Sujet : Un voyage dans le temps pour rencontrer Jean-Jacques Rousseau. Sujet : les femmes, les femmes de ménage, la fessée et ce qui va changer. Circonstances : Ce texte est un extrait de L'ORIGINE - ELLE, non encore publié. Ancien titre : Sauve-Qui -Peut La Femme
Jean-Jacques n’avait pas tort
Des Ombres : Vous savez, Jacques, les hommes n’aiment pas les femmes ! JG : Quoi ? Absurde, quelle idée ! Passez-moi les raviolis au safran s’il vous plaît. Des Ombres : Voilà. Mais vous m’avez mal compris. Je dis que statistiquement les hommes n’aiment pas réellement les femmes. Pas pour « ce qu’elles sont. Le féminin fait peur aux hommes. Do you read me, Jacques ? JG : 5! Vous savez , Maître, quelquefois je suis vraiment sourd. Bête même. Les femmes n’aiment pas… Mais bien sûr ! Je vais vous pondre tout un chapitre là-dessus. Je sais de qui vous parlez. Les mecs paniquent, s’ils savaient ce qu’ils perdent les pôvres ! Vous voulez des droits d’auteurs pour ce thème ? Je le mettrai dans mon prochain bouquin. Des Ombres : Non, merci. Mais faites nous quelque chose de convenable avec cette idée, hein ? Vous pourriez, par exemple, aller en parler avec un homme qui a beaucoup aimé les femmes et en a aussi dit beaucoup de mal… JG : Attendez… En général ils choisissent leur camp… Sacha Guitry ? Des Ombres: Un peu léger malgré tout. Voyez donc du côté des Lumières.
Quelque part dans ce bouquin je vais vous parler des rapports que les femmes entretiennent avec l’espace. Je le sens venir, c’est inévitable, Charles B* le faisait, un tas de types bien l’ont fait. Et même les autres, c’est un sujet qui rattrape le lambda. Les femmes savent courber l'espace, comme les stars qu’elles sont mais nous autres hommes avons une faculté assez peu reconnue. Celle de nous glisser dans le temps. Quand Borges, dans El Aleph, vous raconte qu’il trouve l’infini sur la troisième marche de l’escalier de la cave d’une grande idiote il ne fait rien d’autre. Peu avant ce séjour valaisan je me suis rendu dans un endroit particulier de mon territoire et… swooosh ! j’ai fait une petite glissade en arrière. Petite mais précise. 225 ans, 5 mois, 5 jours, cinq heures et 28 secondes selon les schmucks qui sponsorisent ce chapitre dans l’espoir fallacieux de me voir les citer. Mon achronissage se fit en 1778, dans une petite campagne aigre, c’était pourtant assez joyeux, il y avait une ambiance de mai 1968 dans l’air, l’Amérique avait 2 ans, elle ne nous faisait pas encore chier, il lui restait 237 ans à vivre (selon les calculs de Chandro). Ça n’était pas mon problème. J’étais venu voir Jean-Jacques et lui causer du futur. Il eut droit à une version expurgée qui le fit tomber dans une longue rêverie solitaire.
