Politique étatique et débats politiques à l'ère Meiji
Christine Lévy
La période Meiji correspond à celle de la formation de l'État moderne japonais au
cours de laquelle le terme de kokumin devint ubiquiste, surtout à partir de 1905 1 .
L’historien Andrew Gordon indique que ce terme désignait un nouveau corps politique,
distinct des mouvements paysans ou des révoltes urbaines qui ont sillonné le XIX e siècle.
Pour lui ce nouveau corps politique deviendra le soubassement de ce qu’il nomme la
démocratie impériale, concept qui lui permet de rendre mieux compte du passage au
fascisme japonais.
La conscience d'appartenir à une nation s'est forgée au Japon durant la décennie de la
formation de l'empire japonais de 1895 à 1905 ; à cette date, 95% de la population en âge
d'aller à l'école était scolarisée.
Cette période est celle d'une inculcation dans la population de la loyauté et du sens du
sacrifice envers l’État à tous les niveaux : économique, politique, social, et militaire. C'est
donc une période où l’État national tend à devenir le cadre prioritaire de l'identité
collective. Le rescrit impérial sur l'éducation, promulgué en 1890 2 , qui a institutionnalisé
le culte de l'empereur, symbolise au mieux ce processus. Ce texte, fondé essentiellement
sur la morale confucianiste faite de loyauté envers l'empereur et de piété filiale, fut
distribué dans toutes les écoles avec le portrait du couple impérial. Ce rescrit venait dans
le prolongement de la promulgation de la Constitution de 1889 dont nous pouvons dire
qu'elle fut - outre une adaptation au droit et à la situation internationale - une réponse
gouvernementale au mouvement populaire du Jiyû minken undô .
Ce mouvement est né dans le contexte des deux premières décennies de l'ère Meiji,
marquées par l'ouverture à l'Occident, au marché mondial, et par l'adoption de
l'universalisme du droit bourgeois, de ses institutions, toutes choses qui ont favorisé aussi
la pénétration de ses diverses doctrines «universalistes» ( cosmopolitisme,
individualisme, christianisme, démocratisme... ) .
À la suite de ce processus, le monde intellectuel de la troisième décennie de l'ère Meiji
fut dominé par les deux grands piliers représentés d'une part par la Minyûsha
démocratique de Tokutomi Soho et de l'autre la Seikyô-sha nationaliste de Miyake Setsurei,
éditeur de la revue Nihonjin .
La première décennie de Meiji avait été marquée par un puissant courant
occidentaliste de toute l'élite, intellectuelle et politique. Le premier but de la diplomatie
japonaise, la révision des traités inégaux, les dirigeants pensaient l'obtenir grâce à une
reconnaissance par l'Occident de leur modernisation. Et ils pensaient que celle-ci serait
 
 
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d'autant plus rapide que les Japonais adopteraient les mœurs et les institutions
occidentales. Cet occidentalisme se divisait entre le courant libéral anglo-saxon, le courant
radical français et le courant étatique allemand. Itô Hirobumi, à son retour de voyage
d'Allemagne, imposa au gouvernement le modèle allemand. L'élaboration de la
Constitution qui lui fut confiée en porte les marques évidentes.
Les réactions populaires au nouveau gouvernement de Meiji contenaient des aspects
démocratiques et nationalistes, par la suite représentés chacun par les deux tendances
distinctes, celle du heiminshugi d'une part, celle du nationalisme d'autre part.
Nous n'aborderons pas ici les courants nationalistes, mais nous allons nous attacher à
dégager ce que le heiminshugi de Tokutomi avait de commun et de différent avec celui que
défendait Nakae Chômin. Tokutomi avait demandé à Chômin d'écrire l'introduction de
son livre le Japon de l'avenir. Chômin l'avait donc lu très attentivement, et son fameux
ouvrage Dialogues politiques entre trois ivrognes ( Sansuijin keirin mondô , 1887 ) , est en
partie une réponse au livre de Tokutomi. C’est donc à travers l’analyse de ces ouvrages
que nous comprendrons le mieux leur différence.
La première réside dans une perception de l'avenir du Japon : Chômin critique
l'évolutionnisme mécaniste de Tokutomi, son admiration naïve pour l'Occident, son rejet
systématique du passé.
La seconde grande différence tient à l'importance accordée au débat politique. Après
l'échec du JMU , nombre de penseurs ou de dirigeants politiques revoient plus ou moins
leurs perspectives politiques. Chez les opposants au gouvernement, certains persistent à
défendre le heiminshugi dans la lignée de la pensée politique de Nakae Chômin, alors que
Tokutomi Sohô se situe dans une perspective moins politique. Ce dernier considérait que
la politique ne devait plus être la motivation exclusive pour mobiliser les jeunes, ceux-ci
devant forger leur avenir en dehors de cette préoccupation.
Ainsi Tokutomi Sohô propose une seconde révolution qui doit remplacer l’ère de la
politique par celle de l'éducation. Éducation nouvelle qui se caractérise par son
occidentalisation.
Cette époque nouvelle, constructive, à laquelle les jeunes sont invités à adhérer, est
annoncée par la promesse d'une convocation d'un Parlement. Si le JMU a vu le jour, avec
la pétition lancée par Itagaki Taisuke, en 1874, pour la convocation d'un Parlement, la
réalisation de cet objectif a impliqué, dans les faits, la répression de ce mouvement, trop
populaire aux yeux des oligarques de Meiji.
