Babacar
NDIAYE
Thèse de doctorat de troisième cycle présentée et soutenue
par Mr Babacar NDIAYE à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le 02 décembre
2000 sous la direction du Professeur agrégé Souleymane Bachir Diagne
Chapitre
1er : La politique comme science : le projet rousseauiste 20
Section 1 : Les difficultés
23
11. Le problème de la création : les
circonstances 23
12. Sur l’intention de Rousseau : la
problématique politique 28
Section 2 : Anthropologie et
politique
35
21.
L’anthropocentrisme politique
35
22.
L’optimisme anthropologique de Rousseau 39
Conclusion
du chapitre 1
44
Section 1 : La critique négative
48
11.
Le rejet de l’héritage
méthodologique des jurisconsultes 49
12.
La critique de la méthode des
philosophes
52
Section 2 : La méthodologie
rousseauiste
58
21.
L’hypothétique histoire naturelle
59
22.
La fiction constructive
63
Conclusion
du chapitre 2
68
Section 1 : L’analyse du discours
rousseauiste
73
11.
L’écriture de Rousseau
73
22.
L’apport des écrits autobiographiques
78
Section 2 : Logos et science de
l’homme : le sujet objectivisé 84
21.
Rôle et place du moi-modèle 85
22.
Vers l’universalité 89
Conclusion
du chapitre 3
94
Conclusion
de la partie I
95
Partie II : L’élucidation du problème politique
97
Chapitre
I : La nature primitive
101
Section
1 : Le paradis des premiers débuts
105
1.1- La description physique de l’homme
naturel 106
1.2-Le côté métaphysique et moral :
l’univers relationnel 111
Section 2 : Le processus de dénaturation
118
2.1- La perte de la transparence
119
2.2- La guerre ou le terme ultime de l’état de nature
123
Conclusion
du chapitre 1
129
Chapitre
2 : L’Etat ou le pouvoir souverain
131
Section
1 : Le fondement de l’autorité politique
135
1.1- Le contrat social
136
1.2- La volonté générale et la souveraineté 141
Section 2 : Le retour à l’homme
148
2.1- L’homme politique civil : éducation et
religion civile 149
2.1- Le rapport au pouvoir souverain 154
Conclusion
du chapitre 2
159
Chapitre
3 : Analyse de la pensée politique de Rousseau
160
Section
1 : Les paradoxes de la situation de l’auteur
163
1.1- Les références extérieures :
entre mythe et utopie 164
1.2- La ‘’pathologie’’ de Rousseau
169
Section 2 : La pensée de Rousseau :
fonctionnement et structure 176
2.1- L’évolution dialectique de l’œuvre
177
2.2- L’esprit de l’unité de la pensée de Rousseau 181
Conclusion du chapitre 3
185
Conclusion de la partie
II
186
CONCLUSION
GENERALE
188
Essai bibliographique
192
Entre 1749 et 1778, Jean-Jacques Rousseau
a produit une œuvre importante tant par son volume et sa diversité que par son
impact sur les idées en cours à son époque, et pour la postérité philosophique.
L’enthousiasme avec lequel il tombait sur le Mercure de France[1] l’invitant à concourir pour le prix de morale de
l’Académie des Belles Lettres et Sciences de Dijon est sans commune mesure avec la longue période
de dépression qui allait rythmer son existence jusqu’à la décrépitude qui
l’achève à l’île de Saint-Pierre.
Entre ces deux extrêmes, une riche, abondante et polémique production
livresque a vu le jour. Celle-ci est presque à l’image de la vie de l’auteur en
ce sens qu’elle est difficilement saisissable.
Il est évident qu’au seuil de son entrée dans le
cercle des écrivains, Rousseau n’avait pas, comme du reste la plupart des
auteurs, un projet doctrinal mûrement réfléchi et ordonnancé suivant une
programmation bien définie[2].
Il a non seulement écrit en fonction des circonstances et de son environnement
intellectuel, mais surtout son entreprise a eu à prendre des tournures qui ne
furent que de tardives révélations ou des convictions acquises et fortifiées au
fur et à mesure que son projet avançait. C’est la raison fondamentale pour
laquelle, l’idée d’un système rousseauiste reste problématique.
De même, lorsqu’on jette une vision synoptique sur
l’ensemble des écrits de Jean-Jacques Rousseau, on y trouve une variété, mais
surtout une certaine périodisation que l’on peut plus ou moins préciser.
Globalement, deux grandes étapes correspondant chacune à un type d’écrit
peuvent être distinguées.
D’une part, il y a l’étape anthropologico-politique.
Elle débute avec le Discours sur les Sciences et les arts (1749) et
s’achève avec les Lettres écrites de la montagne (1764). Toutes les œuvres ayant vu le jour entre ces
deux textes participent généralement de la réflexion politique.
D’autre part, il y a l’étape singulièrement
autobiographique où Rousseau se dévoile à la face du monde, pour se faire
connaître dans ce qu’il est véritablement et également pour se justifier et
rendre raison des multiples questions sujettes à discussions sur ses écrits et
sa pensée politique. C’est une courte période contenant un nombre restreint de
textes. Elle débute par Les Confessions, que l’auteur souhaitait publier après sa mort, passe par les Dialogues.
Rousseau juge de Jean-Jacques et
s’(in)achève avec les Rêveries du promeneur solitaire.
En marge de ces deux grandes étapes, Rousseau
développe ses talents littéraires dans une dimension totalement artistique.
Outre ses écrits musicaux, il rédige de nombreuses pièces de théâtre [3].
Mais en réalité, pour le thème qui nous préoccupe,
seul les deux principaux aspects préalablement identifiés nous intéressent et
retiennent notre attention. Et à ce sujet, la première question qui vient à
l’esprit est de savoir quels liens unissent les écrits politiques et les écrits
autobiographiques? Autrement dit, cela revient à se demander pourquoi adjoindre
les écrits autobiographiques à l’œuvre politique si tant est que, en dépit des
critiques et des polémiques de l’époque, Jean-Jacques Rousseau a eu
l’impression d’avoir correctement et entièrement épuisé sa problématique
politique. C’est parce que ce qui nous intéresse et qui sous-tend cette interrogation – inquiétude, est
de savoir ce qui fonde l’unité de l’œuvre de Rousseau, s’il est vrai que toute
tentative de compréhension du rousseauisme doive nécessairement passer par la
connaissance de l’œuvre de l’homme à travers ses écrits à la fois politiques et
autobiographiques.
D’ailleurs pour Marcel RAYMOND l’explication du lien
entre les écrits politiques et autobiographiques tient en ceci :
« (…) il faut ajouter qu’une
fois exilé, condamné, Rousseau s’éloigne de ses livres de doctrine. Ce qui
l’attache à eux, c’est qu’il s’y est peint lui-même – et il se convainc
toujours d’avantage que les persécutions dont il est la victime ‘ne tiennent en
aucune sorte à ses écrits’ ; mais à sa personne. (…) Ainsi, dans l’idée
même, et dans la plus abstraite, Rousseau nous invite à le surprendre devant
son miroir »[4]
.
Si le lien peut s’établir sur la base de cet argument
de défense de soi-même, il reste que la pensée politique de Rousseau n’offre
pas de prime abord une possibilité de compréhension directe. Elle se développe
en forme d’éventail dont
l’ouverture laisse souvent aux critiques ou aux lecteurs un champ
d’interprétations possibles. Toute la difficulté du rousseauisme réside, en
effet, dans cette ouverture du champ d’interprétations. Faut-il rattacher cela
aux sinuosités des textes, à leur absence de cohérence et d’unité de direction,
ou enfin à l’auteur lui-même en tant que source de production d’un discours sur
le monde auquel il est partie intégrante?
Ernst CASSIRER posait déjà le problème en ces
termes :
« La personnalité et l’œuvre de
Rousseau continuent à nous paraître tout aussi étranges, tout aussi complexes,
tout aussi paradoxales qu’à ses contemporains. On a consacré à ce problème un
labeur presque infini. Des philosophes et des historiens, des hommes politiques
et des critiques littéraires se sont acharnés à en trouver la solution. Mais,
toutes les fois qu’une solution définitive semblait près d’être atteinte, de
nouvelles questions, de nouveaux doutes surgissaient aussitôt »[5]
.
Mais de façon plus précise, et au-delà de la
complexité de l’auteur et de son œuvre, on se demande si Jean-Jacques Rousseau
peut réussir le dédoublement réflexif. En réalité il y a une réelle
interpénétration entre la personne et l’œuvre, entre l’existence et l’idée. Et
la justification de cette interpénétration se trouve à deux niveaux. Le premier
niveau se situe dans le processus de production même de la connaissance. Au
lieu d’être dépouillée, désincarnée et objective, la connaissance est une
production intérieure ou alors une sorte de révélation ( « Mon âme délivrée de ce corps qui l’offusque et
l’aveugle, et voyant la vérité sans voile … »[6] ).
Le second niveau est celui de la référence à l’homme
naturel. Rousseau s’autoproclame l’homme naturel qui a gardé sa transparence
originelle (« Voici le seul portrait d’homme, peint exactement d’après
la nature et dans toute sa vérité »
[7]
).
Dès lors le problème se transforme en terme de crédit
ou de valeur. Par rapport à Jean-Jacques Rousseau, la difficulté majeure est
liée à sa personne elle-même. Peut-on créditer d’une valeur la pensée politique, fut-elle celle d’un
homme qui s’autoproclame le meilleur des hommes[8],
et dont la vie sociale, politique et relationnelle n’a jamais été un
modèle ?
D’abord, Rousseau ne s’est jamais longuement entendu
avec ses contemporains. Il s’est non seulement brouillé avec ses amis de l’Encyclopédie (Diderot, D’Alembert, Grimm et D’Holbach), mais aussi
avec les différentes autorités politiques, religieuses et mêmes judiciaires de
ses différentes domiciliations.
Ensuite, Rousseau a mené une vie hors norme, une vie
errante et déviante observable par la trajectoire peu commune qu’il a suivie.
Entré de façon élogieuse dans les salons du XVIII° siècle, Rousseau va terminer
sa vie dans l’isolement et la solitude, voire par la maladie.
Toutes ces données relatives à sa biographie sont
symptomatiques de difficultés à lire clairement dans le cœur et dans l’esprit de cet auteur[9].
En effet, un homme retiré de la société peut-il valablement édifier un projet
de société ? Le péril du rêve et de l’utopie ne le guettent-ils pas ?
De plus, un homme qui renonce à l’éducation de ses enfants[10],
peut-il nous proposer des recettes et une pédagogie capables de rendre nos âmes
vertueuses et les hommes aptes à vivre dans la société civile ?
Ce sont là des obstacles réels ou des apories
préjudicielles pour qui veut chercher et construire l’unité de la pensée de
Jean-Jacques Rousseau. Pourtant, l’assurance nous vient de Jean StarobinskI. Il note que :
« A tort ou à raison, Rousseau n’a
pas consenti à séparer sa pensée
et son individualité, ses théories et son destin personnel. Il faut le prendre
tel qu’il se donne, dans cette fusion et cette confusion de l’existence et de
l’idée (…) Aventurier, rêveur, philosophe, antiphilosophe, théoricien
politique, musicien, persécuté : Jean-Jacques a été tout cela. Si diverse
que soit cette œuvre, nous croyons qu’elle peut être parcourue et reconnue par
un regard qui n’en refuserait aucun aspect : elle est assez riche pour
nous suggérer elle-même les thèmes et les motifs qui nous permettront de la
saisir à la fois dans la dispersion de ses tendances et dans l’unité de ses
intentions » [11]
.
Cela signifie pour nous qu’amputer délibérément
l’autobiographie, la vie, en un mot l’auteur lui-même de sa production, serait
plus dangereux que le fait d’entreprendre une procédure de saisie d’ensemble de
toutes les dimensions requises à la manifestation globale de la pensée de
Rousseau. Les écrits autobiographiques participent de la même volonté de
restituer la vérité de l’homme. Pierre BURGELIN a bien vu ce lien. Il note
que :
« Rousseau les établit (les
doctrines) sous le signe de la contradiction à la société. Mais elles lui
posent un problème personnel, car sa propre vie est en négation. Son œuvre ne
prêche ni la solitude, ni l’abandon des enfants. C’est cette contradiction
seconde qu l’entraîne dans la voie de la justification. Il s’agit pour lui de
sauver cette œuvre sur laquelle il n’est que trop facile d’ironiser. Il faut
que la vérité de la pensée ne soit pas ruinée par l’auteur lui-même. Il va donc
proclamer son entière sincérité et montrer quelles racines profondes ont en lui
les pensées que son cœur lui a dictées. C’est cet effort désespéré qui donne
tant de pathétique aux derniers écrits »[12]
.
Ainsi
donc, la saisie d’ensemble a l’avantage d’éviter les vues parcellaires et, par
conséquent, permet de s’éloigner des interprétations tronquées où le texte ne
sert finalement que de prétexte.
Une fois ce lien génétique établi entre les écrits
rousseauistes, il reste alors à préciser la méthode d’approche qui sera la
nôtre.
Eu égard à la disparité apparente et à l’éloignement
thématique qui semblent exister entre les textes d’une part, et à l’absence plus ou moins explicite
d’une intention rectrice et d’une unité de direction d’autre part, c’est dans le mouvement de leur production qu’il convient de rendre
intelligible la pensée politique de Jean-Jacques Rousseau.
Certes Rousseau écrit suivant les circonstances
particulières liées aux concours de Dijon, à sa propre initiative ou pour
répondre aux critiques et autres objections de ses contemporains. C’est ce qui
explique que
« Il réussit à ne jamais
exposer ses principes d’une manière
cohérente et partant, complète (…) C’est seulement en combinant
l’information fournie par le Discours avec celle fournie par les écrits postérieurs de Rousseau que l’on
peut parvenir à comprendre les principes qui guident chacun de ses écrits ainsi
que leur ensemble »[13]
.
Autrement dit, il s’agit d’aller à la découverte de la
logique interne propre à l’œuvre, de son unité de direction et d’intention, et
d’aller enfin vers le mode de
manifestation et d’intelligibilité de son sens. Plus précisément, notre
procédure vise la saisie de cet ordre de raisons qui consiste à ne jamais décaler les thèses rousseauistes des
démarches qui les ont produites. Sur ce point, nous sommes d’intelligence avec
Jean STAROBINSKI lorsqu’il déclare que :
« A tout le moins un
principe s’impose à Rousseau sans distinction : suivre chronologiquement
le développement de sa conscience, recomposer le tracé de son progrès, parcourir la séquence des idées et des
sentiments, revivre par la mémoire l’enchaînement des causes et des effets qui
ont déterminé son caractère et sa destinée. Méthode génétique, qui remonte aux
origines pour y trouver les
sources cachées du moment présent ; (…) La tâche est de prouver la
continuité d’une évolution (« le fil de mes dispositions
secrètes ») … »[14]
.
