La libération
orageuse
Fenêtre ouverte sur la généralisation rugueuse
de la volonté de tous
D
ANIEL
N
EICKEN
rousseaustudies.free.fr
AVERTISSEMENT
Le corollaire à lire sur la texture principale de
la volonté de tous ayant une
longueur
telle
que
sa
communication
orale
serait
aussi
lourde ou
plantureuse qu’un opéra de Wagner, il faut que
j’offre un texte dont je pourrai parler aux vingt
minutes d’auditoire qui reviennent justement à
mes débuts d’équipier de
Tanguy
L’Aminot… et
qui donnera la parole à dix minutes d’un débat
que j’espère animé. Pour bien l’écrire, rien ne
sert de raboter mes longs développements sur
la
rugosité de Rousseau
en politique. Mieux vaut
prendre appui sur leur communication écrite et
ouvrir une fenêtre panoramique où fleurira une
promenade assez brève.
« […]
LA LOI
.
[…]
CET ORGANE SALUTAIRE
DE LA VOLONTÉ DE TOUS
,
[…]
CETTE VOIX
CÉLESTE
[…]. »
Jean-Jacques Rousseau,
Discours sur l’économie politique
« I
L Y A SOUVENT BIEN DE LA DIFFÉRENCE
ENTRE LA VOLONTÉ DE TOUS ET LA VOLONTÉ
GÉNÉRALE
;
CELLE
-
CI NE REGARDE QU
’
À
L
’
INTÉRÊT COMMUN
,
L
’
AUTRE REGARDE À
L
’
INTÉRÊT PRIVÉ
,
ET N
’
EST QU
’
UNE SOMME
DE VOLONTÉS PARTICULIERES
:
MAIS ÔTEZ
DE CES MÊMES VOLONTÉS LES PLUS ET LES
MOINS QUI S
’
ENTRE
-
DÉTRUISENT
,
RESTE
POUR SOMME DES DIFFÉRENCES LA VOLONTÉ
GÉNÉRALE
. »
Jean-Jacques Rousseau,
Du Contrat social, liv. II, chap. 3
« […]
LA FORMATION DU CIEL N
’
EST PAS
FONCIÈREMENT DIFFÉRENTE DE CELLE D
’
UN
ORAGE
[…]. »
Bréhier
sur Anaximandre
Ouverture pratique
Le nébuleux calcul des volets clos
Sur l’espoir malheureux
Libération et liberté
La volonté divine à l’origine
L’horizon nouménal en plus vertical
Sous le ciel de Malebranche
La voix céleste enfenestrée
Éclairage utopique
Les hommes de l’Utopie
Tous les Célestin, toutes les Célestine
Les enfants d’Adam
L’éclairante liberté des sauvages
L’illumination froide
Sous un simple chêne
L’échauffement des voix
Le naufrage terrestre
Le bon coup politique
Sous le parapluie inégalitaire
Les pires foudres à venir
La formule libératrice
Le ciel chargé des différences
Sur la hauteur du paratonnerre
Les orages bleus
Le sauvetage éclairé
L’extrême tension vers le bleu
Sous le souverain le gouvernement
La couverture contractuelle
La
LIBÉRATION ORAGEUSE
Fenêtre ouverte sur la généralisation rugueuse
de la volonté de tous
D
ANIEL
N
EICKEN
Chemin faisant contre les mauvaises
inégalités de tous les temps
historiques,
Jean-Jacques
Rousseau
a
bien
observé
que
«
l’homme
barbare […] préfere la plus orageuse liberté à un assujettissement
tranquille
1
». «
Malo periculosam libertatem quam quietum ser-
vitium
», disait
(
en latin
)
un «
vertueux Palatin
* dans la Diete de
Pologne »
2
. — Par la fenêtre qui va s’ouvrir, outre le fait entrevu
que les "hommes" sujets à la barbarie ne sont pas désespérément
seuls
à
préférer
ainsi,
on
observera
que
Jean-Jacques
aurait
ouver-
tement pu parler d’une
GÉOMÉTRIE
étonnante (
MAJESTUEUSE
à
plus d’un titre ), d’une prime « liberté » de référence propre aux
« Sauvages », d’une préférence pour "la plus
rugueuse
libération"
dans le chef des « Barbares » et d’une « vertu » égale au refus de
la "servitude", même "
lisse
", qui a malheureusement de moins en
moins cours parmi les hommes "civilisés" ; d’un vrai « reméde »
pouvant être extrêmement "orageux" ( ou
rugueux
), enfin.
Ouverture pratique
Le nébuleux calcul des volets clos
À la fin de sa « vie » devenue « orageuse »
3
, le toujours plus
vieux « Rousseau » de Philonenko « espère en Dieu et désespère
des hommes »
4
. Le «
désespoir
» en «
apothéose
»
:
ainsi finit-il
dans le dernier des volumes consacrés à sa
pensée du malheur
.
Vingt
ans
plus
jeune, il
aurait fermé ses volets au
monde social et
politique moderne pour se replier sur son
moi
pieux, en apaisante
communion
avec
la
verte
nature.
Opérée
par
le prétendu «
échec
»
1
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 181.
2
: «
* Le Palatin de Posnanie pere du Roi de Pologne Duc de Lorraine » prénommé
Stanislas, à une génération près. R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 405.
3
: R
OUSSEAU
, 1959
c
, II, p. 86.
4
: P
HILONENKO
, 1984, III-10, p. 241.
5
de la «
conception mathématique
5
»
du
Contrat social
( «
œuvre
fermée
»
que
«
Fichte
»
et les «
héros de la Révolution française »
croyaient «
ouverte
»
6
), cette fermeture ferait de ce « traité » un
« chant lugubre et funèbre », désespérément crépusculaire, d’où
«
Jean-Jacques regardait [déjà] vers le passé »
7
à travers les mots
de la formule – nébuleusement lue – du « Chapitre III du second
Livre du
Contrat social
8
» :
Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de
tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à
l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, et
n’est qu’une somme de volontés particulieres : mais ôtez
de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entre-
détruisent, reste pour somme des différences la volonté
générale
9
.
Fermement ancré dans les profondeurs du repli sur soi de son
désespéré, Philonenko n’a pas survolé ses projets visant la petite
Corse ( visée en 1765 ) et la grande Pologne ( visée en 1771 ). En
1778, le cercueil de plomb de Rousseau
s’en serait refermé sur
un
penseur
devenu
asocial
et
apolitique
dans
sa
dernière
pensée.
Et
la
terre de France, alors à la veille grondante de cette
Révolution
au
milieu de laquelle Hegel – malentendant à ses heures – entendra
s’entonner la nature terrifiante du
Contrat social
?
Sur l’espoir malheureux
Sentant venir la fin de sa lourde vie, le
«
vrai Rousseau
10
»
a
pourtant eu ces mots qui visent au minimum la
Révolution
née au
mois
de
juillet
1789
, rapportés en l’été de 1775
:
«
Nous touchons
5
: P
HILONENKO
, 1984, III-2, p. 32.
6
: P
HILONENKO
, 1984, III-1, pp. 21-22.
7
: P
HILONENKO
, 1984, III-3, p. 47.
8
: P
HILONENKO
, 1984, III-2, p. 30.
9
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, II-3, p. 371.
10
: G
AUCHET
, 1993, p. 150.
