conviendrait le mieux. Nous avons vu que ces conditions sont extrêmement difficiles à rassembler, mais qu’elles l’ont toujours été et que par suite, les possibilités de constituer une Sparte ou une Rome comme patrie sont aussi rares aujourd’hui qu’avant, ici qu’ailleurs. Cependant, Rousseau défend l’idée que dans son Europe contemporaine, deux territoires, la Corse et la Pologne, peuvent devenir des patries grâce à une bonne législation et à des institutions pensées sur le modèle des patries antiques, c’est-à-dire non pas identiques aux leurs, mais pensées à partir d’elles, en se servant de l’instruction qu’offrent ces patries antiques quant aux moyens d’instaurer une législation et des institutions adaptées au « génie » du peuple en question. Nous avons noté que l’exemple de la Pologne révèle que la trop grande étendue du territoire n’est pas un obstacle insurmontable, puisque Rousseau propose d’y remédier avec notamment l’instauration du fédéralisme. Notre questionnement s’est conclu par l’étude du modèle de la patrie juive qui a justement la particularité d’être une patrie sans territoire. Nous avons vu, tout d’abord, que Rousseau retient que le peuple juif a été fondé alors qu’il n’avait pas de territoire, ce qui corrobore l’idée de Rousseau, selon laquelle le contrat social peut avoir lieu avant même que la future société civile possède un territoire et avoir cependant une constitution durable. Ensuite, nous avons montré que, selon Rousseau, le peuple juif, dispersé depuis des siècles à travers le monde, et donc sans « corps de nation », constitue cependant une nation. Cette subsistance de la nation, malgré la mort du « corps de nation », semble extraordinaire dans la mesure où tout corps politique est mortel. Cependant, Rousseau l’explique par le fait que le peuple juif possède deux vertus, l’« inaliabilité » et l’idolâtrie de la règle, qui ont permis à la nation juive d’être éparse parmi les autres nations sans s’y confondre. Enfin, nous avons tenté de démontrer que le mythe rousseauiste de la nation juive, en tant que modèle de patrie, constitue un modèle supérieur à ceux de Sparte et de Rome. En effet, contrairement à Sparte et à Rome, ses lois subsistent encore grâce au fait qu’elle a toujours des citoyens et que ceux-ci sont encore unis par un lien social. Ces trois éléments font d’elle non seulement une patrie, mais encore une patrie antique dans la modernité. Donc, si la patrie juive est un modèle supérieur, c’est parce qu’elle est en quelque sorte une patrie éternelle, contredisant ainsi l’idée selon laquelle l’ouvrage des hommes est par nature mortel. Mais ce modèle de la patrie juive est particulièrement intéressant quant à la problématique qui est la nôtre, celle du territoire. En effet, le mythe de la nation juive, construit par Rousseau, est celui d’une patrie de l’antiquité subsistant encore, pour ainsi dire éternelle, et c’est également celui d’une patrie qui n’a pas de territoire propre. Or, ces deux éléments mis en relation confirment que la question du territoire est déterminante dans la philosophie politique de Rousseau, puisque la seule patrie qui traverse l’histoire et semble éternelle, est justement celle qui n’a pas de territoire propre, en tous cas si l’on entend par là un espace physique aux frontières géographiques définies, c’est-à-dire celle qui n’a pas à résoudre tous les problèmes politiques que pose le territoire.

Nous souhaiterions clore ou plutôt ouvrir cette étude en rappelant que, malgré le fait que Rousseau croit en la possibilité d’instituer des patries sur le modèle antique, il n’en demeure pas moins que les hommes de son temps vivent et continueront à vivre pour la plupart, non dans des patries, mais dans des « pays ». Or, les territoires antiques de Sparte ou de Rome ne doivent pas pour autant cesser d’être des modèles, dans la mesure où les hommes doivent respecter le pays de leur naissance qui les a protégés et nourris, et pour cela doivent s’inspirer des citoyens des patries antiques, qui remplissaient leur devoir en rendant à la patrie ce qu’elle leur avait donné : « Si je te parlois des devoirs du Citoyen, tu me demanderois peut-être où est la patrie, et tu croirois m’avoir confondu. Tu te tromperois, pourtant, cher Emile, car qui n’a pas une patrie a du moins un pays. Il y a toujours un gouvernement et des simulacres de loix sous lesquels il a vécu tranquille. (…) où est l’homme de bien qui ne doit rien à son pays ? Ne dis donc pas : que m’importe où que je sois ? Il t’importe d’être où tu peux remplir tous tes devoirs, et l’un de ces devoirs est l’attachement pour le lieu de ta naissance »[421].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

A – Œuvres de Rousseau :

 

 

 

- ROUSSEAU, Jean-Jacques, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », 5 tomes (éd. sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond) :

                       

1- Confessions, autres textes autobiographiques, 2001, 1969 p.

                        2- La Nouvelle Héloïse, Théâtre – Poésie – Essais littéraires, 2000, 2051 p.

                        3- Du Contrat Social, Ecrits politiques, 2003, 1978 p.

                        4- Emile, Education – Morale – Botanique, 1999, 1958 p.

                        5- Ecrits sur la musique, la langue et le théâtre, 1995, 1928 p.

 

- ROUSSEAU, Jean-Jacques, Correspondance complète, tome XIX, Oxford, the Voltaire foundation, 1973, 355 p (éd. établie et annotée par R. A. Leigh).