Ainsi donc, cette réflexion se veut globale pour toute
l’œuvre de Rousseau. C’est une entreprise à connotation pluridisciplinaire qui
adopte un processus intégratif d’inspiration systémique permettant
d’appréhender le développement de la pensée de Rousseau dans toutes ses
dimensions. Elle récuse, de ce fait, les analyses strictement sectorielles, et
chaque problématique particulière s’inscrit dans une dynamique d’ensemble de la
doctrine rousseauiste. Elle est également une rupture par rapport à toutes les
approches unidimensionnelles qui caractérisent les lectures philosophiques du
droit, les études de la politique et des institutions, les recherches
psychologiques et historiques sur l’homme et sur son œuvre. Il s’agit
véritablement d’un pari ambitieux et risqué, qui consiste à remettre en
question l’horizon du discours et de la doctrine rousseauistes dans une
perspective dynamique, cohérente, complète et surtout globalisante.
C’est pourquoi, la méthode ontogénétique appliquée aux
textes et à l’œuvre entière de Rousseau demeure préférable à l’option de
recherche philologique. Cette dernière, en tant que tentative de mise à jour du
sens insulaire de chaque texte, est à un niveau de signification peu conforme,
voire contraire, à l’ambition de saisie de la valeur d’ensemble de la pensée de
l’auteur. Tandis que la démarche ontogénétique, en tant que perspective de
saisie dynamique de l’œuvre suivant son objet et son substrat de base ou
suivant son mode de développement interne selon une ligne d’évolution continue,
semble beaucoup plus raisonnable. La démarche ontogénétique permet, en fait,
d’allier, dans une harmonie imposée par la cohérence inter-textes, les données
des textes à la direction spécifique suivie par Jean-Jacques Rousseau, pour
poser et résoudre la question de
l’unité de sa pensée.
A la base de ce choix se trouvent deux raisons. La
première raison concerne les différences de niveau, de perspective et
d’approche applicables aux textes de Rousseau. A ce propos, les discours de
1749 et 1753 ne sont pas sur le même niveau que le Contrat social, encore moins au même niveau que les textes sur la
Corse et la Pologne. Ces différences
peuvent se résorber par la biais de l’application de la méthode ontogénétique
qui est une entreprise de saisie dynamique d’une pensée entre un point de
départ (l’anthropologie) et un
terminus (le pouvoir politique).
La seconde raison se retrouve dans le besoin exprimé
par Rousseau de produire des écrits autobiographiques. S’il n’avait pas été
l’auteur de textes politiques ayant soulevé beaucoup de remous, d’objections et
de critiques dans le monde des idées, il n’aurait pas très certainement éprouvé
le besoin de laisser à la postérité des textes autobiographiques. Tout se passe
comme si l’auteur des Confessions
voulait laisser un supplément d’éclairage sur sa pensée, une gamme d’arguments,
de justifications et d’explications sur ses idées et ses choix en matière de
philosophie politique. Les textes autobiographiques s’agencent et s’adjoignent
aux écrits proprement politiques comme un additif destiné à rendre raison du
processus et des circonstances de telle ou telle autre option de l’auteur.
Toutes ces raisons font que dans le cadre de notre
thème nous privilégions la méthode ontogénétique. Ce choix est aussi renforcé
par les fréquentes allusions de Rousseau, dans certains de ses textes, à des
écrits antérieurs, confirmant ainsi leur lien et leur unité. Dans les Confessions, il écrit que : « Tout ce qu’il y a de
hardi dans le Contrat social
était dans le Discours sur l’inégalité ; tout ce qu’il y a de hardi dans l’Emile était auparavant dans la Julie »[15].
Ce fait traduit l’existence d’une ligne directrice, d’une cohérence interne ou,
à tout le moins, l’absence de contradiction significative entre les textes de
Rousseau.
Ainsi donc, la méthode ontogénétique pourrait
permettre de voir l’unité de la pensée de l’auteur, dans des limites précises.
En effet, cette étude sera comprise dans le champ thématique qui va de
l’anthropologie, en tant que science des origines et de l’évolution de l’homme,
à la réalisation du pouvoir
politique dans le cadre de la société civile. Autrement dit, il s’agit de
partir de l’individualité initiale et presque imaginaire de l’atome sociétale,
pour aboutir à une forme d’organisation évoluée et supérieure, en passant par
les différentes étapes indispensables à cette métamorphose, ainsi que par les
multiples acquisitions tendant à la socialisation de l’individu.
Malgré les différences sur bien des points, il sera
fait appel, au besoin, aux idées et aux textes des prédécesseurs et
contemporains de Jean-Jacques Rousseau, dans le but de mieux éclairer
quelques-unes de ses représentations sujettes à interprétation et à critique.
Ces parenthèses explicatives s’autorisent par les textes de Rousseau. En fait,
dans le cadre de sa formation, l’auteur reconnaît avoir beaucoup fréquenté les
idées de certains auteurs[16].
De plus, ses écrits véhiculent un
aspect polémique qui se traduit par des discussions sur des thèses avancées par
d’autres philosophes nommément cités. Parmi ceux-ci, on note Hobbes, Locke,
Spinoza et Charles De Secondat Baron De la Brède et de Montesquieu.
Enfin,
deux parties principales vont constituer la charpente de cette étude.
Dans la première partie il sera question de
l’épistémologie rousseauiste. Il s’agit de comprendre la démarche rousseauiste
par rapport à la connaissance, en particulier par rapport à l’anthropologie et
à la science politique qu’il aborde. L’épistémologie constitue le fondement sur
lequel repose toute sa théorie. Par conséquent, c’est la base qui servira à confirmer ou à consolider l’unité de sa pensée.
Dans la seconde partie, il est question de l’élucidation
du problème politique. C’est le lieu de montrer le premier principe que met en
avant Rousseau, l’état de nature, qui constitue l’entité élémentaire de
l’évolution de laquelle dépend la solution politique préconisée par l’auteur du
Contrat social. La finalité
dernière de toute l’entreprise rousseauiste est la question relative à l’Etat,
aux modalités d’accession à la société civile et au rapport avec la puissance
souveraine sans pour autant perdre de vue l’homme individuel, qui est la base
de sa philosophie politique.
Toutes ces parties ont en commun de toujours se
rapporter à l’auteur, à son autobiographie et à son existence entière
considérée comme une totalité.
Partie I : L’épistémologie rousseauiste
En matière de philosophie politique, outre le débat
doctrinal sur les idées, les philosophes et les penseurs en général[17]
ont tous senti la nécessité de définir un cadre dans lequel s’effectue leur
approche. La question de la méthode est devenue par-là même une exigence à
laquelle aucune théorie rigoureuse ne peut déroger sous peine de perdre toute
crédibilité. L’enjeu de cette question est la scientificité du discours.
Héritier du rationalisme du XVII° siècle,
Jean-Jacques Rousseau n’est pas un précurseur dans cette voie de la définition
des critères méthodologiques, mais il veut tout simplement innover dans sa
démarche. Son épistémologie s’entend ici comme une théorie de la connaissance
dans le domaine de la philosophie politique. En effet, celle-ci n’échappe pas à
l’exigence de rigueur explicative et de saisie compréhensive de la chose
politique. Evidemment, la difficulté apparaît lorsqu’il s’agit d’adapter la
réflexion philosophique sur la politique à une méthode comparable à la démarche
précise, à la rigueur logique et à l’abstraction du physicien ou à l’exactitude
quantitative et qualitative du chimiste. Pourtant, c’est le défi qu’il faut
relever à travers une construction cohérente.
Ce pari d’élever la philosophie politique au rang de science politique ne se fait pas sans une forte dimension polémique. Ainsi, à l’endroit de ses prédécesseurs Rousseau déclare que :
« La plus utile et la moins
avancée de toutes les connaissances humaines me paraît être celle de l’homme
(…) Et la seule inscription du Temple de Delphes contenait
un précepte plus utile que tous les
gros livres des moralistes »[18]
.
Cette affirmation donne toute la mesure de la décision
méthodologique de l’auteur de faire de la politique une science, mais également
toute la dimension paradoxale de la relation sujet-objet dans le discours
rousseauiste. Rousseau introduit cette dimension paradoxale inhabituelle dans
ce domaine, car il fait usage de la qualité là où le rationalisme avait
substitué la quantité, la mesure et la mathématique. Ainsi, au cœur la citadelle
d’une discipline tendant à s’émanciper,
Jean-Jacques Rousseau, en pur produit des Lumières, fait valoir, par le
biais du précepte delphique, une dimension subjective s’exposant du même coup
au « péril de la réflexion »[19]
.
Et c’est là où la compréhension de l’épistémologie
rousseauiste pose problème. Pourtant, vue sous un certain angle :
« La science est un produit de
l’esprit humain, produit conforme aux lois de notre pensée et adapté au monde
extérieur. Elle offre donc deux aspects, l’un subjectif, l’autre objectif, tous
deux également nécessaires, car il nous est impossible de changer quoique ce
soit aux lois de notre esprit qu’à celle du monde »[20]
.
Ce qui veut dire que la pensée porte inéluctablement
la marque et l’empreinte du penseur en tant qu’il s’investit dans, par et à
travers son œuvre de réflexion. Mieux, BACHELARD note plus loin que « au-dessus
du sujet, au-delà de l’objet immédiat, la science moderne se fonde sur le
projet. Dans la pensée scientifique, la méditation de l’objet par le sujet prend
toujours la forme du projet »[21].
En terme de projet ainsi conçu, l’épistémologie rousseauiste est un « effort
méthodologique »[22],
un corps de précautions, voire une
orientation réflexive propres à Rousseau et qui sont les préalables nécessaires
à la réalisation de sa science politique.
Dans cette partie, l’objectif recherché consiste
d’abord à comprendre le projet de Rousseau comme une science du politique.
Au-delà du désordre apparent, il s’agit de voir comment s’agencent ses idées et
sa réflexion pour justifier le parti pris de sa politique comme une science
(chapitre 1). Ensuite, ce sont les caractéristiques propres à la démarche
rousseauiste qui vont retenir notre attention. Dans la mesure où son œuvre suit
un fil directeur, il reste évident qu’elle est du même coup sous-tendue par une
certaine logique. Celle ci comporte l’ensemble des aspects de la démarche de
l’auteur (chapitre 2). Enfin, si le projet est une « méditation de
l’objet par le sujet », il
consolide l’idée selon laquelle dans la tentative de compréhension de l’unité
de la pensée de Rousseau, les écrits autobiographiques et les textes politiques
concourent au même but. Dans ce cadre, les seules inquiétudes à soulever
consistent à dire comment et suivant quelles modalités (chapitre 3).
Chapitre
premier :
La politique comme science : le projet de
Rousseau
En prenant le relais de ses illustres devanciers, Hobbes et Montesquieu
notamment, qui ont voulu donner à la philosophie politique le même degré de
perfection que les sciences abstraites, Rousseau s’est résolument engagé dans
la voie du projet scientifique. Mais chez lui, eu égard au caractère
apparemment disparate de ses écrits, la question de la méthode ne fait pas
l’objet d’une élaboration systématique. Pour certains, elle s’inscrit en creux
dans l’œuvre[23]. Au
contraire, pour d’autres, chez Rousseau « (…) la moindre
démarche…procède de considérations le plus souvent informulées sur la méthode,
et ne peut s’interpréter par son seul contenu doctrinal »[24].
Autrement dit, il y a un enchevêtrement entre la doctrine et la démarche par
laquelle elle se fait connaître.
Globalement, deux thèses s’opposent. Il y a, d’une part, celle qui
réfute toute idée de création intégrale et homogène chez Rousseau[25].
Cette thèse se situe sur le plan qui privilégie la compréhension dans
l’insularité propre à chaque texte. Et, d’autre part, il y a la thèse qui
défend l’idée d’une suite, d’une continuité allant dans le sens de la cohérence
logique de l’ensemble de l’œuvre rousseauiste.
Quel que soit le point de vue privilégié, il nous paraît incontestable
que les textes de Rousseau recèlent des démarches relevant explicitement et à
bon droit de l’attitude scientifique et de la théorie du savoir, en matière de
philosophie politique. Ainsi, à la seule condition de ne pas exagérer la valeur
et l’impact de ces démarches, elles peuvent aider à une meilleure compréhension
de sa politique et des problèmes qu’elles soulèvent. Néanmoins, cette optique
ne manque pas de soulever des difficultés inhérentes à l’œuvre même de
Rousseau. Ces difficultés traduisent l’ensemble des facteurs constituant des
obstacles à la saisie immédiate et absolue de la pensée de l’auteur comme système (section 1). Une fois
ces difficultés identifiées, répertoriées et élucidées, l’ébauche d’une pensée
rousseauiste, en tant que système cohérent d’énoncés organisés suivant une
certaine consécution dans la sphère qui allie l’anthropologie à la politique,
peut s’effectuer (section 2).
Section 1 : Les
difficultés
En abordant l’explication de la doctrine rousseauiste, Emile Bréhier s’interroge sur des points
précis. Il écrit ceci :
«(…) en laissant de côté les attaques ou les éloges
systématiques, qui ne manquent pas, on est fort loin d’être d’accord sur
l’interprétation de sa pensée ; y a-t-il une doctrine de Rousseau, ayant
suite et cohérence logiques? Ou bien l’assurance prématurée avec laquelle il
aborde chaque sujet nouveau qu’il traite ne cacherait-elle pas des
contradictions insolubles à qui s’efforce de voir l’ensemble»[26].
Ce souci et ce paradoxe véhiculés par les difficultés propres à l’œuvre
interpellent l’attention de tout lecteur critique. En faisant nôtres les
préoccupations de BREHIER, il nous apparaît deux difficultés majeures tenant
aux circonstances propres à l’avènement de presque chaque texte de Rousseau
(1.1) et également au problème essentiel de l’intention philosophique de
l’auteur en tant qu’elle constitue la ligne directrice de l’ensemble de ses
écrits (1.2).
1.1- Le problème de la création : les circonstances
De 1750 à 1778, date de sa mort, et même au-delà, Jean-Jacques Rousseau
est à l’origine d’une production livresque particulièrement volumineuse et aux
thèmes abordés d’une grande variété. Si l’on s’en tient uniquement à l’essentiel,
le champ couvert par celle-ci va de la politique, au sens général et générique, à l’autobiographie.
Néanmoins, l’examen
attentif des circonstances qui ont vu naître cette grande œuvre dévoile un
grand nombre d’informations relatives aux œuvres, motifs et causes qui, le plus
souvent, ont été à la base de ces
écrits. Il nous semble certain que la création ou l’élaboration philosophique,
chez le Citoyen de Genève, est strictement liée aux circonstances. Et à ce
titre, la question centrale à laquelle il faille apporter une réponse est la
suivante : quelle est la part décisive et déterminante que jouent les
circonstances ainsi que les coïncidences historiques dans le cadre de l’élaboration de l’œuvre philosophique de Rousseau, tant est si bien qu’un
écrit a toujours partie liée avec son environnement intellectuel de
naissance ?
Un suivi scrupuleux de la chronologie des écrits de Jean-Jacques Rousseau peut bien éclairer sur le rôle joué par
les circonstances particulières de l’œuvre rousseauiste, l’environnement
intellectuel et ses influences,
ainsi que les débats d’idées et les polémiques en cours à l’époque. C’est donc en nous plaçant dans le contexte historique que l’on parviendra à déterminer le
rôle et la place des circonstances. Car les circonstances sont l’ensemble des éléments, facteurs et faits
motivants pour justifier les
écrits et les réactions de Rousseau. Egalement, ce sont les questions et les
interpellations, les allusions critiques et les appels face auxquels le Citoyen de Genève
se devait tout au moins de
réagir. Pratiquement chaque texte de Rousseau peut s’inscrire dans cette
perspective.
