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Rêves de bonheur - Art social et gauche française (1830-1850)
Neil McWilliam
Les presses du réel - Works in society (French)
 
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION

Dans l’encart annonçant son Journal de la société de 1789, publié au cours de l’été 1790, le philosophe Condorcet appelle de ses voeux l’élaboration d’un art social. Inventé pour désigner le troisième volet d’un ensemble comprenant également une science sociale et des mathématiques sociales, le terme désigne l’organisation rationnelle de la vie en collectivité selon les principes de la nature humaine, afin d’assurer le plus grand bonheur possible au plus grand nombre (1). Un siècle plus tard, en novembre 1891, l’expression est devenue le titre d’un nouveau mensuel publié sous l’égide du Club de l’art social, une organisation de tendance anarchiste qui a pour but de forger une alliance culturelle en vue de provoquer un changement révolutionnaire. Forts du principe selon lequel « l’artiste doit s’efforcer d’étudier le milieu social… il doit tendre à tout ce qui est la science, la lumière, la raison, la justice, l’humanité (2) », les partisans de ce nouvel art partagent la foi de Condorcet dans le rationalisme garant du progrès social, conviction qui continuera à les unifier au-delà de leurs divergences idéologiques. Au cours des cent années écoulées, cependant, la notion même d’art social a évolué de manière radicale. Le concept relativement abstrait inventé par la science politique à la fin du siècle des Lumières est devenu une véritable ambition culturelle (3). Le souci de rénovation sociale demeure au coeur du projet, mais l’artiste doit désormais se faire le champion des idéaux progressistes et rejoindre l’élan réformateur.

C’est dans les années 1830 que la notion d’art social prend son essor dans les cercles radicaux : l’idéologie s’empare de la culture, qui est enrôlée dans le combat en faveur d’un nouvel ordre politique (4). Bien qu’inspirée d’une longue tradition à la fois théorique et pratique reconnaissant la contribution de l’art à la science du gouvernement, c’est sous la monarchie de Juillet que le plaidoyer en faveur d’une esthétique sociale acquiert une nouvelle dimension grâce à l’intervention d’une génération de théoriciens accomplis comptant parmi les plus farouches opposants au régime. À cet égard, l’art social fait partie intégrante de l’histoire culturelle du milieu du XIXe siècle, car il fournit un élan décisif à des initiatives radicales en littérature et dans les arts plastiques. Il contribue en outre à éclairer certains aspects de l’évolution de la théorie politique à un moment crucial de la formation de l’État capitaliste moderne. Nous essayerons de montrer que ce mouvement en apparence marginal ouvre de riches perspectives et permet d’aborder sous un nouvel angle les dimensions et les aspirations de personnages tels que Saint-Simon et ses disciples, les fouriéristes et les républicains, qui posèrent les fondations du progressisme post-révolutionnaire.

L’objectif principal de cette étude, cependant, est de proposer une analyse des diverses manières d’aborder et de comprendre les arts plastiques au milieu XIXe siècle, sur une période couvrant plusieurs décennies. Elle s’intéresse d’abord et avant tout à la relation entre deux types de discours apparemment divergents : la théorie politique et la critique d’art. Nous tenterons d’analyser ce qui a permis d’assigner à l’art un éventail particulier d’obligations et de potentialités sociales dans le cadre d’un discours théorique le plus souvent abstrait, mais également la façon dont ce langage fut adapté afin d’évaluer de manière pragmatique la production artistique de l’époque. Nous étudierons ainsi les stratégies mises en place par divers groupes politiques pour analyser le Salon de Paris, événement prestigieux qui s’inscrit au coeur des débats concernant la vitalité culturelle de la nation, mais aussi de réflexions de portée plus générale sur l’influence de l’artiste sur l’opinion et son rôle potentiel au sein du mouvement réformateur radical. Comme nous le verrons, ces jugements de valeur trahissent souvent des tensions qui montrent les limites d’un projet trop souvent entravé par l’impossibilité de faire table rase de tout un héritage d’attentes culturelles et de remettre en cause les ramifications idéologiques des Beaux-arts.

Nous étudierons en détail les initiatives prises par certains groupes afin de rallier à leur cause peintres et sculpteurs et mettre leurs talents à contribution, mais il ne s’agit pas ici de faire le récit linéaire de l’histoire d’un « art radical » protoréaliste (5). Nos recherches montrent que toute notion de cohérence des pratiques, réductible à un répertoire figé de préoccupations et de thèmes, occulte en grande partie la complexité théorique et les contradictions de la pensée des radicaux lorsqu’ils tentent d’élaborer un nouveau système de pratiques culturelles. Elle minimise également les difficultés persistantes qu’éprouvent les artistes lorsqu’ils tentent de donner forme à des préceptes souvent très abstraits, d’autant qu’ils sont confrontés à un marché de plus en plus concurrentiel. Nous verrons qu’il est impossible d’imposer un schéma stylistique réducteur à ce qui constitue à l’époque l’art social. Les critiques de l’époque relèvent toute une gamme d’images « progressistes », dont la profusion et la diversité déconcertantes s’accommodent mal des catégories traditionnelles de l’histoire de l’art. Si l’on veut tenter de comprendre comment l’aspiration à un art social est née dans les années 1830 et 1840, il est indispensable de s’intéresser aux débats théoriques qui accompagnent la diffusion d’un assemblage diffus et parfois déroutant d’objets, ainsi qu’au moment historique dans lequel cette idéologie et ces objets ont été élaborés.

En dépit du travail novateur accompli par Léon Rosenthal dans son étude de la critique radicale (6), les historiens de l’art ne se sont guère intéressés aux ramifications de l’esthétique sociale à la mi-siècle. Certains artistes et commentateurs ont certes attiré l’attention (7), mais l’analyse d’ensemble a souffert du malaise persistant des chercheurs devant l’assignation revendiquée de visées politiques aux arts plastiques. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on a laissé aux historiens de la littérature le soin d’étudier de manière plus systématique le socle conceptuel de la critique d’art radicale (8), et les premières investigations ont été menées à partir d’une tradition bien établie de recherches sur les théories et les pratiques du romantisme social. Le livre de H.J. Hunt, Le socialisme et le romantisme en France : étude de la presse socialiste de 1830 à 1848, reste une base essentielle à toute étude de la politique culturelle de groupes tels que les saint-simoniens et les fouriéristes ; à cela est venu s’ajouter l’ouvrage magistral de Paul Bénichou sur la pensée post-révolutionnaire, Le temps des prophètes, qui inscrit utilement les menées culturelles radicales des radicaux dans un vaste panorama intellectuel. Depuis la publication, en 1927, du livre de Marguerite Thibert, Le rôle social de l’art d’après les saint-simoniens, les saint-simoniens ont plus particulièrement attiré l’attention des critiques, qui ont vu en eux les précurseurs du romantisme social. Ralph Locke leur a consacré une fascinante étude sur la musique en tant qu’outil de propagande (9), et Philippe Régnier s’est penché sur leur philosophie littéraire dans un ouvrage qui fait désormais autorité par la finesse de son analyse et l’abondance de sa documentation (10). On note cependant que les prédécesseurs de Régnier ont souvent traité les partisans de l’art social avec un mélange d’irritation et de mépris. Partant du principe que l’art et la politique sont incompatibles, les historiens de la culture ont souvent manifesté une certaine répugnance envers l’idéologie esthétique qu’ils étudiaient, tendant à rabaisser au niveau d’élucubration la réflexion sociale sur laquelle elle s’appuyait (11).

Il est certes difficile de souscrire aux notions parfois extravagantes avancées par Enfantin ou encore Fourier, ou de ne pas rester incrédule devant l’emballement des saint-simoniens. Cependant, malgré leur excentricité, les idées et les initiatives qui ont présidé à la naissance du socialisme en France répondaient à de réels besoins et à des objectifs précis de la culture qui les a vus naître. Seul un regard compréhensif, mais critique, peut permettre à l’historien de déchiffrer cette signification souterraine et de reconstruire la logique occulte de désir qui fait de ces mouvements bien autre chose que des curiosités marginales dans une société instable et en pleine évolution. En lançant un appel aux artistes, les théoriciens radicaux leur offraient une sorte de garantie dans un contexte de bouleversement culturel en leur proposant de troquer une survie précaire dans une économie de marché contre la promesse d’un statut prestigieux. Plus généralement, ils s’adressaient à une nation divisée par des décennies de conflit politique, et lui faisaient miroiter un horizon de progrès et d’harmonie, garanti par la résolution des tensions psychologiques, sociales, économiques et religieuses inhérentes à l’ordre ancien d’un monde en déliquescence. Dans les pages qui suivent, nous tenterons de resituer l’idéologie radicale du milieu du XIXe siècle dans son milieu culturel, en nous intéressant en priorité à son approche de l’esthétique en tant que force sociale rénovatrice. Nous remettrons en cause le parallèle établi entre art social et didactisme étroit et réducteur afin de mettre en valeur les diverses stratégies élaborées pour exploiter les propriétés formelles de la plastique, stratégies qui font appel aux ressorts de l’imaginaire confronté à l’expérience sensuelle, bien plus qu’à une approche plus mesurée, associée à la raison. Comme nous le verrons, les groupes étudiés s’inspirent d’idéologies divergentes qui ont donné naissance à des conceptions particulières, et souvent contrastées, du rôle de l’art en tant que moteur de réformes et gardien d’une cité rénovée. Au-delà de ces variantes, cependant, se dessine un projet commun, que l’on retrouvera dans les textes de Proudhon, Kropotkine, Jaurès ou encore Jdanov. À en juger par la vitalité de l’art social à travers ses manifestations successives, modulées par un contexte idéologique en évolution, il est essentiel de comprendre ce moment dans l’histoire souvent mouvementée des relations entre l’art et la politique.

Pour ce faire, il nous faut d’abord étudier le contexte idéologique et esthétique dans lequel l’art social est né au cours des premières années de la monarchie de Juillet.


Perspectives radicales

« Une génération nouvelle s’élève, qui a pris naissance au sein du scepticisme (12). » C’est ainsi que Théodore Jouffroy définit le malaise spirituel né de la chute de Napoléon et du traumatisme de la Révolution. Il met en avant un sentiment de désorientation et de deuil, que l’on retrouve dans de nombreux commentaires politiques tout au long des premières décennies du XIXe siècle. À mesure que les régimes successifs tentent en vain d’asseoir leur autorité en redéfinissant les droits et les devoirs du citoyen, se fait sentir le besoin grandissant d’établir des fondations plus solides à même d’assurer un pouvoir légitime (13). Le contexte favorise donc les spéculations de toute sorte concernant la nature de l’organisation communautaire et les croyances métaphysiques sur lesquelles la société civile appuie son code moral. Qualifiant la période d’« âge des prophètes », P. Bénichou souligne la prévalence de véritables systèmes rendant compte de l’histoire de l’humanité, son passé, son existence collective, et ses relations à Dieu. Dans une époque préoccupée par son manque de foi, de nouvelles idéologies se font concurrence pour combler le vide laissé par une monarchie dépouillée de sa mystique, et par une Église dont le dogme ne suscite plus la révérence inconditionnelle que les générations précédentes lui avaient témoigné.

Les groupes étudiés dans ce livre ont joué un rôle déterminant au sein du mouvement visant à échafauder une nouvelle société dans la France post-révolutionnaire. Divisés lorsqu’il s’agit d’évaluer l’état du pays et ses besoins, ils ont en commun le sentiment de vivre une époque de formidable bouleversement qui nécessite un solide encadrement théorique afin d’assurer la disparition des reliques de l’ordre ancien dans une refonte des institutions et des croyances à la mesure des nouveaux défis et des nouvelles opportunités.