6

[…]
à
quelque
grande
révolution,
le
calme
dont
nous
jouissons
est
le calme terrible qui précède les tempêtes, et je voudrais que la
Providence
rapportât
au-delà
des
années
orageuses
qui
vont
éclore
le peu de jours qui me restent, pour être témoin du nouveau spec-
tacle qui se prépare.
11
» Philonenko cite ce brin de conversation
sans
analyser
sa
haute
teneur
en
espoir malheureux
12
.
«
Rousseau
ignore la date précise de la révolution », précise-t-il un paquet de
pages après avoir dit que le «
Contrat social
[…] dev[i]nt l’évan-
gile d’une Révolution qui n’en finissait pas de le trahir » ( et non
de le traduire )
13
.
Espérance paradoxale ? Certes, mais du même paradoxe que
de « tirer du mal même le reméde qui doit le guérir
14
». Et toute
idée d’une « apothéose du moi
15
» n’est pas exclue pour autant,
ce vœu ne pouvant être que pieu aux yeux d’un « visionnaire […]
lucide
16
» tel que l’était Jean-Jacques. Voulant voir ses derniers
« jours » reportés
outre
les « années orageuses » ( et non
tomber
dedans
), l’auteur
du
Contrat
social
ne
se
veut
pas acteur
scienti-
fique,
LÉGISLATEUR
ou «
héros » révolutionnaire sur le tard ; il a
plutôt la science de vouloir
contempler
les suites "spectaculaires"
attendues. D’où vient cette curieuse volonté ? Ni d’un triste don
de voyance ni d’un voyeurisme sadique, mais du fait patent que,
une quinzaine d’années après l’encrage de la première version du
Contrat social
, Rousseau est resté « loin de penser qu’il n’y ait ni
vertu ni bonheur possible pour nous, et que le ciel nous ait aban-
donnés sans ressource à la dépravation de l’espéce
17
». De plus,
un millier de journées avant de mourir, il sait tout des ressources
contenues
dans
ce
qui
sombre
et
du
malheur
de
ce
monde
qui
peut
principalement se ressourcer quand finissent les orages où le sang
coule à flots rouges. Aussi mourra-t-il en
espérant
curieusement
et
malheureusement
« des hommes ».
Libération et liberté
Penché sur le cas de Condorcet ( mort emprisonné en 1794 ),
Koyré observe ceci : « La Révolution française a dû – ou a réussi
à – être une révolution radicale, et c’est justement grâce à son ra-
dicalisme qu’elle a, pour l’histoire de l’humanité, une importance
absolument décisive : elle clôt l’histoire de la
libération
et elle
11
: R
OUSSEAU
, 1965-1991, XL, p. 20.
12
: P
HILONENKO
, 1984, III-8, pp. 155-156.
13
: P
HILONENKO
, 1984, III-1, p. 18.
14
: R
OUSSEAU
, 1964
mg
, I-2, p. 288.
15
: B
RUNSCHVICG
, 1953 ; 2009, p. 301 et ss ( n° 140-142 ).
16
: P
HILONENKO
, 1984, III-8, p. 156.
17
: R
OUSSEAU
, 1964
mg
, I-2, p. 288.
7
commence celle de la
liberté
.
18
» Son successeur Kojève réussira
à lire, en
creusant les feuilles
de la
Phénoménologie de l’esprit
,
que cette «
liberté
» ayant fini de libérer « clôt l’histoire » et que
le vrai Hegel est le penseur de cette « fin ». Selon un résumé qui
ne concerne pas que « l’Homme religieux », les êtres humains en
ont à « se libérer » du « malheur de la Servitude […] pour arriver
à la
Satisfaction
» finale
19
. Par rapport au « nouveau spectacle »
ayant succédé à l’
Ancien Régime
et à la
Révolution
, J.-J. serait-il
providentiellement devenu un « témoin »
a posteriori
"satisfait",
comme tout un chacun le serait ? À ses yeux de vers 1800 ( sinon
de 1880 suivant l’audacieuse datation de F. Furet ), le « reméde »
paradoxalement "tiré" en aurait-il absolument fini avec le « mal »
présent en 1775 ? En bref, penserait-il avoir sauté la clôture de
l’histoire pour atterrir dans un champ aussi sain que stagnant, où
le « malheur » historique n’arriverait plus jamais de la vie ? Non,
non et non, répondrait-il sans doute.
En « rien "responsable" de la Révolution française
20
», Jean-
Jacques lirait, dans
le
cours
des
événements, le sort de science
du
Contrat social
et
la présence très structurante du « rousseauisme
contre
Rousseau
»
diagnostiqué
par
Gauchet
21
;
aucun
«
reméde
»
absolu, aucune «
liberté
» au sens de Koyré : rien de
satisfactoire
au sens de Kojève et tout d’une « histoire » sans « fin ». En lisant
géométriquement les lignes – et entre les lignes – du majestueux
« Systême » rousseauiste, il devient même évident que Rousseau
situerait cette «
liberté
» précisée dans le "passé sans histoire" des
«
sociétés
primitives
22
»
: avant le «
mal » et les «
reméde[s] » ou
relatives «
libération
[s]
» de l’« histoire » ; pas après. — Pour ne
pas pécher par précipitation, faisons un tour des deux "horizons"
doctrinaux en présence, puis montons au ciel du « Dieu » éternel
pour
mieux
revenir
à
nos
moutons…
tels qu’ils
sont humainement
"sauvages", "barbares" ou "civilisés".
La volonté divine à l’origine
L’horizon nouménal en plus vertical
En un article sur Kant rédigé pour un important
Dictionnaire
de philosophie politique
, Philonenko se reporte à la
Doctrine du
droit
et considère que la « volonté générale, au sens de Rousseau,
18
: K
OYRÉ
, 1971, p. 113.
19
: K
OJÈVE
, 1947 ; 1968, p. 75.
20
: F
URET
, 2007
prf
, p. 45.
21
: G
AUCHET
, 1993, p. 101.
22
: C
LASTRES
, 1974.
8
comme
intégrale,
est
l’horizon
vers
lequel
doit
tendre
tout
système
juridique et politique […] sans pouvoir […] prétendre l’égaler » :
un « horizon nouménal », en son « schème » que « Rousseau lui-
même » rejetterait « sur le plan du fait » ; non point un « horizon
passif », mais un « principe actif de légitimation » qu’elle serait
en tant que « chose en soi », de telle sorte que chaque réel « État
phénoménal » se constitue légitimement « selon sa règle »
23
, en
fonction de son « Idée » normative.
—
Le raisonnement qui mène
à déterminer la « volonté générale » comme « raison pratique » et
pure « résonance » individuelle se résume aisément : selon le seul
Philonenko, si « la volonté générale ne peut jamais errer […]
ma-
thématiquement
»,
elle
pourrait,
«
à
la limite, par un renversement
spectaculaire » qui n’a rien d’une averse, devenir « une volonté
pour le mal » et atteindre "
factuellement
" le comble de l’errance,
d’où le rejet du « plan du fait » qui répondrait
moralement
à cette
apeurante « aporie »
24
.