Tout d’abord, les deux discours ont tous partie liée avec le concours
de l’Académie de Dijon. En 1749, sur le chemin de Vincennes, où il va voir son
ami Diderot, Rousseau lit dans le dernier numéro du Mercure de France daté d’octobre le texte de la question posée par
l’Académie des Sciences et Belles Lettres de Dijon pour le prix de morale de
1750. De cet instant précis, Rousseau dit : « je tombe sur la
question de l’Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit »[27]
. Il qualifie même « d’heureux hasard » cette vision qu’il eut de la société et des hommes,
événement que l’on retient aujourd’hui comme l’illumination de Vincennes.
En novembre 1753, la même Académie propose une autre question[28]
. Le Citoyen de Genève, qui a déjà acquis la notoriété avec le concours
précédent qu’il a remporté, développe ses principes avec un élan critique et
une orientation doctrinale qui surprennent en ce siècle des Lumières. Jean
STAROBINSKI note à ce propos
que «
pour Rousseau, le coup de fouet du
nouveau discours sera le prétexte (ou la cause occasionnelle) d’un progrès
intellectuel »[29]
. Ainsi, au-delà du contenu doctrinal, ce discours apporte une note originale et révolutionnaire dans le monde
des idées[30].
Mais pour nous, il est donc clair que les deux discours sont des œuvres
qu’on peut qualifier de textes provoqués. Ce sont les concours qui ont été les prétextes et les causes
décisives de leur rédaction.
Ensuite lorsqu’en 1755 paraît le tome V de l’Encyclopédie, le texte usuellement désigné au XVII° siècle sous le
titre de Discours sur l’économie politique y figure en bonne place.
Si la destination du texte ne fait aucun doute, on s’interroge encore sur le motif de son écriture.
Est-ce à la suite d’une commande de ses amis Diderot et d’Alembert (avec qui
les relations étaient des meilleures) ? Où alors est-ce une initiative
personnelle de l’auteur, une contribution au projet encyclopédique ? [31]
. En tout état de cause, c’est au niveau de sa destination que surgit le problème des
circonstances. En effet, l’entreprise encyclopédique visait la réalisation
d’une grande œuvre collective poursuivie sur plusieurs années ( de 1751 à
1772). Elle a regroupé tout ce que Paris et la province comptaient de
spécialistes et d’esprits éclairés. Déjà Rousseau avait été un précieux
collaborateur pour des articles sur la musique. C’est donc vraisemblablement au
bénéfice de l’Encyclopédie qu’il écrivait son texte. La
destination encyclopédique en constitue par conséquent la source motivante.
En outre, en 1761, la Nouvelle Héloïse paraît et à partir de 1762 Rousseau publie deux
ouvrages : Du contrat social ou les principes du droit politique et l’Emile ou de l’éducation qui apparaissent dans un court intervalle. Leur
sortie provoque un déferlement de réactions. Le 09 juin 1762, par un arrêt, le
Parlement de Paris condamnait l’Emile
à être lacéré et brûlé. Il ordonnait en outre que « le nommé Rousseau sera appréhendé au corps… ». Le 19 juin, le Petit Conseil de Genève
s’associait au rapport du Procureur Général Robert Tronchin pour condamner le Contrat
social et l’Emile. Dans sa quête de justification de l’attitude du
Conseil, le Procureur publia ses Lettres écrites de la campagne en 1763. Ces deux textes qui provoquent la polémique
proviennent d’une inspiration profonde et personnelle de l’auteur quoiqu’on
puisse toujours tenter de trouver à les rattacher à des idées de l’époque
ou à d’obscurs précurseurs. Ils
constituent les textes de la maturation et de l’affirmation complète de la
doctrine rousseauiste. La suite de l’œuvre viendra se greffer à ce noyau
doctrinal déjà annoncé par les textes précédents.
En 1764, Jean-Jacques Rousseau écrit ses Lettres écrites de la montagne
pour défendre ses ouvrages indexés. Il s’agit non seulement
d’une œuvre de défense du Contrat social et de l’Emile, mais
également et surtout un texte de riposte contre l’écrit du Procureur Général
Tronchin dont elles (les lettres) parodient le titre et en empruntent la forme
épistolaire (même si Rousseau semble les adresser à un Genevois fictif)[32].
Il est clair que cet écrit n’aurait pas vu le jour sans la condamnation des
textes de 1762. Ces lettres dans leur fonction de défense, incluant la protection
morale et intellectuelle de l’auteur, enrichissent aussi l’œuvre politique de
Rousseau surtout dans leur seconde partie où il est question de Genève et de sa constitution. De même par cet
écrit, Rousseau franchit la limite jusqu’ici respectée entre la politique
théorique et la politique appliquée. Enfin, c’est la raison pour laquelle
lorsqu’il s’exprime à propos de la Corse et de la Pologne cela ne surprend
guère le lecteur averti.
Ainsi, par des projets systématiques et pointilleux élaborés pour la Corse
de Pasquale Paoli, eu égard à son histoire tumultueuse avec Gênes et la France,
et pour la Pologne, face à la
décadence de cette nation, Rousseau s’est rapprochée de l’histoire politique.
Ceci est une touche concrète de réalisme politique car il s’agit pour lui de
fournir des conseils avisés qui puissent servir la Corse et la nation
polonaise. Par son Projet de constitution pour la Corse Rousseau « pensait trouver une merveilleuse
occasion d’appliquer sur le vif les principes fondamentaux du Contrat »[33].
Et c’est Mathieu Buttafoco qui lui offre l’opportunité en lui proposant
d’intervenir avec son talent de philosophe politique au profit de l’île[34]
. Rousseau va donc à la rencontre de l’occasion. Conjuguant son talent avec la
circonstance, il soumet à la pratique ses principes théoriques. Les Considérations
sur le gouvernement de Pologne
écrites entre 1771 et 1772 s’inscrivent dans cette dynamique. Les relations de
Rousseau avec Michel Wielhorski, émissaire des confédérés de Bar, ne sont pas
étrangères à leur rédaction[35]
.
Les écrits autobiographiques constituent la deuxième étape de l’œuvre
rousseauiste. Ils apportent un éclairage a posteriori sur l’homme, sur ses idées et sur les polémiques de
l’époque. Rousseau tenait à mieux se faire connaître pour apporter ainsi un
cinglant démenti à tous ceux qui ont voulu ternir et son nom et sa réputation.
Malgré leur forme personnalisée tantôt dialoguée, tantôt méditative, ces écrits
avaient pour but de prouver la fusion de l’existence de l’auteur avec la
vérité, la transparence absolue. La trilogie Confessions Dialogues
– Rêveries constitue l’ultime élément
de preuve mis à la disposition du monde pour anticiper le procès de Rousseau
par l’histoire et par ses contemporains.
En somme, il est évident que l’œuvre rousseauiste a été influencée par
les circonstances. L’œuvre suit de façon plus ou moins fidèle les invitations,
les provocations et les interpellations polémiques. C’est en cela qu’il faut
d’ailleurs admirer « une fois de plus, la rencontre du génie et de la contrainte ». Selon Jean STAROBINSKI :
« Pour la genèse même de l’œuvre, la
circonstance joue très exactement le rôle qu’à l’intérieur du système Rousseau
lui assigne dans l’évolution de l’humanité : la perfectibilité, puissance
latente, ne déploie ses effets qu’avec ‘ l’aide des circonstances’ »[36]
.
Eu égard à cette histoire, se comprend la difficulté d’établir une
continuité thématique de l’œuvre rousseauiste. Peut-on dès lors parler d’une
unité dans l’économie générale de la pensée de Rousseau ? Enfin, si chaque
texte obéit à une perspective
quels liens existent-ils entre les ouvrages ?
1.2 - Sur l’intention de Rousseau : la problématique
politique
Chaque texte de Rousseau pourrait, en principe, faire l’objet d’une étude exhaustive
dans la mesure où sa signification explicative ne se rattacherait pas à un
autre écrit. Mais pour qui veut embrasser l’ensemble de l’œuvre et y projeter
une vue synoptique, il est possible de déceler des points de jonction qui
représentent autant de passerelles reliant les textes suivant l’objectif commun
de la science politique. Deux facteurs précis militent pour cette orientation.
Il y a d’abord la révélation faite par Rousseau sur le processus de formation
de ses idées. Il fait la confession suivante : « les premiers
traits qui se sont gravés dans ma tête y sont demeurés et ceux qui s’y sont
empreints dans la suite se sont plutôt combinés avec eux qu’ils ne les ont
effacés »[37]. Cette confession témoigne d’un processus d’addition
progressive de ses idées. Ensuite, il y a la célèbre vision inaugurale que Rousseau eut sur le
chemin de Vincennes. Cette vision semble contenir la totalité de la perception
que Rousseau n’a pu développer que partiellement à travers ses écrits, tellement,
l’intuition fut forte et lumineuse. Dans sa seconde lettre à Malherbes,
Rousseau fait le récit de sa vision :
« Oh! Monsieur, dit-il, si j’avais jamais pu
écrire le quart de ce que j’ai vu et senti sous cet arbre, avec quelle force
j’aurai exposé tous les abus de nos institutions, avec quelle simplicité
j’aurai démontré que l’homme est bon naturellement et que c’est par ces
institutions seules que les hommes deviennent méchants »[38]
.
Ce récit montre la
cohérence de l’illumination avec comme objet central le problème de l’homme,
celui de son inadaptation aux institutions et celui de sa dénaturation.
A partir de ces deux indications précises, il s’agit de déceler les
points de continuité que cachent les ruptures apparentes ou supposées entre les
textes afin d’établir les différents niveaux de lecture. L’aspect singulier de
chaque texte dans le processus d’élucidation de la pensée politique de Rousseau
justifie alors l’existence d’une problématique d’ensemble de son œuvre.
En effet, le Discours sur les sciences et les arts n’est qu’un constat initial au sein des préliminaires
à toute recherche politique. Il suscite en même temps un intérêt certain pour
la recherche sur la façon dont la société en est arrivée à ce point, c’est à
dire la question de l’inégalité. Les sciences, les arts et le progrès en général
contribuent tous à « une marche aussi rapide vers la perfection de la
société et vers la détérioration de l’espèce »[39]
.
Ainsi, la question de l’origine peut être subséquente au constat de la
rupture d’équilibre et au constat de la crise. Du fait qu’aucune solution à
cette crise ne peut être donnée sans une prise en considération de la nature
essentielle de l’homme, l’étude des origines s’impose d’elle-même. Le Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes répond à cette sollicitation qui s’inscrit en droite
ligne dans le sillage de la pensée rousseauiste[40]
. Rousseau circonscrit sa démarche en ces termes :
« De quoi s’agit-il précisément dans ce
discours ? De marquer le progrès des choses, le moment ou le droit
succédant à la violence, la Nature fut soumise à la loi, d’expliquer par quel
enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le
peuple à acheter un repos en idée, aux prix d’une félicité réelle »[41].
C’est donc dans une perspective historiographique que Jean-Jacques
Rousseau trouve sa réponse à la question de l’origine de l’inégalité. Le
discours de 1753 apporte ainsi sa contribution à la connaissance de l’homme
ainsi que de son processus de dénaturation. Seulement, il ne se limite pas à ce
constat d’échec. Dans le même ouvrage, il ouvre une perspective dans le sens de
la construction projective pour donner ultérieurement sa solution par rapport
aux constats préliminaires. Il note que :
«
Sans entrer aujourd’hui dans les recherches qui sont encore à faire sur la
nature du pacte fondamental de tout gouvernement, je me borne en suivant
l’opinion commune à considérer ici l’établissement du corps politique comme un
vrai contrat entre le peuple et les chefs qu’il se choisit ; contrat par
lequel les deux parties s’obligent à l’observation des lois qui sont stipulées
et qui forment les liens de leur union »[42] .
Par cette affirmation,
Rousseau annonce son ouvrage sur les institutions politiques : Du Contrat social ou principes du droit politique. Cependant, le saut qualitatif entre les deux textes,
c’est à dire de l’individu à la collectivité peut, à certains égards, poser
problème. Autrement dit, comment s’effectue la synthèse rousseauiste qui assure
le passage de l’individu à la société politique ?
A l’interprétation marxiste et hégélienne, Emmanuel KANT puis Ernest
CASSIRER opposent la solution de la synthèse par l’éducation[43]
plus conforme à l’idée de Rousseau qui invite à chercher « dans l’art
perfectionné la réparation des maux que l’art commencé fit à la nature »[44]
. En prenant en considération cette
dernière interprétation de la pensée de Rousseau, l’Emile, mais également dans son prolongement Julie ou la
nouvelle Héloïse trouvent
effectivement leur place entre la fin du discours de 1753 et le Contrat social. En effet, pour le Citoyen de Genève, il y a un lien
étroit entre la politique et l’éducation d’une part, et la politique se
comprend surtout comme une dynamique qui va de la connaissance anthropologique
de l’entité individuelle à la totalité sociale d’autre part. Ce sont là les
raisons fondamentales pour lesquelles Rousseau affirme que :
« S’il est bon de savoir employer les hommes
tels qu’ils soient, il vaut beaucoup mieux encore les rendre tels qu’on a
besoin qu’ils sont ; l’autorité la plus absolue est celle qui pénètre
jusqu’à l’intérieur de l’homme (…) Il est certain que les peuples sont à la
longue ce que le Gouvernement les fait être… »[45]
.
Rousseau insinue par-là, la nécessité de la formation du citoyen, de la
pédagogie pour faire des individus des membres du souverain. Egalement dans ce
texte de l’Economie politique qui
traite de l’administration publique et du gouvernement, et où apparaît pour la
première fois le concept de volonté générale[46],
l’auteur laisse transparaître ce que sera la cité décrite dans le Contrat
social[47] .
Voilà comment à la suite des constats préliminaires de crise et de
compréhension des origines de la société, Rousseau apporte sa solution
théorique. Outre la reprise de certains thèmes contenus dans l’Economie
politique et du thème de la religion
déjà évoqué dans la Profession de foi du Vicaire Savoyard, Rousseau décrit le fondement de la société civile et
de l’autorité politique. Il manifeste par-là une suite et une continuité, et
surtout une non-contradiction dans ses idées et entre ses différents textes. Il
réussit à circonscrire sa politique théorique entre un point de départ (premier
discours) et un terminus (cité du contrat) avec une finalité bien définie et
centrée sur l’homme.
Mais il ne se limite pas au côté abstrait. Le réalisme politique lui
impose le non divorce entre les principes théoriques et la pratique. Comme
l’écrit Sven STELLING-MICHAUD :
« En écrivant le Projet Corse, Rousseau a voulu transposer ses principes de la
communauté parfaite sur le plan des réalités comme il le fera dans les
Considérations sur le Gouvernement de Pologne … où les renvois et les allusions au Contrat
social sont également
nombreux »[48]
.
Cette lecture presque a posteriori et méta-sémantique de l’œuvre politique de Rousseau, montre bien une
ligne directrice suivie par l’auteur. Cette ligne directrice n’est pas un
impensé que l’on dévoilerait à l’auteur, mais une réelle intention rectrice
qu’il s’agit de lire entre et à travers les différents textes selon une
certaine consécution. C’est en somme une problématique politique propre à
l’œuvre, présente à la conscience de Rousseau qu’il faut chercher. Qu’en est-il
de cette problématique politique de Jean-Jacques Rousseau ?