Les divers groupes choisis pour cette étude partagent cette vision réformatrice globale, où l’action politique ne constitue que l’une des facettes d’un programme philosophique qui incorpore également des questions épistémologiques, scientifiques, psychologiques et religieuses. Leur système esthétique, loin de constituer un élément marginal, pâle reflet d’un corpus idéologique forgé pour répondre à des besoins pressants, prend au contraire toute sa place au sein de ces visions d’ensemble du monde ; il est en prise directe avec les aspirations sociales et philosophiques sur lesquelles les penseurs radicaux fondent leurs prétentions à succéder aux institutions obsolètes héritées de l’Ancien régime. Afin de comprendre les objectifs et la signification même de l’art social, il est donc nécessaire d’étudier au préalable les doctrines sur lesquelles il se fonde, analyse d’autant plus indispensable qu’elle s’inscrit dans une longue controverse concernant le sens historique à donner aux mouvements radicaux du début du XIXe siècle (14).

Il est de tradition de distinguer deux grands courants de la gauche française dans la période qui précède la révolution de 1848, courants que l’on qualifie généralement de républicain pour l’un, et d’« utopiste » pour l’autre. Le déséquilibre entre les deux termes – le premier renvoie simplement à une affiliation idéologique, tandis que le second dénote le manque de réalisme ou la frivolité – montre combien il est délicat d’évaluer l’importance historique de ces traditions rivales. Dès avant le Manifeste du Parti communiste, une tendance est née de ramener les idées de personnages tels que Saint-Simon et Fourier à une phase « immature » de la lutte des classes émergente, tendance que Engels n’a fait qu’amplifier dans son Socialisme utopique et socialisme scientifique (15). Il est communément admis également que les deux penseurs et leurs adeptes respectifs partageaient pour une large part des ambitions communes, et pouvaient ainsi être étudiés de pair. Ces deux assertions méritent d’être remises en cause, et on peut aussi s’interroger sur le label « utopiste » appliqué indifféremment à la pensée des deux hommes ; quant à leurs convictions socialistes, elles suscitent également des réserves. Il faut donc se garder de toute classification idéologique hâtive (16).

Il existe naturellement de forts contrastes entre les ambitions sociales et politiques relativement modestes des penseurs républicains sous la monarchie de Juillet, et les projets d’envergure associés à la fois aux « utopistes » à part entière et aux penseurs ayant subi leur influence, tels que le socialiste chrétien Philippe Buchez ou le socialdémocrate Pierre Leroux. On est cependant frappé de constater entre les différents groupes utopistes des divergences philosophiques de fond, que l’on retrouve également dans les projets de société qu’ils inspirèrent, et qui donnèrent lieu à de fréquents et violents affrontements entre groupes rivaux. Il est donc très difficile de tracer une ligne de démarcation claire entre les deux camps en raison de la diversité des opinions et de l’envergure des projets. Il est sans doute plus intéressant d’examiner les questions de fond, au-delà des différences théoriques de surface, et tâcher de repérer les structures, communes ou non, révélant les postulats du discours radical du XIXe siècle. Nous serons ainsi mieux à même d’identifier les besoins auxquels les penseurs de l’opposition tentaient de répondre et de comprendre pourquoi leurs idées séduisirent nombre de leurs contemporains.

Conçue à l’origine comme un geste historique grandiose qui mettrait un terme à un quart de siècle de conflits et de bouleversements, la restauration des Bourbons en 1815 ne fait que confirmer pour beaucoup que le processus engagé en 1789 est irréversible, et que la nation se trouve désormais dans une impasse idéologique. Toutes tendances politiques confondues, de la droite théocratique dirigée par Bonald et de Maistre, à l’opposition libérale regroupée autour de Guizot et Cousin, on sent que la société a besoin d’autre chose que d’une simple remise à jour du pouvoir monarchique accompagnée d’institutions bonapartistes et de colifichets constitutionnels. Beaucoup estiment il est vain de vouloir opérer la jointure entre passé et présent par le biais de la succession dynastique ; on ne peut guère espérer combler de la sorte le fossé séparant la France post-napoléonienne des croyances et des présupposés de l’Ancien régime. Il est impossible de revenir en arrière, comme le reconnaît lui-même le philosophe monarchiste Ballanche : « nous sommes arrivés à un âge critique, à une époque de fin et de renouvellement ; la société ne repose plus sur les mêmes bases, et les peuples ont besoin d’institutions qui soient en rapport avec leurs destinées futures (17). »

Cette prise de conscience laisse présager des réformes institutionnelles d’ampleur vertigineuse dans une nation déjà divisée et déboussolée par les expériences sociales menées au cours des années précédentes. Cette période troublée suscite bien des doutes, sinon du mécontentement, mais on s’interroge aussi sur les capacités de ce monarque suranné imposé à la nation par les envahisseurs de l’étranger (18). C’est le sentiment d’être privée des certitudes spirituelles et sociales de ses aînés qui donne naissance au malaise ressenti par la nouvelle génération, contrainte de chercher dans la subjectivité et le paroxysme des émotions la consolation que la société civile n’est plus à même de lui apporter. Il donne également naissance à ce qu’Alan Spitzer a appelé une « épidémie de complots (19) », qui se répand parmi une intelligentsia libérale irritée des efforts déployés pour restaurer des idéaux archaïques dans une société qui a cessé de leur accorder le moindre crédit. Chacun à leur manière, ces deux courants vont infléchir les projets ambitieux qui tentent de relever le défi si bien résumé par Ballanche. Grâce à Saint-Simon, Fourier, et leurs adeptes, la critique radicale des institutions en place et des relations de pouvoir qu’elles entretenaient s’inscrira désormais dans le cadre d’un réexamen fondamental de la nature humaine et de la divinité définissant le sens de l’existence.

En remettant en cause les fondements de la foi chrétienne, la Révolution a laissé dans son sillage un sentiment d’angoisse et de doute qui sera au coeur de toutes les futures tentatives de rénovation sociale. En dépit des divergences idéologiques, le consensus se fait sur la nécessité d’établir un fonds commun de croyance afin d’assurer la cohésion de la société et de garantir le code moral dont dépend son bon fonctionnement. De même que les écrivains traditionalistes estiment que le sentiment religieux constitue le préalable à toute société stable, organique, respectueuse des institutions consacrées par le temps (20), d’autres penseurs venus d’horizons divers, tels Mme de Staël et Saint-Simon, s’accordent également à considérer la religion comme le garant fondamental de la paix sociale et de la vertu. Certes, le catholicisme a retrouvé un peu de son lustre sous l’Empire, grâce à l’activisme de personnages tels que Frayssinous, Chateaubriand et La Harpe (21), et il bénéficie également d’un farouche soutien sous la Restauration ; mais sa crédibilité est désormais remise en cause par beaucoup. Dans la première moitié du XIXe siècle, on voit ainsi proliférer de « nouvelles » religions aussi fantaisistes qu’éphémères (22), phénomène révélateur d’une « théomanie (23) » déclenchée par le besoin de combler le vide laissé par ce que l’on considère alors comme la mort du catholicisme.

Il est indispensable de tenir compte de cette crise des croyances si l’on veut comprendre les projets envisagés par les radicaux durant la période. À l’exception de Philippe Buchez, la plupart des grands penseurs de gauche sont persuadés que le christianisme est moribond, et qu’il faut inventer un nouveau culte afin de répondre aux exigences du monde moderne. À bien des égard, leurs prétentions à instaurer une nouvelle ère de croyance sent l’opportunisme politique (c’est le cas en particulier du « physicisme » de Saint-Simon, envisagé par celui-ci comme un instrument de contrôle des masses), où parfois même un certain autoritarisme qui fragilise leurs prétentions démocratiques en faisant fi de la liberté de conscience, comme c’est le cas de la « religion nationale » de Leroux. Plus fondamentalement, cependant, l’intense religiosité de groupes tels que les saint-simoniens témoigne d’un réel besoin ; il faut en effet inventer un système métaphysique capable d’encadrer, sinon de justifier, la conduite à tenir dans une société privée de certitudes spirituelles depuis la Révolution. Prétendre que Saint-Simon descend en ligne directe de Moïse et du Christ, ou encore que son disciple Prosper Enfantin est l’incarnation du nouveau Messie (24), montre que la religion prônée par la doctrine, fondée sur l’amour fraternel et la concorde sociale, tend manifestement à légitimer un système civil de croyance foncièrement autoritaire. Même un penseur tel que Fourier, hostile à toute religion établie, et ardent partisan d’une indulgence quasi-anarchiste envers l’instinct individuel, se situe d’emblée dans la tradition de la révélation en se prétendant le « postcurseur » du Christ, chargé du salut de la société (25). Cette religiosité envahissante est un thème récurrent du discours radical. Dans de nombreux cas, les idéologies d’opposition affirment certes s’affranchir de la tradition chrétienne ; mais pour certains, comme Buchez, ou bien Cabet, communiste de la première heure, ou encore les apôtres du Christ révolutionnaire avant 1848, les modèles théologiques existants sont encore capables de relever les défis de la rénovation sociale. Malgré leurs divergences, tous s’accordent à voir dans le sentiment religieux une force capable de rassembler les individus autour d’une même charte de devoirs et d’engagements. C’est cela qui constitue la base idéologique commune de ces divers mouvements.

Toute nouvelle initiative idéologique doit en premier lieu affronter le scepticisme légué par la Révolution, dont l’héritage politique porte le coup de grâce aux a prioriconcernant l’organisation et le gouvernement de la société. La notion de droit naturel a été fragilisé par la Terreur, et la crise a été aggravée par la remise en cause du principe d’égalité de capacités entre individus, principe sur lequel reposait la théorie politique des Lumières. Beaucoup jugent alors nécessaire de reformuler les thèses fondamentales qui avaient guidé les révolutionnaires dans leur tentative de refondation de l’État, afin d’inventer des structures gouvernementales plus adaptées à l’irréductible diversité des citoyens de la nation. Certains penseurs libéraux tels que les Idéologues remettent alors en question la conception égalitaire des capacités humaines avancée par la Déclaration des droits de l’homme, conception héritée des matérialistes, et d’Helvétius en particulier (26). Pour eux, la thèse selon laquelle tout citoyen réagit uniformément à des stimuli identiques dans un environnement donné relève de la spéculation. L’accusation est reprise par certains traditionalistes, tel de Maistre, pour qui la théorie rationaliste du contrat passé avec le gouvernement, théorie encouragée par la Révolution, nie toute possibilité de développement organique des institutions nationales à travers le temps (27).

Ces doubles crises touchant à la fois le rôle de l’histoire dans la formation du gouvernement et la nature de l’individu en tant que sujet politique (et au final, physiologique), affectent durablement la pensée radicale post-révolutionnaire. À l’exception notable de Fourier, dont la vision est cosmique plus que rétrospective, la plupart des théoriciens adoptent une approche résolument historiciste de l’évolution sociale, et envisagent donc sous un angle particulier le renouveau institutionnel souhaité. Ils tracent fréquemment une analogie entre le développement de la civilisation et le passage de l’enfance à l’âge adulte, ce qui souligne l’impact des sciences naturelles sur l’invention de nouveaux systèmes de société. Pour aborder le problème de l’organisation collective, on a recours à la physiologie, qui fournit à la fois un modèle épistémologique et les données de base. L’égalitarisme abstrait des Lumières est ainsi supplanté progressivement, à mesure qu’est prise en compte la diversité des besoins et des capacités de l’homme.