Le texte de Nakae Chômin nous indique les enjeux et les débats au sein de ce
mouvement populaire et une réflexion sur ses objectifs, alors que Tokutomi propose la
rupture d'avec les pratiques politiques du mouvement populaire.
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Les idées directrices de Tokutomi Sohô .
Pour Sohô, la société militaire est une société inégalitaire où dominent le despotisme,
l'aristocratie, et l'expansionnisme. Au contraire dans la société basée sur la production,
naîtra une société égalitaire fondée sur la liberté, la paix et la justice.
Il oppose ces deux sociétés : la liberté contre la contrainte, l'égalité contre l'inégalité, la
nature contre l'artifice, la paix contre l'agression.
Enfin, pour Sohô la société progresse d'une société militariste ( bubi shakai ) vers une
société tournée exclusivement vers la production ( seisanshakai ) . Le XIX e siècle est celui
des guerres, des rapports de forces, mais il laissera la place à une époque où régneront le
pacifisme, le commerce libre. Le heiminshugi est donc le principe d'avenir pour le Japon 3 .
Le heiminshugi que développe Tokutomi, fut élaboré à travers l'introduction de
pensées occidentales modernes. Tokutomi Sohô voyait, dans la modernité occidentale, le
portrait de l'avenir du Japon. L'Occident apparaît dans de nombreux passages comme la
source du progrès et de la liberté, l'Asie celle de l'ordre. Ce qui est occidental est ce qui est
constructif, jeune, et appartient à l'avenir. Occidentalisme des lumières de Meiji, le
heiminshugi repose sur l'opposition entre l'Orient et l'Occident : la nouvelle époque
procède de l'Occident, l'ancienne de l'Orient. Cependant cet occidentalisme ( ôkashugi )
partait d'une critique virulente c ontre l'occidentalisme de la première décade de Meiji.
Cette critique s'exprimait sur deux plans :
1 - Contre le fait que l'occidentalisme, jusque là, avait été superficiel et matériel et
qu'il ne s'était pas attardé sur les prémisses spirituelles de cette civilisation
matérielle 4 . Cette civilisation spirituelle est la vertu de la société civile
( Heimin-shakai no dôtoku ) , qui repose sur le comportement de respect vis-à-vis
de l'autonomie ( jiritsu ) , l'amour de soi ( jiai ) , l'indépendance ( dokuritsu )
5 .
2 - Contre l'occidentalisation, apanage d'une minorité de privilégiés, et éloignée
des besoins de la société civile. Il critiquait donc l'occidentalisation limitée aux
aristocrates et aux bureaucrates.
Il dénonce le déséquilibre né entre les couches supérieures et les couches inférieures
de la société, entre la bureaucratie et le secteur civil, entre les villes et les campagnes.
Alors que la civilisation occidentale est née, d’après Tokutomi, des besoins des peuples, la
réception de celle-ci au Japon provoque d'autres phénomènes, néfastes comme les
contrastes du niveau de vie quotidien ( habitat, nourritures, restaurants, boissons etc. )
entre l'élite et les couches populaires.
Le heiminshugi qu’il prônait devait ouvrir de nouvelles perspectives plus
« démocratiques » à l'occidentalisation. Il opposait à l'occidentalisation par le haut, une
 
 
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occidentalisation par le bas.
Les idées de Chômin et Dialogues politiques entre trois ivrognes
Dans cette satire, Chômin, au travers de ses trois personnages, le gentleman
occidentalisé, le vaillant guerrier et le professeur Nankai, organise une confrontation de
points de vue politiques antagonistes. Le premier défend la démocratie, le second
personnage, l’expansionnisme sur le continent, et ces deux personnages demandent sans
cesse conseil au troisième personnage, le professeur. Outre un exposé sur les divers
régimes politiques qui ont existé en Europe et en Asie à travers les différentes périodes
historiques, on y trouve des positions originales sur l’attitude à prendre face à la question
de la guerre.
Conscient des risques qu'une guerre européenne s'étende à l'Asie, à cause de la rivalité
entre la Russie et l'Angleterre pour l'hégémonie dans cette région 6 , il s'interroge sur ce
qu’un petit pays comme le Japon pourrait faire. Le refus et l'inutilité de l'armement sont
les arguments développés par le gentleman occidentalisé. L'expansionnisme sur le
continent chinois est la solution défendue par le « vaillant guerrier ».
Le défaitisme militaire au service la révolution démocratique.
Ce texte, écrit après la répression et le recul du Jiyû minken undô , reflète bien les termes
du débat qui animaient ses protagonistes. Deux courants s’affrontent entre, d'une part le
nationalisme qui prend la forme de l'expansionnisme, et d'autre part, le courant
démocratique radical qui prend, pour idéal, un État pacifique. Il faut souligner que ces
deux courants coexistaient au sein du mouvement JMU , en particulier avec la reprise de
ce mouvement en 1887 après la répression de 1884.
Le radicalisme du pacifisme du gentleman occidentalisé est resté célèbre, car sa
déclaration de principe va jusqu'à refuser de prendre les armes pour défendre le territoire
même en cas d'agression. Son long plaidoyer pour la démocratie se termine ainsi par la
défense du principe démocratique entre les nations qui doit impliquer le désarmement.
Nous allons citer ici, bien que ce soit un peu long le dialogue de la fin du premier
discours.