- Les femmes, la révolution, la fessée, m’a-t-il dit, ça n’en valait pas la coup. - Si tu savais à quel point tu te trompes, fis-je. On se connaissait un peu, on a fréquenté la même ville, tellement froide et humide les mois en erre. - Ça ne valait pas la peine d’en faire un fromage et de se donner toute ce mal pour le cacher, précisa-t-il. Vous faites tout ça en public, sans même y prêter attention, tout ce que moi j’ai tenté de dissimuler. Il ne se mouchait pas avec le dos de l’écuyère, lui qui avait consacré les douze livres des Confessions à ses petites fantaisies. Je l’assurai néanmoins de l’importance de ses textes. - Tu es un précurseur et pas des moindres, débutais-je. Par exemple, tu as tout compris sur les femmes et la torture. Ça le réveilla un peu. Je lui citai de mémoire un passage de La Reine fantasque « Si ce Prince était extraordinaire, il avait une femme qui l'était moins. Vive, étourdie, capricieuse, folle par la tête, sage par le Cœur, bonne par tempérament, méchante par caprice ; voilà (en) quatre mots le portrait de la Reine. Fantasque était son nom. Nom célèbre, qu'elle avait reçu de ses ancêtres en ligne féminine et dont elle soutenait dignement l'honneur. Cette Personne si illustre et si raisonnable était le charme et le supplice de son cher Époux, car elle l'aimait aussi fort sincèrement, peut-être à cause de la facilité qu'elle avait à le tourmenter. » - Ah ! Elle, fit-il un peu ragaillardi, c’était surtout ma reine fantasme ! - Tu avais de la chance. dis-je sévèrement, parce que moi je vis avec sa version contemporaine, c’est une Mexicaine. - Comment peut-on être Mexicaine ? montesquiat-il, il devait avoir lu la trentième lettre persane, chronologiquement c’était possible. - C’est délicieusement sévère, diversai-je. Les imbéciles appelleront ça le sadomasochisme. Mais c’est un art de vivre. La femme règne comme elle le doit et la violence masculine est canalisée. - Le rêve ! s’illumina-t-il. - Ça n’est pas encore très généralisé, fis-je avec embarras. - Oh ? - Il y en a encore qui font des scènes de ménage. - Ça je connais très bien ! - Un homme d’esprit les classifiera en trois catégories. Les emmerdantes, les emmerdeuses et les emmerderesses ! Ça lui glissa entre les oreilles. - Que font-elles encore ? s’informa-t-il. - Quand leur magie est inopérante elles pleurent, c’est trop déloyal ! - Elles pleurent ? Alors que nous administrer une bonne fessée fait si bien l’affaire ? - Elles sont un peu inconscientes. D’ailleurs elles ont remplacé la fessée par la cravache… La femme apprend à devenir sévère et modernise ses méthodes, elle donne envie de filer droit. - Ici aussi, que vas-tu croire ? Mais on n’en parle pas. Il y a bien ce jeune Donatien-Alphonse-François de Sade qui en discours avec extravagance, mais on ne le prend pas au sérieux et je doute fort qu’il s’illustre un jour dans la philosophie. - On a tort, dis-je, rompant légèrement les protocoles des voyageurs temporels. On parlera beaucoup de lui et même de mon temps personne ne tombe d’accord sur ce qu’il dit. Il verse, il est vrai, dans le social et le philosophique. - Ah ! Justement. Que reste-il de moi sur ces deux plans ? - Sur le plan de la philosophie tu as fait très fort. Pratiquement tu as prévu tout ce qui va se passer. - Tu m’étonnes ! - Tu n’as pas cassé trois pattes à un canard mais tu as eu le mérite de discourir sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. - Si tu savais ! Je ne cesse de rapporter la société à ma vie. - Tu as mis le doigt sur ce qui va faire très mal : l'institution de la propriété qui fonde la concurrence, la misère et la violence. Et des lois injustes. Je ne vais pas te dire comment c’est dans mon époque. Le changement a changé ! - Originale pensée… - Désagréable pensée ! Le changement court, il galope. Dans un siècle, pour atteindre chacun de nous, il ne lui faudra qu’à peine cinquante ans. De nouvelles musiques transformeront notre société en dix ans. Et il va presser le pas. Une guerre de six ans lui suffira pour remodeler le monde. Et, tu ne vas pas me croire, un matin de septembre, il n’aura besoin que quelques de minutes pour tout défigurer, rediriger, vers le mal bien sûr. Tout ça sera un cadeau de la propriété et de la concurrence. Je le vis passablement ébranlé par ces sombre postphéties. - Je haïs les matins de septembre, murmura-t-il. On parle de la beauté de l’automne mais ça sent la mort. Toute la méchanceté des gens, dispersée par les feux de l’été, se rassemble pour