Cette sensibilité aux différences individuelles est au fondement de la division saint-simonienne en classes distinctes composées d’artistes, de scientifiques et d’industriels, et justifie également la dissection fouriériste des passions. Elle reflète un basculement majeur de la recherche en physiologie qui, comme nous le verrons, eut un effet décisif sur la théorie culturelle des radicaux. Ce courant, inspiré en particulier par les recherches des médecins Cabanis et Bichat, propose de nouveaux modèles cognitifs dérivés du sensualisme de Locke, afin de souligner les variations individuelles des réponses aux stimuli externes, et de poser en principe les différences innées de capacités et de talents chez l’homme. À mesure que s’éloigne l’image d’une tabula rasa humaine, malléable, où l’émotion et l’intellect sont calibrés par l’accumulation d’expériences sensorielles, émerge peu à peu une équation plus complexe prenant en compte le tempérament ainsi que l’environnement. Il paraît de plus en plus illusoire de vouloir soumettre à la seule raison l’élaboration d’institutions destinées à exploiter tout le potentiel de l’homme et assurer le bien-être de la collectivité. La physiologie revendique ainsi le rôle éthique joué autrefois par la philosophie et la théologie, offrant à l’homme de science l’occasion de participer à l’organisation de la société bien au-delà des clivages professionnels en vigueur (28). De leur côté, les penseurs politiques cherchent dans les avancées de la médecine les fondements d’une ontologie à même de fonder une société civile parfaitement adaptée aux besoins de l’homme.

La physiologie permet ainsi aux théoriciens tels que Saint-Simon, Buchez et Leroux, de poser les fondations de leurs nouveaux systèmes d’organisation collective ; mais elle fournit également un modèle épistémologique permettant de conceptualiser le fonctionnement d’un organisme aussi complexe que la société humaine. Saint-Simon considère l’art de gouverner comme une « science humaine appliquée (29) », note Barbara Haines, et l’on constate en effet qu’il a volontiers recours (tout comme ses disciples Enfantin et Buchez) à l’analogie entre corps humain et corps social, analogie qui va bien au-delà d’un vague rapprochement métaphorique. Ce que Saint-Simon appelle sa « physiologie sociale » renvoie par certains côtés aux idées avancées par certains penseurs conservateurs tels que Bonald (30), mais l’intérêt des saint-simoniens pour la médecine surpasse de loin celui de leurs contemporains. Pour Saint-Simon, les avancées de la physiologie promettent un véritable bouleversement des théories de la connaissance, annonçant l’avènement d’une épistémologie positive qui permettra à l’avenir de prendre selon des critères objectifs les justes décisions dans tous les domaines de l’existence.

L’espoir de Saint-Simon de parvenir un jour à cette synthèse épistémologique repose sur la conviction – très répandue chez les penseurs libéraux – que la découverte d’une racine commune à tous les savoirs sera déterminante pour l’avenir. Cette ambition universaliste, affichée également par Leroux ou encore Buchez, montre bien la volonté qui existe alors de surmonter les divisions et les conflits jugés inhérents au monde moderne, afin d’instaurer un régime à l’abri de toute source potentielle de friction. Aussi bien Saint-Simon que Fourier – qui affirme que son analyse des passions humaines obéit à des lois mathématiques – placent leurs espoirs dans des domaines précis de recherche destinés à révéler les secrets de l’harmonie sociale et du bonheur individuel. Ils se déclarent scientifiques et proclament avoir découvert le principe premier de l’interaction humaine ; les deux penseurs voient en effet dans la théorie de l’attraction universelle de Newton la force unificatrice régissant à la fois l’univers physique et l’univers social. À cet égard, les deux hommes, en dépit de notables divergences rhétoriques, cultivent des ambitions positivistes semblables à celles de certains de leurs contemporains tels Auguste Comte ou encore les Idéologues.

Ce désir d’unité épistémologique se traduit à gauche de manière particulièrement frappante par des appels répétés à une synthèse des savoirs capable de transcender les antinomies historiques qui ont fait jusque-là obstacle au progrès humain. Il est au fondement des réflexions théoriques des saint-simoniens, qui tentent de concicilier spiritualité chrétienne et matérialisme païen, ou encore chez Leroux, qui avance une conception panthéiste de l’humanité. Cette ambition reprend le projet encyclopédique des Lumières et va au-delà en attribuant à cet idéal de synthèse le pouvoir d’opérer la résolution quasi mystique de conflits millénaires qui aliènent l’homme de ses semblables et portent atteinte à l’intégrité psychologique de l’individu. Elle occupe une place centrale à tous les niveaux de la réflexion post-révolutionnaire, comme en témoignent les effusions spirituelles des adeptes du saint-simonisme. On la détecte également dans les mouvements religieux marginaux nés dans les années 1840 tels que le fusionisme de Louis de Tourreil, qui invoque le démiurge androgyne « Èvadam », ou encore Ganneau, qui prétend incarner le « Mapah », synthèse de divinités males et femelles (31). Dans le contexte des idéologies radicales de l’époque, cette volonté de synthétiser les savoirs et de neutraliser les conflits souligne le souci commun de mettre sur pied des structures capables d’unifier la société dans son ensemble et d’éliminer la coercition dans l’exercice du pouvoir (32). Dans la quasi-totalité des cas, les groupes à l’étude s’efforcent de trouver le moyen de rallier tous les secteurs de la société autour d’un gouvernement jouissant de l’obéissance inconditionnelle des masses. Cet objectif explique en partie la primauté accordée aux arts, et contribue à promouvoir la synthèse épistémologique en tant qu’assise d’un positivisme irréfutable ; mais elle en fait aussi la métaphore et le garant d’un régime capable d’éliminer les sources des antagonismes d’antan.

Ces ambitions sont accueillies avec dédain par Marx et Engels dans leurs commentaires sur les mouvements utopistes de 1848. Accusant Saint-Simon et Fourier de ne déceler dans le prolétariat « aucune action historique, aucun mouvement politique qui lui soient propres (33) », ils qualifient d’illusoire leur volonté de se tenir à l’écart des conflits de classe, et raillent les efforts entrepris pour se concilier toutes les couches de la société. On voit par là que Marx et Engels ne doutaient pas du « socialisme » des théoriciens utopistes, puisque ces derniers avaient pour projet avoué d’améliorer la condition des classes laborieuses. Il faut cependant se garder de conclusions hâtives, étant donné la diversité des théories exprimées dans la France d’avant 1848. Saint-Simon et ses disciples semblent plutôt avoir envisagé une société que l’on pourrait qualifier de technocratique, gouvernée par une élite de dirigeants exerçant le contrôle des flux de capitaux par le biais d’une banque centrale de crédit, renforçant ainsi la mainmise d’une autorité centrale sur l’activité économique. Par certains côtés, le saint-simonisme préfigure le système économique qui sera mis en place par le socialisme étatisé, mais on peut aussi voir dans ses thèses un projet foncièrement inégalitaire qui renforce la puissance de l’État tout en prétendant limiter ses prérogatives à l’« administration des choses ». Cet aspect inégalitaire se retrouve chez Fourier et ses partisans, dont le projet de réorganisation sociale selon le principe communautaire de gigantesques phalanstères paraît bien mal adapté à la complexité croissante des modes de production. Quant à la liberté sexuelle prônée par les deux groupes, elle témoigne moins d’un souci d’émancipation morale et matérielle de la femme dans une société offrant les mêmes chances économiques à tous ses membres, que d’une préoccupation enracinée dans des a priori psychologiques et épistémologiques qui ne remettent guère en question le rôle dévolu à chaque sexe, contrairement à ce que l’on affirme souvent.

Ce qui caractérise les théories économiques des radicaux avant 1848, et rapproche des penseurs tels que Buchez et Leroux du socialisme incarné par Louis Blanc ou encore du communisme français balbutiant, c’est un engagement en faveur des coopératives de travailleurs, où les petits producteurs seraient copropriétaires des moyens de production et participeraient aux profits. En apparence, ce projet corrobore les observations de Engels sur l’« immaturité » de la situation de classe et des solutions proposées par les premiers réformateurs (34). Mais les historiens de l’économie ont montré qu’il était en réalité parfaitement adapté aux conditions de l’époque, c’est-à-dire une faible mécanisation et une production industrielle accrue. L’exploitation des ouvriers et le niveau élevé de concurrence ont pour effet de prolétariser les artisans tout en renforçant le pouvoir des marchands et des détenteurs des capitaux (35), c’est-à-dire les agents économiques plus particulièrement visés par l’attaque des radicaux. C’est ainsi qu’apparait petit à petit, surtout chez les saint-simoniens, une conception de la classe sociale reposant sur la distinction entre, d’une part, les petits entrepreneurs et les artisans, et de l’autre les « oisifs », tels que les intermédiaires et les rentiers. Le mouvement coopératif s’efforce d’éliminer ces groupes auxiliaires, mais se montre incapable de résoudre le problème de la concurrence interne entre différents ateliers, et peut tout au plus offrir une protection provisoire contre les effets croissants de l’industrialisation.

Ces divers aspects économiques incitent donc à la prudence lorsqu’il s’agit d’appliquer des catégories aux groupes à l’étude. Ils sont d’abord et avant tout le produit de ce que Pierre Barbéris a appelé « l’ardeur systématrice (36) » de l’époque, de sa passion pour les programmes intellectuels exhaustifs, d’autant plus séduisants qu’ils viennent combler le sentiment de vide né à la fin de l’ère napoléonienne. Ces systèmes, farouchement anti-individualistes pour la plupart, témoignent à la fois d’un besoin d’autorité et de certitudes, et d’une hantise de la contrainte, d’où qu’elle vienne. Le souci commun d’élaborer un système de croyance capable de soutenir une société légitime montre bien que le désir de créer une société organique et de rechercher le progrès matériel à l’écart des conflits l’emporte sur l’égalitarisme ou le désir de démocratie. À cet égard, on peut sans doute qualifier les courants représentés par Saint-Simon, Fourier, Buchez et Leroux, de « religions profanes », mues par une vision du monde plus grandiose que les préoccupations relativement pragmatiques du mouvement républicain. Comme nous le verrons, de nombreux thèmes clé faisant partie intégrante du projet radical se retrouvent dans l’inflexion particulière donnée par chaque groupe à la notion d’art social. En attribuant aux arts un rôle important au sein de leur système philosophique, tous ces mouvements font écho à la science de l’esthétique apparue au cours du siècle précédent, qui n’est plus seulement l’étude de la beauté et de l’affect, mais qui cherche désormais à disséquer les émotions, et acquiert par ce biais une dimension politique.

La dimension esthétique L’émergence de l’esthétique constitue désormais un moment privilégié dans l’histoire de l’individualisme bourgeois. Elle rattache l’imaginaire créatif au désintéressement, au for intérieur, à la subjectivité, et les critiques considèrent ainsi qu’elle annonce le retrait progressif du geste artistique de la sphère publique, et trace les contours d’un domaine où pourra librement s’exprimer une mythique autonomie de l’individu (37). Pour l’essentiel, l’histoire de l’esthétique, d’Emmanuel Kant à Roger Fry, s’attache à exalter l’art en tant que pierre angulaire des valeurs de l’humanisme libéral. Il existe cependant une autre généalogie – où les théories radicales de l’art social jouent un rôle majeur – qui remonte à la naissance de l’esthétique au XVIIIe siècle. Ce courant parallèle, même s’il reprend en grande partie les présupposés de la théorie dominante, souligne cependant la capacité de l’art à servir des buts politiques en faisant appel au sentiment collectif. Paradoxalement, ces deux approches apparemment divergentes s’accordent à reconnaître que l’art a le pouvoir de déclencher des émotions intenses, et à considérer cet aspect comme essentiel. Mais ce qui, chez les humanistes libéraux, sert à réaffirmer le caractère unique de l’identité individuelle, devient chez les théoriciens de l’esthétique sociale l’instrument permettant de la sublimer dans l’entité collective de la polis.