Le gentleman :
« Je suis persuadé qu'un pays aussi fou n'existe pas. Si jamais il devait exister, nous
n'aurions d'autre choix que de réfléchir aux différentes mesures à prendre. Mais mon souhait
est que nous ne possédions pas une seule arme, ni une seule balle et je leur déclarerais
calmement : "Nous ne vous avons jamais offensé. Nous n'avons, heureusement, aucune
 
Politique étatique et débats politiques à l’ère Meiji
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raison d'être critiqués. Nous avons mené une politique républicaine sans jamais
provoquer de conflits internes. Nous ne souhaitons pas vous voir venir pour mettre le
pays en désordre. Rentrez chez vous sans tarder". Si malgré notre réponse ils refusaient de
nous écouter et qu'ils chargeaient leurs fusils et canons de leurs balles, nous n'aurions plus
qu'à crier d'une grande voix : " Vous n'êtes que des brutes inhumaines ! ". Et nous
n'aurions plus qu'à mourir. Je n'ai pas de mesures extraordinaires à proposer » .
Le vai l antguerrier s'esclaffa :
« Je sais que la philosophie aveugle l'esprit des gens, mais à ce point ! Après avoir parlé
pendant des heures, disserté sur les tendances mondiales, l'histoire politique, vous en arrivez à
la fin de votre discours à nous proposer ni plus ni moins que le peuple tout entier se donne la
main juste pour tomber et mourir tous ensemble sous les balles ennemies. C'est trop absurde !
Est-ce là la force divine de votre dieu de l'évolution ? Heureusement, je sais que la majorité des
gens ne voudront jamais compter sur la compassion d'un tel dieu . »
Legentleman occidentalisé :
« Tous les intellectuels en Europe qui refusent la guerre considèrent que l'agression va à
l'encontre de la morale, mais que la défense s'y conforme. C'est une tentative d'application à
l'Etat, par analogie, de la légitime défense qui revient à chaque individu. D'après moi, c'est un
raisonnement qui s'oppose aux principes de la philosophie.
Car le meurtre est par essence mauvais. Parce qu'il brise l'ordre de la vie. C'est pourquoi
même s'il peut arriver que quelqu'un vous tue, il ne faut pas tuer autrui. La question n'est pas
de savoir si c'est un voleur ou un malfaiteur. En effet, si l'on admet qu'on puisse tuer l'autre
parce qu'il veut vous tuer, cela revient à dire que l'on peut faire le mal parce que l'autre fait le
mal. Certains diront peut-être ceci : la vie est un bien précieux, ce voleur a voulu me l'ôter, et
si je l'ai tué c'est pour me protéger moi et ma précieuse vie. Je répondrais à cela, oui la vie est
précieuse, si la sienne l'est, celle d'autrui également. La question n'est pas de savoir si l'autre
est un voleur ou pas. De ce point de vue, pour protéger sa vie, il faut exclusivement se défendre
en attendant l'arrivée des policiers. C'est ce qu'il y a de mieux à faire. Le droit à l'autodéfense
est actuellement accepté dans les cas où il est impossible de faire autrement.
Mais si on applique ce raisonnement à l'Etat, son aspect irrationnel apparaît avec plus
d'acuité. Car dans le cas où un pays ennemi viendrait à nous attaquer, nous alignerons nos
soldats qui seront amenés à tirer des balles et c'est déjà un acte offensif mené dans le cadre de la
défense. C'est donc un acte condamnable. Cher Vaillant guerrier, si je souhaite que notre
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peuple ne porte aucune arme, ni ne tire une seule balle, et qu'il soit tué par les mains ennemies,
c'est parce que je souhaite faire de notre peuple tout entier l'incarnation vivante de la morale,
un modèle pour les sociétés à venir. Votre thèse est qu'il faut agir mal parce que l'autre fait le
mal, mais n'est-ce pas mesquin de raisonner ainsi ? »
Le maître Nankai écoutait ce dialogue sans dire mot, mais il but un verre et tendant
des coupes à chacun de ses invités, il dit :
« Cher Gentleman, j'ai bien compris votre raisonnement. Maintenant c'est à votre tour,
cher Vaillant guerrier, de nous faire entendre votre point de vue, j'espère que vous allez nous
faire entendre un beau discours et m'édifier. »
Nous verrons un peu plus loin que ce refus de la guerre repose sur la distinction entre
le souverain et le peuple dans un pays non démocratique. Dans ce texte, les conséquences
de ce raisonnement ne sont pas explicitées, mais Chômin s'appuie sur l'idée que la défaite
militaire est favorable à un changement de régime, donc à la prise du pouvoir par le
peuple.
C’est une idée que Chômin a défendu en 1900, lors de son adhésion en 1900 à la Ligue
nationale ( Kokumin dômeikai ) . À Kôtoku Shûsui ( 1871-1911 ) , amèrement déçu de voir son
maître rentrer, en 1900, dans le camp des partisans de la guerre contre la Russie par cette
adhésion, Chômin lui répondit que cette guerre faciliterait le changement politique du
Japon grâce à la défaite qu'elle lui infligerait 7 .
Ce raisonnement de Chômin n'était pas absurde : l'émeute de Hibiya, en septembre
1905, entraîna la chute du gouvernement en place. C'était la première fois, de toute
l'histoire du Japon, qu'un gouvernement tombait à cause des mouvements de la rue. Mais
le courant chauviniste en tira certainement plus parti que le courant socialiste, même si
celui-ci connut sa période la plus importante de l'ère Meiji immédiatement après
( 1906-1907 ) .