Les quatre livres du
Contrat social
ne peuvent-ils contenir
qu’un phare inabordable, mais débordant d’un beau temps
vitrifié qui calmerait jusqu’aux océans enragés, là où les
caps lui
seraient
dédiés ? Imaginons. — Dans les
Six livres
de la République
, Bodin se souvient de quand « le navire
de
notre
République
avait
en
poupe
le
vent agréable
»
et
du
miroitement d’« un repos ferme et assuré » ; mais « depuis
que l’orage impétueux a tourmenté [ce] vaisseau […], il
faut bien que les passagers » sortent de leur "tranquillité",
rejoignent le « Patron même et les Pilotes » et s’affairent
totalement au sauvetage « puisque tous ensemble courent
un
même
danger »
25
.
Le
traité républicain
de
Rousseau ne
contient-il pas de quoi réellement faire des petits… et des
grands "navires" peuplés de telle sorte que, "battus par les
flots", ils "ne sombrent pas" ?
Fluctuat nec mergitur
, écri-
rait un latiniste ou un Parisien au cahier des charges.
De son côté, Philonenko croit que « Rousseau échappe à [son]
aporie simplement parce qu’il n’y croit pas
26
» à tort…
quand il
a bien raison de ne pas y croire. Il ne s’en tient pas moins au bord
de la vérité… quant à la « volonté générale » à l’état pur, fondant
l’« État parfait » ou idéal ; que la « volonté de tous » généralisée
se situe au fond plus ou moins impur de tout "État légitime" lui a
23
: P
HILONENKO
in
: R
AYNAUD
et R
IALS
, 1996
k
, p. 326.
24
: P
HILONENKO
, 1984, III-3, pp. 49-52.
25
: B
ODIN
, 1993, pp. 45-46.
26
: P
HILONENKO
, 1984, III-3, p. 50.
9
incroyablement échappé. Il n’empêche que cet « horizon noumé-
nal » ( où règnent les "fins" ) constitue une bonne idée de départ,
proche du statut d’une "définition nominale". Très croyant, Jean-
Jacques
y
verserait
certes
une
verticalité
allant
des
«
hommes
»
au
« Dieu » dont la version "savoyarde" « avoit rechauffé [la] vieille
ame » de « Clairaut »
27
.
Sous le ciel de Malebranche
Rousseau a confessé une jeune lecture de « Mallebranche
28
»
et Riley pense que la « volonté générale » descend du ciel conçu
dans le
Traité de la nature et de la grâce
. Dans son livre intitulé
The General Will before Rousseau
, la différence malebranchiste
entre la "généralité" des voies d’intervention divine et la "particu-
larité"
du mal
est mise en parallèle avec la différence rousseauiste
entre la « volonté générale » ne pouvant «
ERRER
» et la « volonté
particulière » ne le pouvant que trop, puis ce parallélisme osé s’y
transforme en une
Transformation of the Divine into the Civic
on
ne peut plus osée…
mais qui borde la
vérité qu’aligne le « traité »
des « vrais principes du droit politique »
au point de bien aider à
l’aborder
29
.
Foi de Patrick : Jean-Jacques a civilisé une «
Divine
» forme
de « volonté » n’ayant rien de "sauvage", et l’interventionnisme
purement attendu de « Dieu » s’est transformé en une impatiente
«
libération
» déclarée « de l’homme et du citoyen »… dont tout
le monde politique s’est orageusement révolutionné en partant de
la France, depuis lors "universelle". L’histoire ne finit pas aussi
tôt, vue de Princeton ; mais, dans
The Cambridge Companion to
Rousseau
, la « volonté générale » devenue «
Civic
» se divinise
quasiment avec
un
accent
kojèvien
:
«
At
the
end
of political time,
the "general will one has as a citizen" would have become a kind
of second nature, approaching the true naturalness of
volonté
générale
in Malebranche’s version of the divine
modus operandi
.
30
» Oublions cette « liberté » et oyons la divinité.
La voix céleste enfenestrée
Le
Discours sur l’économie politique
articulé pour l’
Encyclo-
pédie
de d’Alembert et Diderot contient la première occurrence
du nom de la « volonté générale » dans l’œuvre de Rousseau et, à
proximité du nom de la « volonté de tous », la « voix céleste » en
27
: R
OUSSEAU
, 1959
c
, XI, p. 574.
28
: R
OUSSEAU
, 1959
c
, VI, p. 237.
29
: R
ILEY
, 1986.
30
: R
ILEY
, 2001, p. 133.
10
deux mots ; en outre, il s’y dit que « la voix du peuple est en effet
la voix de Dieu »
31
:
Vox populi, vox dei
. Pour entendre vraiment
ces formules, il faut imaginer « Dieu » intervenant généralement
pour tel « peuple » de la terre, c’est-à-dire ne lui voulant que du
bien. Pour voir ce que « Dieu » veut, osons "enfenestrer" le "ciel"
de son intervention.
Figure 1 :
Ceci n’est pas un "monochrome de Blueman". Derrière le vo-
cable divinement entendu de «
volonté générale
», il y a ce "ciel"
sans aucun nuage. La fenêtre figurant ci-dessus ayant la hauteur
de la bonté «
Divine
» et sa base étant aussi large que le
nombre
de celles et ceux d’ici-bas pour qui «
Dieu
» est intervenu, on voit
que sa couleur est hautement définie et généralement étendue. Et
si au « monde », comme par « désenchantement
32
», il n’y avait
plus que les « hommes » pour intervenir ?
Éclairage utopique
Les hommes de l’Utopie
Écrivant un premier
Contrat social
( qui ne se finira pas ), la
main du « Citoyen de Genève » a eu le réalisme de ne pas « faire
intervenir immédiatement la volonté de Dieu pour lier la societé
31
: R
OUSSEAU
, 1964
ep
, pp. 245-248.
32
: G
AUCHET
, 1985.
11

des hommes
33
». Une page après, elle redit – par écrit – les mots
de
Diderot
disant
«
que
la
volonté
générale
[est]
dans
chaque
indi-
vidu
un
acte
pur
de
l’entendement
qui
raisonne
dans
le
silence des
passions sur ce que son semblable est en droit d’éxiger de lui
34
»
( «
Voy. Au mot
D
ROIT
[de l’
Encyclopédie
], la source de ce grand
et lumineux principe
35
»
). Rousseau
sous-entend peut-être que la
« voix céleste » est pratiquement devenue une « voix intérieure »
par « résonance » ; hélas, les « passions » la « couvrent » de leurs
bruits ou de leurs nuages
36
. « Mais où est l’homme qui puisse »
l’entendre ? se demande Jean-Jacques. "Nulle part", répond-il par
sous-entendu, commençant à tonner contre Denis. En « Utopie »,
pourrait-il répondre, là où les « penchants du cœur humain » et le
« jeu des passions » seraient nuls… et n’en pourraient nullement
fausser les « calculs » d’un Mirabeau
37
.
Tous les Célestin, toutes les Célestine
Rien ne m’interdit d’"utopiquement" opérer la
transformation
de la
« volonté générale »
divine
en « volonté générale »
civique
dans le cas particulier où le civisme s’avère infini. Ce qui revient
à aligner le bon nombre de « dieux » vivants.
Figure 2 :
33
: R
OUSSEAU
, 1964
mg
, I-2, p. 285.
34
: R
OUSSEAU
, 1964
mg
, I-2, p. 286.
35
: R
OUSSEAU
, 1964
ep
, p. 245.
36
: R
OUSSEAU
, 1964
mg
, I-2, pp. 286-287.
37
: R
OUSSEAU
, 1965-1991
cc
, XXXIII, p. 240.