La problématique politique de Rousseau consiste en une recherche du processus
sous-jacent par lequel s’opère l’évolution de l’homme de l’état de nature à
l’état social. A partir d’un aperçu critique sur la société observable,
Rousseau essaie de comprendre comment l’homme est passé d’une nature originelle
bonne, libre et indépendante, à une société inique et inégalitaire. Pour ce
faire, il remonte jusqu’aux origines de l’homme, c’est à dire à l’état de
nature. Il propose ensuite, une construction projective à travers la cité du
contrat. Celle-ci doit permettre la réalisation complète de l’homme
conformément à sa nature, au sein de la société, suivant un mode de
transformation de l’homme naturel en homme civil prenant en compte la vertu et
la morale. Cette problématique s’étend par extension jusqu’au domaine de la
politique appliquée pour traduire le non divorce entre les aspects
théorique et pratique du problème
politique.
Malgré l’intervention des circonstances dans le champ de production de
l’œuvre rousseauiste ainsi que les ruptures apparentes, l’interprétation des
textes oriente plutôt vers une unité de direction. Par la formation de ses
idées, et par les projets annoncés et suivis d’un écrit à un autre, Rousseau
invite à la recherche de son intention rectrice. Cette problématique construite
et définie prouve bien l’existence d’une continuité thématique cohérente dans
la philosophie politique du Citoyen de Genève. C’est pourquoi, au-delà de la
diversité des textes, on peut dire avec Jean STAROBINSKI que : « Rousseau confie donc aux lecteurs la tâche
de réduire la multiplicité en unité »[49] . Une fois ce préalable de l’unité thématique
circonscrit, il s’agit de voir
l’objet autour duquel s’organisent l’œuvre et la science politique de Rousseau.
L’économie générale de l’œuvre de Rousseau révèle une
orientation réflexive de l’auteur couvrant un large domaine divisible en deux
aspects intimement liés et très complémentaires. Il s’agit d’une part, de la
connaissance fondamentale de l’homme dans son individualité non pas seulement
physique mais également morale et métaphysique[50]
. Cette donnée est essentielle : elle est l’anthropologie en tant qu’elle
constitue le soubassement nécessaire à toute approche politique prospective. Et
d’autre part, l’œuvre de Rousseau se préoccupe de déterminer les conditions de
possibilité d’un cadre social légal organisé de sorte que l’homme dénaturé
puisse y vivre avec ses semblables.
C’est ce lien entre
l’anthropologie et la politique qui justifie l’existence d’une anthropologie
politique chez Rousseau. En effet, la finalité de l’œuvre rousseauiste est de
supprimer toute frontière entre l’homme et l’organisation sociétale. Rousseau
note que : « les bonnes institutions sont celles qui savent mieux
dénaturer l’homme, transporter le moi dans l’unité commune »[51].
A ce titre, pour l’œuvre de science dont veut faire preuve Rousseau, la
connaissance de l’homme dans son aspect initial est fondamentale. Tant et si
bien que le concours de l’Académie de Dijon de 1752 lui en offre l’heureuse
opportunité, Jean-Jacques Rousseau s’inscrit dans cette perspective dite de
recherche des origines. De fait, c’est dans celle-ci que se trouve la
connaissance fondamentale et nécessaire à toute étude politique ultérieure
sérieuse de l’humaine nature. L’anthropologie politique de Jean-Jacques
Rousseau étudie la situation de l’homme spécialement avant la formation de
l’Etat sans pour autant s’interdire toute réflexion sur le pouvoir. Mieux,
l’anthropologie de Jean-Jacques Rousseau est politique parce que chez ce philosophe
tout est politique. Comme le note Pierre BURGELIN « il travaille à
l’histoire du cœur humain, réfléchit sur la société juste, se pose des
problèmes d’éducation, bref, il établit une anthropologie »[52].
La politique de Rousseau centrée sur tous les aspects et les domaines de
l’activité humaine est à nos yeux une anthropologie politique. Deux raisons
fondamentales autorisent l’avancée d’une telle détermination de sa
politique :
- d’une part
le monde et sa politique s’organisent autour de l’homme : il y a anthropocentrisme
politique chez Rousseau (2.1) ;
- d’autre part, il existe une
possibilité certaine d’amélioration positive de l’homme qui se traduit par un
réel optimisme anthropologique de Rousseau (2.2).
2.1-
L’anthropocentrisme politique
Ce que partagent la plupart des philosophies
politiques c’est leur finalité, à savoir l’Etat ou la République. En tant que
fin ultime ou élément décisif de toute œuvre politique, l’Etat reste le
référent dont l’origine, la forme ainsi que la capacité à se maintenir
différencient les théories politiques. D’ailleurs, les œuvres sont dites
politiques parce que généralement
« Leur
objet primordial qui y occupe constamment la scène, c’est l’Etat. L’Etat,
organisation de la société et avant tout du Pouvoir dans la société,
organisation qu’il y a lieu de décrire, de justifier, de louer ou de critiquer.
L’Etat, puissant personnage avide, par essence, d’empiéter dans le
domaine de
l’individu et sur celui des groupes intermédiaires entre l’individu et
lui »[53]
.
Cette constante sans être
totalement absente du rousseauisme
n’en est pas exactement le seul et unique schéma explicatif à retenir de
l’œuvre. La pensée politique de Rousseau a la particularité d’être d’abord
anthropologique, c’est à dire qu’elle prend ses racines dans l’homme et tient
son explicitation pour une grande part dans la connaissance de l’homme qui en
constitue pratiquement la finalité ultime. Bien que la question de l’Etat soit
belle et bien présente dans ses écrits, c’est plutôt à travers sa démarche spécifique
tenant à son objet singulier que se distingue la pensée politique de Rousseau.
C’est pourquoi en abordant la philosophie rousseauiste les
questions minimales que l’on est en droit de se poser consistent à savoir
quel est l’objet autour duquel s’organise
cette pensée ? Sous quel rapport et dans quelles directions Rousseau
étudie-t-il son objet ?
Dans les Confessions, Rousseau fait part d’une conviction dont l’ensemble
de son œuvre porte la marque indélébile. Il note que « j’avais vu que
tout tenait radicalement à la politique »[54]
. Cette politique consiste en une convergence de tous ses thèmes autour de
l’homme pour appréhender clairement « toute la vérité de la nature » de celui-ci. Il s’agit donc chez Rousseau de la recherche d’une
meilleure politeia centrée
sur l’homme.
En effet dans la
quasi-totalité de ses écrits de doctrine, le Citoyen de Genève nous rappelle
par différentes formules l’objet autour duquel s’articule son étude ainsi que
l’angle à partir duquel il aborde son thème. C’est ainsi que, dès son premier
discours, il met l’homme dans une situation d’observation. Pour lui :
« C’est un grand et beau
spectacle de voir l’homme sortir
en quelque manière du néant par ses propres efforts (...) ; et, ce qui est
encore plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l’homme et
connaître sa nature, ses
besoins et
sa fin. Toutes ces merveilles sont renouvelées depuis peu de générations »[55]
.
Ce grand et beau spectacle a
consisté à mettre en observation l’homme dans le tourbillon des arts et des
sciences. L’amer constat en est la méconnaissance totale de l’homme.
Dans d’autres textes, Rousseau
réitère son choix pour ce qui concerne son objet d’étude. Il affirme que « c’est
de l’homme que j’ai à parler »[56] dans la mesure où « la plus
utile et la moins avancée de toutes les connaissances paraît être celle de
l’homme »[57]
d’un côté, et de l’autre « comment connaître la source de l’inégalité
parmi les hommes, si l’on ne commence par les connaître eux-mêmes ? »[58]
. Dans le Contrat social et l’Emile
ou de l’éducation, la même
préoccupation se retrouve. Pour le premier texte dont le titre oriente a priori
vers l’organisation politique de la société, Rousseau pose son problème en faisant ressortir la préoccupation
anthropocentrique. Son intention est de « chercher si dans l’ordre
civil, il peut y avoir quelques règles d’administration légitime et sûr, en
prenant les hommes tels qu’ils sont… » Cette recherche est corrélative au constat selon lequel « l’homme est né libre, et
pourtant il est dans les fers »[59]
.
Dans l’Emile ou de
l’éducation ne se pose pas une
question technique de pédagogie. Rousseau s’oriente délibérément vers une
recherche sur la nature humaine. « Notre véritable étude, écrit-il, est celle de la condition humaine ».
Cet aveu mentionné au tout
début de l’ouvrage est assez significatif sur la place de l’homme dans son
œuvre en tant que celui-ci constitue son principal objet. Chez Rousseau donc,
la perspective est telle que dans chaque écrit une large part est faite à
l’homme et à son étude suivant le thème abordé. De par sa valeur et la part
quantitative qui lui est consacrée, l’étude de l’homme ne se réduit pas à une
question transitaire ou protocolaire qui introduirait simplement la
préoccupation essentielle concernant l’Etat ou le Pouvoir. Au contraire, elle
occupe une place sinon très importante, du moins centrale et incontournable
dans le corpus rousseauiste. D’ailleurs un commentateur comme Robert DERATHE
n’hésite pas à souligner ce trait caractéristique du rousseauisme. Il avance
que :
«
Toute l’œuvre de Rousseau est axée sur la
connaissance de l’homme. Rousseau ramène à l’étude de l’homme tous les
problèmes qu’il pose (…) ; C’est donc l’étude de l’homme et de sa création
qui est au centre de l’œuvre de Rousseau et fait l’unité de sa pensée »[60]
.
Allant plus en avant dans le
sens de l’affirmation de l’anthropocentrisme politique chez Rousseau, un autre
commentateur affirme que la question de l’homme précède celle de l’Etat. Cette
prise de position, plus ou moins extrême surdétermine la place de l’homme.
«
Pour Rousseau, l’intérêt primordial de l’homme c’est l’homme. L’homme et sa vie
dans la philosophie de Rousseau se placent à l’avant-plan (…) Sa pensée,
pourrait-on dire est bien plus psychologique que métaphysique. Elle est
anthropocentrique, la conception du monde vient après celle de l’homme »[61]
.
A l’évidence, Rousseau accorde une place centrale à
l’homme. Il fait de l’homme l’objet constant et récurrent de son œuvre en dépit
des changements de perspectives que lui imposent ses différents écrits. Ainsi,
avec l’anthropocentrisme politique se dessine déjà l’amorce d’une ligne
directrice pour qui veut chercher l’unité de sa pensée. Bien entendu, cela
présuppose un optimisme anthropologique.
2.2- L’optimisme anthropologique de Rousseau
De prime abord il peut paraître paradoxal de parler
d’optimisme anthropologique chez un auteur qui, très tôt, a fait le constat
d’une crise dans la société[62]
. Mais c’est plutôt la tendance à comprendre et surtout à prendre les choses du
bon côté qui semble l’emporter sur l’attitude négative. Et c’est en fait cela
qui oblige Rousseau à chercher le référent initial de l’homme et à le
diagnostiquer pour mieux le qualifier avant toute tentative de saisie de son
processus de dénaturation.
En effet, pour Rousseau l’image de l’homme, si
dénaturée qu’elle puisse être aujourd’hui, ressemble à la statue de Glaucus.
Cette image a subi l’érosion déformante du temps et de la socialisation. Comme
il l’écrit, en parlant de l’image de l’homme :
« Semblable à la statue de Glaucus
que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée, qu’elle
ressemblait moins à un Dieu qu’à une bête féroce, l’âme humaine altérée au sein
de la société par mille causes sans cesse renaissantes (…) a, pour ainsi
dire, changé d’apparence au point d’être presque méconnaissable ; … »[63]
.
Autrement dit, malgré la perte liée à la corrosion, cette image de la
statue de Glaucus symbolise en même temps l’existence d’un fond naturel
indéniable et inaltérable accessible non seulement à la connaissance humaine
mais également susceptible d’être utilisé comme modèle pour qui veut s’orienter
vers la correction du mal qui frappe l’homme. Voilà pourquoi, Jean-Jacques
Rousseau développe ce qu’il est convenu d’appeler son optimisme anthropologique.
Il consiste à tirer le meilleur parti possible. Les raisons qui déterminent
cette attitude positive de la croyance en l’homme[64]
se trouvent dans un capital confiance caractérisé par :
-
le fond humain naturel
inaltérable ;
-
et la possibilité pour l’homme
de retrouver la transparence originelle momentanément perdue.
Les critiques que Jean-Jacques Rousseau
adresse à la société, à la civilisation, au progrès et à la science sont
souvent interprétées de la façon la plus tendancieuse et de la manière la plus
négative en ce qui concerne l’idée
qu’il se fait de l’homme. Pourtant Rousseau n’est pas pessimiste pour ce qui
regarde la nature humaine originelle. D’ailleurs s’il adresse des critiques à
la théorie hobbienne de l’état de nature, c’est parce qu’il préjuge d’un
pessimisme sous-jacent de cette théorie[65]
.
Dans la conception rousseauiste, l’humaine nature
n’est pas mauvaise en soi. Le mal n’est pas une donnée naturelle inscrite dans
l’être humain. Le postulat de base qui présuppose sa science politique est que
l’homme est bon par nature. Toutefois, dans l’état de nature, il n’y a ni bien
ni mal, ni justice ni injustice,
ni licite ni illicite. La bonté est une simple indifférence et une absence de
relations entre les individus, lesquels ne sont régis par aucune règle de
droit. Cette bonté est le fond naturel essentiel et inaltérable de l’homme.
Mais par la description que Rousseau fait de l’état de
nature, on pourrait penser à une nostalgie de ces moments paradisiaques du
bonheur primitif. L’homme naturel rousseauiste vit une identité naïve avec
lui-même et s’intègre parfaitement à la nature généreuse qui pourvoit à ses
besoins. Rousseau le voit « se rassasiant sous un chêne, se désaltérant
au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni
son repas »[66].
Rousseau ne verse pas dans l’illusion et dans une
simple contemplation d’une histoire qui « n’existe plus, qui n’a point existé, qui probablement
n’existera jamais »[67]
. Il va donc s’appuyer sur ce référent naturel bon pour mieux asseoir son
optimisme anthropologique. Et c’est là précisément que se montre sous son vrai
jour l’apparent contraste entre l’accent amer des deux discours avec
l’optimisme de l’Emile ou de
l’éducation et du Contrat social. Egalement, c’est pourquoi Rousseau se tourne
résolument vers la construction de ce que Emmanuel KANT appelait « un
dessein de la nature »[68]
.
L’étape suivante explicative de l’optimisme
anthropologique de Rousseau consiste à :
« Rechercher les conditions du
bonheur humain dans une société donc la vraie nature de l’homme et ses
développements réels et possibles. Car en un certain sens, la nature est
croissance, elle a une structure en niveaux où interviennent chaque fois des
éléments nouveaux et l’éducation en permet l’analyse »[69] .
Le bonheur humain à rechercher se situe
désormais hors de son individualité primitive. Il se trouve dans le cadre
évolué de la société. Pour atteindre cet objectif, Rousseau fait une
exploitation positive de la perfectibilité d’abord, et de la vertu ensuite.
Ce sont là deux pièces essentielles du dispositif rousseauiste qui vont
permettre de retrouver la transparence perdue.