 

 

 

B – Ouvrages consacrés à Rousseau :

 

                       

 

- CHARRAK, André, Le vocabulaire de Rousseau, Paris, Ellipses, 2002, 61 p.

 

- GOLDSCHMIDT, Victor, Anthropologie et politique, Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1983, 803 p.

 

- KRAFFT, Olivier, La politique de Jean-Jacques Rousseau : aspects méconnus, Paris, éd. Godefroy de Bouillon, 1997, 144 p.  

 

- LACOUE-LABARTHE, Philippe, Poétique de l’histoire, Paris, Galilée, 2002, 151 p.

 

- LEDUC-FAYETTE, Denise, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, Paris, Vrin, 1974, 194 p.

 

- LEPAN, Géraldine, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, J.-J. Rousseau, Paris, Ellipses, 1999, 62 p.

 

- MARTIN-HAAG, Éliane, « L’histoire dans Du contrat social de J.-J. Rousseau : philosophie du malheur ou théorie de la prudence ? », in Systématique et Iconographie du Temps, Saint-Étienne, éd. M. Groult, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 125-143.

 

- MARTIN-HAAG, Éliane, « Le discours généalogique et le problème de son statut », in Rousseau et la philosophie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 87-102.

 

- MASTERS, Roger D., La philosophie politique de Rousseau, Lyon, ENS Editions, 2002, 519 p, (traduit par Gérard Colonna d’Istria et Jean-Pierre Guillot).

 

- PHILONENKO, Alexis, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome III : « Apothéose du désespoir », Paris, Vrin, 1984.

 

- ROUSSEAU, Jean Jacques, Discours sur l’économie politique, Paris, Vrin, 2002, 224 p, (introduction et commentaire sous la direction de Bruno Bernardi).

 

                        - STAROBINSKI, Jean, Jean-Jacques Rousseau : La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, 1976, 457 p.

 

 

                       

C – Autres ouvrages :

 

 

 

- ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Paris, Vrin, 2001, 539 p, (traduction J. Tricot).

 

- GUSDORF, Georges, Mythe et métaphysique : introduction à la philosophie, Paris, Flammarion, 1953, 290 p.

 

- MACHIAVEL, Discours sur la première décade de Tite-Live, Paris, Gallimard, 2004, 575 p., (traduction d’Alessandro Fontana et Xavier Tabet).

 

- MONTESQUIEU, Œuvres Complètes, tome II : De l’Esprit des lois, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », 1951, 1809 p., (texte présenté et annoté par Roger Caillois).

 

- PESSONNEAUX, Émile, Dictionnaire Grec – Français, Paris, Librairie classique Eugène Belin, 1892, 1604 p.

 

- PLUTARQUE, Vies, tome I : « Thésée-Romulus – Lycurgue-Numa », Paris, Les Belles-Lettres, 1964, 243 p., (texte établi et traduit par Robert Flacelière, Émile Chambry et Marcel Juneaux).

 

- VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, Paris, Imprimerie nationale, 1994, 558 p.

 

                        - VOLTAIRE, Lettres philosophiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, 188 p.

 

                        - VOLTAIRE, Poésies, Paris, Les Belles-Lettres, 2003, 504 p.

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

INTRODUCTION……………………………………………………………………………..3

 

PREMIERE PARTIE :

LE TERRITOIRE, DU PROBLEME POLITIQUE AU PROBLEME HISTORIQUE

 

I - Le territoire et son étendue : un problème politique………………………………………..7

A/ Le territoire ou « territoire public » : une notion politique…………………………7

B/ Le territoire et le problème politique de la production de ressources naturelles nécessaires à la subsistance du peuple…………………………………………………9

C/ Le territoire et le problème politique de la production d’un surplus nécessaire à la subsistance du gouvernement…………………………………………………………12

D/ Raisons politiques de la préférence accordée aux petits Etats…………………….15

                      

II - Le territoire et la patrie antique : historicisation d’un problème politique……………….20

A/ L’instruction offerte par l’histoire antique : hommes vertueux et bonnes institutions…………………………………………………………………………….20

                        B/ La patrie : hommes vertueux et bonnes institutions……………………………….21

C/ Sparte et Rome : mythes de l’antiquité et modèles de la patrie……………………24

 

DEUXIEME PARTIE :

LE MODELE ANTIQUE DE SPARTE : LE TERRITOIRE COMME PATRIE

 

Introduction : la reconstruction du mythe de Sparte………………………………………….28

 

I – Les vertus de Sparte : conditions de la liberté ……………………………………………30

                        A/ Sparte, modèle de la polis vertueuse………………………………………............30

B/ La première vertu spartiate : la « valeur guerrière » ……………………………...34

                        1/ Dangerosité du mythe du héros guerrier …………………………………..34

2/ Dans quelle mesure la « valeur guerrière » peut-elle être une vertu ?..........35

3/ La « valeur guerrière » comme vertu défensive pour garantir sa liberté…...37

C/ La seconde vertu spartiate : la frugalité……………………………………………39

1/ La liberté comme indépendance vis à vis des autres hommes et obéissance à la loi…………………………………………………………………………...39

2/ Les conditions économiques de la liberté : l’égalité rousseauiste ou la médiocrité……………………………………………………………………..43

3/ Le problème de la propriété………………………………………………...45

4/ La frugalité, vertu permettant une bonne médiocrité nécessaire à la liberté……………………………………………………….............................49

                        5/ Une position régressive ?..............................................................................51

 