12

Parce que la « voix céleste » "résonne" parfaitement – c’est-à-
dire
d’une
«
Divine
»
façon
–
en
chacun
et
chacune, nous pouvons
prénommer
Célestin
et
Célestine
les « hommes » et les "femmes"
dont
la
«
volonté » ( constante ) est à la hauteur ( bleuissante ) de
ce que « Dieu » veut pour la « société » qu’ils et elles forment de
manière utopique. Dans ce cas de figure, la parité ne crée aucune
tension, les couples n’ont sûrement pas d’orages et aucun divorce
ne se prononce. Tous les
Célestin
et toutes les
Célestine
sont, sur
le plan volontaire et au sens d’une fameuse formule du
Contrat
social
définitif, de pures « différences » dont la « somme » n’est
autre que la « volonté générale »
38
.
Les enfants d’Adam
Au
milieu
de
sa
lettre
à
Mirabeau
du
26 juillet 1767, Rousseau
assène ces mots à l’"Ami des hommes" et aux « Messieurs » qui
pensent comme lui : « vous donnez trop de force à vos calculs, et
pas assez aux penchants du cœur humain et au jeu des passions »
qui sont à l’origine des orages. « Votre système est très bon pour
les
hommes
de
l’Utopie
;
il
ne
vaut
rien
pour
les
enfants
d’Adam
»
martèle-t-il, las de ce marquis.
Il y a souvent bien de la différence
entre les Adam et Ève et les Célestin et Célestine…
À ce sujet, Philonenko a cité une lettre de Rousseau à Usteri,
datée du 18 juillet 1763, où l’auteur du
Contrat social
avait déjà
assez asséné : « Mon livre n’est pas fait pour des Dieux.
39
»
40
. Il
n’en dit pas moins, sur la même page, que « la volonté générale,
dans sa pure définition, n’était pas du tout utopique » ; ce qui est
faux, inversant même la vérité, en ce qui concerne Jean-Jacques ;
ce
qui serait vrai concernant Diderot, d’avec
qui
Rousseau
a com-
mencé à divorcer pour que l’
inerrance
de la « volonté générale »
puisse
heureusement épouser les
"orageux"
et les
"orageuses"
que
le péché originel a enfantés.
L’éclairante liberté des sauvages
L’illumination froide
L’illumination
vécue
par
Jean-Jacques
Rousseau
en
l’automne
1749 a
souvent
été chaudement commentée. H.
Gouhier
y
voit,
en
la belle
«
âme
»
de
l’illuminé,
«
une
espèce
de
nébuleuse
affective
gonflée d’idées, vision à la fois lumineuse et confuse d’un monde
38
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, II-3, p. 371.
39
: R
OUSSEAU
, 1965-1991
cc
, XVII, p. 63.
40
: P
HILONENKO
, 1984, III-4, p. 82.
13
nouveau qui se révèle dans sa vérité avant toute perception dis-
tincte
de
ses
formes
»
41
.
Foudroyé
par
l’émotion,
étant
le
siège
de
« mille lumieres » vertigineuses, le grand lecteur de la « question
de l’Académie de Dijon
»
tombe
assis
sous
«
un
des
arbres
» qui
bordaient
l’«
avenuë
»
empruntée
vers
le
donjon
de «
Diderot
» et
y crayonne la « prosopopée de Fabricius »
42
; crayonnage pentu
que viendra entourer un premier «
Discours
[…]
plein de chaleur
et de force
», mais
manquant
«
de
logique
et
d’ordre
»
43
si
l’on
en
croit la lettre des
Confessions
.
Comme le
Big Bang
chaud se double d’un
Big Bang
froid à la
pointe de la cosmologie, ce réel "
Big Bang
"
de matière littéraire
s’est doublé d’un "
Big Bang
" d’informations géométriques… que
la tête froide de Rousseau a choisi de ne pas éventer. C’est qu’il
y avait bien de la « Geometrie
44
» dans le « magasin d’idées
45
»
que
Jean-Jacques
s’était
méthodiquement
confectionné
en quinze
ou vingt années de lectures. — Philonenko a mesuré à quel degré
cette « vision de Vincennes » pèse et se pense froidement : selon
lui, elle « doit toujours conserver sa valeur de point zéro : c’est le
pur moment originaire qui coupe en deux la vie de Jean-Jacques
et qui autorise à parler d’un "avant" et d’un "après" »
46
. Plus que
le voyage spatiotemporel de « Fabricius », Rousseau a géométri-
quement vu des « societés d’hommes simples
47
» et comment ce
beau
temps
du
départ
s’est
gravement
gâté
jusqu’à
l’accumulation
nimbée des malheurs arrivés au siècle des
Lumières
(
deux siècles
avant le siècle des
Extrêmes
48
).
Sous un simple chêne
La lecture du
Contrat social
peut simplement commencer par
le début du dernier livre
49
.
Jean-Jacques y puise, dans le Valais,
des « hommes droits et simples » qu’il attroupe « sous un chêne »
avec
une
«
simplicité
»
maximale, mais sans les prendre pour des
«
dieux
»
sis
au
paradis
"utopien".
«
Tant
que
[ces]
hommes
réunis
se considerent
[tous]
comme
un
seul
corps,
ils
n’ont
qu’une
seule
volonté
» qui porte à peu près le nom ( charmant ) de «
VOLONTÉ
GÉNÉRALE
». La "géométrie des voix" que Rousseau murmure et
41
: G
OUHIER
in
: R
OUSSEAU
, 1969, p.
CLXXXI
.
42
: R
OUSSEAU
, 1959, pp. 1135-1136.
43
: R
OUSSEAU
, 1959
c
, VIII, p. 352.
44
: R
OUSSEAU
, 1959
c
, VI, p. 238.
45
: R
OUSSEAU
, 1959
c
, VI, p. 237.
46
: P
HILONENKO
, 1984, I-2, p. 23.
47
: R
OUSSEAU
, 1959
d
, II, p. 828.
48
: H
OBSBAWM
.
49
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-1, p. 437 et ss.
14
sous-entend sûrement
par la
suite
fait état d’une «
unanimité
»
qui
«
regne » et d’une «
volonté générale » qui est encore la «
volonté
de
tous
».
Ensemble
sous
le
feuillage
d’un
vert
égal
et
sous
un
ciel
bleu parsemé de moindres nuages blancs ( couleur d’innocence ),
avec un léger bruissement de fond, toutes ces « voix » unanimes
n’en font qu’une, qui sonne « céleste ».
Par la fenêtre de la
figure 1
, le bon « Dieu » voit la « troupe »
"paysanne" qui habite le quatrième «
CHAPITRE I
» du « traité » et
veut son « bien ». Pour rappel, cette forme rectangulaire contient
des informations fondamentales et non de l’"art" : sa longue base
exprime ici le nombre des « heureux […]
paysans » ; sa hauteur
dit la justesse ( ou la «
JUSTICE
» ) de son "ton", que sa teinte ( on
ne peut plus unie et moins orageuse
)
redit
;
enfin,
elle
affiche
une
UNITÉ
d’un
seul
tenant,
monolithique
à
souhait.
—
Sur
la
terre
des
« hommes », la forme humaine de la « voix céleste » se compose
le
plus
simplement
d’une
généralité
de
«
voix
»
si
proches
les
unes
des autres que l’« unanimité » et son type d’
UNITÉ
ne se rompent
pas. En outre, formant ainsi un rectangle dont l’aire est égale à la
l’aire «
Divine
»,
BONTÉ
et
BLEUTÉ
lui sont également inhérentes.