Ce rattachement de la subjectivité à la sphère publique s’inspire de nouvelles théories concernant la nature du sentiment, théories qui remettent en cause le classicisme rationaliste ; elles se nourrissent également des spéculations des philosophes et des physiologistes qui envisagent l’existence de lois objectives de réponse aux stimuli sensoriels potentiellement capables de devenir des instruments de gouvernement. De manière simultanée et conjointe, on commence à envisager les arts plastiques sous l’angle de l’expressivité, au détriment de la notion traditionnelle d’imitation, favorisant ainsi la mise en valeur de l’artiste lui-même, selon deux modes en apparence contradictoires, mais fondamentalement analogues. Le discours des humanistes libéraux reconnaît au créateur une sensibilité singulière, détachée des préoccupations matérialistes de la bonne société. Ce profil psychologique particulier attribué à l’artiste permet ainsi aux adeptes de l’art social de l’élever au rang de prophète ou de guide jouissant d’une vision privilégiée. Le mouvement en faveur d’une esthétique sociale naît donc dans un contexte précis, résultat d’une longue évolution de la manière d’envisager la production artistique et sa réception, ainsi que la place de la culture dans la sphère publique. L’analyse de cette mutation, qui permettra d’aborder sous un jour nouveau certains aspects de l’histoire de l’esthétique, nous aidera à mieux cerner les implications socioculturelles des théories radicales dans les années 1830 et 1840.

Les penseurs du XIXe siècle tentent ouvertement de canaliser les réponses individuelles aux perceptions sensorielles au bénéfice du corps social, ce qui va à l’encontre de la méfiance affichée envers l’imagination et le témoignage des sens avant le siècle des Lumières. La génération de Pascal estimait que l’imagination corrompait le discernement moral, et selon Descartes, les sens – et en particulier la vue – pouvaient déclencher une émotion telle qu’ils ne pouvaient servir à asseoir le jugement (38). Ce sont précisément ces caractéristiques qui vont devenir, pour les penseurs des générations suivantes, l’instrument potentiellement capable de modeler les mentalités et de transformer les comportements. Cette capacité de l’art à éveiller le sentiment et l’imagination doit néanmoins être placée sous le contrôle de préceptes rationnels afin d’éviter des conséquences potentiellement néfastes. La réhabilitation des modes non-cognitifs de connaissance au siècle des Lumières, en grande partie grâce aux théories de Locke sur le rôle joué par les sens dans la formation des idées, débouche sur une nouvelle conception du sentiment instinctif, désormais envisagé comme auxiliaire de la raison, et non plus subordonné à elle et soumis à une vigilance constante (39).

Contre les modèles épistémologiques en vigueur, les penseurs du XVIIIe siècle en viennent peu à peu à dénouer le lien entre jugement moral et faculté raisonnante en mettant en exergue l’intuition et l’affect, liés aux réactions spontanées du corps aux stimuli extérieurs. Les apologistes catholiques s’opposent au matérialisme inhérent à ces théories, adhérant à la thèse de Malebranche qui soutient que le sentiment et l’âme ne font qu’un (40), mais les sensualistes et les spiritualistes s’y rallient, considérant que l’affect surpasse de loin la raison en clarté et en immédiateté. Selon le Dictionnaire de Trévoux, « les vérités de sentiment ont celles où l’esprit découvre tout d’un coup et par la première impression, les mêmes marques de vérité qu’on développe peu à peu par des réflexions expresses (41) ».

Placé au coeur même de l’instinct social de l’être humain (42), le sentiment est mis en valeur dans le domaine esthétique, supplantant petit à petit la traditionnelle équation entre beauté et vérité au profit d’une association avec la bonté, de nature plus ouvertement morale, à visée sociale (43). On attribue ainsi de plus en plus fréquemment un pouvoir bénéfique à l’art, car le sentiment est censé appréhender des représentations édifiantes et absorber de manière inconsciente une morale pouvant servir de guide au quotidien (44). Dans sa variante la plus extrême, cette revalorisation de la puissance de l’art sur les sentiments préconise l’abandon total de soi dans une débauche d’émotions exacerbées censées affiner le jugement moral et favoriser le jugement moral raffiné. Mais les adeptes du pouvoir moral de l’art ne sont pas tous également convaincus par l’abandon de la mise en garde cartésienne contre la puissance des émotions. Diderot, par exemple, qui rattache le phénomène physiologique de la sensibilité à la circulation sanguine, met en doute l’efficacité d’un processus où les forces somatiques submergent les facultés de discernement de l’intellect, et avance une conception moins extrême de la réception esthétique (45). L’art est pour lui l’aiguillon de la morale, et il défend ses positions dans son éloge de Greuze et de Richardson, ainsi que dans ses drames bourgeois, rejetant la complaisance tapageuse de la sensibilité au profit d’un appel raisonné et durable au sentiment. Tout en maintenant qu’il n’y a « que les passions et les grandes passions qui puissent élever l’âme aux grandes choses (46) », Diderot envisage l’art moins comme une catharsis complaisante que comme une modulation raffinée, mais intense, du sentiment, à visée édifiante. Convaincu que la vue est particulièrement apte à canaliser les émotions (47), c’est dans la peinture et le théâtre que le philosophe cherche l’expression la plus accomplie de sa conception didactique de l’art. Comme il l’explique dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron :
Exposons les tableaux de la vertu, et il se trouvera des copistes. L’espèce d’exhortation qui s’adresse à l’âme par l’entremise des sens, outre sa permanence, est plus à la portée du commun des hommes. Le peuple se sert mieux de ses yeux que de son entendement. Les images prêchent, prêchent sans cesse, et ne blessent point l’amour-propre (48).

Annie Becq a montré le lien qui existe entre cette valorisation du sentiment et les efforts menés par la bourgeoisie naissante pour naturaliser les pulsions morales essentielles à son idéologie en formation. Comme elle le souligne, la relation intime entre le sentiment et les processus somatiques de la sensibilité « permet de parler de sentiment, dès les réactions d’attraction ou de répulsion de la sensibilité physique, et donc d’ancrer dans la physiologie les impulsions génératrices de l’ordre moral et social (49) ». L’assujettissement du sentiment à la morale conduit à l’enrôler progressivement au service de normes de valeurs mises en place dans la sphère publique et privée, exaltant l’harmonie familiale et le sens patriotique du citoyen vertueux. Selon Johann Sulzer, philosophe suisse de l’esthétique qui figure en bonne place dans l’Encyclopédie, le pouvoir exercé sur le sentiment par l’art permet à celui-ci de vaincre la résistance aux préceptes moraux. « Dans les moments de crise », affirme-t-il, il est capable « de faire une douce violence à nos coeurs, et nous enchaîner par une sorte de plaisir aux devoirs les plus pénibles (50) ». Conscient du rôle que peut jouer l’art dans l’hygiène sociale, Sulzer réclame l’invention d’une science à même d’étudier les effets précis du ressenti esthétique sur les émotions, science dont le but ultime serait de maîtriser l’influence morale de l’art sur la population dans son ensemble (51). Ce sont des objectifs similaires que visent les recherches entreprises sur les bases psycho-physiologiques de la cognition par certains idéologues tels que Cabanis et Destutt de Tracy à la fin des années 1790. De Tracy a pour ambition de mettre au point une science positive de l’entendement, suscitant ainsi un intérêt pour la grammaire en tant qu’outil de communication des idées (52). Cabanis, quant à lui, projette de « modifier en profondeur les caractéristiques de l’homme (53) », projet qu’il développe entre autres dans un commentaire sur l’esthétique, où il souligne la nécessité de parvenir à « une connaissance méthodique de nature intelligente et sensible (54) », afin de constituer un vocabulaire capable d’agir sur la conscience de manière infaillible.

Dans les années 1770 et 1780, on assiste déjà à une valorisation de l’art patriotique et moralisateur (55), mais ce n’est qu’après la Révolution que l’on s’efforce ouvertement de définir les principes théoriques justifiant l’intervention de l’État dans le champ culturel. Initiée par la Société populaire et républicaine des arts, une campagne est alors lancée pour tenter de rallier les artistes à l’ordre nouveau, afin d’immortaliser les moments décisifs de la lutte révolutionnaire, de constituer un répertoire de symboles destiné à sacraliser ses valeurs, et d’offrir en exemple au peuple des tableaux célébrant l’héroïsme, public ou privé. Désireux de promouvoir un art conçu pour « exciter aux grandes actions, et contribuer ainsi au bonheur du genre humain (56) », les chefs de la Révolution se trouvent malgré tout confrontés à une idéologie mal assurée, une piètre économie, et une timidité artistique certaine en essayant de mettre sur pied une politique culturelle cohérente (57). Pendant les dix années, riches en bouleversements politiques, qui suivent la Révolution, le discours de l’art officiel préconise une étroite collaboration entre l’artiste et l’État, en s’intéressant plus particulièrement à la modification de la conscience du citoyen dans l’intérêt du bien-être collectif. De manière générale, il est entendu que l’allégeance artistique découle naturellement d’une politique judicieuse d’encouragement et de réformes institutionnelles ; mais on voit naître ici et là des initiatives destinées à restreindre les expositions publiques aux oeuvres patriotiques (58), et à placer la production artistique sous le contrôle de l’État. C’est ainsi qu’en 1798, Allent, lauréat d’un concours sur l’influence morale de la peinture, préconise une étroite surveillance de la part des autorités : « puisque la peinture parle à l’imagination des peuples, c’est au Législateur à faire en sorte qu’elle ne lui donne que d’utiles leçons ; c’est à lui de la faire servir à la conservation des moeurs, à la propagation des vertus qui doivent composer le caractère national (59). »

La nation s’efforce alors de rebâtir de fond en comble la sphère publique et la sphère privée, et il est urgent de s’assurer l’emprise sur la psyché du citoyen en proposant à celui-ci des oeuvres de toute nature capables d’incarner des idées abstraites de manière engageante, immédiate et accessible. En plongeant l’individu dans un espace-temps à l’abri des contradictions du quotidien, le festival révolutionnaire offre au peuple un accès privilégié à un Éden affranchi de toute aliénation, et à l’État la mainmise discrète sur « le domaine de l’imagination et du sentiment (60) ». Selon Mona Ozouf, les processus psychologiques déclenchés par ces manifestations de masse intéressent assez peu les organisateurs (61) ; ces derniers sont cependant convaincus que les mentalités peuvent être modifiées de façon permanente grâce à l’impact du spectacle sur le sentiment, ce qui confère une dimension plus explicitement politique à l’esthétique sociale héritée des Lumières. Cabanis explique ainsi, en reprenant des antinomies familières, comment le festival parvient à laisser une empreinte indélébile sur la conscience des citoyens :
Il s’agit… moins de le convaincre que de l’émouvoir ; moins de lui prouver l’excellence des lois qui le gouvernent, que de les lui faire aimer par des sensations affectueuses et vives, dont il voudrait en vain effacer les traces, et qui, le poursuivant en tous lieux, lui présentent sans cesse l’image chère et vénérable de la patrie (62).

Pour les théoriciens radicaux des années 1830 et 1840, le festival révolutionnaire représente un paradigme de contrôle non-coercitif exercé sur la volonté individuelle. Ces spectacles soigneusement orchestrés, que l’on associe volontiers à David, et qui culminent dans le spectaculaire Festival de l’Être suprême organisé par Robespierre en juin 1794, ont pour but de modeler les consciences grâce à des rituels d’affirmation collective rigoureusement élaborés. Les contemporains se réclament volontiers de l’exemple de la République grecque (63), mais ces manifestations s’inspirent davantage de la liturgie catholique, source idéologique fortement contestée dans les années 1790 (64), mais ouvertement adoptée par des penseurs tels que Saint-Simon, soucieux d’instaurer les institutions organiques indispensables à la société civile. Cette discipline imposée au sentiment au cours de ces festivals, ou plus généralement par le biais de l’esthétique sociale prônée par la Révolution, est en outre peu conforme aux préceptes de Rousseau, l’un de ses plus grands inspirateurs, dont l’hostilité envers les artifices de la civilisation inspire un modèle culturel d’opposition, qui est en grande partie réprimé après 1789, avant de renaître au début du XIXe siècle dans la philosophie sociale plus libertaire de Fourier.