Dans l’œuvre rousseauiste, la perfectibilité est un
attribut spécifique de l’homme. Cette perfectibilité constitue le critère
discriminatoire décisif entre l’homme et l’animal. Car l’homme est appelé à
évoluer tandis que l’animal est doté naturellement d’un instinct programmé et
fini. De cet attribut inhérent à l’homme, Rousseau note que :
« C’est la faculté de se
perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances développe
successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce, que
dans l’individu, au lieu qu’un animal est au bout de quelques mois, ce qu’il
sera toute sa vie … »[70]
.
La perfectibilité constitue donc une échappatoire nécessaire à l’homme
pour sortir du cycle de la nature devenu catastrophique. C’est elle qui
autorise et fait privilégier la direction du « salut », laquelle s’oppose à celle dite de la « chute »[71]
. Le plus important, c’est que la perfectibilité a son siège dans l’individu et
lui permet donc de retrouver par ses seuls moyens sa pureté ainsi que sa
transparence originelle longtemps occultées mais jamais niées. Dans le nouveau
cadre marqué par la socialisation, au lieu que s’étouffe l’essence de l’homme,
elle trouve par la perfectibilité le moyen de se libérer définitivement. En
lisant Rousseau d’une certaine manière, on ne peut donc manquer de souligner le
fait que : « la société ne déprave pas l’homme jusqu’à détruire ses
facultés naturelles ; même si, en un
sens, elle leur donne l’occasion de se développer »[72]
.
La conviction qui se dégage de la nature, du rôle et
de l’importance de la perfectibilité, c’est qu’il existe une réelle possibilité
de vie heureuse pour l’homme. Il s’agit simplement d’arriver à faire de
l’individu un homme vertueux.
En réalité, toute la problématique de l’Emile
ou l’éducation, et dans une moindre
mesure, celle du Contrat social,
restent liées à cet objectif. Le but à atteindre est la formation d’un citoyen,
c’est à dire d’un homme dont le comportement se caractériserait par l’exercice
et la pratique de la vertu. Evidemment, il est clair pour nous que :
« Aucune
constitution, pour conserver ses biens inestimables, la liberté et l’égalité,
ne peut se passer de la vertu des citoyens : c’est à dire que le Contrat a pour complément l’Emile. Et inversement, dans toutes les constitutions, la
bonne volonté et la vertu des citoyens sont efficaces(…) »[73].
Mais qu’est ce donc la vertu ?
Reprenant dans son commentaire une des définitions rousseauistes de la vertu [74] Claire SALOMON-BAYET soutient que :
« La vertu
est cette puissance seconde par rapport à la nature, s’inscrivant dans la
sensibilité. Sa définition est formelle : sans contenu, ‘’ le mot vertu signifie
force ; il n’y a point de vertu sans combats ; il n’y en a point sans
victoire ‘’. Cette histoire est celle de la partie hégémonique de l’âme,
qui, docile à la voix de la conscience, discerne l’ordre du tout et décide
librement d’y adhérer »[75].
Autrement dit, la cité rousseauiste ne peut se
réaliser pleinement et entièrement conformément à la nature de l’homme sans la
vertu chez les citoyens. La cité du contrat est faite d’hommes vertueux ;
ces derniers sont forcément orientés vers la construction et la consolidation
de l’unité collective par leur propre ressort individuel.
A posteriori,
lorsqu’on regarde de près la politique rousseauiste, on a l’impression que
notre philosophe avait pris toutes les dispositions nécessaires qui puissent
lui permettre de développer son projet conformément à une direction
préalablement définie. Tout concourt à la réalisation de l’homme. Rousseau,
puise en effet dans une réserve inestimable que constituent la nature et la
perfectibilité. Et c’est en cela que se trouvent la justification et le fondement
de son optimisme anthropologique
Les incohérences symptomatiques décelées dans l’œuvre
de Rousseau ainsi que les directions apparemment hétérogènes occultent mal son
système philosophique dans sa logique profonde. Par conséquent, les difficultés
et les jugements hâtifs sur ses idées qualifiées ridiculement de
contradictoires ne nous dispensent
pas de chercher dans son
œuvre la raison suffisante et explicative de cette cohabitation.
Il faut retenir d’abord
l’existence d’un objet précis, à savoir, l’homme autour duquel Rousseau
organise sa science politique. Cet objet lui donne ainsi son cachet
anthropocentrique, car c’est par l’homme et à travers lui que s’effectue
l’élucidation de tous les problèmes politiques. Ensuite, l’homme rousseauiste,
bon par nature a également les dispositions humaines et morales pour constituer
la pierre angulaire de la cité du contrat à travers sa capacité à se
perfectionner et à atteindre la vertu. Cet aspect fonde l’optimisme anthropologique
de Rousseau.
Chapitre 2 :
Les aspects de la démarche rousseauiste
Jean-Jacques Rousseau se situe en aval de toute une
tradition de philosophie politique marquée par un formidable engouement aux
XVI° et XVII° siècles. Son œuvre intervient par conséquent dans le contexte
particulier de ce que Robert DERATHE nomme « la science politique de
son temps »[76]
avec tout ce que celle-ci comporte comme implications en termes d’antécédents,
d’influences, de lectures et de critiques de la part du Citoyen de Genève.
L’auteur de L’engagement
téméraire rejoint le concert des
penseurs politiques. Mais c’est d’abord sur la question de la méthode qu’il se
heurte et s’oppose à ses illustres devanciers, avant même toute prise en compte
intégrale des dimensions doctrinales. L’innovation de Jean-Jacques Rousseau
s’exprime dans sa démarche dans la mesure où celle-ci constitue sa méthodologie
anthropologico-politique. En fait, la science de l’homme, de l’élucidation du
pouvoir politique et de son organisation sont « les questions les plus
épineuses que la philosophie puisse proposer, et malheureusement pour nous
comme une des plus épineuses que les philosophes puissent résoudre »[77].
Ainsi Rousseau adresse d’ores
et déjà une première critique à l’endroit de ses prédécesseurs et s’oriente
donc résolument dans une direction de mise en exergue de sa décision
méthodologique. En effet, la méthode symbolise la rupture avec la tradition et
assure la possibilité ainsi que les conditions de la science. A ce titre Léo
STRAUSS remarque que :
«
Pour réussir là où la tradition avait échoué, besoin était de réfléchir en tout
premier lieu sur les conditions nécessaires à l’avènement de la sagesse :
on doit commencer par réfléchir à
la méthode à suivre. De telles considérations devaient garantir l’instauration
de la sagesse »[78]
.
C’est pourquoi Rousseau
réserve une place très importante à la méthode qui devient même objet de
polémique. Car dans son procédé d’exposition Rousseau utilise « une
rhétorique de l’antithèse »[79],
c’est à dire que ses idées s’opposent toujours à quelque autre idée. Avant
d’émettre son point de vue sur un problème donné, Rousseau commence par le
rejet des fausses solutions. Autrement dit, il procède par la réfutation des
idées déjà émises sur la question par ses prédécesseurs et par ses
contemporains.
Il s’agira, par conséquent,
d’étudier d’abord la critique négative de Rousseau à l’endroit d’un échantillon
de ses prédécesseurs (section 1) et ensuite de décrire la méthodologie
rousseauiste (section 2).
Section 1 :
La critique négative
Pour ne pas revisiter tous les penseurs politiques
cités, critiqués ou loués par notre auteur nous nous limitons historiquement
aux prédécesseurs immédiats de Jean-Jacques Rousseau, principalement à ceux des
deux siècles d’avant les Lumières. Il s’agit de ceux dont l’influence
directe ou indirecte à été décisive dans la formation et dans la formulation de
sa pensée. La mesure de cette influence s’obtient en prenant acte de la
présence de ces prédécesseurs dans le corpus rousseauiste à travers les
allusions ou les citations précises dont use Rousseau.
Dans ce contexte, il y a deux
types de prédécesseurs qui retiennent principalement l’attention critique de Jean-Jacques Rousseau.
D’une part, il y a les jurisconsultes : ce sont les juristes, les
professeurs de droit, des vulgarisateurs ou des traducteurs et non des
philosophes. Ils se sont préoccupés d’établir l’origine de la justice, du droit
des hommes, du fondement de la société etc… Rousseau leur adresse des critiques
pour ce qui concerne leur démarche (1.1). D’autre part il y a les philosophes
et les penseurs politiques : Thomas Hobbes, John Locke, Montesquieu, etc…
Il leur adresse également une critique de méthode (1.2).
Pour ces deux types de prédécesseurs notre technique
d’approche sera la même. Elle consiste à étudier la critique de Rousseau avec
le représentant le plus significatif. Nous expliquerons pourquoi tel
jurisconsulte ou philosophe et non tel autre et surtout quelles sont les critiques
méthodologiques fondamentales que leur adresse Jean-Jacques Rousseau.
1.1- Le rejet de
l’héritage méthodologique des jurisconsultes
De ses lectures politiques antérieures à son choix
personnel d’orientation dans ses recherches, Jean-Jacques Rousseau fait un
rejet total de l’héritage méthodologique
des jurisconsultes. De ces illustres devanciers dont les influences ont
été non négligeables dans l’histoire du droit naturel, Rousseau ne retient pas
le procédé mis en œuvre pour son étude. Mais tout d’abord qui sont ces
jurisconsultes, et ensuite, qu’est ce que Rousseau reproche à Hugo Grotius, le
plus visé d’entre eux tous ?
Essentiellement, ces
jurisconsultes sont : Samuel Pufendorf (1632-1694), Jean-Jacques
Burlamaqui (1694-1748), Jean Barbeyrac et Hugo Grotius (1583-1645). Au premier,
Rousseau n’adresse pas une
critique très précise. Il passe presque sous silence Burlamaqui qui n’a été à
ses yeux qu’un simple vulgarisateur sans grande originalité intellectuelle. Quant à Barbeyrac, il n’a été que
le traducteur qui a su cependant se donner la liberté d’insérer sous forme de
notes ses opinions et ses réflexions personnelles dans ses traductions. Tous
ceux là, Rousseau les cite ou fait de larges allusions à leurs écrits,
généralement dans une intention polémique liée à certains autres aspects de la
politique. Mais c’est Grotius qui retient le plus son attention.
Hugo Grotius fait partie de
ces auteurs avec qui Rousseau
s’est familiarisé depuis son enfance dans son environnement familial[80].
De surcroît, le nom de Grotius revient sous la plume de Rousseau dans son Contrat
social à onze reprises exactement
sans compter les allusions significatives ainsi que la place qui lui est
réservée dans d’autres textes[81].
C’est donc à cet auteur du De jure belli ac pacis (Droit de la guerre et de la paix) publié en 1625 et si présent dans le corpus rousseauiste que
s’adresse, parmi les jurisconsultes, la critique négative la plus vive et la
plus directe en matière de méthodologie.
En effet, Grotius utilise la
méthode généralement employée par les juristes pour traiter le droit positif[82].
Cette méthode tient en ce que la force de l’argumentation est tirée de
l’histoire telle que vécue. Grotius note lui-même que :
« L’histoire a deux usages, qui
conviennent à mon sujet : car elle fournit d’un côté les Exemples, de l’autre les Jugements que diverses personnes ont portés sur certaines choses. Les exemples qui
sont des meilleurs temps, et des Peuples les plus sages, sont ceux qui ont le
plus de poids. Le jugement des diverses personnes n’est pas non plus à
mépriser, surtout lorsqu’il est conforme : car comme nous l’avons dit, le
droit naturel se prouve par-là en quelque manière ; et pour le Droit des
Gens il n’y a pas d’autre moyen de l’établir »[83]
.
Ce long texte est assez
explicite sur le rôle et la place de l’histoire dans le procédé de Grotius.
L’histoire représente, en clair, le moyen de prouver la valeur et le crédit de ses propositions. Et c’est en cela
qu’il s’expose à la critique négative de Rousseau.
A l’opposé de ces
jurisconsultes, Rousseau veut établir des principes de base abstraits qui seuls
puissent servir à conduire par ordre ses pensées et ses recherches jusqu’à
l’acquisition de résultats probants rigoureusement obtenus. Pour lui,
contrairement au procédé historique et presque jurisprudentiel de Grotius, il
ne s’agit pas de recourir aux témoignages incertains de l’histoire. En faisant
reposer sa démarche sur l’illusion du déjà vu ou du déjà connu, Grotius ne
réalise aucune construction rationnelle indépendante de l’expérience et des
détails. Or la pratique scientifique se veut dépouillée abstraite et aussi
générale dans sa méthode de sorte que les cas particuliers s’y intègrent et
puissent y trouver leur explication.
Dans un chapitre très critique
de la première version du Contrat social, Rousseau affirme que « c’est pour cela que je ne donne dans
cet ouvrage qu’une méthode (…) je cherche le droit et la raison et ne dispute
pas des faits. Cherchons sur ces
règles quels jugements on doit porter… »[84].
Et dans la version définitive de cet ouvrage, le Citoyen de Genève qui a
toujours dans sa ligne de mire le jurisconsulte dit de ce dernier que : «
sa plus constante manière de raisonner est d’établir toujours le droit par le
fait »[85]
.
Cette critique insistante montre
que Jean-Jacques Rousseau avait bien pris en considération la question
primordiale de la méthode. D’ailleurs chez lui, cette préoccupation semble même
préexister à la maturation de sa
doctrine. Car dans un texte daté des années 1740-1745 et intitulé l’Idée de
méthode, donc bien avant les deux
discours, Rousseau précisait son procédé heuristique. Dans ce texte, il notait
déjà que :
« Il
est des matières où les arguments les plus convaincants se tirent au fond même
du sujet ; (…) Dans les recherches morales je commencerai par examiner le
peu que nous connaissons de l’esprit humain pris en lui-même et considéré comme
individu »[86] .
Ce passage confirme la volonté de Rousseau de hisser la
philosophie politique au même niveau que la physique en lui insufflant toute la
rigueur de cette science d’une part, et son attachement à l’anthropocentrisme
politique d’autre part.
Ainsi, toutes ces raisons
tenant à l’orientation de la démarche font que Rousseau ne pouvait pas passer
sous silence la fausse méthode des jurisconsultes en général, celle de Grotius
en particulier. Et enfin, c’est pourquoi Rousseau glisse même dans sa critique
en s’attaquant à la personne de Grotius. Dans l’Emile, la seule fois où il mentionne son nom, il s’en prend
au chef de fil des jurisconsultes avec une rare sévérité : «le droit
politique est encore à naître et il est à présumer qu’il ne naîtra jamais.
Grotius de tous nos savants en cette partie, n’est qu’un enfant ; et, qui
pis est, un enfant de mauvaise foi »[87]
. Cette critique qui touche maintenant l’intégrité de la personne et la
compétence technique de Grotius face à la recherche philosophique, laisse
penser que Rousseau lui réserve encore d’autres reproches.
En même temps que les
jurisconsultes, les critiques négatives n’épargnent pas les philosophes.
1.2 - La
critique de la méthode des philosophes
Le jugement de Jean-Jacques Rousseau à l’endroit des
philosophes pour ce qui concerne la méthode applicable à l’anthropologie est
sans appel. Il les loge à la même enseigne caractérisée par l’échec lorsqu’il
affirme que « les
philosophes qui ont examiné les fondements de la société, ont tous senti la
nécessité de remonter jusqu’à l’état de nature, mais aucun d’eux n’y est
arrivé »[88].