II- Les institutions de Sparte : conditions de la citoyenneté………………………………….55

A/ Le modèle du législateur : Lycurgue……………………………………………...55

                        1/ Le législateur : un homme extraordinaire…………………………………..56

                        2/ Un acte exceptionnel……………………………………………………….59

                        3/ Changer la nature des hommes : en faire des citoyens……………………..60

B/ L’éducation publique………………………………………………………………63

1/ Pourquoi l’éducation doit être publique dans une patrie et qui doit éduquer ?...........................................................................................................63

                        2/ Méthode et finalité de l’éducation publique.……………………………….64

                        3/ Sparte n’est pas un modèle totalitaire………………………………………65

C/ La fête à l’antique : du théâtre athénien aux jeux spartiates……………………….69

1/ Le modèle athénien des fêtes antiques : le théâtre…………………………70

                      2/ Le modèle spartiate des fêtes antiques : les jeux…………………………...75

 

TROISIEME PARTIE :

AUTRES MODELES ET FONCTIONS DU TERRITOIRE COMME PATRIE

 

I – Le modèle antique de Rome : l’autre modèle du territoire comme patrie………………...83

                        A/ Le mythe de Rome n’est pas celui de la cité mais de la cité républicaine………...83

B/ Rome comme modèle de la patrie : ses conditions de possibilité…………………84

 

II – Les fonctions et les limites du modèle du territoire antique comme patrie………………87

                        A/ Fonction critique : les modèles antiques de la patrie contre les Etats d’Europe…..87

B/ Pourquoi Rousseau construit un mythe et veut faire croire en une histoire……….92

C/ Sparte et Rome véhiculent-elles une « pensée du malheur » ?.................................95

                        D/ Fonction pratique : modèle pour une bonne législation…………………………..97 

 

III – Le modèle de la patrie juive : la patrie sans territoire ou la patrie éparse parmi les autres nations……………………………………………………………………………………….102

A/ Un peuple fondé sans territoire possédant pourtant une institution « durable »…103

B/ Une nation sans « corps de nation » subsistant grâce à deux vertus : l’« inaliabilité » et l’idolâtrie de la règle……………………………………………………………...104

C/ Supériorité du mythe de la nation juive sur les mythes de Sparte et Rome……...................................................................................................................107

 

CONCLUSION……………………………………………………………………………...109

 

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………..116

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Notre édition de référence est la suivante : Jean-Jacques Rousseau, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », 5 tomes, (éd. sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond). Nous donnerons uniquement le titre de l’œuvre suivi des références abrégées.

[2] Du Contrat social, l. I, ch. IX, O.C. III, p. 365-367.

[3] Émile, l. V, O.C. IV, p. 841.

[4] Du Contrat social, l. I, ch. VIII, O.C. III, p. 367.

[5] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 263.

[6] Du Contrat social, l. II, ch. VIII à X, O.C. III, p. 384-391.

[7] Du Contrat social, première version, l. II, ch. III, O.C. III, p. 318-326.

[8] Du Contrat social, l. II, ch. VIII, O.C. III, p. 384-385.

[9] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, Lyon, ENS Editions, 2002, traduit par Gérard Colonna d’Istria et Jean-Pierre Guillot. p. 421-471.

[10] Ibid., p. 421.

[11] Ibid., p. 421-425.

[12] Ibid., p. 426-433.

[13] Ibid., p. 425.

[14] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 426-427.

[15] Du Contrat social, l. II, ch. X, O.C. III, p. 388-389.

[16] Ibid., p. 389.

[17] Du Contrat social, l. II, ch. X, O.C. III, p. 389-390.

[18] Emile Pessonneaux, Dictionnaire Grec – Français, Paris, Librairie classique Eugène Belin, 1892, p. 1577.

[19] Histoire du Gouvernement de Genève, l. I, O.C. V, p. 516-517.

[20] Histoire du Gouvernement de Genève, l. I, O.C. V, p. 516-517.

[21] Du Contrat social, l. III, ch. VIII, O.C. III, p. 414-419.

[22] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 428.

[23] Du Contrat social, l. III, ch. VIII, O.C. III, p. 414.

[24] Ibid.

[25] Ibid.

[26] Ibid., p. 416.

[27] Ibid., p. 416-418.

[28] Ibid., p. 415-416.

[29] Voir Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 430.

[30] Du Contrat social, l. III, ch. VIII, O.C. III, p. 418.

[31] Voir Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 430.

[32] Ibid., p. 431.

[33] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 392 ; l. III, ch. IX p. 419 ; l. III, ch. XV, p. 430-431.

[34] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 393.  

[35] Du Contrat social, l. II, ch. IX, O.C. III, p. 386.

[36] Ibid.

[37] Du Contrat social, l. II, ch. IX, O.C. III, p. 387.

[38] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [V], O.C. III, p. 970.

[39] Du Contrat social, première version, l. II, ch. III, O.C. III, p. 322.

[40] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [V], O.C. III, p. 970.

[41] Du Contrat social, l. II, ch. IX, O.C. III, p. 388.

[42] Ibid.

[43] Ibid.

[44] Du Contrat social, l. II, ch. IX, O.C. III, p. 388.

[45] Du Contrat social, première version, l. II, ch. III, O.C. III, p. 325.

[46] Ibid.

[47] Du Contrat social, l. II, ch. IX, O.C. III, p. 386.

[48] Ibid. p. 387. C’est nous qui soulignons.

[49] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [V], O.C. III, p. 970.

[50] Émile, l. V, O.C. IV, p. 844. 

[51] Du Contrat social, l. III, ch. XIII, O.C. III, p. 426-427.