Pour les théoriciens révolutionnaires, ainsi que plus tard pour les adeptes d’une esthétique radicale, la culture est d’abord et avant tout le fait de l’État. En sa qualité de citoyen, l’artiste a le devoir de contribuer au développement d’idées progressistes définies par les dirigeants politiques et conformes à l’intérêt national, et de calibrer le sentiment populaire en conséquence. La culture opère ainsi comme une institution organique ; elle contribue à forger le lien entre l’individu et la collectivité en éveillant les consciences à la morale qui règle le moindre aspect de la vie publique et privée. Selon ce modèle, les manifestations telles que le Festival révolutionnaire suivent tout naturellement un schéma conçu à l’avance pour inculquer un répertoire de réactions instinctives appropriées, et les institutions culturelles mises en place servent à renforcer la vitalité morale de l’État. Cette notion est au coeur des utopies prérévolutionnaires de Morelly, Mercier, et Restif de la Bretonne (65), et elle continuera à alimenter en grande partie les réflexions sur l’art social. Tel que l’envisage Rousseau, cependant, l’art n’est pas tant l’expression, sur un mode organisé, d’un raffinement moral, que le symptôme d’une société corrompue. Conscient du pouvoir mobilisateur du sentiment (66), et de l’influence de la vue sur l’imagination (67), Rousseau estime cependant que les formes culturelles complexes enrayent les mécanismes affectifs propres à favoriser le contact immédiat entre membres d’une même société. Son idéal d’absolue transparence psychologique et de franchise l’amène à rejeter la « vile et trompeuse uniformité » d’une culture qui instille « les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune (68) ». Sa conception du festival est donc bien éloignée des spectacles orchestrés dans les années 1790, et prône au contraire une communion libre et informelle entre citoyens, « sans pompe, sans luxe, sans appareil (69) ». L’hostilité notoire de Rousseau envers le théâtre, coupable selon lui de dissiper de manière onaniste l’affect en l’attirant vers un objet fictif incapable d’inspirer autre chose qu’un éphémère sentiment moral de sympathie, est au coeur de sa propre conception du spectacle, qui doit, selon lui, faire abstraction de toute signification étrangère à la participation pure et simple. « Qu’y montrera-t-on ? Rien, si l’on veut (70) », déclare-t-il en affirmant le caractère immédiat du spectacle, notion bien éloignée des idées de David et de Robespierre, ou plus tard de Saint-Simon et d’Enfantin. La « transparence expansive (71) » d’un peuple uni constitue une fin en soi.

Cette utopie d’une société franche et candide telle que Rousseau l’imagine dans la Sparte antique, et qu’il rêve d’appliquer en Pologne (72), abolit la distinction entre acteur et spectateur de manière autrement radicale que toutes les théories échafaudées avant 1789. Son tableau de la fête champêtre accompagnant les vendanges dans La Nouvelle Héloïse évoque un âge d’or de l’innocence où travail et loisir se confondent (73). Pour autant, ces réjouissances décrites par Rousseau ne laissent pas libre cours à la fantaisie de chacun, car elles s’inscrivent dans un programme précis visant à contenir l’individu dans le cercle vertueux de la citoyenneté, et ce dès l’enfance. Cette mainmise sur les consciences, que l’on retrouve dans certains aspects de la culture jacobine, suscite des critiques virulentes envers ce que Mme de Staël appelle « le despotisme de la liberté (74) ». Affichant son mépris pour un système de propagande dirigé par l’État, et qui, selon elle, est incapable de former des citoyens libres car il a recours à la contrainte psychologique (75), Mme de Staël se refuse à voir dans les passions le fondement de la vertu sociale, affirmant au contraire : « cette force impulsive qui entraîne l’homme indépendamment de sa volonté, voilà le véritable obstacle au bonheur individuel et politique (76) ». L’attaque libérale vise ici l’autoritarisme, implicite chez Rousseau, et développé par l’esthétique sociale révolutionnaire, mais une autre tradition libertaire fait le lien entre le philosophe et Fourier, ainsi que certains courants anarchistes de la fin de siècle. Au sein de ce mouvement, la remise en cause des catégories sociales, qui font de la création artistique une profession distincte, n’affranchit pas seulement le travailleur, mais doit aussi déboucher à terme sur la libération de l’énergie créatrice de l’ensemble de la population. L’artiste si décrié par Rousseau devient alors redondant au fur et à mesure que s’efface la frontière entre l’art et la vie.

Cette dilution de l’autorité créatrice va à l’encontre d’un puissant courant né au milieu du XVIIIe siècle (77), et qui fait de l’artiste un être exceptionnel aux qualités bien particulières. Intimement lié à la nouvelle conception de l’acte créateur en tant que geste inspiré puisé à la source du sentiment, et non plus en tant qu’invention raisonnée (78), ce culte de l’artiste influence la perception du rôle social du créateur bien au-delà des Lumières, tant à gauche qu’à droite. À mesure que la suprématie des institutions traditionnelles est de plus en plus menacée par les bouleversements socioéconomiques, l’artiste se voit attribuer un rôle croissant dans la recherche de la vérité et de la connaissance. Félix Pyat déclare ainsi en 1834 : « l’art est presque un culte, une religion nouvelle qui arrive bien à propos, quand les dieux s’en vont et les rois aussi (79) ». Le terme lui-même revêt alors une signification à la fois plus restreinte et plus large ; il perd en effet la connotation de travail manuel, mais va parfois jusqu’à inclure tout type d’activité créatrice, de la rhétorique à la philosophie, en passant par la poésie et la peinture. La principale caractéristique de l’artiste devient alors un tempérament particulier dont l’instinct visionnaire peut déboucher sur de véritables prophéties. Certains penseurs tels que Saint-Martin et Ballanche font remonter la généalogie du poète aux religions primitives et à la fondation de la société humaine autour d’Orphée, dont l’énoncé inspiré s’appuie sur un langage de pure présence, libéré du fardeau de la signification imposé par la Chute (80). Pour Sulzer, le rôle fondateur de prêtre ou guide séculier joué par l’artiste repose sur la capacité de ce dernier à transmettre l’enthousiasme né du sentiment et de briser les barrières temporelles, permettant ainsi à son auditoire d’échapper aux contingences pragmatiques de l’existence et d’entrevoir un autre univers :
Comme l’entendement n’est plus en état de distinguer ce qui est réel de ce qui n’est qu’imaginaire, le simple possible paraît actuel et l’impossible même semble possible ; la liaison des choses n’est plus évaluée d’après le jugement, elle l’est d’après le sentiment, ce qui est absent devient présent et l’avenir existe actuellement (81).

Par le truchement de son héroïne, Corinne, ainsi que dans des textes théoriques tels que De l’Allemagne, Mme de Staël popularise cette vision exaltée de l’enthousiasme, de la sincérité et du sentiment raffiné de l’artiste, qui marquent selon elle la capacité d’appréhender « les plus hautes conceptions de la philosophie ». La vision particulière de l’artiste n’est pas soumise aux limites épistémologiques de la raison, et atteint une pénétration inégalée : « la philosophie est là pour confirmer ce que le sentiment révèle (82) ». Quoique remise en cause par Bonald (83), et ouvertement réfutée dans les premiers textes de Saint-Simon, cette exaltation de l’artiste visionnaire rencontre un large écho dans les premières décennies du nouveau siècle. Cette conviction que l’artiste est étroitement lié à son siècle se répand au-delà des barrières idéologiques (84), en dépit du fait que beaucoup répugnent à envisager l’assujettissement explicite de la culture à des buts politiques. Pour des idéalistes tels que Victor Cousin, ainsi que pour Mme de Staël, le pouvoir édificateur de l’art repose sur des caractéristiques formelles intrinsèques, et non sur l’exploitation par l’artiste de thèmes empruntés à l’univers contemporain (85). C’est sa maîtrise des moyens liés à son art qui permet à l’artiste de communiquer les émotions qui doivent s’avérer bénéfiques pour le système moral en vigueur. Comme l’écrit Mme de Staël à propos de Kant dans De l’Allemagne : Sans doute tout ce qui est beau doit faire naître des sentiments généreux, et ces sentiments excitent à a vertu ; mais dès qu’on a pour objet de mettre en évidence un précepte de morale, la libre expression que produisent les chefs-d’oeuvre de l’art est nécessairement détruite ; car le but, quel qu’il soit, quand il est connu, borne et gêne l’imagination (86). Victor Cousin partage ce sentiment et dote l’art d’attributs divins dans sa quête d’un système de pensée capable de combler le vide laissé par la disparition présumée des croyances religieuses. Tout en réfutant l’art en tant qu’instrument, Cousin confère une dimension éthique à l’expérience esthétique en associant, comme Platon, la beauté à la bonté. Convaincu que « la fin de l’art est l’expression de la beauté morale à l’aide de la beauté physique (87) », il esquive ainsi tout assujettissement de l’esthétique à une fin didactique en attribuant à la nature elle-même une éloquence morale, éloquence captée par l’imagination créatrice. Comme ce sera le cas plus tard des adeptes de l’art pour l’art – expression dont l’invention lui est souvent attribuée – Victor Cousin ne songe nullement à restreindre les préoccupations de l’artiste à la forme seule ; il s’agit bien plutôt de montrer que l’exaltation de la forme peut se rapprocher du divin.

La synthèse opérée par Cousin entre la tradition platonicienne et l’idéalisme allemand rencontre un large succès sous la Restauration (88), ce qui souligne les inquiétudes provoquées par l’imbrication croissante de l’activité culturelle avec une économie de marché en pleine expansion. Cousin revendique pour l’art une valeur pure de tout matérialisme ; mais le fonctionnement du commerce et des institutions s’est trouvé bouleversé au cours du demi-siècle précédent, affectant en profondeur la relation entre l’artiste et le public, et remettant radicalement en cause la fonction sociale de l’oeuvre d’art et le statut de son créateur. Dans le cas des arts plastiques en particulier, ce dernier, qui a obtenu de haute lutte la reconnaissance de ses talents et de son savoir et s’est affranchi de l’ignorance et de la pauvreté dont on l’accusait traditionnellement (89), voit sa position fragilisée par l’évolution des relations entre classes qui élevent petit à petit la bourgeoisie marchande au rang de véritable arbitre culturel de la nation. Dans un marché où la clientèle formée par une classe moyenne naissante découvre l’offre d’une communauté d’artistes toujours plus nombreux, les anciennes distinctions entre peintre et mécène s’estompent. L’organisation du marché contribue à réduire l’aspect personnel du mécénat à l’anonymat relatif d’un pôle financier, atténuant ainsi la différence présumée entre l’oeuvre d’art et des objets de luxe comparables disponibles dans le commerce. Au fur et à mesure que s’estompe la différence sociale entre l’artiste et son client, tous deux producteurs de biens matériels, le premier voit s’éroder les bases pragmatiques lui permettant de se réclamer d’un statut professionnel privilégié. Un enseignement académique mal adapté à la demande des images les plus en vogue, ainsi que la raréfaction et le prestige déclinant des grandes commandes d’État, ouvre la voie à une privatisation de la culture peu propice à la défense d’un art porteur de valeurs collectives. Vers le milieu des années 1830, les critiques se multiplient envers la commercialisation, l’opportunisme flagrant du mécénat officiel fait de plus en plus de mécontents (90), et il paraît de plus en plus difficile de voir dans les arts autre chose qu’une source de plaisir anodin ou une forme grossière de manipulation.