une sorte de… rentrée. C’est vers la fin septembre que l’on perd de la lumière et que l’on tombe malade. L’hiver ça va encore mais la mort de l’été c’est trop affreux. Je ne pouvais le contredire. Septembre n’est glorieux qu’aux yeux des marchands de livres et de fringues. Pour supporter ce temps il faut rester jeune, bronzé et surtout amoureux d’une belle illusion. La nature se pare, il est vrai, d’intenses couleurs flamboyantes mais ce n’est que le chronique d’une mort annoncée. Septembre c’est aussi le vent mauvais de ce pauvre Paul et de ses feuilles mortes à la pelle, essayez de ne pas vous marier en septembre ou, si vous tentez quelque chose d’aussi fou, soyez cons à la limite la plus extrême de vos possibilités. J’ai souvent remarqué que le destin épargnait les cons. C’est peut-être une idée statistique ? J.-J. se sentait mal à l'aise. Il chercha quelque chose à quoi se raccrocher. - Et le social ? Ça bouge non ? - Rien ne bouge. Le social c’est ta grande utopie et ton pire échec. Tu as fait rêver la société humaine. Tu aurais mieux fait de te taire. Les hommes sont mauvais, les sauvages ne sont peut-être pas bons. Ce que tu as dénoncé, l’argent, mènera le monde à sa perte. C’est en route. - Flûte ! Mais à qui ai-je été utile ? - Le féminisme ! rigolai-je. Un futur remake de Lysistrata. Je te cite à nouveau « les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison : il me semblait que je leur devais en tendresse de sentiments, en hommage de ma personne, la réparation des offenses de mon sexe… » Tu n’imagines pas à quel point elles nous en ont rebattu les oreilles. En fait leur cause n’était pas si désespérée que ça, elles avaient toujours su éduquer les hommes. Mais elles avaient l’intelligence de ne point le clamer sur la place publique… - Ça, au moins, je le sais, dit-il la mine réjouie. Figure-toi que Mademoiselle Lambercier m’a donné, afin de me punir de je ne sais quoi, une fessée. Divin ! Je la soupçonne encore de n’avoir suivi que sa pente naturelle. Cette première expérience fut inoubliable et je puis te dire, entre nous, que les suivantes ne se sont jamais fait prier pour m’enseigner les bonnes manières. C’est un goût naturel chez la femme que de fesser son compagnon qu’elle travestit, selon les variations de ses humeurs, en esclave ou en héros, en seigneur ou en femme de ménage. - Ah ! Ça, tu ne l’avais pas raconté, fis-je un peu surpris. J’évitai de lui décrire l’évolution des fesseuses dans le temps. Il faudrait presque cent ans pour qu’apparaisse Wanda et ses fouets, sans parler des gens vraiment importants comme Woody Allen et Philippe Joyau. Il n’eut pas résisté à la conjonction du latex et du post-modernisme, des dunjeons et de la carte de crédit, des tops et de la nouvelle économie. Je pris le parti de me censurer, ce que je ne fais pas souvent, vous en conviendrez. Il fallait changer de sujet. - Nous savions que tu avais eu des relations avec une femme de ménage. Il s’illumina. - Une ? Mon cul ! Il y avait cette divine Mademoiselle Merceret, la femme de chambre de Madame de Warens. Quel coup ! Elle fut, je le crois, amoureuse de moi. C’était le bon temps. Et aussi cette sublime Thérèse Levasseur, la lingère de mon hôtel à Paris. Et d’autres que j’ai cachées. Les femmes de ménage et les lingères ont un fumet exquis que les dames à particule ont, a posteriori, perdu de « vue ». J’en ai profité, c’est toujours ça que ce vieux con de Voltaire n’aura pas eu. J’ai, vois-tu, une certaine idée… - De la France ? - Non, de la femme de ménage. - Ah ! Toi aussi ? - C’est l’envers de la maîtresse. Elles sont indissociables. Tu te souviens de Pergolèse ? Serpina ? Le capitaine tempête ? J’avais en projet un petit opéra du genre Serva padrone mais le temps m’a fait défaut. - Rassure-toi, fis-je, je suis en train d’introduire une femme de ménage dans la pièce de théâtre que j’écris. - Règne-t-elle sur tes sens ? Et balaye-t-elle bien ? - Sur mes sens… je ne sais pas. Mais pour balayer, elle balaie tout, c’est l’Apocalypse. Je venais de lui casser le morceau mais il fit comme tous les gens qui sont dépassés par une situation, il passa à autre chose. - Annecy est un joli bout de France, glissa-t-il rêveur. - Je sais. Je vole souvent par là. - Et tu ne te fais pas prendre ? Je ne vis pas l’utilité de lui parler des technologies à venir. - Dans quelques dizaines d’années un jeune poète que tu n’auras probablement pas connu dira deux mots de cette région. Du lac suivant en fait. - Qu'en dira-t-il ?