Laissons de côté la question de savoir si Chômin repren d , à son compte ou non, cette
idée de défaitisme salutaire dans les Dialogues , c'est son existence même qui retient notre
attention.
Cette idée du défaitisme vient, sans doute, de l'influence des auteurs que Chômin a lus,
pendant son séjour en France, entre 1872 et 1874 8 . Pendant cette période, alors qu'il avait
été envoyé par le ministère de la Justice pour étudier le droit, il y étudia davantage la
philosophie, l'histoire et la littérature. Il avait néanmoins suivi des cours de droit et, en
particulier, étudié les ouvrages d'Émile Acollas ( 1826-1891 ) , spécialiste du droit civil,
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nommé doyen de la Faculté de Droit par la Commune de Paris en 1871. Emile Acollas 9 fut
un des organisateurs de la Ligue de la paix et de la liberté, fondée à Paris en mai 1867 10 . Sa
conception théorique reposait, en grande partie, sur celles de Kant défendues dans le
Projet pour une paix perpétuelle . Citons un passage du livre de Chômin qui illustre bien
cette influence :
« Ceux qui ont un esprit et un corps sont tous des hommes, égaux. Où est la différence
entre les Européens et les Asiatiques ? Il y en a encore moins entre les Anglais, les Français, les
Allemands ou les Russes. Il y en a encore moins entre les Indiens, les Chinois ou les habitants
des îles Ryûkyû 11 . Aujourd'hui, on argue inévitablement les noms de l'Angleterre, de la Russie
ou de l'Allemagne, mais ce ne sont que les noms de terres qui appartiennent aux rois de ces
pays. Dans le cadre de la souveraineté populaire, celle-ci est l’unique maître, le nom d'un pays
n'est rien de plus qu'une appellation désignant une partie du Monde. Donc, quand je
demande : De quel pays es-tu ? , finalement, cela signifie : Sur quelle partie de la Terre
vis-tu ? . Il n'y a aucune raison pour qu'il y ait des barrières entre soi-même et les autres, et
par conséquent, aucun sentiment d'hostilité ne peut y naître. Mais lorsqu'il y a un maître
dans un pays, le nom du pays est le numéro de chambre de ce maître. Donc quand on dit : Je
suis de tel pays. Finalement, cela signifie : Je suis le sujet du roi de tel pays. Cela signifie qu’on
érige des murailles entre soi-même et les autres, et dès lors un sentiment d'hostilité apparaît.
Quand on sépare les différentes parties de la Terre, comme le veut le système monarchique, il
en découle cette calamité qu’est la distinction entre ses habitants des différentes parties .
Ah, viv e la démocratie ! Et rien que la démocratie ! En délimitant les parties de la Terre en
pays A et B simplement pour qu'il soit plus facile de les nommer, on ne fait pas de distinction
entre les habitants. Mêler les connaissances et l'amour des hommes du monde entier pour n'en
faire qu'un seul, parvenir à n'en faire qu'un seul grand corps parfait, c'est ça l a dé mocratie. » 12
12
Souvent, les commentateurs de ce livre se posentl a quesiond es avoirà quel
personnage ou à quelles positions Chômin s'identifiait, quelle était réellement son opinion.
On lui reproche parfois, d'avoir manqué de cohérence politique 13 . Or, l'intérêt de ce texte
se situe davantage au niveau de la connaissance qu'il nous apporte des enjeux du débat
politique dans une période qui se situe après l'échec du JMU , à la veille de la
promulgation de la Constitution en 1889.
Le passage que nous venons de citer, souligne clairement l'association entre le courant
démocratique radical et le pacifisme, la conception internationale de cette démocratie. Et,
si nous avons indiqué que ce texte était une réponse à Tokutomi Sohô, nous allons nous
arrêter plus particulièrement sur leurs conceptions respectives des relations
 
 
 
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Christine Lévy
internationales,
La conception des relations internationales
Ce texte est émaillé de passages qui révèlent une clairvoyance assez exceptionnelle sur
la nature des relations internationales. Les idées qui sont développées à propos de la
guerre sont tout à fait originales. Outre les analyses pénétrantes sur ses causes, l'idée que
les guerres ne sont menées que dans l'intérêt des monarques et des despotes est
argumentée à maintes repris es. Les aspects psychologiques de l’entraînement à la guerre
sont analysés avec une grande finesse.
D'où lui vient cette lucidité ? Quels sont les éléments marquants de l’itinéraire de cet
hommes urnommél eR ousseaud el 'Orient, traducteur du Contrat social en kanbun
( chinois classique ) 14 qui pourraient nous expliquer l'origine de cette acuité ?
À la différence de ses compatriotes, arrivé en France en 1872, il y connut la misère.
Mais après cette expérience européenne, qu'il aurait souhaité prolonger, il fut obligé de
revenir au Japon. Le long voyage du retour lui permit de visiter la Turquie, l'Inde, Port
Saïd, Saigon. Le retour revêtit une importance égale à son séjour en Europe. Il fut révolté
contre le colonialisme, et son admiration pour la civilisation européenne en fut ébranlée.