Il est donc nécessaire, pour toutes ces raisons, de redéfinir le rôle de l’artiste et la fonction de l’oeuvre dans la société. L’esthétique des idéalistes popularisée par Victor Cousin tend à escamoter l’aspect matériel de la création artistique, lui redonnant ainsi le lustre du geste inspiré et désintéressé, loin des connotations utilitaires associées aux autres formes de labeur (91). Au début des années 1830, une variante plus radicale et agressive naît du mouvement de la Jeune France, notamment dans la polémique engagée par Théophile Gautier pour défendre l’art pour l’art. Ce courant formaliste, bête noire des adeptes de l’art social, prône une conception non-utilitaire de l’art proche de celle de Cousin, qui rejette la subordination de l’effet pictural à des fins narratives ou morales. C’est ainsi qu’en 1834 le romancier et critique Jules Janin fait l’éloge de « la peinture qui peint, et qui se fie à elle-même pour produire son effet ; de la peinture qui ne joue ni le mélodrame, ni la tragédie, ni l’idylle ; qui ne joue rien en elle-même, car elle est tout ce qu’elle veut être, ce qu’elle peut être (92) ». Pourtant, à l’instar des éclectiques, les formalistes considèrent que l’art n’est pas distinct de la morale, mais plutôt qu’il se constitue à lui-même sa propre morale. La recherche de la beauté sert d’écrin aux valeurs spirituelles, qui pâtissent nécessairement de l’intrusion de considérations étrangères. Comme l’affirme Gautier en 1845, « l’Art pour l’art veut dire non pas la forme pour la forme, mais bien la forme pour le beau, abstraction faite de toute idée étrangère, de tout détournement au profit d’une doctrine quelconque, de toute utilité directe (93) ».

Le travail de la création devient ainsi une forme épurée de l’activité humaine, qui semble transcender les préoccupations bassement matérielles à l’origine du labeur dans toutes les autres couches de la société. Ce refus d’attribuer à l’art autre chose que la quête désintéressée de la beauté conduit à isoler l’artiste des autres groupes, auxquels Gautier reprochait ouvertement leur manque d’imagination et la médiocrité de leurs préoccupations. En revendiquant pour l’artiste un « sixième sens (94) » qui lui offre un accès privilégié à la beauté, et en proposant la vision séduisante d’un univers créatif où se mêlent mystère et plaisir, Gautier, ainsi que d’autres, redonne à l’artiste une part de distinction ancrée dans le rejet ostensible des moeurs bourgeoises. Ce faisant, ils se débarrassent du modèle rationaliste de la création artistique, sur lequel la tradition académique s’appuie pour revendiquer un statut professionnel privilégié ; les artistes rejoignent l’univers du sentiment, et forment désormais une classe séparée, car les caractéristiques qui leur sont attribuées sont innées et non plus acquises. Malgré tout, si les théoriciens radicaux rattachent le sentiment à la capacité présumée de l’artiste à répondre d’instinct aux besoins de la collectivité, les formalistes, en revanche, infléchissent le concept vers une forme d’intuition sensuelle, axée sur le for intérieur de l’artiste, qui l’exprime alors de manière formelle dans un geste créateur autonome et désintéressé (95).

L’autosuffisance de l’art ainsi proclamée sert à répudier symboliquement une société accusée de tout sacrifier au progrès matériel (96). Le mythe de la bohème, invention avant tout littéraire apparue au début des années 1830 dans des textes tels que l’Albertus de Gautier, dessine un univers recréant les tensions perçues entre l’imagination créatrice et l’individualisme capitaliste. La vie de bohème, concept infiniment malléable, sert de décor aux projections complexes et souvent contradictoires de la place de l’artiste dans une nation industrielle naissante, à laquelle fait écho une dialectique de subversion et d’endiguement où les aspects les plus corrosifs de la critique des valeurs bourgeoises peuvent en définitive être estompés. Reprise par la presse populaire, l’image de la bohème contribue à tracer les limites de l’individualisme en offrant un contre-exemple au personnage du financier ou du marchand, catégories qui revendiquent elles aussi leur autosuffisance, mais à d’autres fins, et qui suscitent de plus en plus l’intérêt, souvent hostile, des observateurs de la société (97). Elle permet aussi alternativement de remettre en cause ou d’affirmer la crédibilité de la supériorité revendiquée par l’artiste en opposant l’exemple de martyrs tels que les poètes Chatterton et Gilbert à celui de charlatans avérés tels que le peintre Oscar dans le Jérôme Paturot de Louis Reybaud, ou encore à Murger et à la plaisante médiocrité de ses Scènes de la vie de Bohème. Sous des apparences triviales ou intéressées, l’élaboration d’un paradigme de la différence artistique et de l’aliénation visà- vis des valeurs établies reflète néanmoins l’inquiétude ambiante concernant les conséquences culturelles du progrès matériel. Certains n’attendent que des bénéfices de la commercialisation de la culture (98), tandis que d’autres, venus de tous horizons idéologiques, observent avec crainte l’exemple d’autres sociétés industrielles. Ainsi que les adeptes de l’avancée technologique tels que les saint-simoniens vont s’en rendre compte, les libéraux, tout comme les conservateurs, craignent que l’enrichissement et la réduction des inégalités n’entraîne une uniformisation fatale à l’effort d’imagination. Gustave de Beaumont, qui a accompagné Tocqueville lors de son voyage en Amérique en 1831, pose ainsi la question : « Quelles harmonies le poète moderne puisera-t-il dans les comptoirs, les alambics, les machines à vapeur, et le papier-monnaie (99) ? » Considérée sous cet angle, l’insistance sur la nature non-utilitaire et la portée spirituelle de l’effort artistique peut en effet contribuer à renforcer la résistance à l’emprise croissante du matérialisme bourgeois.

Malgré tout, en dépit de leur critique ostensible des valeurs des classes moyennes, les adeptes de la vie de bohème rejettent pour la plupart l’engagement politique direct, qui aurait compromis leurs prises de position en faveur d’une esthétique désintéressée (100). Dans une certaine mesure, donc, l’idéologie formaliste réduit l’opposition à un désaveu symbolique des valeurs dominantes, circonscrit dans un espace culturel dont les dimensions ésotériques et élitistes garantissent son impact rhétorique. Ce refus de l’engagement politique exaspère les critiques radicaux, pour qui la notion d’art pour l’art représente le symptôme même de la déroute de la culture contemporaine. Derrière la polémique, néanmoins, il est plus malaisé de faire la distinction entre les deux partis. Le républicanisme tout particulier du mouvement de la Jeune France, manifeste dans les articles iconoclastes écrits par Pétrus Borel pour la revue artistique d’opposition La Liberté, suscite envers l’autorité un mépris farouche aux résonances indéniablement politiques (101). Le médiévisme du mouvement, considéré le plus souvent comme une simple inspiration de style, conduit l’un de ses principaux adeptes, Jehan Duseigneur, à se rallier au socialiste chrétien Philippe Buchez, puis à rejoindre en 1839 la Confrérie de Saint-Jean, qui rassemble des artistes catholiques. Inversement, à gauche, l’art social signifie bien autre chose qu’un engagement sans compromis envers un didactisme affiché ; il désigne bien plutôt une conception complexe de la forme qui rappelle souvent l’idéalisme de ses opposants déclarés. Surtout, les deux mouvements reconnaissent à l’artiste une autorité et un caractère particulier qui le distinguent de ses semblables, qu’il soit considéré comme esthète désengagé ou bien comme guide et prophète.

Sous la monarchie de Juillet, les critiques et les théoriciens pour lesquels cette valorisation de l’artiste exige de ce dernier un geste explicite d’allégeance idéologique, se tournent vers le passé récent avec un optimisme mesuré. La Révolution, malgré un héritage culturel mitigé, a laissé derrière elle une véritable mystique de l’engagement politique, en dépit de nombreux indices probants témoignant des accommodements opportunistes de certains artistes soucieux de s’attirer les faveurs des régimes suivants. L’initiative bohème lancée au tournant du siècle par un élève mineur de David, Maurice Quay, indique aussi l’émergence d’un courant messianique, courant que les théoriciens futurs vont tenter de canaliser à leurs propres fins (102). Quay se passionne pour ce que son compagnon d’études Étienne Delécluze appela plus tard les « utopies humanitaires (103) », et a fondé une communauté d’adeptes du végétarisme, de l’illuminisme et de la redécouverte de l’Âge d’or (104), ce qui semble témoigner d’un début de prise de conscience que l’artiste est doté d’une capacité intuitive à s’investir d’une autorité sociale bien au-delà de ses compétences professionnelles au sens strict. Le rigide encadrement de la culture sous l’Empire, et son dénouement anti-héroïque sous la Restauration, inaugurent selon certains une ère de crise et d’introspection. Cependant, la passion des romantiques pour la Grèce, et les premiers appels à la responsabilité sociale (105), alimentent un intérêt croissant pour la capacité de l’art à mobiliser l’opinion de masse. C’est cette vague que les radicaux s’efforcent de canaliser après 1830, dans un climat de bouleversements culturels et politiques qui vont susciter des débats houleux et donner lieu à diverses initiatives destinées à mettre l’art au service de la réforme sociale.