Même si J.-J. Rousseau évoque une suite de « plusieurs » Suisses
« réunis », un citoyen de Belgique tel que moi tendrait davantage
à rapprocher la
figure
suivante des grands tableaux imaginés par
Magritte… ou d’une bande de petits
Schtroumpfs
dessinée sur le
plan de leur « seule volonté ».
Figure 3 :
15

Le sens de la « céleste » hauteur de ce rectangle composite se
précise en ce que cette « volonté » rectangulaire « se rapporte à la
commune
conservation,
et
au
bien-être
général
»
50
. En
taisant
son
«
PRINCIPE
», Jean-Jacques sous-entend que la «
PITIÉ
»
51
s’avère
facultative
dans l’obtention de la "couleur" de l’
INERRANCE
. En
parlant de « paysans », il a voulu ne pas trop faire entendre qu’il
pensait premièrement aux «
Sauvages
»
52
:
«
quoique […] la pitié
eût déjà souffert [en eux] quelque altération » dont les nuages de
la
figure 2
devraient légèrement s’épaissir et clairement grisailler,
il saute "sauvagement" aux yeux que, en cas de très haute « simp-
licité », « la voix du peuple est en effet la voix de Dieu
53
» dans
ce chant précis de la « liberté » que Rousseau a entendu prendre
pour référentiel caché.
L’échauffement des voix
La « liberté » aussitôt dite, voilà que ça commence à chauffer
sous le « chêne » du Valais ou chez les bons « Sauvages » qu’ils
cachent : « quand les intérêts particuliers commencent à se faire
sentir […], l’intérêt commun s’altere et trouve des opposans »
54
;
parce
qu’«
un
seul
opposant
rompt
l’unanimité
55
»,
il
s’ensuit
que
« l’unanimité ne regne plus dans les voix »… et que « la volonté
générale
n’est
plus
la
volonté de tous
»
dès la première
opposition
sensible d’une « volonté particuliere ». La « différence entre […]
la somme de différences » de la
figure 2
et la « somme de volon-
tés particulieres » de la
figure 3
était insensible ; il en va « bien »
différemment entre ces deux
figures
et la
figure 4
où le "regard"
sur l’« intérêt privé » gagne une « voix » distincte et « nouvelle »
qui « retentit comme un coup de tonnerre », pour parler comme
l’intarissable Bossuet.
Le premier éclat de « voix » déclenche-t-il de quoi prononcer
un éloge funèbre ? Philonenko diagnostiquerait que la « volonté
générale » est mortellement blessée, que l’« esprit de simplicité »
a vécu et que le
Contrat social
renferme un « reméde » fantôme,
fauteur de contraste… faute de mieux. Pour ma part, je dirais que
c’est précisément de la « volonté de tous » qu’il s’agit depuis la
zone de la
figure 3
, que Jean-Jacques ne s’attendait pas à ce qu’il
y
ait
toujours
du
pur
azur
tous
azimuts
et
que
la
blessure
constatée
au niveau de l’
UNITÉ
s’avèrera bénigne.
50
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-1, p. 437.
51
: G
OLDSCHMIDT
, 1983, p. 331.
52
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 171.
53
: R
OUSSEAU
, 1964
ep
, p. 246.
54
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-1, p. 438.
55
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-2, p. 441.
16
Figure 4 :
L’imagerie
nous
montre
clairement
que
la
quatrième
«
volonté
particuliere » s’est sensiblement éloignée de la ligne bleue – non
point celle des Vosges, mais celle de la VG dont le Valais n’était
jamais loin – ; en d’autres mots, elle a dépassé le seuil représenté
par les deux lignes grises équidistantes de la longue hauteur de la
« volonté générale ». Malgré cet écart, l’aire de cette "« volonté
de tous » sauf un" a la « rectitude
56
» sauve, étant égale à l’aire
de la « volonté générale » sur une même base.
Le naufrage terrestre
Le bon coup politique
On imagine aisément que l’opposition à l’« intérêt commun »
ne demeure pas longtemps le fait d’un isolé. D’autres "électrons
libres" de l’« intérêt privé » sont en situation de "contredire" de
vive « voix » le "courant majoritaire" ( ou "mainstream" ). Jean-
Jacques les a vus et est arrivé à les comprendre pour expliquer
leur afflux imposant : « Chacun, détachant son intérêt de l’intérêt
commun, voit bien qu’il ne peut l’en séparer tout-à-fait, mais sa
part du mal public ne lui paroit rien, auprès du bien exclusif qu’il
56
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, II-3, p. 371.
17

prétend s’approprier.
57
» L’atmosphère en devient maladivement
"électrique", chargée des maux liés à la « Loi du plus fort », mais
les premiers « Gouvernemens » surgissent alors d’un coup pour y
porter
«
reméde »
58
( cela dit en brûlant une étape « civile »
59
).
Leur surgissement transforme le grand « corps social » malade en
un « corps politique » rendu à la bleuté, mais dont la « volonté »
comporte des nuages gris.
Figure 5 :
L’intempérie a été forte, voire même
orageuse
, mais le cadre
de l’État ( comprenant ci-dessus trois "volontés gouvernantes" ) a
ouvert une courte période d’accalmie que je qualifierais bien de
première «
libération
».
Sous le parapluie inégalitaire
Si les « Gouvernemens » sont des « remédes » à l’origine, ils
n’en ont pas moins des effets secondaires plutôt problématiques.
La
figure 5
montre que la « volonté » qui gouverne s’unit loin de
l’« intérêt commun » et tend à s’opposer au « Souverain » qu’est
57
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-1, p. 438.
58
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 184.
59
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, pp. 177-178.
18

toujours toute la "communauté" ; parfois, il résiste vertueusement
à cette tension ; souvent, il suit sa « pente » et sa "vertu" consiste
tout au plus à ne pas la suivre ouvertement. Et les « Citoyens »,
ont-ils tendance à réagir fermement ? « Quand ceux-ci sont […]
plus amoureux du repos que de la liberté [
sensu lato
], ils ne tien-
nent pas longtems contre les efforts redoublés du Gouvernement ;
c’est
ainsi
que
la
force
résistante
augmentant
sans
cesse, l’autorité
Souveraine s’évanouit à la fin
60
». Gris et désunis, « tous » n’en
forment plus une bonne « volonté » de « peuple » ( ayant tout ce
qu’il faut de la « volonté générale » ) mais font une « multitude »
de « volontés » mal gouvernées.
Figure 6 :
Le ciel lourd qui surplombe ce paragraphe le murmure : l’État
tel qu’il dégénère ne "cimente" pas la « société », il "bétonne" les
inégalités
.
Quand
les
coups pleuvaient
fortement
parmi
les
hom-
mes
( même après la conclusion d’un « pacte » richement inégali-
taire ), le "parapluie" étatique s’est ouvert ; mais il s’est vite mis
à pleuvoir dessous, à l’image d’un chef-d’œuvre de la plomberie
surréaliste de Dali. — Pour remédier à une telle dégénérescence,
60
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-14, p. 428.