Il découvrait que derrière les principes admirables de la civilisation occidentale et
moderne, se dissimulaient des aspects barbares 15 . Cette expérience le persuade que
l'Occident n'est pas le détenteur unique du progrès :
« [...] la loi du progrès n'est qu'un nom que l'on a appliqué à la marche des choses de ce
monde [...] Le gentleman défend la vertu du progrès, mais son chemin est sinueux, quand on
croit qu'il monte, il descend, quand on croit qu'il va à gauche, il va à droite [. . ] En aucun cas
il ne s'agit d'une ligne droite. Si nous, êtres humains, nous prétendions no us mettre à la tête
de ce Dieu du progrès pour le diriger, quels malheurs nous provoquerions, nous ne saurions
même pas l'imaginer » [...] « Monsieur le gentleman, d'après votre raisonnement, il faudrait
croire qu'en Perse, en Turquie le Dieu du progrès n'existe pas! Et la Chine ! Le Dieu du
progrès est celui qui a le plus grand nombre de variété d'amour. » 16
À son retour au Japon, il ne trouva pas de poste dans l'administration, probablement
parce qu'il devait son séjour d'étude à la recommandation d'hommes politiques entrés
dans l'opposition en 1873, comme Itagaki Taisuke. Dès que celui-ci retrouva un poste de
Sangi-in ( conseiller ) au sein du gouvernement, Chômin fut nommé directeur de l'École
des langues étrangères de Tôkyô, le 23 février 1875.
Mais, il démissionna au bout de trois mois, en butte à l’opposition à ses projets du
 
Politique étatique et débats politiques à l’ère Meiji
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ministère de l’Education, dominé par le cour ant de Fukuzawa Yukichi. Chômin voulait y
introduire l'enseignement des classiques chinois, mais le ministère, promoteur de la
pensée occidentale ne voyait pas d’un bon œil la lecture de Mencius et de Confucius. Le
choix de traduire Rousseau, en chinois classique, prouve qu'à cette époque, malgré le
mouvement pour le genbun itchi 17 , il jugeait le chinois littéraire indispensable à la
réception des idées occidentales. Par exemple, il imposait à tous ses disciples la lecture de
Mencius, qu'il estimait comme le démocrate d'Orient, ainsi que celle de Zhuang zi. Il
souhaitait, avant tout, que les Japonais restent capables de lire les classiques chinois. Po ur
lui, la culture chinoise faisait partie de la culture orientale que les Japonais se devaient de
connaître, même si le chinois classique n’était pas une langue parlée. Pour Chômin, si on
la négligeait, l'assimilation de la culture occidentale ne pourrait se faire que de façon
superficielle. Il comparait le chinois classique au latin et au grec en Europe 18 . L'étude de la
Révolution française l’avait conv ai ncu de l'importance de l'étude des classiques, et il
opposait volontiers, le XVIII e siècle européen qu'il admirait, au XIX e siècle dont il exécrait
l'utilitarisme. Il croyait, aussi, à une sorte de Renaissance orientale qui passerait par
l'utilisation des classiques chinois dans la réception des sciences, de la philosophie et des
techniques occidentales 19 .
Après cette démission, il occupa pour la dernière fois de sa vie un poste de
fonctionnaire, de 1875 à 1877, au Genrô-in organe consultatif dont le but était de préparer
la voie à l'installation progressive d'un gouvernement constitutionnel. Il s'y trouvait
d'autres membres de la gauche du JMU , comme Ôi Kentarô; c’était un organe
relativement progressiste à ses débuts.
Mais, en janvier 1877, Chômin le quitta car, il affirmait qu’il était difficile de rester
fonctionnaire sans compromettre le rousseauisme. Un article publié dans Hyôron shinbun ,
fin 1876 ( n° 91 ) , sous le titre Seifu no kan.nin wa Rousô o kiwawaru ( Les fonctionnaires du
gouvernement détestent Rousseau ) lui est attribué. Il était déjà difficile à son époque de
demeurer rousseauiste et de garder une fonction au sein du gouvernement. Plus jamais,
Chômin ne sera fonctionnaire ; il choisit de rester un intellectuel dans l'opposition.
Militant très actif, ses nombreux textes constituèrent une source théorique de premier
plan dans le JMU . Il fut expulsé de Tôkyô avec 570 autres militants le 25 décembre 1887 20 .
Chômin s'installa à Ôsaka 21 .
Les éléments des discours développés dans le livre Dialogues politiques entre trois
ivrognes se retrouvent dans de nombreux textes qu'il avait écrits auparavant. Citons
Questions et réponses sur l'Assemblée nationale ( Kokkai mondô ) , paru du n° 13 au n° 34
( interdit à partir de ce dernier numéro ) dans le journal qu'il dirigea à partir de mars 1881,
le Tôyô jiyû shinbun . Le texte resta inachevé à cause de la censure. Mais il y oppose déjà la
 
 
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Christine Lévy
Constitution qui découle du contrat social ( Minyaku kenpô ) à la Constitution octroyée
( Kintei kenpô ) qu'il juge non démocratique. Le thème traité sous forme de dialogues entre
un partisan d'une Constitution basée sur la souveraineté populaire, et un partisan d'une
Constitution qui limite les prérogatives du peuple, se retrouvera dans Dialogues politiques
entre trois ivrognes dans un contexte politique radicalement changé : tout espoir d’une
Constitution garantissant la souveraineté populaire, s'était évanoui.