[52] Du Contrat social, l. III, ch. XV, O.C. III, p. 429-430.

[53] Du Contrat social, première version, l. II, ch. III, O.C. III, p. 322.

[54] Du Contrat social, l. III, ch. XIII, O.C. III, p. 426-427.

[55] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « Dédicace », O.C. III, p. 111-112.

[56] La Nouvelle Héloïse, I, XII, O.C. II, p. 60.

[57] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 538.

[58] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome III, 2003, note 2 de la page 538, p. 1536.

[59] Considération sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956.

[60] Fragments politiques, XI, « [De la patrie] », O.C. III, p. 534-537.

[61] Fragments politiques, XI, « [De la patrie] », O.C. III, p. 534.

[62] Ibid., p. 535.

[63] Ibid.

[64] Ibid.

[65] Ibid., p. 534.

[66] Fragments politiques, XI, « [De la patrie] », O.C. III, p. 535-536.

[67] Jean-Jacques Rousseau, Correspondance complète, tome XIX, Oxford, the Voltaire foundation, 1973, édition établie et annotée par R. A. Leigh, p. 190.

[68] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome III, 2003, note 1 de la page 536, p. 1535.

[69] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 538-543.

[70] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, Paris, Vrin, 1974, p. 13, 14, 28 .

[71] Voir l’ouvrage de Denise Leduc-Fayette, op. cit., p. 19-28, qui en donne un bon aperçu : Plutarque ; des historiens grecs et romains tels Thucydide, Hérodote, Tite-Live, Polybe, Salluste, Suétone, Tacite… ; Homère ; les poètes tels Ovide, Virgile, Horace, Perse, Lucain, Juvénal, Lucrèce ; les philosophes tels Platon, Aristote, Sénèque, Diogène…

[72] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., en particulier p. 28-30 et p. 12-14.

[73] Les Confessions, seconde partie, l. IX, O.C. I, p. 427.

[74] Les Confessions, seconde partie, l. VIII, O.C. I, p. 356.

[75] Rousseau juge de Jean Jaques, Deuxième dialogue, O.C. I, p. 819 : « Les hommes illustres de Plutarque furent sa prémiére lecture (…) ».

[76] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « Dédicace », O.C. III, p. 117-118 : « Je ne me rappelle point sans la plus douce émotion la memoire du vertueux Citoyen de qui j’ai reçu le jour (…). Je vois Tacite, Plutarque et Grotius, mêlés devant lui avec les instrumens de son métier ».

[77] La Nouvelle Héloïse, I, XII, O.C. II, p. 60. Rousseau dit à travers Saint-Preux que la Suisse « est un pays libre et simple, où l’on trouve des hommes antiques dans les tems modernes ».

[78] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit. , p. 15.

[79] Ibid., p. 29.

[80] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 259.

[81] François Ollier, Le mirage spartiate. Etude sur l’idéalisation de Sparte dans l’antiquité grecque, de l’origine jusqu’aux cyniques, Paris, De Boccard, 1933. Et également Le mirage spartiate. Etude sur l’idéalisation de Sparte dans l’antiquité grecque, du début de l’école cynique jusqu’à la fin de la cité, Paris, Les Belles-Lettres, 1943. Cité dans Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., en particulier p. 71-72.

[82] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 72-73.

[83] Fragments politiques, XIII, « [Histoire de Lacédémone] », O.C. III, p. 547.

[84] Ibid., p. 544-548.

[85] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 538-543.

[86] Ibid., p. 541.

[87] Du Contrat social, l. I, ch. VI, O.C. III, p. 361. C’est Rousseau qui souligne.

[88] Ibid.

[89] Discours sur les Sciences et les Arts, O.C. III, p. 5-30.

[90] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 19.

[91] Observations de J.-J. Rousseau, sur la Réponse à son Discours [Réponse à Stanislas], O.C. III, p. 49.

[92] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 12.

[93] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 22.

[94] Dernière réponse de J.-J. Rousseau [à Bordes], O.C. III, p. 72.

[95] Lettre de J.-J. Rousseau à M. Grimm, O.C. III, p. 64.

[96] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 12.

[97] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 24.

[98] Émile, l. IV, O.C. IV, p. 601.

[99] Narcisse, « Préface », O.C. II, p. 970.

[100] Fragments divers, 4, O.C. II, p. 1321.

[101] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 30.

[102] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 12-13.

[103] Ibid.

[104] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 6.

[105] Ibid., p. 13-14.

[106] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 24.

[107] Du Contrat social, première version, l. II, ch. VI, O.C. III, p. 333.

[108] Discours sur cette question : Quelle est la vertu la plus nécessaire au héros et quels sont les héros à qui cette vertu a manqué ?, O.C., II, p. 1262-1274. Que nous appelons plus commodément Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros.

[109] Ibid, p. 1262.

[110] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome II, 2000, p. CII.

[111] Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros, O.C. II, p. 1262.

[112] Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros, O.C. II, p. 1265-1270.

[113] Ibid., p. 1269-1270.

[114] Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros, O.C. II, p. 1270.

[115] Ibid., p. 1272-1273.

[116] Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros, O.C. II, p. 1272-1274.

[117] Il faut mettre cette critique de la délégation quant à la défense de la patrie en parallèle avec la critique de la délégation quant au pouvoir législatif, c’est-à-dire avec la critique des représentants. Il y a des devoirs qui ne peuvent être délégués, ce sont ceux qui mettent en cause la liberté, qui concernent la défense de la liberté : déléguer ces devoirs c’est abdiquer sa liberté.