19

Rousseau s’est-il mouillé jusqu’à concevoir, sous le titre sec
Du
Contrat social
, un subversif « ouvrage qui détruit les Gouverne-
mens
61
» ? Il en a été soupçonné… à tort. Par ses « principes », il
ne pouvait ignorer que la présence de « Gouvernemens » était un
moindre mal
que leur absence, et que la "pluie" redoublerait là où
l’on détruirait ces "parapluies". Sachant la proximité des « années
orageuses », il « vouloi[t] prévenir » la « destruction prochaine »
qui les "menaçait"
62
; d’où son discret « espoir » de les guérir en
leur tendant la perche d’une profonde réforme égalitaire… et son
« malheur » de vivre un retour de bâton dû à un malentendu que
sa lucidité aurait pu prévoir. — La
Révolution française
aura un
tel épisode destructif : outre son erreur sur la « représentation »,
une "mentalité
ultra
-antigouvernementale" l’emportera « au-delà
de Rousseau » et des « limites » de l’inerrance
63
. Autrement dit,
les soi-disant «
représentans » du «
Souverain » qui chapeautaient
la
France révolutionnaire
ont cru bon de chercher à manger tout
"parapluie" « exécutif » à la santé du parlement « législatif », ce
qui fut terriblement indigeste à la nation.
Les pires foudres à venir
Le « reméde » des « Gouvernemens » s’est malheureusement
"corrompu", et sa « corruption » court vers un « terme extrême »
dont Rousseau a calculé la situation future
64
. Dans son
Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
,
Jean-Jacques révèle que, dans un avenir prévisible où l’« extrême
inégalité des Conditions » sera atteinte, « on verroit fomenter par
les Chefs tout ce qui peut affoiblir des hommes […] en les désu-
nissant
[…],
[…]
inspirer
[…]
une
haine
mutuelle
par
l’opposition
[…]
de
leurs
intérêts,
et
fortifier
par-conséquent
le pouvoir qui les
contient tous » ; « du sein de ce désordre » s’élèvera « par degrés
[la] tête hideuse » du « Despotisme […] dévorant » ; au « dernier
terme de l’inégalité, […] tous les particuliers redeviennent égaux
parce qu’ils ne sont rien »… et « tout se ramene à la seule Loi du
plus fort
»
où «
le Despote n’est le Maître qu’aussi longtems qu’il
est le plus fort ». Si ce n’est pas de l’extrêmement violent
ORAGE
exactement dépeint, alors je mange mon chapeau…
Tant que le "parapluie" est trop pyramidal et se prend pour le
sommet de l’État, il s’attire des foudres et la violence monte sous
sa toile. Sans « reméde » approprié, les « hommes qui forment ce
61
: R
OUSSEAU
, 1964
lem
, VI, p. 806.
62
: R
OUSSEAU
, 1964
lem
, VI, p. 809.
63
: G
AUCHET
, 1989, p. 128.
64
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 189 et ss.
20
troupeau
qu’on
appelle
société
65
»
vont
fatalement
au
pire
«
mal
»
possible. La sombre image que je "tire" de cette fin de
Discours
n’en donne qu’une faible idée…
Figure 7 :
La formule libératrice
Le ciel chargé des différences
Au fond du dernier Rousseau et de sa volonté de vivre sa fin
de vie « au-delà des années orageuses qui vont éclore », les idées
( liées ) de « remède par le mal », d’"
ESPOIR MALHEUREUX
", de
« généralisation rugueuse » et de «
libération
orageuse » s’enra-
cinent toutes solidement dans la formule du
Contrat social
… qui
s’est
vue
infinitésimalement
lue
par
Philonenko. En
me basant
sur
le deuxième titre de mon
Corollaire
, je peux aussitôt dire que les
« différences » faisant en « somme » la « volonté générale » qui
se chargent d’un « plus » ou d’un « moins » deviennent autant de
« volontés particulieres » et font, en « somme », non une "VGE"
65
: R
OUSSEAU
, 1964
dsa
, pp. 8-9.
21

(
"
V
olonté
G
énérale
E
lectrifiée"
),
mais
une
"VTG" (
"
V
olonté
de
T
ous
G
énéralisée" ) pouvant avoir de l’électricité dans l’aire sans
donner prise au potentiel d’«
ERRER
»
66
.
Si ce chargement alternatif des « différences » changeait tout,
toute la politique de Rousseau ne serait qu’« utopique » ( avec ou
sans renvoi à un rectangle "continu" d’ordre divin ). "Orage, haut
désespoir !", chanterait Philonenko avant de refermer la « volonté
générale » sur sa pure dimension d’« horizon nouménal » que, du
« reste »,
la
"formule libératrice" renferme. Heureusement, sous
quelques conditions réalistes bien entendues, les charger ainsi ne
change irrémédiablement rien d’essentiel.
Sur la hauteur du paratonnerre
À la condition que le caractère d’
UNITÉ
ne parte pas vraiment
avec la rupture de l’« unanimité » des « voix » et/ou revienne par
« contract » et à celle que le « gouvernement » tienne à sa place
( en ne se "surordonnant" pas ), l’électrification sensible de toutes
les « différences » n’apporte aucun mauvais changement pourvu
que,
une
fois
divisée
par
le
nombre
(
entier
)
d’individus
qu’aligne
le « corps social » ou « politique », la mesure de l’aire obtenue en
sommant toutes les aires « particulieres » donne la
bonne hauteur
de l’« intérêt commun » ( ou "général" ).
D’une manière imagée, on peut formuler que, dans la mesure
où elle est bien haute ( ne l’étant ni trop ni trop peu ), la « volonté
de tous
» fonctionne comme un "paratonnerre" et protège tout ce
qu’elle conduit. Lorsque les tensions entre « tous » s’intensifient,
les
«
hommes
»
descendant
d’«
Adam
»
ne
tombent
pas
forcément
comme des « loups » dans l’« état de Nature » que Hobbes place
à la nuit des temps passés, mais que Rousseau situe le plus forte-
ment à l’extrémité de l’inégalité future. Ouvrir alors un parapluie
léviathanesque
ne suffit pas : il est nécessaire de hautement avoir
la forme pour parer
les coups d’une
"
ERRANCE
du tonnerre"… et
parvenir à faire
bleuir
l’orage, même « extrême ».
Les orages bleus
Plus intense que l’électricité courante, il y a parfois de l’orage
dans
l’aire
de la «
volonté de tous
»
;
paradoxalement, ce genre
de
"rugosité" éclatante n’empêche pas toute "généralisation" condui-
sant à l’
INERRANCE
. — Ce paradoxe se trouve formulé à travers
un exemple romain, au livre final du
Contrat social
. Après avoir
écrit que, « même dans les plus beaux temps de la République »,
66
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, II-3, p. 371.
22
les « querelles » entre « les Patriciens et les Plébeyens […] troub-
lerent souvent les comices », Rousseau a pu écrire que, « dans les
tems mêmes les plus orageux les plébiscites du peuple, quand le
Sénat ne s’en mêloit pas, passoient toujours tranquillement et à la
grande pluralité des suffrages »
67
. En l’« État » sur « deux » où
la « majesté du Peuple Romain
68
» dominait, le caractère « ora-
geux » et une certaine « tranquillité » pouvaient aller de pair, non
loin de l’« unanimité ». Les Romains du « Peuple » majestueux
n’étant pas vraiment des « Sauvages », mais simplement « [t]els
les Germains » de Tacite
69
aux yeux de Jean-Jacques, on peut les
qualifier de bons "Barbares" et lire à travers eux que « l’homme
barbare […] préfere la plus orageuse liberté à un assujettissement
tranquille
70
»
;
en
d’autres
mots
: "une «
libération
»
continuelle
à
une «
servitude
»
inertielle
" qui, en cas d’abandon à
sa
«
pente
»,
s’extrémiserait à un « point » peu reposant.