Notons, aussi, un article significatif sur le rôle de la diplomatie, intitulé Rongaikô écrit
en 1882 dans le Ji yû shinbun . Dans ce texte, il déclare qu'il faut rejeter la guerre, construire
l'indépendance non pas en imitant les grandes puissances dont la tendance à
l'expansionnisme est forte, mais construire un « petit pays indépendant ». Il propose une
alternative au mot d'ordre gouvernemental de cette époque Fukokukyôhei ( Pays riche , armée
forte ) 22 , le principe de shôkokushugi ( La doctrine du petit pays ) , dont les caractéristiques
doivent être les suivantes :
1 ) Politique pacifiste
2 ) Défense des droits fondamentaux de l'homme
3 ) Critique de l'oppression sur les petits peuples et de l'expansionnisme.
Il y critique l'attitude qui consiste à considérer son propre pays, comme civilisé
( Bunmeikoku , et sous ce prétexte, à dominer et à mépriser les autres pays. Il condamne
l'expansionnisme des grandes puissances et du gouvernement japonais qui veut les imiter.
Dans la conception de Chômin, la démocratie, l'égalité de tous doivent nécessairement
entraîner l'égalité et la solidarité entre les pays, quels qu'ils soient.
Il évoque les conséquences de cet expansionnisme et de cette rivalité, entre les grandes
puissances, dans son ouvrage, Dialogues politiques entre trois ivrognes . Le ton prophétique
et son caractère prémonitoire ne peuvent que nous surprendre :
« C'est pourquoi, à mon avis, si la France et la Prusse transforment l'Europe en champ de
bataille, la Russie se précipiterait vers l'Est. Alors les conséquences de la guerre ne se
limiteraient pas au continent européen. Les îles d'Asie ne pourraient demeurer sans devoir
subir les feux de la guerre... En résumé, la France et la Prusse se disputent l'hégémonie en
Europe, la Russie et l'Angleterre se disputent l’hégémonie dans l'expansion vers l'Asie. Voilà
la situation mondiale actuelle.
Quand des plaines d'Europe s'élèveront les fumées et les odeurs de la poudre que la Prusse
et la France y propageront, quand l'Angleterre, la Russie entraîneront le continent asiatique,
mettant les mers à feu et à sang, est-ce que le droit international sera capable d'empêcher les
violences utiles aux stratèges de la guerre? » 23
 
Politique étatique et débats politiques à l’ère Meiji
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Ainsi parle le professeur Nankai. Même si nous pouvons concéder que Chômin ne
s’identifie pas complètement au professeur Nankai, c’est bien le personnage dont il est le
plus proche. Chômin développe ensuite l'analyse des raisons qui freinent l'avènement de
cette guerre, toujours à travers les paroles du professeur Nankai : l'équilibre des forces
militaires, et critique l'idée que l'expansion du Japon en Chine lui donnerait la force
d'affronter ces puissances. Il souhaite, au contraire, une alliance entre ces deux pays, car la
haine ancestrale entre le Japon et la Chine, dont les expansionnistes prennent prétexte,
n’est qu’imaginaire. Seule, la névrose explique l'embrigadement des peuples dans ces
sortes de guerres :
« Ainsi lorsqu'une guerre éclate entre deux pays , ce n'est pas parce qu'ils aiment la guerre,
mais parce qu'ils la craignent. Par crainte de l'adversaire, l'on se précipite dans l'armement.
L'adversaire, à son tour, s'affole et renforce son armée. Ainsi la névrose réciproque ne fait que
s'aggraver, de jour en jour, de mois en mois. À cela se joignent les journaux qui étalent leurs
mélanges de faits réels et de démagogie . » 24
La critique du colonialisme et de l’impérialisme occidentaux
Comme nous le constatons, chez Chômin, l'Occident n'est pas automatiquement
assimilé à ce qui est constructif, positif, comme chez Tokutomi, et ses forces destructives
sont effroyables. La démocratie, le heiminshugi , pour Chômin, n'est en aucun cas, un
occidentalisme, mais le résultat d'un progrès propre à chaque pays, et ne prend un sens
authentique que dans l'égalité entre tous les pays. Or tel n'est pas le cas des civilisations
occidentales dont la puissance repose sur le colonialisme :
« À titre d'exemple, regardez la situation économique des pays d'Europe. L'Angleterre
s'est établie une base en faisant sienne la lointaine Inde ; elle a envahi des provinces d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique, elle y a envoyé des colons, elle a ainsi mis sur pied un plan qui lui a
permis de s'enrichir sans oublier la moindre colonie à occuper. L a France s'est emparée de
l'Algérie en Afrique, de Saigon en Inde 25 , et de l’Annam en Chine. Les terres occupées sont
plus ou moins grandes et le pouvoir exercé est plus ou moins important, mais il n'y en a pas un
qui n'ait envahi des territoires, qui ne s'y soit installé et n'ait renforcé une politique
d'ouverture de débouchés pour ses propres produits . » 26
Chômin affirme que la seule réplique satisfaisante contre la politique de ces pays,
prétendument civilisés mais dans les faits, barbares, est la réalisation d'une civilisation
authentique, idéal trahi par ceux-là même qui le brandissent. Le « vaillant guerrier » le
 
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Christine Lévy
traite de fou en réponse et le ravale au même rang que le gentleman occidentalisé à qui
Chômin fait dire :
« À l'aube où un petit pays arriéré sur le chemin du progrès vers la civilisation, se lèverait
du bout de l'Asie, franchirait d'un coup les frontières de la liberté et de la fraternité, détruirait
les fortifications, ferait fondre les canons, convertirait les cuirassés en navires de commerce,
réformerait les soldats en citoyens, approfondirait la morale, étudierait les techniques
industrielles, pour devenir d’authentiques fils de la philosophie, les gens des pays européens qui
se prétendent civilisés pourraient-ils réprimer leur honte ?