[118] Dernière réponse de J.-J. Rousseau [à Bordes], O.C. III, p. 82.

[119] Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros, O.C. II, p. 1272.

[120] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 542.

[121] Remarques sur les « Lettres sur les Anglois et les François » de Beat de Muralt, 15, O.C. II, , p. 1319.

[122] Fragments politiques, XIV, 2, O.C. III, p. 549.

[123] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 20.

[124] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 543.

[125] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 82.

[126] Émile, l. II, O.C. IV, p. 311.

[127] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome III, 2003, note 1 de la page 364, p. 1449.

[128] André Charrak, Le vocabulaire de Rousseau, Paris, Ellipses, 2002,  p. 26.

[129] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, I, O.C. III, p. 142 : « Ce n’est (…) pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre ».

[130] Émile, l. IV, O.C. IV, p. 576-578.

[131] La Nouvelle Héloïse, VI, VII, O.C. II, p. 683.

[132] André Charrak, Le vocabulaire de Rousseau, op. cit.,  p. 26. C’est lui qui souligne.

[133] Du Contrat social, l. I, ch. IV, O.C. III, p. 356.

[134] Émile, l. II, O.C. IV, p. 311.

[135] Lettres écrites de la montagne, Huitième lettre, O.C. III, p. 842.

[136] Émile, l. II, O.C. IV, p. 311.

[137] Ibid.

[138] Du Contrat social, l. I, ch. VIII, O.C. III, p. 365.

[139] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 391.

[140] Du Contrat social, l. I, ch. VIII, O.C. III, p. 364-365.

[141] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 391.

[142] Ibid.

[143] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, I, O.C. III, p. 131 : l’inégalité « naturelle ou Phisique, (…) est établie par la Nature, et (…) consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du Corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’Ame ».

[144] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « Notes », O.C. III, p. 222.

[145] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 391-392.

[146] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 189. : « (…) la richesse est la dernière [des inégalités] à laquelle elles se réduisent à la fin, parce que (…) on s’en sert aisément pour acheter tout le reste ».

[147] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 391-392.

[148] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 175.

[149] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 392.

[150] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 258.

[151] Du Contrat social, l. II, ch. XI, O.C. III, p. 392.

[152] Du Contrat social, l. I, ch. IX, note*, O.C. III, p. 367.

[153] Plutarque, Vies, t. I : « Thésée-Romulus – Lycurgue-Numa », Paris, Les Belles-Lettres, 1964, texte établi et traduit par Robert Flacelière, Émile Chambry et Marcel Juneaux, 8, 3, p. 130.

[154] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, I, O.C. III, p. 147. « Dans cet état primitif, n’ayant ni maison, ni cabane, ni propriété d’aucune espèce (…) »

[155] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 164 : « (…) avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature ».

[156] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 167.

[157] Ibid., p. 169.

[158] Ibid., p. 171-172.

[159] Voir Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique, Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1983, en particulier p. 417-418.

[160] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 164.

[161] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 263.

[162] Du Contrat social, l. I, ch. IX, O.C. III, p. 365-367.

[163] Fragments politiques, III, 5, O.C. III, p. 483.

[164] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 164.

[165] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 164.

[166] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 263.

[167] Du Contrat social, l. I, ch. VIII, O.C. III, p. 364-365.

[168] Du Contrat social, l. I, ch. IX, O.C. III, p. 365-367.

[169] Ibid.

[170] Du Contrat social, l. I, ch. VIII, O.C. III, p. 367.

[171] Émile, V, O.C. IV, p. 841.

[172] Ibid.

[173] Du Contrat social, l. II, ch. VI, O.C. III, p. 379.

[174] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 258.

[175] Fragments politiques, VII, O.C. III, p. 517 : lorsque les peuples de l’antiquité « commencérent à dégénérer, que la vanité et l’amour du plaisir eurent succedé à celui de la patrie et de la vertu, alors le vice et la molesse pénétrérent de toutes parts, et il ne fut plus question que de Luxe et d’argent pour y satisfaire. Les particuliers s’enrichirent, le commerce et les arts fleurirent et l’Etat ne tarda pas à périr ».

[176] Aristote, Ethique à Nicomaque, Paris, Vrin, 2001, taduction de J. Tricot, II, 5, p. 105.

[177] Ibid., I, 13, p. 80-86.

[178] Ibid., II, 5, p. 104.

[179] Ibid., II, 1, p. 87-90.

[180] Ibid., II, 5, p. 105.

[181] Aristote, Ethique à Nicomaque, op. cit., X, 10, p. 522-532.

[182] Dernière réponse de J.-J. Rousseau [à Bordes], O.C. III, p. 83.

[183] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 79.

[184] Voir Voltaire, Lettres philosophiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, X, « Sur le commerce », p. 66 : « Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres (…) ; de là s’est formée la grandeur de l’Etat ».

[185] Voir Voltaire, Poésies, Paris, Les Belles-Lettres, 2003, « Défense du mondain ou l’Apologie du luxe », vers 97-98, p. 126 : « N’allez donc pas, avec simplicité, / Nommer vertu ce qui fut pauvreté. » et également Voltaire, Dictionnaire philosophique, Paris, Imprimerie nationale, 1994, article « Luxe », p. 342 : « Quel bien Sparte fit-elle à la Grèce ? eut-elle jamais des Démosthène, des Sophocle, des Apelle, et des Phidias ? Le luxe d’Athènes a fait de grands hommes en tout genre (…) ».