Cette affirmation traduit un constat rousseauiste de l’échec de ses
prédécesseurs philosophes dans leur volonté ou leur exigence méthodologique de
retrouver l’homme naturel.
Les philosophes visés par le
Citoyen de Genève sont : Montesquieu (1689-1755), John Locke (1632-1704)
et Thomas Hobbes (1588 – 1679). Au premier Rousseau n’adresse qu’une seule critique dans l’Emile
ou de l’éducation. Cette
critique a une portée générale car
elle concerne l’orientation globale de la démarche de l’auteur de l’Esprit
des lois. Il dit de lui que :
« Le
seul moderne en état de créer cette grande et inutile science eût été
l’illustre Montesquieu. Mais il eut garde de traiter des principes du droit
politique ; il se contenta de traiter du droit positif des gouvernements
établis ; et rien au monde n’est plus différent que ces deux études »[89]
.
Autrement dit, avant même la
méthode, Montesquieu s’est orienté vers un sujet autre, et par conséquent son
procédé ne saurait répondre aux attentes de Rousseau. Montesquieu s’occupe des
sociétés historiques[90].
C’est pourquoi la critique rousseauiste reste plutôt focalisée sur les
philosophes anglais : John Locke et Thomas Hobbes, et particulièrement sur
ce dernier. En parlant du premier Rousseau note que : « …toute la
dialectique de ce philosophe ne l’a pas garanti de la faute que Hobbes et d’autres ont commise. Ils
avaient à expliquer un fait de l’état de nature (…) et ils n’ont pas songé à se
transporter au-delà des siècles de société … »[91].
Cette critique est une identification à Hobbes dans son échec. C’est donc tout
naturellement que Rousseau se tourne vers Hobbes.
Hobbes et Rousseau ont en
partage un même champ de rationalité. Cela veut dire qu’ils se posent les mêmes
questions sur l’homme à l’état de nature et sur l’origine de la société.
Hobbes est héritier du
rationalisme du XVII° siècle où il a pris et appris l’exigence méthodologique
pour l’appliquer à la philosophie politique. Cette exigence se manifeste dès
l’abord de sa production philosophique. Il annonce son programme dès la préface du De Cive paru à Paris en 1642 :
« J’avais
déjà avancé peu à peu mon ouvrage jusqu’à le diviser en trois sections ;
en la première desquelles je traitais du corps, et de ses propriétés en
général, en la deuxième, je
m’arrêtais à une particulière considération de l’homme, de ses facultés et de
ses affections ; et en la dernière, la société civile et les devoirs de
ceux qui la composent servaient de matière à mes raisonnements »[92]
.
Ce programme sera respecté
malgré le désordre introduit par les tribulations éditoriales. En plus du programme, Hobbes énonce de façon
claire sa méthode, car c’est elle seule qui garantit à son œuvre le label de
scientificité. Il écrit à ce propos ceci :
« Quant à ce qui regarde la méthode, j’ai cru
qu’il ne me suffisait pas de bien ranger mes paroles, et de rendre mon discours
le plus clair qu’il me serait possible : mais qu’il me fallait commencer
par la matière des sociétés civiles, puis traiter de leur forme et de la façon
dont elles se sont engendrées, et venir ensuite à la première origine de la
justice »[93].
Cela veut dire qu’outre son
nominalisme absolu tendant à la maîtrise des concepts et à l’agencement logique
des propositions, Hobbes étudie l’homme de manière physique c’est à dire comme
un nœud de forces qu’il s’agit alors de comprendre. L’originalité de Hobbes en
cette matière tient à ce qu’il veut transposer le modèle euclidien de la
mathématique (ou de la géométrie) dans la philosophie politique[94]
et y réaliser ce que Galilée et Newton réussirent dans le domaine physique[95]
.
Afin de parachever ses
indications méthodologiques, Hobbes utilise la métaphore de l’horloge pour
déterminer la manière dont son étude se fait. Il note en effet :
« Qu’on
ne saurait mieux connaître une chose, qu’en bien considérant celles qui la
composent. Car de même qu’en une horloge, ou en quelque autre machine automate,
dont les ressorts sont un peu difficiles à discerner, on ne peut pas savoir
quelle est la fonction de chaque partie, ni quel est l’office de chaque roue,
si on ne la démonte, et si l’on ne considère à part la matière, la figure, et
le mouvement de chaque pièce ; ainsi, en la recherche du droit de l’Etat,
et du devoir des sujets (…), il faut bien entendre quel est le naturel des
hommes, qu’est ce qui les rend propres ou incapables de former des cités, et
comment c’est que doivent être disposés ceux qui veulent s’assembler en un
corps de la république »[96]
.
C’est donc par ce procédé
analytico-synthétique que le philosophe de Malmesbury étudie la société. Cette
démarche appelée méthode résolutive-compositive doit lui permettre de bien
connaître la composante essentielle et fondamentale de la société :
l’homme à l’état de nature.
Or c’est à partir de là que
transparaît le problème de Jean-Jacques Rousseau lorsqu’il s’agit de traduire
ces principes méthodologiques hobbiens dans la philosophie politique. Pour
Rousseau, Thomas Hobbes n’a pas réussi son ambition scientifique de retrouver
le résidu primitif et initial de la société, l’homme, parce que la méthode
n’est pas la bonne. Selon son interprétation, Hobbes n'a fait que transposer l’image
de l’homme social, qu’il
avait devant lui, dans l’état de
nature.
Le nom de Hobbes apparaît de
façon explicite à cinq reprises sous la plume de Rousseau rien que dans la
première partie du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes[97] . L’importance de cette fréquence élevée des
références à Hobbes n’a de valeur que par la négativité qui la caractérise.
Pour Rousseau il est évident que :
«
Hobbes a très bien vu le défaut de toutes les définitions modernes du droit
naturel : mais les conséquences qu’il tire de la sienne montrent qu’il la
prend dans un sens, qui n’est pas moins faux. En raisonnant sur les principes
qu’il établit, cet auteur devait dire que l’Etat de nature étant celui où le
soin de notre conservation est le moins préjudiciable à celle
d’autrui, (…) »[98].
En clair, Rousseau reproche à
Hobbes un défaut de méthode. Le reproche principal est le déductivisme
génétique lequel occulte mal une technique de projection de l’état civil sur
l’état de nature. Il y a comme une sorte de renversement de la démarche calquée
sur l’état civil au lieu que l’étalon de base soit l’homme dans l’état de
nature. Cela produit une certaine confusion entre les deux états dans lesquels
la situation de l’homme n’obéit pas aux mêmes critères d’existence, de relation
et de droit. En traitant cette question méthodologique, Victor GOLDSCHMIDT n’a
pas tort de caractériser le déductivisme génétique en ces termes :
«
En fin de compte, au lieu de procéder des principes (état naturel) aux
conséquences (état civil), on commence par poser une conséquence qui plaît et
lui invente, après coup, les principes destinés à en assurer la rationalité et
l’historicité »[99]
.
Par ce renversement de la
procédure, en privilégiant l’état civil sur la recherche abstraite de l’état de
nature, par la seule raison, on en revient ainsi à une intervention des faits
et de l’historicité dans le champ de la philosophie politique. Et c’est
justement un reproche critique du même type que Rousseau adressait aux
jurisconsultes.
En somme, malgré ses efforts
de construction, Rousseau trouve le moyen de ne pas s’accorder avec Thomas
Hobbes à qui il adresse une
critique à l’instar de l’ensemble de ses prédécesseurs. Cette critique mise ici
en exergue n’engage que l’auteur. Sa reproduction participe de l’éclairage
apporté sur la procédure de Rousseau qui comporte un aspect critique négatif
non négligeable en tant que démarche et style d’écriture. Heureusement que
Rousseau ne s’arrête pas à cet aspect. Cette critique négative est toujours
suivie par le dévoilement de la méthodologie propre à Rousseau.
Section 2 :
La méthodologie rousseauiste
Après avoir critiqué ouvertement la plupart, sinon la
presque totalité de ses prédécesseurs,
Jean-Jacques Rousseau se devait par une exigence à la fois morale et
scientifique, de donner des explications sur la manière dont il entendait mener
son approche de l’homme et de la science du pouvoir. Pourtant, ses critiques,
parfois sans doute excessives, ne le mettent pas à l’abri de difficultés. En
effet, « le devoir de creuser jusqu’à la racine »[100] érigé en principe l’oblige à faire
preuve de conscience méthodologique que trahissent ses interrogations : «quelles
expériences seraient nécessaires pour parvenir à connaître l’homme naturel, et
quels sont les moyens de faire ces expériences au sein de la société ?»[101]
.
Seul le recours à une forme de
cartésianisme peut lui permettre d’orienter sa démarche dans un sens distinct
de celle des autres. La méthodologie rousseauiste est une procédure de la
raison. Rousseau privilégie les opérations abstraites sur n’importe quel type
de référence. Ainsi, la découverte de la situation de l’homme avant la société
ne peut se faire que par l’appel à une certaine forme d’imagination :
l’hypothétique histoire naturelle (2.1) ; tandis que la science du
pouvoir, en tant qu’elle est la politique prospective, est une forme
d’imagination créatrice : la fiction constructive (2.2). Le dénominateur
commun à ces deux aspects de la méthodologie rousseauiste c’est qu’ils reposent
sur la raison.
2.1-L’hypothétique
histoire naturelle
La connaissance de l’homme,
son origine et son évolution supposent chez Jean-Jacques Rousseau une remontée
en sens inverse de la logique du progrès de l’humanité. C’est un véritable
travail archéologique qu’il faut ainsi entreprendre pour déterminer avec
exactitude l’histoire naturelle de
l’homme. Rousseau nous édifie dans ce sens lorsqu’il affirme que :
« Ce
n’est qu’en (les) examinant de
très près, ce n’est qu’après avoir écarté la poussière et le sable qui
entouraient l’édifice, qu’on aperçoit la base inébranlable sur laquelle il est élevé, et qu’on apprend
à en respecter les fondements »[102]
.
Mais étant entendu que
l’auteur n’a pas le matériel entre ses mains, il ne peut user que des seuls
moyens de sa raison : formuler des hypothèses. C’est la seule façon pour
Rousseau d’oublier « les temps et les lieux »[103]
. D’ailleurs, il revient à plusieurs reprises sur le caractère purement
hypothétique de sa démarche. Déjà dans la préface de son texte de 1753, il note
ceci : « j’ai commencé quelques raisonnements ;
j’ai hasardé quelques conjectures,
moins dans l’espoir de résoudre la question que dans l’intention de l’éclaircir
et de la réduire à son véritable état »[104] .
Autrement dit, l’histoire de
l’homme naturel ne peut s’écrire et se reconstituer que d’une façon purement
conjecturale. L’homme naturel ainsi que l’état de nature deviennent par ce fait
des postulats spéculatifs ou encore des hypothèses du travail.
Un peu plus loin, dans le même
texte, Rousseau revient sur la question en lançant un avertissement au
lecteur : « Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles
on peut entrer sur ce sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour
des raisonnements hypothétiques et conditionnels ;… »[105].
Cet avertissement a une valeur d’insistance sur l’option conjecturale de
l’analyse régressive que l’auteur entreprend. Le principal souci de Rousseau
est alors d’éviter toute confusion avec une quelconque réalité historique ou
avec telle démarche déjà critiquée d’un auteur donné.
C’est pourquoi Rousseau n’a
pas manqué de donner quelques indications à ce sujet. En effet, il donne deux
indications négatives symétriques comme sortes de précautions protocolaires
additionnelles à travers une double distanciation d’abord, avant de procéder
ensuite au dévoilement des formes dissimulées par les artifices et les passions
sociales.
La double distanciation est
donc un supplément de mesures que Rousseau ajoute à son arsenal déjà marqué par
la critique proprement méthodologique de ses prédécesseurs.
Il se démarque d’abord des
livres. En fait les livres ne nous apprennent pas à voir l’homme tel qu’il doit
être. Les auteurs des livres n’ont pas réussi à obtenir l’image de l’homme
« sortant des mains de la nature ».
Ces livres sont des recueils d’erreurs, d’inexactitudes voire de mensonges à
certains égards. Par conséquent ils ne sauraient en aucun cas servir d’exemples
pour découvrir le résidu primitif de l’homme. C’est la raison pour laquelle
Rousseau prend ses distances par rapport aux livres. Il l’exprime clairement lorsqu’il affirme
ceci : « laissant donc tous les livres scientifiques qui ne
nous apprennent qu’à voir les hommes tels qu’ils se sont faits… »[106]
.
La deuxième indication
négative de Rousseau est relative aux faits. Il l’annonce en ces
termes : « Commençons par écarter tous les faits, car ne
touchent point à la question »[107].
Cela signifie que Rousseau n’a pas le souci de la vérité historique. Il récuse
ainsi les évènements réels localisables dans l’axe temporel. Le fait historique
tel que nous le livre l’historiographie du XVIII° siècle n’a aucune valeur
démonstrative pour la logique constructive de l’anthropologie rousseauiste. De
plus, il se trouve confronté à un problème majeur de valeur scientifique [108]
du fait de son aspect tendancieux.
De même, le fait théologique
est récusé. La vision rousseauiste est différente du récit de la genèse qui
retrace une situation antérieure à l’histoire et la tient pour historique dans
la mesure où elle est un phénomène localisable. Néanmoins cette situation ne
peut être tenue pour l’état naturel : « il est évident, par
la lecture des livres sacrés, que le premier homme ayant reçu immédiatement de
Dieu des Lumières et des Préceptes, n’était point lui-même dans cet état… »[109]
. L’état de nature est à prendre, pour ainsi dire, comme quelque chose d’avant
l’histoire. Rousseau ne parle pas d’antériorité historique, mais métaphysique.
L’ordre logique prévaut sur l’ordre chronologique. Il lui faut alors
reconstituer une histoire qui sache se passer des livres et des faits. Ces deux
indications négatives ajoutées à la critique de ses prédécesseurs font
d’ailleurs dire que pour ce qui concerne « La méthode, Rousseau n’en
donne d’indications que négatives (…) L’examen des points de méthode, inscrits
en creux dans l’œuvre, précède l’exposé des points de doctrine »[110]
Cette proposition n’est pas
totalement vraie. Si Rousseau insiste sur ses indications négatives, c’est pour
défendre l’idée selon laquelle la seule procédure recevable est celle de la
raison. En se plaçant au-delà d’une réalité historique et sociologique,
Rousseau montre que seule une certaine forme d’imagination peut s’imposer comme
fondement à une pensée philosophique authentique, la seule permettant de connaître
l’homme véritablement, et d’appréhender son essence. Il s’agit d’une
actualisation de la faculté imaginative qui est également créatrice d’ordre. De
ce fait, cette imagination se différencie de la contemplation onirique[111]
et de la simple rêverie[112].
C’est pourquoi, la méthodologie rousseauiste est un procédé mnémo-technique que
Jean STAROBINSKI présente comme
une « théorie du dévoilement »[113]
.
D’ailleurs le thème de la
levée du voile n’est pas étranger à Rousseau[114].
Ainsi, la méthode peut être interprétée comme synonyme du dévoilement de la
nature essentielle de l’homme. Ce dévoilement est la recherche et la découverte
de la vérité laquelle s’oppose au paraître. Pour Jean STAROBINSKI, le
dévoilement comporte deux moments distincts et successifs. Il se pose d’abord
comme critique de l’apparence et du paraître immédiatement accessible à
l’intelligence. C’est précisément une dénonciation de l’illusion trompeuse et
des mensonges flatteurs. Il est enfin le prélude à toute annonce de la vérité
cachée[115].