En branchant la télé sur n’importe quelle… chaîne d’une telle
"Barbarie", à l’heure de la météo politique, tout homme civilisé
serait capté par ce genre de « spectacle » :
Figure 8 :
67
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-2, p. 439.
68
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-4, p. 452.
69
: R
OUSSEAU
, 1964
dsa
, I, p. 11.
70
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 181.
23

Il est remarquable que les « volontés particulieres » ayant ici
le sens de l’« intérêt commun » sont au nombre de vingt-deux sur
trente-quatre, ce qui constitue une « grande pluralité » et augure
une bonne « police ». Encore convient-il de remarquer que, sans
l’«
entre-destruction
des
plus
et
des
moins
71
»…
que
Philonenko
interprète avec une « barbarie logique
72
», jamais les deux
AIRES
fondamentales du « droit politique » ne pourraient entrer en
CON
-
CORDANCE
salvatrice.
La "formule" textuellement donnée par Rousseau, précitée en
blanc sur fond de volets bleus prêtés à Philonenko et illustrée en
ce chapitre se reformule ici comme suit :
Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous
et la volonté générale ; celle-ci
n’a qu’un regard bleu ciel
,
l’autre
a le regard chargé de nuages blancs à orageux
, et
n’est qu’une
somme
de
volontés
particulieres
:
mais
ôtez
de ces mêmes volontés les plus et les moins qui
"
s’entre-
détruisent
"
,
revient en
somme
le beau temps ou l’éternelle
couleur de
la volonté générale
.
Les guillemets qui entourent le fait que « les plus et les moins
[…] "s’entre-détruisent" » vont donner lieu aux deux derniers des
chapitres qui composent cet article au fil « orageux », tourné vers
une prise de parole. Avant, je vais toutefois devoir souligner que
le traité du
Contrat social
est plus taillé pour couper l’appétit des
êtres humains qui deviennent peu à peu des "plantes carnivores"
que pour pleurer la perte irrémédiable d’un « état » sans « État »
où ils étaient « tous » "fleur bleue".
Le sauvetage éclairé
L’extrême tension vers le bleu
Dire
qu’«
[il]
y
a
souvent
bien
de
la différence
entre la volonté
de tous et la volonté générale » ne va pas sans entendre qu’
il y a
aussi
souvent
du « mal » dans la
volonté de tous
. Ce « mal » peut
être vu comme un « désordre » dû à un manque de «
PITIÉ
». Pour
penser tout le « reméde » qui l’"ôte", il faut partir du « principe »
d’où Jean-Jacques "tire" sciemment l’inerrance : le «
PRINCIPE DE
LA CONSERVATION DE SOI
73
»… dont l’intensité est « extrême » à
la fin de l’histoire de l’
inégalité parmi les hommes
.
71
: P
HILONENKO
, 1984, III-2, p. 31.
72
: K
OYRÉ
, 1973, p. 337.
73
: G
OLDSCHMIDT
, 1983, p. 311.
24
Le
Contrat social
paraît pourtant plus paisible que la seconde
partie du second
Discours
. En son deuxième livre, Rousseau a dit
que, « pour instituer un peuple », il fallait remplir la douce "con-
dition" qu’il « jouisse de l’abondance et de la paix » ; autrement,
quand des « gouvernemens » sont « établis durant [des] orages »,
« ce sont ces gouvernemens-mêmes qui détruisent l’Etat » ; « à la
faveur de l’effroi […], des loix destructives » sont alors adoptées,
« que le peuple
n’adopteroit
jamais
de
sang-froid »
74
. OK, mais
quid quand un « peuple » se retrouve dans une situation extrême-
ment grave et erronément désespérée où il ne se conserverait pas
sans se refroidir le « sang » ? Que se passe-t-il quand le « Tiran »
ou l’« anti-Législateur
75
» et leurs suites malheureuses viennent
de passer ? — Sans être trop apocalyptique, ne pouvons-nous pas
considérer qu’il y a un début de réponse à ces questions dans les
Considérations sur le Gouvernement de Pologne
? Rousseau n’y
vient-il pas en aide aux Polonais ; plus précisément aux « ames »
polonaises, qui « s’endormoient dans un repos léthargique » mais
que « l’orage » déclenché par un « agresseur » a « réveillées » et
"libérées" de leurs «
fers »
? Hélas, sous le «
poids de la fatigue
»,
elles « voudroient allier la paix du despotisme aux douceurs de la
liberté » ; « choses contradictoires » qui le portent à ce propos si
tranchant
76
: « Le repos et la liberté me paroissent incompatible ;
il faut
opter.
»
—
Cités peu après, « Moyse, Lycurgue et Numa »
confirment qu’un « peuple » peut s’« instituer » orageusement
77
.
Et Jean-Jacques
himself
a eu la science de vouloir finir ses vieux
« jours » en tant que « témoin [d’un] nouveau spectacle » certes
"populaire", sorti d’« années orageuses »…
Rousseau a vraiment malheureusement vécu le fait d’espérer
du pire. Philonenko en dira qu’il a été « le médecin d’une époque
si malade qu’aucun remède ne […] convient […] sauf une révo-
lution qui en lui donnant [un] coup de grâce » ( "non-malebran-
chiste" ),
«
permettrait à l’humanité de se sauver
dans un nouveau
cycle » ; chose si risquée que « Jean-Jacques ne souhaitera pas la
révolution »
78
: il « souhaitera » mourir en ayant vu son résultat,
pensant globalement que « sans une révolution formidable, il n’y
a plus de salut
79
»… et l’on sait déjà fort bien que la « volonté de
tous » peut être « salutaire
80
». La « Révolution » n’en est pas
le
74
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, II-10, p. 390.
75
: P
HILONENKO
, 1984, III-3, p. 63.
76
: R
OUSSEAU
, 1964
cgp
, I, pp. 954-955.
77
: R
OUSSEAU
, 1964
cgp
, I, p. 956.
78
: P
HILONENKO
, 1984, I-3, p. 75.
79
: P
HILONENKO
, 1984, I-10, p. 213.
80
: R
OUSSEAU
, 1964
ep
, p. 248.
25
« reméde », mais le « mal » qui ne manque plus d’y condamner
en imposant d’« opter » contre la mort, pour se conserver en vie.
Que personnellement Rousseau souhaite ou non son « redoutable
secours
81
» n’y change rien : si elle arrive, alors
il
arrivera ; ce
qui n’arriverait jamais si l’
inerrance
qui "remédie" n’était pas un
pur dérivé du «
PRINCIPE
DE LA CONSERVATION DE SOI
», pouvant
s’activer sans «
PITIÉ
» et dont l’activité culmine principalement
au bord du gouffre.