[186] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 81.

[187] Observations de J.-J. Rousseau, sur la Réponse à son Discours [Réponse à Stanislas], O.C. III, p. 42.

[188] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 81.

[189] Voir Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’économie politique, Paris, Vrin, 2002, édition, introduction et commentaire sous la direction de Bruno Bernardi, p. 7-36.

[190] Jean-Claude Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique : XVIIe – XVIIIe siècle, Paris, EHESS, 1992, p. 63-95. Cité dans Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’économie politique, Paris, Vrin, 2002, Edition, introduction et commentaire sous la direction de Bruno Bernardi, p. 7-36.

 

[191] Discours sur l’Economie politique, O.C. III, p. 259.

[192] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 957.

[193] Notons que, pour Rousseau, la figure du Législateur a été également incarnée dans l’histoire antique par Numa, dont nous parlerons au sujet de Rome, ou encore par Moïse, dont il est question dans les Fragments politiques, IV, 24 et 26, O.C. III, p. 499-500.

[194] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 381.

[195] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., ch. 8, p. 404-471. Nous ne nous référons pour l’instant qu’à la première partie de ce chapitre consacrée à « la fondation ».

[196] Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Paris, Gallimard, 2004, traduction d’Alessandro Fontana et Xavier Tabet, 1. I, ch. 9, p. 92.

[197] Voir sur cette question  Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., en particulier p. 411-420.

[198] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 382.

[199] Ibid., p. 381.

[200] Ibid.

[201] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., en particulier p. 405-410.

[202] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 382.

[203] Ibid., p. 383.

[204] Du Contrat social, l. III, ch. XV, O.C. III, p. 430.

[205] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., en particulier p. 406.

[206] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « Dédicace », O.C. III, p. 114.

[207] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 382.

[208] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., en particulier p. 407.

[209] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 382.

[210] Ibid., p. 383.

[211] Ibid., p. 384.

[212] Du Contrat social, l. II, ch. VII, p. 384.

[213] Du Contrat social, l. IV, ch. VIII, p. 460.

[214] Du Contrat social, l. IV, ch. VIII, p. 468-469.

[215] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II, O.C. III, p. 180.

[216] Du Contrat social, l. II, ch. VIII, O.C. III, p. 385.

[217] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 381.

[218] Du Contrat social, première version, l. I, ch. V, O.C. III, p. 297.

[219] Discours sur la vertu la plus nécessaire au héros, O.C. II, p. 1267-1268.

[220] Voir Plutarque, Vies, t. I : « Thésée-Romulus – Lycurgue-Numa », op. cit., 24, 1, p. 155 : « Personne n’était libre de vivre à sa guise.  La ville était comme un camp où ils menaient un genre de vie fixé par la loi en s’employant au service de l’Etat. Ils étaient entièrement convaincus qu’ils appartenaient non pas à eux-mêmes, mais à la patrie ». Ou encore, 25, 5, p. 156 : « (…) [Lycurgue] accoutumait les citoyens a ne pas vouloir ni savoir vivre en leur particulier, à toujours faire corps, ainsi que des abeilles, avec la communauté, comme pelotonnés tous ensemble autour du chef et à sortir d’eux-mêmes en quelque sorte sous l’effet de l’enthousiasme et du zèle pour se donner tout entiers à leur patrie ».

[221] Voir Plutarque, Vies, t. I : « Thésée-Romulus – Lycurgue-Numa », op. cit., 10, 1, p. 132-133.

[222] Émile, l. I, O.C. IV, p. 249.

[223] Ibid.

[224] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 259.

[225] Émile, l. I, O.C. IV, p. 250.

[226] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 87.

[227] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 259-261.

[228] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 261.

[229] Ibid., p. 259-261.

[230] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 96-98.

[231] Taine, L’Ancien Régime, Paris, 1876, p. 289-290. Cité dans Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 97.

[232] Léon Duguit, « J.-J. Rousseau, Kant et Hegel », in Revue du Droit public et de la Science politique, n° 2-3, avril-septembre 1918, p. 178. Cité dans Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 97.

[233] Jacob L. Talmon, Les origines de la démocratie totalitaire, Paris, traduction française Calmann-Lévy, 1966, p. 66. Cité dans Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 97-98.

[234] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 96.

[235] Ibid., p. 87. C’est nous qui soulignons.

[236] Émile, l. I, O.C. IV, p. 249.

[237] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 256.

[238] Ibid., p. 256-257.

[239] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 257.

[240] Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, Paris, Vrin, 1984, tome III : « Apothéose du désespoir », chap. II, « De la bonne intégration , théorie fondamentale de la volonté générale », p. 25-44.

[241] Du Contrat social, l. II, ch. III, O.C. III, p. 371.

[242] Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome III, op. cit. p. 31. C’est lui qui souligne.

[243] Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome III, op. cit. p. 34. C’est lui qui souligne.

[244] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 101. Elle consacre la troisième partie de son ouvrage à cette question, p. 117-137.

[245] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958.

[246] Ibid.

[247] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 123.

[248] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958.

[249] Ibid.

[250] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 12.

[251] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 125.

[252] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 114.

[253] Ibid., p. 72.

[254] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958.

[255] Ibid., p. 962.

[256] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 16.

[257] Ibid., p. 72.

[258] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 72.

[259] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [III], O.C. III, p. 963.

[260] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 15 : « (…) tout amusement inutile est un mal ».

[261] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 71.

[262] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958.

[263] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 71.

[264] Ibid., p. 72.

[265] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958.