1. Voir K.M. Baker, Condorcet : From Natural Philosophy to Social Mathematics, Chicago, 1975, p. 273-74.
2. A. Tabarant, « Le club de l’art social », La Revue socialiste, janvier 1890, p. 102.
3. On trouve ultérieurement l’expression utilisée au sens où l’entend Condorcet dans L’Essai sur les fêtes nationales suivi de quelques idées sur les arts ; et la nécessité de les encourager de F.-A Boissy d’Anglas (Paris, An II ; vol. 1), et dans le Plan d’association générale entre les savans, gens de lettres et artistes pour accélérer les progrès des bonnes moeurs et des lumières de l’Abbé Grégoire, Paris, s.d. (ca. 1816).
4. L’un des premiers exemples d’application culturelle de l’expression se trouve chez T. Thoré : « L’art social et progressif », L’Artiste, 1re série, 7 (1834), p. 39-42.
5. Cette notion de protoréalisme ne correspond que de manière incidente à l’objet de cette étude, tel que nous l’envisageons. C’est Gabriel Weisberg qui a le plus contribué à définir cette notion. Voir « The Realist Tradition : Critical Theory and the Evolution of Social Themes », The Realist Tradition : French Painting and Drawing 1830- 1900, textes recueillis par G.P. Weisberg, Cleveland, 1980, p. 1-20 ; G. P. Weisberg, « Early Realism », The Art of the July Monarchy in France 1830 to 1848, textes recueillis par G. P. Weisberg, Columbia, 1990, p. 101-115 ; G. P. Weisberg, « Proto-Realism in the July Monarchy : the Strategies of Philippe-Auguste Jeanron and Charles- Joseph Traviès », The Popularization of Images. Visual Culture under the July Monarchy, textes recueillis par P. Ten- Doesschate Chu et G.P. Weisberg, Princeton, 1994, p. 90-112.
6. L. Rosenthal, Du Romantisme au réalisme, Paris, 1914, p. 365-77.
7. Il existe deux excellents ouvrages sur Thoré : P. Grate, Deux critiques d’art à l’époque romantique : Gustave Planche et Théophile Thoré, Stockholm, 1959, et F. S. Jowell, Thoré-Bürger and the Art of the Past, New York, 1977 ; voir également la thèse de Rousseau sur Jeanron, ainsi que Horaist sur Besson, et Amprimoz sur Papety.
8. Voir en particulier D. Kelley, « L’art : harmonie du beau et de l’utile », Romantisme 5 (1973), p. 18-36 ; B. Juden, « L’esthétique : ‘l’harmonie intense qui dit tout’ », ibid., p. 4-17, et le numéro spécial de Lendemains 37 (1985) comprenant des articles de K. Biermann, W. Drost et H. Stenzel sur les saint-simoniens, les socialistes chrétiens et les fouriéristes.
9. R. P. Locke, Les saint-simoniens et la musique, Liège, 1992.
10. P. Régnier, « Les idées et les opinions littéraires des saint-simoniens (1825-1835) », 3 volumes, thèse de troisième cycle, Université Paris III, 1983.
11. B. Tolley estime par exemple que « la propension de Saint-Simon à souligner l’utilité de l’art et de la littérature en tant que propagande donne à son esthétique une aridité qui ne peut provenir que de son manque d’imagination et de ses piètres facultés d’appréciation » (Saint-Simon’s insistence on the value of art and litérature as propaganda gives an aridity to his aesthetic ideas which can only be attributed to his lack of imagination and to his defective powers of appreciation »). « The Social Role of Art and Literature according to the Saint-Simoniens 1825-1833 », thèse de doctorat, Université d’Oxford, 1968.
12. T. Jouffroy, « Comment les dogmes finissent », Mélanges philosophiques, Paris, 1833, p. 20-21 ; repris du Globe (24 mai 1825).
13. Sur le sentiment de crise post-révolutionnaire, voir M. Riot-Sarcey, Le réel de l’utopie. Essai sur le politique au XIXe siècle, Paris, 1998, p. 39-49.
14. P. Pilbeam récapitule les débats récents dans French Socialists before Marx, Montréal, 2000, p. 1-11.
15. Voir K. Marx et F. Engels, Manifeste du parti communiste et F. Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique,
Paris, 1880. Robert Owen, le troisième penseur abordé dans ces ouvrages, ne rentre pas dans le cadre de
notre étude. Le socialiste Étienne Cabet, auteur du Voyage en Icarie (1840, 1842), et dont Marx et Engels font
peu de cas, sera traité brièvement, car son mouvement ne s’intéresse guère aux questions artistiques.
16. Voir par exemple M. Larizza-Lolli, « ‘Socialisme’ et ‘utopisme’ : deux catégories à méditer ? Quelques considérations à partir du cas du saint-simonisme », Romantismes et socialismes en Europe (1800-1848), textes recueillis par A. Billaz et U. Ricken ; Études de littérature étrangère et comparée 82, Paris, 1987, p. 125-147.
17. P.-S. Ballanche, Essai sur les institutions sociales dans leur rapport avec les idées nouvelles (1818) ; cité par P. Barbéris dans Balzac et le mal du siècle. Contribution à une physiologie du monde moderne, 2 volumes, Paris, 1970 ; vol. 1, p. 53.
18. Sur l’attitude de la jeune génération vis-à-vis de la restauration des Bourbons, voir A. B. Spitzer, The French Generation of 1820, Princeton, 1987, p. 38-41.
19. Ibid., p. 67.
20. Voir par exemple D. G. Charlton, Secular Religions in France 1815-1870, Oxford, 1963, p. 10.
21. Voir F. P. Bowman, Le Christ des barricades 1789-1848, Paris, 1987, p. 37 sq.
22. Voir D. G. Charlton, Secular Religions in France, op. cit., particulièrement p. 130-135, et A. Erdan, La France mystique ; tableau des excentricités religieuses de ce temps, 2 volumes, deuxième édition, Amsterdam, 1858.
23. Le terme fut inventé par les aliénistes de l’époque pour décrire un état psychologique hypothétique ; voir F. P. Bowman, Le Christ des barricades, op. cit., p. 242.
24. Voir ibid., p. 176-77.
25. Ibid., p. 181.
26. Voir par exemple C. B. Welch, Liberty and Utility : The French Idéologues and the Transformation of Liberalism, New York, 1984, p. 34.
27. Voir M. T. Bovetti Pichetto, « L’influenza di Joseph de Maistre sul pensiero di Saint-Simon », Joseph de Maistre tra illuminismo e restaurazione, textes réunis par L. Maritto, Turin, 1975, p. 34.
28. Voir L.S. Jacyna, « Medical Science and Moral Science : The Cultural Relations of Physiology in Restoration France », History of Science 25 (1987), p. 116-118.
29. B.A. Haines, « Henri de Saint-Simon and the Idea of Organism », thèse de doctorat, Aberystwyth, University
College of Wales, 1969, p. 45.
30. Bonald propose une variante autoritariste de la métaphore corps-société, qui reprend le dualisme corps-esprit contre les théories monistes soutenues par des penseurs tels que Cabanis (Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales (1805), OEuvres complètes, Paris, 1819 ; vol. 8, 1, p. 305-317 ; voir L. S. Jacyna, « Medical Science and Moral Science », op. cit., p. 131-132.
31. Les connotations politiques de l’androgynie sont étudiées par N. J. Andrews, « Utopian Androgyny : Romantic Socialists confront Individualism in July Monarchy France », French Historical Studies 26, no 3 (2003), p. 437-457. Sur Tourreil et Ganneau, voir D.G. Charlton, Secular Religions in France, op. cit., p. 132-133 ; P. Bénichou, Le temps des prophètes. Doctrines de l’âge romantique, Paris, 1977, p. 429-35 ; A. Erdan, La France mystique, op. cit., vol. 2, p. 183-188. Selon le Larousse du XIXe siècle, Thoré et Félix Pyat comptaient parmi les disciples de Ganneau. Sculpteur de formation, ce dernier conçut des bas-reliefs illustrant la nouvelle foi ; A. Erdan donne la description de la fresque représentant « la synthèse religieuse la plus complète et la plus absolue » (op. cit., vol. 2, p. 185).
32. Sur l’élimination de la coercition dans la pensée de Saint-Simon, voir E. Durkheim, Le socialisme. Sa définition – ses débuts. La doctrine saint-simonienne (1928), édition établie par M. Mauss, Paris, 1978, p. 166 sq. 33. K. Marx et F. Engels, Manifeste du parti communiste, facsimile de l’édition originale de février 1848, Paris, 1983, p. 66.
34. F. Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, traduction de Paul Lafargue, Paris, Dervaux, 1880, p. 31.
35. Voir E. Berenson, Populist Religion and Left-Wing Politics in France, 1830-1852, Princeton, 1984, p. 26-33. P. Pilbeam souligne l’impact des crises économiques successives entre 1827 et 1848, de la confection et de la déqualification dans l’artisanat, et évoque le sentiment de frustration de la classe moyenne créé par l’abandon du principe napoléonien de « la carrière ouverte aux talents » ; French Socialists before Marx, op. cit., p. 21-23.
36. P. Barbéris, Balzac et le mal du siècle, op. cit., vol. 1, p. 120.
37. Voir par exemple T. Eagleton, The Ideology of The Aesthetic, Oxford, 1990, p. 3.
38. Voir R.G. Saisselin, The Rule of Reason and the Ruses of the Heart : A Philosophical Dictionary of Classical French
Criticism, Critics, and Aesthetic Issues
, Cleveland, 1970, p. 102-7 ; R. Descartes, Les passions de l’âme, article 85,
« De l’agrément et de l’horreur », OEuvres, édition établie par Sylvestre de Sacy, Paris, 1966, vol. 2, p. 565-566.
39. Voir P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain 1750-1830, Paris, 1973, p. 30-32 ; P. Gay, The Enlightenment : An Interpretation, 2 volumes, Londres, 1970 ; vol. 2, p. 187-207. W.M. Reddy fournit une très intéressante étude de l’émotion durant la période, et analyse la question du point de vue de l’anthropologie culturelle ; The Navigation of Feeling. A Framework for the history of Emotions, Cambridge, 2001, p. 147-256. Notre étude propose une interprétation
différente du rôle du sentiment durant les débuts du socialisme français, ainsi que dans l’art romantique (voir W. M. Reddy, ibid., p. 237-248). Sur le rapport entre sentiment et art aux alentours des années 1800, voir L’invention du sentiment. Aux sources du romantisme, catalogue d’exposition, musée de la Musique, Paris, 2002.
40. Voir A. Becq, Genèse de l’esthétique française moderne : De la raison classique à l’imagination créatrice, Paris, 1984 ; vol. 1, p. 173 sq.
41. Cité dans ibid., vol. 2, p. 508.
42. Voir le passage sur Mercier dans ibid., vol. 2, p. 576.
43. Voir E. Schiefenbusch, « L’influence de Jean-Jacques Rousseau sur les Beaux-arts en France », Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau 19 (1929-30), p. 25.
44. Voir J. A. Leith, The Idea of Art as Propaganda in France, 1750-1799 : A Study in the History of Ideas, Toronto, 1965, p. 30-70 ; T. M. Mustoxidi, Histoire de l’esthétique francaise 1700-1900, Paris, 1920, p. 58-76.
45. Voir A. Vincent-Buffault, Histoire des larmes, Paris, 1986, p. 51-52. A. C. Vila, Enlightenment and Pathology : Sensibility in the Literature and Medicine of Eighteenth-Century France, Baltimore et Londres, 1997. Sur la sensibilité en peinture, voir A. Brookner, Greuze : The Rise and Fall of an Eighteenth-Century Phenomenon, Londres, 1972, p. 37-53.
46. D. Diderot, Pensées philosophiques (1746), OEuvres complètes, édition établie par H. Dieckmann, J. Fabre, J. Proust et J. Varloor, Paris, 1975 ; vol. 2, p. 17.
47. Voir D. Diderot, Lettre sur les sourds et muets (1751) ; ibid., vol. 4, p. 185-87.
48. D. Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778-82) ; ibid., vol. 13, p. 503.
49. A. Becq, Genèse de l’esthétique française moderne, op. cit., vol. 2, p. 771.
50. J. Sulzer, « Beaux-arts », Supplément à l’Encyclopédie (1776), vol. 1, p. 589-590.
51. Voir J. Sulzer, « Esthétique », ibid., vol. 2, p. 872-873.
52. Voir E. Kennedy, A “Philosophe” in the Age of Revolution : Destutt de Tracy and the Origins of “Ideology”, Philadelphie, 1978, p. 126-31 ; B. W. Head, Ideology and Social Science : Destutt de Tracy and French Liberalism, Dordrecht, 1985, p. 45-54. Selon William Reddy, la conception matérialiste du mécanisme du sentiment avancée par les idéologues s’appuie sur le modèle économique de l’amour propre éclairé d’Adam Smith ; l’action humaine est ainsi motivée par un désir de moindre mal et de plus grand plaisir. Toujours selon Reddy, cette optique s’inscrit dans un mouvement plus général né après la défait des Jacobins en 1794, et qui cherche à répudier le sentiment. Le discours révolutionnaire invoquait volontiers l’altruisme et les émotions vives pour justifier des réformes de grande ampleur, mais Thermidor marque le début de ce que Reddy appelle un « effacement du sentimentalisme » qui, assure-t-il, se répercute