Le second moment du
dévoilement correspond à la découverte et à la description de
ce qui était caché. Pour Jean STAROBINSKI :
« Le second
dévoilement survient comme le
complément de la continuation du
premier. Si la première étape est la dénonciation du ‘ voile de
l’illusion ‘, la seconde sera la découverte et la description de ce qui
nous était caché. L’erreur, une fois dissipée nous voici en face de la réalité solide. La métaphore du
voile soulevée est l’expression figurée
d’une théorie réaliste de la connaissance. C’est l’image dont se sert
l’optimisme ‘ naïf ’ qui prétend voir le vrai visage derrière les masques,
saisir enfin la ‘ chose en soi ‘, rencontrer l’être et la substance
dissimulés sous le paraître et l’accident »[116]
.
Cette logique du dépassement
qui fait suite à l’acte critique, permet de toucher le fond essentiel et
inaltérable sur lequel repose l’anthropologie rousseauiste.
Force est donc de reconnaître que c’est par la seule
raison que Rousseau parvient à découvrir l’homme véritablement. L’auteur du Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes procède par une méthode hypothético-déductive qu’on
peut aussi appeler méthode de reconstitution conjecturale. Il s’appuie sur sa
faculté imaginative grâce à l’ouverture des sens à la vérité cosmique
transcendante. C’est par ce moyen que Rousseau, contre tous ses prédécesseurs,
parvient à réécrire l’histoire hypothétique de l’homme naturel. Egalement, pour
écrire l’histoire prospective sur l’organisation politique, Rousseau va jouer
la carte de la fidélité avec la démarche abstraite.
2.2-La
fiction constructive
Si
l’analyse régressive peut être qualifiée de « fiction romanesque »[117],
lorsque Rousseau se lance dans le projet d’étude de la meilleure des sociétés possibles où l’homme, ayant perdu sa nature
originelle, peut se retrouver et
se réaliser complètement, on ne peut s’empêcher de parler à nouveau de fiction.
Mais cette fois-ci la fiction est dite constructive. Il est à noter que ce
n’est ni un projet qui s’inscrit dans un programme historique à réaliser
concrètement, ni une vision utopique de l’avenir de l’humanité. C’est pourquoi
Rousseau fait une précision de taille :
« On me
demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique ?
je réponds que non, et c’est pour cela que j’écris sur la politique. Si j’étais
prince ou législateur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu’il faut
faire ; je le ferais, ou me tairais »[118]
.
Il s’agit pour Rousseau de
s’inscrire, non dans un programme pratique, mais dans un cadre normatif.
L’essentiel est de trouver, par la seule raison, ce qui doit être. En effet,
après le constat d’échec du Discours sur les sciences et les arts ainsi que le remontée en sens inverse de la logique
du progrès, le temps était venu de se tourner résolument vers le futur
raisonnable et logique de l’humaine nature.
Une fois encore, il faut recourir à la raison pour établir la
science du pouvoir politique. Dans une de ses lettres, Rousseau emploie une
terminologie propre aux procédures intellectuelles qu’il utilise. Il
note ceci :
« Il
me semble que l’évidence ne peut
jamais être dans les lois naturelles et politiques qu’en les considérant
par abstraction (…) Car la science du gouvernement n’est qu’une science de
combinaisons, d’applications et d’exceptions… »[119] .
L’axe normatif qui précise les
contours de la cité du contrat se définit par les procédures de l’esprit.
Rousseau a une totale confiance en ses facultés imaginatives et raisonnantes
pour son projet de société. De même qu’il cherchait et trouvait l’origine
réflexive de l’homme, Rousseau va poser le début logique de la société civile
ainsi que les mécanismes par lesquels les individus s’agrègent en un corps de
société. La théorie du contrat social répond à cette exigence méthodologique de
donner un point de départ, une référence logique et abstraite à la société. Sur
ce point Rousseau n’invente pas le concept, pas plus que la démarche. Il
reprend l’idée du contrat fondateur de l’ordre civil en lui donnant un contenu
spécifique.
Là où Rousseau innove réellement,
c’est dans le mécanisme d’agrégation social (société, Etat ou république) qui
nécessite une certaine harmonie et une transparence. Ici, Rousseau, à travers l’Emile
ou l’éducation et Julie ou la
Nouvelle Héloïse, imagine les
processus d’interpénétration entre l’homme individuel et la société. A ce titre
il n’est pas étonnant de lire sous la plume de Yves VARGAS que :
« Ce
que Rousseau appelle ’ éducation’ n’est alors rien d’autre qu’une
philosophie de la causalité : par quels mécanismes selon l’ordre du temps
la nature humaine se développe-t-elle dans le sens de la société, et par quels
mécanismes cette nature peut-elle se corrompre et détruire les vrais liens de
l’humanité ? Le concept de l’éducation répond à ces deux
interrogations »[120]
.
Autrement dit, c’est Rousseau
lui-même, en fonction des réponses aux interrogations, qui donne la direction
de la solution. Cela revient à dire que la cité idéale rousseauiste est aussi
une œuvre de raison. La solution proposée pour l’espèce humaine est donc le
fruit d’une imagination raisonnable que l’on appelle la fiction constructive.
Pourtant, malgré les efforts
d’élaboration intellectuelle, certains commentateurs semblent denier à Rousseau
tout esprit de méthode. En s’appuyant sur l’aspect littéral et superficiel de
son écriture, et en le comparant avec d’autres penseurs plus systématiques,
Gustave LANSON déduit ceci :
« Nous
n’avons pas affaire ici à un système qui ait été pensé dans l’abstrait, par un
esprit appliqué à écarter de ces opérations tout ce qui ne serait pas idée pure
et acte intellectuel, autant que la chose est possible à l’homme. Nous n’avons
pas affaire à un système qui ait été construit méthodiquement, pièce à pièce,
avec une volonté rigoureuse et claire d’enchaînement et d’accord logique, avec une
attention ferme à ne jamais porter atteinte au principe de contradiction. »[121]
.
Cette critique sur la
méthodologie rousseauiste est sévère et excessive. Elle privilégie sans doute
l’élan littéraire qui marque les écrits de Rousseau, et passe sous silence les
efforts réels de construction méthodologique. Sinon à quoi serviraient les
critiques que Rousseau adressait à ses prédécesseurs et contemporains si
lui-même ne pouvait un tant soit peu faire preuve de conscience
méthodologique ?
Relativisant ce point de vue,
d’autres ont cru déceler deux tendances chez Rousseau. Pour Maurice BOURGUIN,
il y a chez cet auteur une « cruelle opposition du cœur et de la raison ». Selon lui :
« Il y
a deux hommes en Rousseau : celui qui aime, qui rêve, imagine et se passionne ; et
d’autre part, l’implacable logicien qui a tracé les théorèmes du Contrat
social (…). Mais dans l’œuvre
intellectuelle, chacun a sa
part : le premier, qui analyse la personne morale et décrit le jeu des
passions ; le second, qui établit les principes de l ‘éducation et de
l’organisation politique »[122].
C’est assurément ce second
aspect qu’il faut privilégier en Rousseau lorsqu’on se place dans une stratégie
de mise à nu de la démarche méthodologique. Car l’ambition de l’auteur n’était
pas certainement d’être parfait, mais plutôt de se rapprocher de la manière la
plus tangentielle de l’abstraction des mathématiques, d’être conséquent avec
lui-même surtout eu égard à son attitude très critique. Il lui fallait donc
faire preuve d’abstraction, de cohérence interne, de logique déductive et
démonstrative, et enfin de rationalité constructive, toutes caractéristiques
héritées du XVII° siècle. A la limite, ce n’était qu’un pari qu’il nous
appartient de juger aujourd’hui dans une dynamique d’ensemble qui n’empêche
nullement d’avoir des considérations
sur des aspects précis et isolés, mais très significatifs, de la
démarche de Rousseau.
Conclusion du chapitre 2
Pour ce qui est de sa méthodologie, Rousseau s’inscrit
résolument dans un cadre abstrait et hypothétique. Il use de sa capacité
d’imagination pour déduire l’histoire hypothétique de l’humaine nature d’une
part, et pour construire un schéma possible d’évolution positive de l’homme
dans un cadre civil organisé d’autre part.
Il reste toutefois à vérifier
si Rousseau a réussi son pari méthodologique ou de savoir quel est son impact
dans sa philosophie politique. Car au fait la question devient plus difficile
lorsqu’il s’agit de prendre en compte la totalité rousseauiste eu égard à sa
position paradoxale d’homme vivant dans la société et avec ses semblables,
s’expliquant sur la nature humaine et se faisant lui-même objet d’un discours
auto-biographique. Enfin, en prenant cette perspective nouvelle, il y a chez
Rousseau comme une sorte de coïncidence absolue entre l’existence et l’idée.
C’est ce paradoxe qui déplace et resitue sur une autre dimension le problème de
la connaissance dans la philosophie politique de Rousseau.
Chapitre 3 :
Autobiographie et science du politique
La tentative de saisie de la
production de la connaissance chez Rousseau se heurte à une difficulté majeure
lorsque la question est posée en même temps au regard des textes politiques de
doctrine et des textes dits autobiographiques. Tout se passe comme si ces
textes qui sont de nature différente sont considérés de sorte que rien ne les
rapproche.
Or si l’unité de la pensée de
Rousseau doit avoir un fondement, celui-ci prendrait sa source dans la personne
de l’auteur même. Celle-ci est la source d’émission de tous les textes.
Malheureusement, la tendance de l’interprétation du rousseauisme est à
l’oscillation entre la personne et l’œuvre en oubliant à tort que la seconde
porte inéluctablement la marque de la première. Pierre BURGELIN décrit ce
problème en ces termes :
«Le
statut paradoxal du philosophe tient à ce double trait qu’il cherche à établir
une science, mais que celle-ci se présente sous la forme d’une œuvre
personnelle, qui ne se fond pas dans l’anonymat collectif. (…)
Chacun
pourrait être défini par sa tension entre ces deux pôles : une
personne complexe jamais absente
de son œuvre et l’exigence de l’universel »[123]
.
Pourtant Rousseau est assez
explicite sur ce qu’il pense et sur ce qu’il est. Il n’y a pas d’hiatus entre
son être et sa pensée. D’une certaine manière d’ailleurs, chez lui, penser
c’est exister.
« En
saisissant ce système par toutes ses branches dans une lecture plus réfléchie,
je m’arrêtais pourtant, mais d’abord à l’examen direct de cette doctrine, qu’à
son rapport avec le caractère de celui dont il portait le nom (…)D’où le
peintre et l’apologiste de la nature aujourd’hui si défigurée et si calomniée
peut-il avoir tiré son modèle, si ce n’est de son propre cœur ? Il l’a
décrite comme il se sentait lui-même »[124] .
C’est à dire que le lien est
quasi organique, voire ontologique, entre la pensée et l’existence. A tout le
moins, il n’y a pas d’obstacle, de masque, de décalage ou de décentrage entre
Rousseau et ses réflexions fondamentales à moins que l’auteur se soit trompé
sur lui-même (jugement grave et très lourd de conséquence dont nous devons nous
méfier sous peine de confusions dangereuses et de réductions ridicules ;
ce contre quoi nous met en garde Tzvetan TODOROV [125]
).
Paul BENICHOU a compris ce
lien qui est la passerelle qui relie la personne de Rousseau à la doctrine. Il
remarque que :
« L’expérience
nous montre, dans chaque homme une relation étroite entre la façon de penser,
ou, selon le langage ordinaire, entre le caractère et les idées (…) Son œuvre
nous montre à la fois et de façon également évidente, une nature et une
pensée ; tout ce qu’il a écrit est en même temps l’aveu d’une manière
d’être personnelle et un code de l’humanité »[126]
.
Suivant cette optique, il y a lieu de reconsidérer la
démarche de Rousseau à la lumière de sa personne et donc de son autobiographie.
Il ne s’agit pas d’une biographie littéraire, mais de la recherche de cette
conscience ordonnatrice profonde de la pensée de l’auteur, car la dimension
intégrative de l’œuvre nous oblige à prendre en compte ce que Jean F. PERRIN
nomme « une réévaluation de la dimension affective dans l’expérience
de soi »[127]
. Dans cette perspective, il faut analyser la procédure en se basant sur le
discours produit (section 1) et voir comment se conjuguent la science et la
personne dans le sens de l’objectivation du sujet pensant (section 2).
Section 1 :
L’analyse du discours rousseauiste
L’écriture révèle une autre facette de l’originalité de Jean-Jacques Rousseau. C’est le
rapport que l’auteur entretient avec l ‘écriture en tant que forme
d’expression, ou langage, qui donne une dimension particulière à la
connaissance que véhiculent ses textes. En fait, qu’est-ce qui caractérise
l’écriture rousseauiste ? Comment se détermine-t-elle ?
Nous sommes là au cœur de la
délicate question du rapport de l’auteur à lui-même dans ses écrits par la
médiation de l’écriture. Cette question placée sous l’angle de la
production du savoir et de la
connaissance de l’homme, de la société ou de la nature tout simplement, met
Rousseau dans une situation qui pourrait ressembler à ce que Jean STAROBINSKI
appelle « le péril de la réflexion »[128]
. Ainsi, faudrait-il d’abord en savoir d’avantage sur l ‘écriture de
Rousseau (1.1) avant de faire ensuite la part de l’apport des écrits
autobiographiques (1.2)
1.1-
L’écriture de Rousseau
Il est prêté à Rousseau cette idée très expressive sur
l’importance de l’écriture :
« L’analyse de la pensée se fait par
la parole, et l’analyse de la parole par l’écriture ; la parole représente
la pensée par des signes conventionnels et l’écriture représente de même la
parole. Ainsi l’art d’écrire n’est qu’une représentation médiate de la pensée … »[129]
.
Cette conviction de Rousseau
montre que l’écriture agit en dernier ressort pour extérioriser la pensée et
permet sa diffusion dans le temps et dans l’espace ainsi que sa meilleure
transmission à un autre. Seulement l’acte d’écrite engage l’auteur et l’oblige
à se découvrir. Nous notons deux caractéristiques dans l’écriture de
Rousseau :
- la personnalisation de son discours ;
- la métamorphose et la redéfinition dont fait l’objet
l’écriture afin de pouvoir jouer une fonction médiate décisive dans la
transparence que cherche Rousseau.
Le discours de Rousseau prend
une tournure aussi bien dans sa formulation que dans son fond. Dans sa formulation Rousseau écrit à la
première personne du singulier. C’est son moi exprimé par le « je » qui parle[130]
. Il décrit la situation de l’homme avec cette proximité qui donne au lecteur
l’impression qu’il s’agit de l’œil du témoin qui relate les faits. Et lorsqu’il
parle de lui-même dans ses textes autobiographiques, Rousseau use de la
technique du dédoublement. Il se regarde comme dans un miroir, ce qui lui
permet du reste de se juger dans ses Dialogues ou d’écrire ses Rêveries.
Sur le fond, c’est le cœur
même de Jean-Jacques Rousseau qui parle et transmet la vision de son esprit.