[266] Philippe Lacoue-Labarthe, Poétique de l’histoire, Paris, Galilée, 2002, deuxième partie : « Le théâtre antérieur », p. 67-138.

[267] Lettre à M. d’Alembert, O.C., V, p. 20 : « toutes les passions sont sœurs, (…) les combattre l’une par l’autre n’est qu’un moyen de rendre le cœur plus sensible à toutes (…) Le seul instrument qui serve à les purger est la raison, et (…) la raison n’[a] nul effet au théâtre »

[268] Ibid., p. 23-24.

[269] Ibid., p. 25.

[270] Ibid., p. 29-30.

[271] Ibid., p. 31.

[272] Lettre à M. d’Alembert, O.C., V, p. 71.

[273] Philippe Lacoue-Labarthe, Poétique de l’histoire, op. cit., p. 123.

[274] Lettre à M. d’Alembert, O.C., V, p. 72.

[275] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome V, 1995, note 2 de la page 72, p. 1350.

[276] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 114-116.

[277] Philippe Lacoue-Labarthe, Poétique de l’histoire, op. cit., p. 124-138.

[278] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 72 : « Ces grands et superbes spectacles (…) n’offroient (…) que des combats, des victoires, des prix, des objets capables d’inspirer aux Grecs une ardente émulation (…) ».

[279] Ibid., p. 115.

[280] Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : La transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, 1976, p. 120.

[281] Philippe Lacoue-Labarthe, Poétique de l’histoire, op. cit., p. 84.

[282] Ibid., p. 124-138.

[283] Lettre à M. d’Alembert, O.C., V, p. 124.

[284] Ibid., p. 123. C’est nous qui soulignons.

[285] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 131.

[286] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 122.

[287] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 122.

[288] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « Notes », O.C. III, p. 219.

[289] Géraldine Lepan, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, J.-J. Rousseau, Paris, Ellipses, 1999, p. 48.

[290] Ibid.

[291] Rousseau juge de Jean Jaques, Deuxième dialogue, O.C. I, p. 789-790.

[292] Géraldine Lepan, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, J.-J. Rousseau, op. cit., p. 48.

[293] Géraldine Lepan, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, J.-J. Rousseau, op. cit., p. 48.

[294] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 72.

[295] Ibid.

[296] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958.

[297] Ibid.

[298] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 962-963.

[299] Lettre à M. d’Alembert, O.C. V, p. 124. Souligné par Rousseau.

[300] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 136.

[301] Ibid., p. 130-131.

[302] Georges Gusdorf, Mythe et métaphysique : introduction à la philosophie, Paris, Flammarion, 1953, p. 80.

[303] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 131.

[304] Philippe Lacoue-Labarthe, Poétique de l’histoire, op. cit., , p. 125.

[305] Fragments divers, fragment 19, O.C. II, p. 1324.

[306] Dernière réponse de J.-J. Rousseau [à Bordes], O.C. III, p. 76.

[307] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 105.

[308] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 259.

[309] Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « Dédicace », O.C. III, p. 113.

[310] Ibid., p. 112.

[311] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 543.

[312] Montesquieu, De l’Esprit des lois, Œuvres Complètes, t. II, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », 1951, l. XIX, ch. III, p. 557-558.

[313] Montesquieu, De l’Esprit des lois, op. cit., l. XIX, ch. XIV, p. 564-565.

[314] Du Contrat social, première version, O.C. III, p. 283.

[315] Montesquieu, De l’Esprit des lois, op. cit., l. V, ch. II, p. 274.

[316] Discours sur l’économie politique, O.C. III, p. 254.

[317] Du Contrat social, l. II, ch. III, O.C. III, p. 371.

[318] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 957.

[319] Essai sur l’origine des Langues, O.C. V, p. 376.

[320] Émile, l. IV, O.C. IV, p. 647.

[321] Ibid.

[322] Discours sur les Sciences et les Arts, O.C. III, p. 5-30.

[323] Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique, Les principes du système de Rousseau, op. cit., en particulier p. 594-605.

[324] Ibid., p. 597. C’est lui qui souligne.

[325] Émile, l. IV, O.C. IV , p. 543.

[326] Émile, l. I, O.C. IV , p. 249.

[327] Du Contrat social, première version, l. I, ch. II, O.C. III, p. 287.

[328] Du Contrat social, première version, l. II, ch. IV, O.C. III, p. 339.

[329] Émile, l. I, O.C. IV, p. 250.

[330] Du Contrat social, l. IV, ch. VIII, p. 464-467.

[331] Émile, l. I, O.C. IV, p. 250.

[332] Du Contrat social, l. III, ch. XV, O.C. III, p. 428-431.

[333] Émile, V, O.C. IV, p. 857.

[334] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], p. 958-959.

[335] Du Contrat social, l. III, ch. XV, O.C. III, p. 429-431.

[336] Fragments politiques, XII, « [Parallèle entre les deux Républiques de Sparte et de Rome] », O.C. III, p. 540. C’est nous qui soulignons.

[337] Éliane Martin-Haag, « L’histoire dans Du contrat social de J.-J. Rousseau : philosophie du malheur ou théorie de la prudence ? », in Systématique et Iconographie du Temps, Saint-Étienne, éd. M. Groult, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 125-143, en particulier p. 134.

[338] Discours sur les Sciences et les Arts, I, O.C. III, p. 7.

[339] Ibid., p. 9.

[340] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 22.

[341] Du Contrat social, l. III, ch. XV, O.C. III, p. 428-429.