pendant toute la première moitié du XIXe siècle (The Navigation of feeling, op. cit., p. 199-202).
53. C. B. Welch, Liberty and Utility, op. cit., p. 46.
54. P.-J.-G. Cabanis, Lettre à M. T** sur les poèmes d’Homère, OEuvres complètes, 1825, vol. 5, p. 359.
55. Voir J. A. Leith, The Idea of Art as Propaganda, op. cit., p. 72 sq, et R. Rosenblum, L’art au XVIIIe siècle : transformations et mutations, traduction de Sylvie Giraud, Saint-Pierre-de-Salerne, G. Monfort, 1989, p. 51-73. A. Jourdan, Les monuments de la Révolution 1770-1804. Une histoire de représentation, Paris, 1997, p. 33-70.
56. Discours de Vergniaud aux membres de l’Académie, cité dans Leith, Art as Propaganda, op. cit., p. 101.
57. Voir ibid., p. 99 sq ; D. Kelder, Aspects of ‘Official’ Painting and Philosophic Art 1789-1799, New York, 1976 ; W. Olander, « ‘Pour transmettre à la postérité’ : French Painting and Revolution 1774-1795 », thèse de doctorat, New York University, 1983, et E. Pommier, L’art de la liberté. Doctrines et débats de la Révolution française, Paris, 1991.
58. L’idée avait été avancée par l’artiste Balzac, mais rejetée par la Société républicaine et populaire des arts. Voir J. A. Leith, The Idea of Art as propaganda, op. cit., p. 115. Dans la même veine, A. C. Quatremère de Quincy avait proposé que le législateur n’autorise que « des monuments, des tableaux ou des statues capables de jeter dans l’âme des jeunes gens les principes de l’harmonie, les images du beau et les éléments de la perfection » (Considérations sur les arts du dessin en France, Paris, 1791, p. 56).
59. Cité dans J. A. Leith, The Idea of Art as Propaganda, op. cit., p. 133.
60. P.-J.-G. Cabanis, « Travail sur l’éducation publique trouvé dans les papiers de Mirabeau, fait et publié par Cabanis », OEuvres complètes, op. cit., vol. 2, p. 444.
61. M. Ozouf, La fête révolutionnaire : 1789-1799, Paris, 1976, p. 243.
62. P.-J.-G. Cabanis, « Travail », OEuvres complètes, op. cit., vol. 2, p. 451.
63. Voir ibid., p. 457 ; F.-A. Boissy d’Anglas, Essai sur les fêtes nationales, op. cit., p. 145.
64. Voir Boissy d’Anglas, Essai sur les fêtes nationales, op. cit., p. 39.
65. Voir B. Baczko, Lumières de l’utopie, Paris, 1978, p. 238-249.
66. Voir par exemple J.-J. Rousseau, Émile, ou de l’éducation (1762), OEuvres complètes, édition établie par B. Gagnebin et M. Raymond, 4 volumes, Paris, 1961-69 ; vol. 4, p. 645.
67. Voir ibid., p. 647.
68. J.-J. Rousseau, Discours sur les sciences et les arts (1750), OEuvres complètes, op. cit., vol. 3, p. 7.
69. J.-J. Rousseau, Lettre à M. d’Alembert sur les spectacles (1758), édition établie par M. Fuchs, Lille et Genève, 1948, p. 181.
70. ibid., p. 168.
71. P. E. J. Robinson, Jean-Jacques Rousseau’s Doctrine of the Arts, Bern, 1984, p. 265. Sur ce thème, voir J. Starobinski, Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Paris, 1971, p. 116-121.
72. Voir D. Leduc-Fayette, Jean-Jacques Rousseau et le mythe de l’antiquité, Paris, 1974, p. 128-137, et J.-J. Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne (1771-72), OEuvres complètes, op. cit., vol. 3, p. 959-966.
73. J.-J. Rousseau, Julie, ou la nouvelle Héloïse (1761), OEuvres complètes, op. cit., vol. 2, p. 604-611. Le passage a peut-être un lien avec l’évocation par Boissy d’Anglas d’une fête champêtre dénuée « de cette joie préparée d’avance et calculée avec plus ou moins d’art » (Essai sur les fêtes nationales, op. cit., p. 55). En termes de mythologie révolutionnaire, c’est peut-être dans les préparations collectives en vue de la Fête de la Fédération au Champ de Mars
en Juillet 1790 que ce moment s’incarne au plus près. Voir M. Ozouf, La fête révolutionnaire, op. cit., p. 44-74.
74. G. de Staël, Des Circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la
république en France
(1798-99), édition établie par J. Viénot, Paris, 1906, p. 278.
75. « On ordonne d’aller à telles fêtes, de pratiquer telles institutions, parce que ces institutions persuadent ceux qu’on y envoie de l’excellence du gouvernement républicain, et par cela seulement qu’on commande et qu’on menace, l’effet de l’évidence même est détruit » ; ibid., p. 277-78. Voir également la critique de la propagande révolutionnaire par Constant dans A. Jardin, Histoire du libéralisme politique. De la crise de l’absolutisme à la constitution de 1875, Paris, 1985, p. 233, et la théorie du festival avancée par J.-B. Say dans Olbie, ou essai sur les moyens d’améliorer les moeurs d’une nation (1800), OEuvres diverses, édition établie par C. Comte, E. Dairet et H. Say, Paris, 1848, p. 610-611.
76. G. de Staël, De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), OEuvres complètes, 17 volumes, Paris, 1821 ; vol. 3, p. 9. Pour un point de vue opposé, qui place l’éthique et l’esthétique sous la tutelle du sentiment, voir l’ouvrage essentiel de P.-S. Ballanche, Du Sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts, Paris, 1801, p. 44-55. Selon ce dernier, « le sentiment est la seule source du vrai et du beau ; le sentiment est le grand type, l’unique type des productions de génie » ; op. cit., p. 44.
77. P. Bénichou estime que c’est dans les années 1760 que l’écrivain voit son statut s’élever ; Le sacre de l’écrivain, op. cit., p. 27.
78. Voir G. Matoré et A. J. Greimas, « La Naissance du ‘Génie’ au dix-huitième siècle. Étude lexicologique », Le Français moderne 25 (1957), p. 271. Pour une approche plus générale de ce phénomène bien documenté, voir P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain, op. cit., et G. Matoré, « Les notions d’art et d’artiste à l’époque romantique », Revue des sciences humaines 16, n° 62-63 (avril-septembre 1951), p. 120-37.
79. Cité dans G. Matoré, « Les notions d’art et d’artiste », art. cit., p. 131.
80. Voir P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain, op. cit., p. 99-102, 163-166.
81. J. Sulzer, « Enthousiasme », Journal littéraire 6 (juin 1773), p. 138 ; cité dans A. Beck, Genèse de l’esthétique française moderne, op. cit., vol. 2, p. 579.
82. G. de Staël, De l’Allemagne, cité dans F. Dassas, « Les enjeux d’une critique sentimentale : Diderot, Rousseau,
Madame de Staël », L’invention du sentiment, op. cit., p. 15.
83. Voir L. G. de Bonald, Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales (1818), OEuvres
complètes
, troisième édition, 12 volumes, Paris, 1838 ; vol. 8.1, p. 369.
84. Sur l’historicisme des libéraux, voir P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain, op. cit., p. 227 ; pour une approche plus générale, voir également H. A. Needham, Le développement de l’esthétique sociologique en France et en Angleterre au XXe siècle, Paris, 1926.
85. Voir par exemple la critique que fait Victor Cousin du sentimentalisme de Diderot, analysée par Reddy dans The Navigation of feeling, op. cit., p. 223-24.
86. G. de Staël, De l’Allemagne (1813), édition établie par J. de Pange, Paris, 1959, vol. 4, p. 223.
87. Cité dans F. Will, Flumen Historicum : Victor Cousin’s Aesthetic and Its Sources, Chapel Hill, 1965, p. 80. Sur
la dissémination de ces idées dans les premières décennies du XIXe siècle, voir P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain,
op. cit., p. 226-227.
88. Sur l’influence pédagogique de Victor Cousin, voir A.B. Spitzer, The French Generation of 1820, op. cit., p. 71-78. P. Bénichou rappelle que les traités esthétiques de Kant et Hegel ne furent traduits en français qu’en 1840, et qu’ils n’étaient donc connus que de manière indirecte à l’époque. (Le sacre de l’écrivain, op. cit., p. 241-242, n° 182).
89. Voir G. Levitine, The Dawn of Bohemianism : The ‘Barbu’ Rebellion and Primitivism in Neoclassical France, University Park, Pennsylvanie, 1978, p. 9-32.
90. Voir N. Hadjinicolaou, « Art in a Period of Social Upheaval : French Art Criticism and Problems of Change in 1831 », Oxford Art Journal 6, n° 2 (1983), p. 29-37.
91. Sur la distinction entre le beau et l’utile, voir, T. Jouffroy, Cours d’esthétique (1843), Paris, 1843, p. 25-29. Jouffroy, disciple de Cousin, donna pour la première fois ce cours en 1822.
92. J. Janin, [article non titré], L’artiste, 1re série, 7 (1834), p. 295.
93. T. Gautier, « Du beau dans l’art », L’art moderne (1856), p. 153 ; repris de la Revue des deux mondes (1845). Gautier ajoute : « Le beau dans son essence absolue, c’est Dieu. Il est aussi impossible de le chercher hors de la sphère divine, qu’il est impossible de trouver hors de cette sphère le vrai et le bon absolus » (p. 160).
94. Voir ibid., p. 132-33.
95. Voir I. Singer, « The Aesthetic of Art for Art’s Sake », Journal of Aesthetics and Art Criticism 2 (mars 1954), p. 345-47.
96. Pierre Bourdieu étudie ce thème, principalement en relation à la littérature, dans Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 84-92. Bourdieu se penche également sur la peinture, mais son analyse s’appuie sur une anthithèse trop réductrice entre art « académique » et « indépendant » ; voir P. Bourdieu, « L’institutionalisation de l’anomie », Les cahiers du musée national d’Art moderne 19-20 (juin 1987), p. 6-19.
97. Voir par exemple le passage que consacre Tocqueville à l’individualisme en démocratie dans De la démocratie en Amérique (1840), OEuvres complètes, 9 volumes, Paris, 1864 ; vol. 3, p. 162-163. Pour une approche plus générale, voir également K. W. Swart, « ‘Individualism’in the Mid Nineteenth Century : 1826-1860 », Journal of the History of Ideas 23 (1962), p. 77-90.
98. Voir par exemple S.G.L., « De l’avenir des arts », L’artiste, 1re série, 2 (1831), p. 254, et A. de Saint-Chéron, « De la position sociale des artistes », ibid., 1re série, 4 (1832), p. 50-53. Voir la réfutation de cette défense des bénéfices culturels du capitalisme dans l’article signé « Un artiste », L’Artiste, 1re série, 4 (1832), p. 79-81.
99. G. de Beaumont, Marie, ou l’esclavage aux États-Unis. Tableau de moeurs américaines, 2 volumes, Paris, 1835 ; vol. 1, p. 242. Voir également A. de Toqueville, De la démocratie en Amérique, op. cit., p. 62 sq.
100. Joseph Bouchardy fait le commentaire suivant à Gautier, son ancien condisciple de la « Jeune France » : « Tandis que les fouriéristes faisaient des phalanstères, les saint-simoniens de nouveaux contrats sociaux, les démocrates des projets, sourds à tous les bourdonnements d’alors, nous n’entendions que le murmure de l’art qui s’agitait dans l’enfantement d’un progrès » (cité dans P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain, op. cit., p. 430).
101. Voir par exemple l’attaque de Borel contre l’académicien radical David d’Angers dans « Les fourberies de Scapin », La Liberté. Journal des arts 3 (août 1832), p. 13-16.
102. Sur Quay et les « Barbus », voir G. Levitine, The Dawn of Bohemianism, op. cit., p. 45 sq.
103. E.-J. Delécluze, Louis David, son école et son temps, Paris, 1855, p. 89.
104. Charles Nodier décrit ainsi le groupe : « ces artistes qui portaient l’habit phrygien, qui ne se nourrissaient que de végétaux, qui habitaient en commun, et dont la vie pure et hospitalière était une vivante peinture de l’âge d’or » ; cité dans J. Larat, La tradition de l’exotisme dans l’oeuvre de Charles Nodier (1780-1844), Paris, 1923, p. 23. Certains aspects – le symbolisme des vêtements, l’existence monacale et les tendances orientalistes des « barbus » – rappellent les saint-simoniens de manière frappante, mais sans doute fortuite.
105. Voir en particulier F. Flocon et M. Aycard, Salon de 1824, Paris, 1824.
 
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