[ . .] Vouloir pour un petit pays faire face à une grande puissance sur le plan militaire c'est
comme lancer des œufs contre un rocher. En face, ils ont comme idéal la civilisation. Pourquoi
ne pas nous armer de la morale spirituelle qu'ils vénèrent ? Et qu'ils ne réussissent pas à
mettre en pratique ?
Faire de la liberté notre armement, notre marine, faire de l'égalité notre forteresse, de la
fraternité notre épée, notre canon. Trouverions-nous alors, un seul ennemi sur terre ? »
Mais Chômin est conscient que, face à un ennemi prêt à vous croquer, l'idéal ne suffit
pas toujours :
« Les soldats des pays d'Europe sont des loups et des lions,[...] Ils ont la gueule ouverte
toute l'année, mais ils ne peuvent pas croquer comme ils veulent. C'est pourquoi, je le dis, les
positions défendues par le démocratisme du gentleman, par l'expansionnisme du guerrier,
dérivent tous deux d'une surestimation de la situation européenne . » Aux deux personnages
qui protestent en choeur : « Mais alors, si un jour, ils nous attaquent effrontément ? » Le
professeur Nankai répond : « Si cela arrivait malgré les obstacles que j'ai énumérés, le
peuple entier se soulèverait comme un seul soldat et saurait se défendre, car eux seront en
terrain étranger, nous chez nous, eux en tort, nous dans notre droit ». 27
Dans ce texte, nous pouvons y trouver aussi bien l'idée de défaitisme favorable à un
changement de régime, que celle de la légitimité de la guerre du peuple. Le colonialisme
et la rivalité impérialiste des pays occidentaux y sont dénoncés, ainsi que
l'expansionnisme japonais comme solution pour « acheter la civilisation » et rattraper les
pays occidentaux.
Ce que ce petit chef-d'œuvre de pamphlet politique nous révèle en premier lieu est
l'émergence du débat démocratique au Japon dans le cadre et à la suite du JMU en
empruntant à Rancière la définition de la démocratie qui « n’est ni une forme de
 
Politique étatique et débats politiques à l’ère Meiji
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gouvernement, ni un style de vie sociale, elle est le mode de subjectivation par lequel existent des
sujets politiques . »
Le consensus tend à faire disparaître le fondement de la politique selon Rancière :
l’émergence de sujets politiques manifestant face aux autres leurs désaccords, un conflit
qui révèle — même tendanciellement — sa portée universelle.
Face à l'art politique des gouvernants et dirigeants politiques de réduire la politique à
la police, de lui assigner un lieu qui n’est pas accessible au démos, à ce peuple toujours de
trop, Chômin retrace le débat interne qui anima le JMU et qui donna naissance à de
nouveaux courants politiques antagoniques. Par son refus de réduire la politique au lieu
étatique et la pratique politique, à une pratique étatique, il nous donne à voir les débats
politiques qui ont animé la société japonaise à son époque et dont les enjeux furent à
portée universelle tout au long du vingtième siècle, et qui le demeurent encore, ceux
notamment des liens historiquement inextricables entre démocratie et impérialisme, entre
idéal et réalité.
Notes
( 1 ) Voir Andrew Gordon, Labor and Imperial Democracy in Prewar Japan , University of
California Press, Berkeley, Los Angeles, Oxford, 1990, chap.1, pp.18 et sq.
( 2 ) Kyôiku ni kansuru chokugo , en abr. Kyôiku Chokugo .
( 3 ) Ces conceptions sont influencées par Spencer, Principles of Sociology, 1884, New York
mais aussi par Richard Cobden ( 1804-1865 ) , John Bright ( 1811-1889 ) . Même si dans
ses textes, Tokutomi critiquait Fukuzawa Yukichi, le rangeant parmi les vieillards
( rôjin ) de l’ère Tempô, on retrouve de nombreux points communs dans la mesure où
les références théoriques sont proches ( Spencer fut influencé par Comte, fondateur du
positivisme ) . Le positivisme historique de Buckle et de Guizot est la principale
référence de Fukuzawa Yukichi, dans sa rédaction de Bunmeiron no gairyaku , 1876. Le
libéralisme économique constitue la base commune à ces deux promoteurs.
( 4 ) Fukuzawa Yukichi exprime exactement les mêmes critiques dans le second chapitre
de Bunmeiron no gairyaku ( à partir de la page 29 dans l'édition Iwanami bunko ) .
( 5 ) Tokutomi reprend la défense de l’individualisme de Spencer, justifiant la concurrence
économique.
( 6 ) Ienaga Saburô ( dir. ) Nihon heiwaron taikei , vol.1, pp.247 et sq.
( 7 ) Episode cité dans l'ouvrage d'Asukai Masamichi ( 1969 ) , ainsi que dans celui de
Hayashi Shigeru, Kindai nihon no shisôka tachi , ( Les penseurs du Japon moderne ) ,
Iwanami shinsho, Tôkyô, 1958, p.37.
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Christine Lévy
( 8 ) Désireux de partir faire des études à l’étranger, il en fait la demande auprès de Ôkubo
Toshimichi. Grâce à lui et à Itagaki, il obtient du ministère de la Justice une bourse
d’étude pour la France. Il part en novembre 1871 au sein de la délégation d’Iwakura.
