Derrière le jour, les étoiles

Etoile_violette_1Axelle Ropert emprunte une voie nouvelle mais on a tous du mal à trouver les mots pour dire comment elle s’y prend. Les critiques sont revenus du film comme d’un rêve. Remplis d’une admiration respectueuse, ils font des phrases un peu compliquées et semblent peiner ce mercredi à rendre compte d’une méthode, sans doute parce que l’émotion d’Etoile violette ne s’attrape pas avec le premier mot venu.

Axelle Ropert nous invite à suivre une piste. Elle dit : « Jean-Jacques Rousseau, c’est le premier chanteur folk français ». Voilà de quoi réfléchir. On s’attache alors à la tonalité folk pour parler de musique à travers les voix de Shirley Collins ou de Devandra Banhart, chacun ponctuant l'une des trois grandes séquences, mais ça ne suffit pas. Porter un regard sur ce film est plus difficile que sur les autres : l’apparente simplicité formelle désarme le spectateur, entraîné vers une autre dimension, non pas intellectuelle, esthétique ou psychologique, mais plus contemplative peut-être.

Seule certitude : le film nous éloigne du vacarme du monde. Télérama parle d’une fugue. Une fugue dans les bois avec Jean-Jacques sur un air de folk. A la découverte de quoi ? De la solitude de Jean-Jacques Rousseau.

Ça se précise, alors ? Oui et non. Parce qu’il n’y a aucun ressort dramatique classique à cette histoire ; l’émotion survient au détour d’un plan dans les étoiles ou d’une promenade à reculons dans un bois. Tout a l’air posé sous nos yeux dans une évidence simple et pourtant le sens d’un geste de la main sur un visage, d’un mouvement dans un arbre ou d’une confession, reste caché jusqu’au bout. Axelle Ropert sait garder un secret.

Comment désarme-t-elle à ce point le spectateur ? Une possibilité parmi d’autres : par le point de vue ; celui des élèves à leur premier cours du soir qui sont comme des enfants découvrant le monde à travers des questions sérieuses mais traitées sur le mode du jeu, presque de la plaisanterie. Apprendre en jouant : qui veut jouer Diderot ? Qui veut jouer Jean-Jacques ? Moi, moi, disent les élèves.

Monsieur Etienne, leur professeur, a quelque chose d'ensorcelant ; il nous entraîne d'ailleurs tous dans la dimension du rêve. Les yeux picotent. On est passé derrière le jour, derrière le voile de la lumière qui masque l’intérêt de ce qui se passe dans l’ombre. Levez la tête et regardez par la fenêtre. La nuit, il y a des étoiles à contempler, et certains, comme Jean-Jacques, entreprennent un voyage à la recherche de la plus mystérieuse de toutes.

Cette étoile existe, certes, mais elle est rare et ne s’ouvre que la nuit, au regard de celui ou celle qui l’aura cherchée longtemps, et seul. La quête du solitaire. Et l’on se dit : comme c’est étrange, comme c’est intéressant! Peut-être, mais la leçon de monsieur Etienne s’arrête ici. Il sait bien, lui, qu’un sacrifice est nécessaire pour entreprendre ce voyage. Alors les élèves doivent s’en tenir à cette découverte : instant stupéfiant où l’on vacille tous une seconde au bord du vide devant cette dimension intérieure révélée à chacun. Mais il est vite temps de redescendre, de se sentir revenir à la vie pour exister de nouveau avec les autres. Je ne suis pas là pour faire de vous des solitaires, dit le professeur, mais pour vous apprendre à vivre ensemble. C’est ici et maintenant que ça se passe. D’accord, d’accord, disent les élèves obéissants. Et monsieur Etienne, grave et secret, s’assurera en les observant derrière une vitre que sa leçon a bien porté.

Il y a toujours quelqu’un qui a été plus inspiré que les autres pour parler d’un film. Cette fois-ci, c’est la revue Têtu qui a trouvé les mots justes. C’était à Cannes en 2005. A propos d'Etoile violette, "que les hommes ternes et solitaires sont d’une douceur étrange et bouleversante."

Oui, monsieur Etienne est bouleversant (l’interprétation unique d’Emmanuel Levaufre), et oui, monsieur Jean-Jacques reste pour nous un être étrange et insaisissable (Lou Castel, l’unique)

Mais comment ce film peut-il être à la fois si honnête et si profond ? On a posé la question au metteur en scène : personne n’a souffert pendant le tournage ? Non, non. Pas d’animal maltraité ? Non, non.

(on parlera plutôt de sacrifice consenti)

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