[342] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 20.

[343] Ibid., p. 26.

[344] Émile, l. V, O.C. IV, p. 857.

[345] Émile, l. II, O.C., IV, p. 250.

[346] Discours sur les Sciences et les Arts, II, O.C. III, p. 24.

[347] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 958-959.

[348] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956.

[349] Lettres écrites de la Montagne, « Neuvième Lettre », O.C. III, p. 881.

[350] Émile, l. II, O.C. IV, p. 415.

[351] Éliane Martin-Haag, « Le discours généalogique et le problème de son statut », in Rousseau et la philosophie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 87-102.

[352] Les Rêveries du Promeneur solitaire, « Quatrième promenade », O.C. I, p. 1024-1039.

[353] Fragments politiques, XIII, « [Histoire de Lacédémone] », O.C. III, p. 545.

[354] Denise Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, op. cit., p. 12.

[355] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome IV, 1999, p. XII.

[356] Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome III : « Apothéose du désespoir », op. cit., p. 23.

[357] Fragments politiques, XIII, « [Histoire de Lacédémone] », O.C. III, p. 544.

[358] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956.

[359] Fragments politiques, XIII, « [Histoire de Lacédémone] », O.C. III, p. 545.

[360] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956.

[361] Fragments divers, 14, O.C. II, p. 1323.

[362] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956.

[363] Fragments politiques, XIII, « [Histoire de Lacédémone] », O.C. III, p. 546.

[364] Du Contrat social, l. III, ch. XII, O.C. III, p. 425.

[365] Voir Œuvres Complètes de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, « coll. Bibliothèque de la Pléiade », tome III, 2003, p. XXXVII.

[366] Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome III : « Apothéose du désespoir », op. cit., en particulier p. 48 et p. 65.

[367] Du Contrat social, l. III, ch. XI, O.C. III, p. 424.

[368] Alexis Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome III : « Apothéose du désespoir », op. cit., p. 65.

[369] Éliane Martin-Haag, « L’histoire dans Du contrat social de J.-J. Rousseau : philosophie du malheur ou théorie de la prudence ? », in Systématique et Iconographie du Temps, op. cit., p. 125-143.

[370] Ibid., p. 126.

[371] Du Contrat social, l. III, ch. XI, O.C. III, p. 424.

[372] Éliane Martin-Haag, « L’histoire dans Du contrat social de J.-J. Rousseau : philosophie du malheur ou théorie de la prudence ? », in Systématique et Iconographie du Temps, op. cit., p. 128.

[373] Ibid., en particulier p. 134-141.

[374] Du Contrat social, l. III, ch. XI, O.C. III, p. 424.

[375] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 422-425.

[376] Ibid., p. 422.

[377] Ibid. Voir Discours sur les sciences et les arts, p. 9-12 et 20 ; Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, p. 187, 191, note X p. 212-214 ; Du contrat social, p. 391, 425-426 ; Considérations sur le gouvernement de Pologne, p. 954. Projet de constitution pour la Corse, p. 902.

[378] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 422-423.

[379] Du Contrat social, l. II, ch. VIII à X, O.C. III, p. 384-391.

[380] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 421-425.

[381] Ibid., p. 426-433.

[382] Ibid., p. 425.

[383] Ibid., p. 423.

[384] Du Contrat social, l. II, ch. VIII, O.C. III, p. 385.

[385] Ibid.

[386] Ibid., p. 386.

[387] Du Contrat social, l. II, ch. X, O.C. III, p. 390-391.

[388] Ibid., p. 390.

[389] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 423-424.

[390] Du Contrat social, l. II, ch. VIII, O.C. III, p. 385.

[391] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 424.

[392] Du Contrat social, l. II, ch. X, O.C. III, p. 390.

[393] Roger D. Masters, La philosophie politique de Rousseau, op. cit., p. 425.

[394] Du Contrat social, l. II, ch. X, O.C. III, p. 390-391.

[395] Ibid., p. 391.

[396] Ibid.

[397] Projet de constitution pour la Corse, O.C. III, p. 902.

[398] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 959.

[399] Ibid., [III], O.C. III, p. 959.

[400] Ibid.

[401] Ibid., [IV], O.C. III, p. 966.

[402] Ibid., [III], O.C. III, p. 962.

[403] Ibid., [V], O.C. III, p. 970-971.

[404] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [V], O.C. III, p. 971.

[405] Olivier Krafft, La politique de Jean-Jacques Rousseau : aspects méconnus, Paris, éd. Godefroy de Bouillon, 1997, p. 119-124.  

[406] Fragments politiques, IV, 24, « [Des Juifs] », O.C. III, p. 499-500.

[407] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956-957.

[408] Fragments politiques, IV, 24, « [Des Juifs] », O.C. III, p. 499-500.

[409] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956.

[410] Fragments politiques, IV, 24, « [Des Juifs] », O.C. III, p. 499.

[411] Ibid.

[412] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956-957.

[413] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 956-957.

[414] Ibid.

[415] Du Contrat social, l. IV, ch. VIII, O.C. III, p. 468.

[416] Du Contrat social, l. II, ch. VII, O.C. III, p. 384.

[417] Du Contrat social, l. IV, ch. VIII, O.C. III, p. 460-461.

[418] Considérations sur le Gouvernement de Pologne, [II], O.C. III, p. 957.

[419] Fragments politiques, IV, 24, « [Des Juifs] », O.C. III, p. 499.

[420] Ibid.

[421] Emile, l. V, O.C. IV, p. 858.