Passant par les États-Unis, il quitte Saltlake le 14 janvier 1871 pour se diriger vers la
France.
( 9 ) Chômin le cite dans son ouvrage, Dialogues politiques entre trois ivrognes , ( Nihon
heiwaron taikei, op. cit ., pp.196-197 ) . D'autre part, Emile Acollas fut traduit par son
disciple Sakai Yûzaburô ( 1860-1900 ) , le premier Japonais à avoir participé à un
congrès de la II e Internationale ( le second ) , en 1891. Sakai Yûzaburô traduisit La
philosophie de la science politique d'Acollas en 1884, sous le titre Seiri Shinron.
( 10 ) Son premier congrès de la Paix et de la Liberté, se tint du 9 au 12 septembre 1867 à
Genève. Il réunit des blanquistes, des jeunes républicains, et des membres de
l'Internationale et de nombreux intellectuels prestigieux de l’époque comme V.Hugo,
J.Vallès, J.S. Mill, Garibaldi, Dostoïevski... Ils aboutissent à un rapprochement durable.
À son retour Emile Acollas fut condamné à un an de prison. À sa sortie, il trouve un
poste de professeur à Berne, d'où il n'aura pas le temps de revenir avant la répression
de la Commune.
( 11 ) Les îles Ryû-kyû furent sous tutelle chinoise et japonaise à partir du XV e siècle, puis
soumises aux Shimazu du fief de Satsuma à partir du XVII e siècle. Le Japon considéra
les îles Ryûkyû comme partie intégrante du territoire japonais en 1871, ce que la Chine
refusa de reconnaître d'abord, mais elle fut contrainte de l'accepter à la suite de
l'expédition japonaise à Taiwan en 1874. Ces îles furent nommées préfecture
d'Okinawa en 1879.
( 12 ) Op. cit. , pp.182-183.
( 13 ) Thème repris dans l'article de Kodama Nario « Idéologie et Utopie de Nakae
Chômin dans la Discussion sur la politique des trois hommes ivres », Japon Pluriel, 3,
Picquier, pp.189-197.
( 14 ) C'est cette traduction qui, à plusieurs reprises, a été éditée et diffusée en Chine
également. Une des raisons pour lesquelles Chômin traduisit le Contrat social en
kanbun était la censure. Celle-ci s’exerçait moins sur les textes écrits en kanbun.
( 15 ) Sur cette expérience asiatique, voir l'article de Matsunaga Shôzo, pp.419-449, dans le
volume 3, consacré à Nakae Chômin, de la collection Kindai Nihon shisô taikei , Éd.
Chikuma Shobô, 1974.
( 16 ) Nakae Chômin, Sansui keirin mondô ( Dialogues politiques entre trois ivrognes ) , Nihon
heiwaron taikei, pp.252-253.
( 17 ) Unité de la langue parlée et écrite. Mouvement pour écrire en japonais tel qu'il était
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parlé. Sakai Toshihiko a écrit des textes en faveur de l'adoption de ce style. Les styles
de ces deux militants diffèrent complètement : comme le remarquait Sakai, le style de
Kôtoku était fait pour les 6/10 de kanbun et 4/10 de japonais. Chez lui il ne restait que
3/10 de kanbun.
( 18 ) Cf. Nakae Chômin-shû , Kindai nihon shisô taikei, p.424.
( 19 ) Sur cet aspect de Chômin, voir Yonehara Ken dans notre bibliographie générale.
( 20 ) Tout élément qui aurait résisté à cet ordre de quitter la capitale devait être exécuté
sur place, d'après un arrêté secret. Cf. Asukai Masamichi, op. cit ., 1969, p.8
( 21 ) A. Fraser, R.H.P.Mason, P.Mitchell , Japan's Early Parliaments, 1890-1905 : structure,
issues and trends , Nissan Institute, Routledge Japanese Studies Series, 1995. Voir en
particulier le quatrième chapitre, écrit par Mason sur l'ordonnance de 1887.
( 22 ) L'article commence ainsi : « Les hommes politiques d'autrefois comme d'aujourd'hui ne
cessent d'avoir à leur bouche le mot d'ordre de Pays riche, armée forte. L'idée de richesse pour
notre pays ne peut que nous réjouir. Rien n'est plus souhaitable que de voir le peuple jouir de
l'abondance des biens et de la tranquillité. Mais je ne comprends pas pourquoi nous devrions
souhaiter avoir une armée forte. Su Xun ( 1006-1066 ) nous a appris que le militaire est
l'instrument contre la bienveillance. Renforcer l'armée ne peut avoir pour but que l'application
d'une politique contraire à l'humanisme au moyens des instruments malveillants. Tout être
vivant sur terre désire vivre longtemps. Pour l'homme qui est le roi de la Création c'est encore
plus vrai. Il est naturel que l'homme craigne la mort et aime la vie. Ce sentiment est commun à
tous les membres de l'espèce humaine, sans distinction de région d'ouest ou d'est, de passé ou
de présent, de pays civilisé ou pas »
( 23 ) Op. cit ., pp.248-249.
( 24 ) Op. cit ., p.265.
( 25 ) L'auteur commet une confusion, il veut probablement parler de Pondichéry.
( 26 ) Op. cit., p.187.
( 27 ) Op. cit., pp.263-264.
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