La noirceur de l’extrémisme terminal est telle qu’elle ne peut
qu’être condamnée à bleuir. Même si cette
«
pensée du malheur
»
contrarie son tendre « cœur » ( sans le contredire ), Jean-Jacques
a fondé tout son « Systême » sur cette "bonne tension". L’image
du « Cercle » qui se « ferme » à la fin du second
Discours
doit se
lire comme une ouverture : après le « nouvel Etat de Nature
82
»,
le « nouveau spectacle » d’un monde où l’« État » refondé revêt
le
BLEU
de suivre
mutatis mutandis
l’«
exemple des Sauvages
83
»
et des « sociétés primitives
84
».
Sous le souverain le gouvernement
Même après l’« extrême » application des « vrais principes du
droit politique
85
» et
a fortiori
avant, dès lors qu’il ne s’agit pas
d’une
"Nation
sauvage", le « reméde » nécessite la présence d’un
ou plusieurs gouvernants formant un « État » avec les gouvernés.
De nombreux lecteurs de Rousseau ( dont Philonenko
86
) ont cru
que
ce «
Gouvernement » nécessaire – car
seul
légitime
– relevait
nécessairement
de
la «
DÉMOCRATIE
» ; ayant lu de leurs yeux lu
que « ce Gouvernement » nécessitait « un Etat très petit », « une
grande simplicité de mœurs » et «
beaucoup d’égalité »
(
«
choses
difficiles à réunir » )
87
, ils ont trop vite considéré que le
Contrat
social
n’était bon que pour des cités grosses comme des tribus ou
pour Genève
intra muros
. Désespérante nécessité…
En lisant mieux Jean-Jacques, on "distingue" clairement qu’il
s’est orageusement fermé à la forme des "gouvernements démo-
cratiques", ce qui pourrait apparaître ( à tort ) comme une marque
de
rugosité
extrémiste. Lisons
: «
il n’y a pas de Gouvernement si
sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le Démo-
cratique ou populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui tende si for-
81
: P
HILONENKO
, 1984, I-10, p. 239.
82
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 191.
83
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 171.
84
: C
LASTRES
, 1974.
85
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, IV-9, p. 470.
86
: P
HILONENKO
, 1984, III-5, p. 85.
87
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 405.
26
tement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande
plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne.
C’est sur-tout dans cette constitution que le Citoyen doit s’armer
de force et de constance, et dire chaque jour de sa vie au fond de
son cœur ce que disoit un vertueux Palatin * dans la Diete de Po-
logne
:
Malo
periculosam
libertatem
quam
quietum servitium
.
88
»
Nous y revoilà. La «
DÉMOCRATIE
» étant le mode gouvernemen-
tal le plus contraire à la « tranquillité » et aussi le moins "libéré"
de la préférence pour «
la plus
orageuse liberté »,
elle requiert des
«
Citoyens » trop bons pour exister en bon nombre. Rousseau en
tire cette conclusion finement calculée… mais mal lue par tant de
générations de "démocrates" : « S’il y avoit un peuple de Dieux,
il se gouverneroit Démocratiquement. Un Gouvernement si par-
fait ne convient pas à des hommes.
89
»
Les « enfants d’Adam » et Ève n’étant ni des Célestin ni des
Célestine, Jean-Jacques ne pense pas que se "gouverner populai-
rement" aide à bleuir le ciel de leurs « volonté[s] de tous ». Outre
l’argument orageux, il présente encore un argument logique dont
l’éclatement ne facilite pas la lecture : si des « Dieux » vivants ou
des « hommes de l’Utopie » se « gouverneroi[en]t Démocratique-
ment », ils formeraient de la sorte un « Gouvernement sans Gou-
vernement
90
»
;
non
une
«
société
sans
État », mais un «
reméde »
contre-indiqué en cas de «
mal
»… et donc « institué sans néces-
sité
91
» :
AUSSI POSSIBLE QU
’
INUTILE
et d’une utilité comparable
à celle d’un "parapluie perçant" ; l’auteur du
Contrat social
ne l’a
guère traité autrement qu’en le faisant remonter au ciel.
Dans ce chapitre "démocratique", Rousseau apporte encore de
quoi éclaircir sa lecture en un court laps de temps. Sans citer Jean
Bodin, il dit d’emblée que l’aberration du « Gouvernement sans
gouvernement » est entièrement due au fait que le « Prince » et le
«
Souverain » sont deux «
choses qui doivent être distinguées » et
que la «
DÉMOCRATIE
» a le fond de confondre
92
. Critique, il cite
Montesquieu qui, « faute d’avoir fait les distinctions nécessaires,
[…] n’a pas vu que l’autorité Souveraine étant partout la même,
le même principe doit avoir lieu dans tout Etat bien constitué
93
».
Ce « principe » est à la fois souverainement porteur d’
inerrance
et "gouvernementalement" sans portée. C’est pourquoi il « n’est
pas bon que […] le […] peuple détourne son attention des vues
88
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 405.
89
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 406.
90
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 404.
91
: R
OUSSEAU
, 1964
di
, II, p. 188.
92
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 404.
93
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 405.
27
générales, pour la donner aux objets particuliers
94
» du domaine
gouvernemental
; s’il se
"détournait"
ainsi, il risquerait gravement
de tomber en
errance
. Qu’il «
ne regarde qu’à l’intérêt commun
»
ou qu’il s’évertue à le regarder au maximum, et il ne s’en portera
que
mieux,
dirait J.-J.
R.
— Le «
principe
»
actif du «
reméde
» se
trouvant au niveau
de la «
souveraineté » et
non à celui du «
Gou-
vernement », Jean-Jacques doit être ouvert à toutes les formes de
« Gouvernement » et exiger fermement la "subordination
95
" de
tout « Prince » à son « Souverain ». Subordonner ainsi apporte de
l’
inerrance
et rapproche heureusement les « sociétés politiques »
des « sociétés primitives ».
La couverture contractuelle
Les pages du
Contrat social
n’ont aucune
figure
et sont toutes
imprimées noir sur blanc. La première de couverture est toujours
illustrée pour faire joli. Si le papier et le fin carton utilisés pour le
fabriquer venaient à troquer leur blancheur contre l’un des cieux
figurant au fond de huit des présentes pages, en conformité avec
leur contenu, alors le « petit traité » de Rousseau présenterait tout
d’abord une couverture majoritairement bleue… et sensiblement
nuageuse, car le « contract social » intervient principalement en
cas de rupture – « plus » ou « moins » importante – de l’«
unani-
mité ». Même s’il ne l’a pas vue "couverte", Bernardi a bien vu
que la page suivante contenait un mot de Virgile qui signifie que
le « contrat social » est un « pacte »
96
, et donc qu’une
GUERRE
a
dû éclater comme éclate un orage avant la venue de son moment
;
à cheval sur deux vers, les quatre mots latins de l’« Aeneid. XI »
en sont imprimables sur un fond orageux. En bleu rugueux ou du
même noir que les dernières pages du second
Discours
? La page
contenant la formule noircie par Philonenko exige de la
BLEUTÉ
!
—
foederis aequas
Dicamus leges.
A
ENEID
. XI
La
dominante
des cent pages
où
s’impriment
les
quatre livres
du
Contrat social
se résume à ceci ( et
la
preuve
apportée
n’en est
pas un roman ) :
DU BLEU DU CIEL EN BATAILLE
, du début où sont
les « fers » jusqu’au mot «
FIN
».
94
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-4, p. 404.
95
: R
OUSSEAU
, 1964
cs
, III-1, p. 399.
96
: B
ERNARDI
in
: R
OUSSEAU
, 2001, p. 21.
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