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
- Et ainsi de suite, citai-je en consultant discrètement mon notepad (il y a une limite à ce que la mémoire des hommes peut tolérer). Annecy, il faut que tu le saches, est à l’Europe ce que Mexico sera à l’Amérique du Sud. Un épicentre. Il n’y comprit que dalle. Mais comment expliquer à ce vieux gamin qu’une plaque tectonique dont j’ignorais le nom, en provenance d’Afrique, tentait depuis belle lurette de sodomiser le massif alpin et que le point chaud en était Annecy ? Mission impossible. - Où en étions-nous ? fit-il assez déboussolé. - On a fait le tour. Tu avais prévu l’essentiel. La fessée, la torture féminine et la femme de ménage. Le reste n’a pas grande importance. Merci, J.-J., tu m’as filé des idées pour ma pièce ! - Tu me la feras lire, s’enquit-il ? - No problemo, baby ! Je la passerai à Monsieur Borges. Il saura où te trouver. Une pensée difficile me vint. - J.-J., quelle date sommes-nous ? - Le 1er juillet, dit-il. Ah ! non… En fait, nous sommes le 2 juillet. J’attends une visite.
Je regardai ma montre, un peu sombre. Nous étions à Ermenonville, sur les terres du marquis de Girardin, si mes notes étaient justes il mourrait une heure avant midi. Il me parût heureux. Il était déjà un peu ailleurs. Qu’allait-il me dire ? « Mehr Licht » comme Goethe ? ou encore « Je ressens comme une difficulté d’être » comme Fontenelle ? Notre conversation avait débuté aux alentours de dix heures. Je réalisai que j’étais l’accompagnateur. Nous avons parlé quelques instants, le temps suspendait son vol. Il s’est tu, quelques interminables minutes puis il a regardé par dessus mon épaule. Pas loin, une jeune femme, en provenance du château marchait dans notre direction. Elle ne nous rattraperait jamais. J’essayais de compter les carreaux des deux grandes fenêtres de l’aile sud, quatorze je crois.
« C’était bien ! » a-t-il finalement dit. Moi, j’ai fermé ses yeux avec toute la tendresse et toute la douceur que j’ai pu trouver dans mon écorce d'homme. Il faudrait que j’emmène quelqu’un avec moi la prochaine fois, je suis trop sensible, trop empathique. Mais je ne l’ai pas tué. Il est seulement devenu très improbable. Cette belle fille qui marchait vers nous n’arriverait jamais à nous rattraper. J.-J. avait somme toute bien profité des femmes, même si un mandarin, le 20 mars 2003 allait me dire le contraire. Lire ses confessions est hyper barbant mais, comme tout un chacun, il a ses grands moments. Et pour son époque il a fait plutôt fort. Sincèrement, je suis heureux de vivre au XXIeme siècle. Ces temps époques antérieures sont décidément trop obscures pour moi. Les années 60 c’était bien, les 70 presque parfait. Il faudrait que je repense à m’y balader. Sur quoi j’ai haussé les épaules et refait à l’envers ces trois pas, connus de nous seuls les hommes, qui m’ont ramené chez moi, sur une moquette vieux rose. Pour une fois que dans mes bouquins je ne vous place pas le Vème rêverie vous pouvez me remercier.
Ou accéder à ces lacs de feu qui parsèment votre mémoire.