Ainsi le langage approprié pour faire œuvre de science sur la nature humaine
devient de plus en plus une expression incarnée. Rousseau écrit : « Mon
âme (…) délivré de ce corps qui l’offusque et l’aveugle, et voyant la vérité
sans voile elle percevra la misère de toutes ses connaissances dont nos faux
savants sont si vains »[131] .
Rousseau joue ici sur le
registre de la réminiscence typique du platonisme. Il se met en position
centrale, et manifeste une réelle implication existentielle de son MOI dans le
discours scientifique qu’il a l’ambition d’élaborer. Rousseau se livre au
souvenir de l’impression, à l’enregistrement des vibrations de son âme dont la
transparence serait absolue. Tout se passe comme si Rousseau possédait une
évidence intérieure qui s’extériorise par le biais de l’écriture.
Ainsi l’éblouissement que l’on
désigne communément comme l’illumination de Vincennes[132]
participe de cette proximité et de
cette présence intérieure de l’évidence. Le cas de Rousseau n’est ni isolé ni
un prototype. Le même fait se retrouve chez René Descartes (1596 – 1650). En
effet, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1620, l’auteur du Discours de la
méthode est visité par trois rêves
qu’il interprète comme les signes de sa vocation du savoir et qu’il pressent
aussi comme étant les fondements d’une science. Dès lors son texte ne prendra
pas une forme didactique, mais plutôt une forme narrative à l’image de ce que
sera plus tard l’écriture rousseauiste[133]
. Car le langage ordinaire n’est pas apte à déchiffrer ce signal. Il faut
emprunter au mythe son expression imagée ou alors réinventer le langage.
Rousseau choisit la seconde possibilité.
Pris dans les rets du langage,
Rousseau se trouve dans l’obligation de fournir une forme nouvelle d’expression
qui puisse véhiculer sans ambiguïté sa pensée. Il écrit dans l’ébauche des Confessions :
« Il
faudrait pour ce que j’ai à dire inventer un langage aussi nouveau que mon projet :
car quel ton, quel style prendre pour débrouiller ce chaos immense de
sentiments si divers si contradictoires souvent si vils et quelques fois si
sublimes dont je fut sans cesse agité ? »[134]
.
L’invention ou la redéfinition
du langage va donc consister à
s’approprier les modalités d’expression. L’écriture cesse d’être représentée
comme un instrument mis à la disposition du penseur. Elle passe de
l’extériorité pour devenir et traduire une conscience de soi. C’est pourquoi,
on peut être d’intelligence avec Robert DARNTON lorsqu’il affirme, en parlant
de Rousseau, que : « On peut dire qu’il a été le premier à
vivre d’une façon exemplaire le dangereux pacte du MOI avec le langage :
la nouvelle alliance dans laquelle l’homme se fait verbe »[135]
.
En effet Rousseau fait preuve
d’un optimisme exagéré. L’évidence intérieure qu’il transmet par le biais de l’écriture repose sur cet
optimisme épistémologique. Pour lui sa mémoire d’évocation est infaillible dans
la mesure où la distance ontologique n’existe pas entre le modèle et la
peinture. L’acte de parler ou d’écrire devient aussitôt un autre moment du
dévoilement qui est ici l’expression de la vérité intérieure. En un mot
l’écriture devient presque synonyme de révélation. Cette révélation est la
modalité pratique qui permet l’accès direct à la connaissance, laquelle peut
être qualifiée du reste, chez Rousseau, de co-naissance.
« C’est
ici seulement que l’on mesure la nouveauté apportée par l’œuvre de Rousseau. Le langage est
devenu le lieu d’une expérience immédiate tout en demeurant l’instrument d’une
médiation (…) La parole est le moi authentique, mais d’autre part elle révèle
que la parfaite authenticité fait encore défaut, que la plénitude doit être encore conquise, que rien n' est
assuré si le témoin refuse son consentement. L’œuvre littéraire n’appelle plus
l’assentiment du lecteur sur une vérité interposée en ‘ tierce
personne ’ entre l’écrivain et son public ; l’écrivain se désigne par
son œuvre et appelle l’assentiment sur la vérité de son expérience
personnelle »[136]
.
Cette longue conclusion de
Jean STAROBINSKI indique non seulement la
métamorphose apportée au langage par Jean-Jacques Rousseau, mais
également elle prescrit l’attitude à adopter afin de pouvoir être dans les conditions
de réception de son discours ou de lecture de ses « dispositions
secrètes ».
Après le XVII° siècle, ce type
de rapport à la connaissance peut paraître ridicule. Tous les efforts
méthodologiques de mathématisation, d’imitation de la physique mécanique avaient pour but de désincarner le
discours, de détacher le sujet de l’objet. Or Rousseau, contrairement à Thomas
Hobbes qu’il critique négativement, semble prendre le sens inverse de la marche
et du progrès de la science. C’est ce qui donne la mesure de la pertinence de
vue de DERRIDA lorsqu’il s’interroge en ces termes : « Dans
quelle mesure l’appartenance de Rousseau à la métaphysique logocentrique et à
la philosophie de la présence (…) assigne-t-elle des limites à un discours
scientifique ? »[137]
Le logocentrisme et/ou cette
philosophie de la présence n’assignent aucune limite scientifique au discours
de Rousseau. C’est parce que l’auteur réfléchit et se prononce sur un objet qui
lui est proche et familier, un objet vivant et mobile que seule une certaine
forme d’immédiateté peut saisir. Cette question soulève déjà toute la
problématique de la scientificité des sciences dites humaines. En dépit de cela
Claude LEVI-STRAUSS décerne à Rousseau le titre de fondateur des sciences de
l’homme. Il note ceci :
« Il
[Rousseau] a par son œuvre, par le tempérament et le caractère qui s’y
expriment, par chacun de ses accents, par sa personne et par son être, ménagé à
l ‘ethnologue le réconfort fraternel d’une image en laquelle il se
reconnaît et qui l’aide à mieux se comprendre, non comme une pure intelligence
contemplative, mais comme l’agent involontaire d’une transformation qui s’opère
à travers lui, et qu’en Jean-Jacques Rousseau l’humanité entière apprend à
ressentir »[138]
.
C’est donc reconnaître qu’en
dehors des principaux objectifs définis par Rousseau, il faut admettre que tout
se joue dans l’expression intérieure que véhicule son écriture. Par conséquent,
il nous faut connaître Jean-Jacques Rousseau, celui-là même qui, à la fin de sa
vie se repliait sur lui-même pour mieux exprimer à travers ses textes
autobiographiques sa quête d’authenticité.
1.2-L’apport des écrits
autobiographiques
Jean-Jacques Rousseau n’a pas laissé aux biographes le
soin de conter et de retracer sa
vie. Sachant que c’est une porte ouverte à tous les abus, mais aussi à toutes
les omissions, le risque était grand pour lui de s’exposer ainsi à toutes les
déformations possibles et à toutes les interprétations imaginables. Eu égard à
ses relations très conflictuelles avec ses contemporains en général, et avec
ceux « de la coterie holbachique »[139]
en particulier ; et également par rapport à son histoire personnelle
incluant celle de sa famille et de ses propres enfants[140]
, Jean-Jacques Rousseau courait le risque d’une diffamation globale, à l’image
du grand complot[141]
qui le hantait tant, ce dont il ne
se serait jamais remis aussi bien durant sa vie que pour la postérité et
l’éternité.
Pour celui qui, dès 1758,
décidait de vivre seul suivant cette maxime : « vitam
impendere vero »[142]
, il s’agissait de « manifester la vérité par ses écrits, en même temps
qu’être homme vrai, et, par là, se condamner à n’être jamais ni entendu ni
reconnu »[143]
. Et puis pour Rousseau, il est clair
que : « nul ne peut écrire la vie d’un homme que lui-même.
Sa manière d’être intérieure, sa véritable vie n’est connue que de lui
(…) »[144]
. Il revenait donc au seul Jean-Jacques Rousseau d’écrire sa vie pour faire
montre de son évidence intérieure.
Pourtant Rousseau n’est pas
une célébrité. Sa vie d’homme n’a rien de très particulier sauf le fait d’avoir
côtoyé les extrêmes de sa société et du monde[145]
. Instruit par cet ensemble d’enseignements et d’expériences de la vie,
Rousseau tire les leçons que voici :
« Aigri
par les injustices que j’avais éprouvées, par celles dont j’avais été le
témoin, souvent affligé du désordre ou l’exemple et la force des choses
m’avaient entraîné moi-même, j’ai pris en mépris mon siècle et mes
contemporains et sentant que je ne trouverais point au milieu d’eux une
situation qui put contenter mon cœur, je l’ai peu à peu détaché de la société
des hommes, et je m’en suis fait une autre dans mon imagination laquelle m’a
d’autant plus charmé que la pouvais cultiver sans peine, sans risque et la
trouver toujours sûre et telle qu’il me la fallait »[146]
.
C’est donc assurément au
niveau des idées, de leur impact réel sur l’environnement intellectuel et sur
les contemporains de Rousseau que se joue toute la problématique à résoudre par
l’autobiographie. En effet, le Citoyen de Genève a défendu ses idées avec
vigueur et lucidité, même si elles ne rencontraient pas l’approbation de son
milieu. Emile BREHIER n’a pas tort de dire, en parlant de Rousseau, « Voilà
certes un coup de tonnerre au milieu du ciel pur de la philosophie des
Lumières »[147]
. Mais précisément qu’apportent donc, les écrits autobiographiques ? Cette
question présuppose d’abord la détermination de l’identité de la personne même
de celui qui se décrit.
Si pour René Descartes, il y a
une simultanéité du cogito et de l’existence, chez Rousseau, la réponse à la
question « qui suis-je ? » est beaucoup plus complexe[148]
. Rousseau se pose lui-même des questions relatives à son identité. Celui qui,
dans sa jeunesse errante, s’est fait appeler Vaussore De Villeneuve[149]
et plus tard Dudding[150],
s’est toujours défini et dans son individualité et par rapport aux autres en
mettant en exergue sa spécificité qui est la pureté, la non-dénaturation, la
transparence absolue etc...[151].
Les écrits autobiographiques
sont donc l’occasion pour Jean-Jacques Rousseau de montrer non seulement la
transparence de soi, mais surtout la genèse et le processus de mise sur pied de
sa doctrine, toutes choses participant à une meilleure appréhension de son
épistémologie. Il décrit dans les détails le processus de formation de sa
pensée ainsi que celui de la maturation de sa raison. Et c’est cela qui va
l’amener à adopter une attitude critique vis à vis des auteurs, mais surtout à
développer le sens de l’abstraction et le repli sur l’évidence intérieure.
Dès le livre V des Confessions, Rousseau s’étend sur son amour des livres. Il montre
l’empreinte des mathématiques sur son esprit[152]
, puis celle de la géométrie[153]
et signale même son apprentissage de la médecine[154].
Il lit les penseurs de Port Royal et Locke[155]
. Sa vie se passe au milieu des livres où il acquiert rapidement un savoir
encyclopédique. De là, au lieu de se contenter de ce ramassis disparate, il
développe la technique argumentive de la comparaison[156]
qui deviendra plus tard le fondement de sa « rhétorique de
l’antithèse », avant d’aboutir à
l’idée de méthode. Celle-ci repose sur la démarche. Rousseau se confesse
ainsi : « je sentis que ce que j’avais entrepris était bon et
utile en lui-même, qu’il n’y avait que la méthode à changer »[157]
. Ce changement de méthode que
Rousseau appelait de tous ses vœux, et ce contre tout ce qu’il avait appris à travers les
livres, l’oblige ainsi à se tourner vers lui-même. D’ailleurs dans son dernier
texte autobiographique laissé inachevé au moment de sa mort, lorsqu’il parle de
la méthode, c’est suivant une certaine conscience de soi qui est le seul gage
pour l’acquisition de la certitude. Il note ceci :
« Pour le faire avec succès, il
y faudrait procéder avec ordre et méthode (…). Je ferais sur moi-même à quelque
égard les opérations que font les physiciens sur l’air pour en connaître l’état
journalier. J’appliquerai le baromètre à mon âme, et ces opérations bien dirigées et longtemps répétées me
pourraient fournir des résultats aussi sûrs »[158].
Rousseau dévoile ainsi sa
méthode qui n’est pas en situation d’extériorité par rapport au sujet. Voilà ce
que les textes autobiographiques montrent avec davantage de clarté.
Ils montrent également les circonstances
particulières où chacun des textes de Jean-Jacques Rousseau a été mûri,
réfléchi, mis en forme dans la pensée et livré au public. Chaque texte, même
les pièces de théâtre jamais pris en compte et peu décisives dans l’œuvre, fait
l’objet d’un éclairage particulier et d’un supplément d’informations sur ses
relations avec les autres suivant l’orientation réflexive de l’auteur. Rousseau
décrit leur genèse, la durée de leur rédaction, ainsi que l’accueil qui leur a
été réservé au moment de leur publication. Il en est ainsi de l’Emile et de
l’éducation dont Rousseau parle au moins à vingt
(20) reprises rien que dans ses Confessions. Tout d’abord, il précise que : « L’Emile m’avait coûté vingt ans de méditation et trois ans
de travail »[159]
. Cette indication est
intéressante dans la mesure où
elle renseigne sur le temps et la durée de la maturation et de l’écriture
rousseauiste. Ensuite Rousseau situe l’Emile ou de l’éducation dans le dispositif de ses écrits. Il note que « Tout
ce qu’il y a de hardi dans le Contrat social était auparavant dans le Discours sur
l’inégalité ; tout ce
qu’il y a de hardi dans l’Emile était auparavant dans la Julie »[160]
. Enfin toutes les autres fois où l’Emile est cité cela concerne généralement sa diffusion, et particulièrement les
problèmes que sa publication a pu soulever, tant du point de vue des idées sur
l’éducation et la religion que concernant la personne même de l’auteur sujet à
de multiples condamnations[161]
.
Voilà donc une illustration
type du supplément d’éclairage apporté par les écrits autobiographiques sur
l’œuvre globale de Jean-Jacques Rousseau. Ne se
limitant pas à exposer les
multiples acquisitions qui ont fini par façonner l’esprit, la pensée et la
démarche rousseauiste, ces écrits de l’auteur sur lui-même constituent un
excellent laboratoire d’explicitation et d’appréhension de cette conscience à
l’œuvre dans ses différents textes. Ainsi chez Rousseau, il n’y a pas d’un côté
la vie et de l’autre la pensée, d’un côté les textes autobiographiques, et de
l’autre les textes de doctrine. L’œuvre de Rousseau est inséparable de sa vie
telle que vécue et décrite. Comme le constate STAROBINSKI :
« Il
ne suffit pas de vivre dans la grâce de la transparence, il faut encore dire sa
propre transparence, en convaincre les autres. Une activité devient nécessaire,
pour celui qui a soif d’être résumé : cette activité est langage, parole
(…) Puisque l’évidence spontanée du cœur n’est pas suffisante, la tâche sera de
lui donner un surcroît d’évidence »[162]
.
C’est cela qu’apportent les
écrits autobiographiques de Rousseau.
Section
2 : Logos et
science de l’homme : le sujet objectivisé
Le postulat qui fonde notre perspective est le lien
intellectuel entre l’auteur et l’œuvre sans pour autant renier toute
possibilité d’un discours cohérent et logique. Ce postulat n’est pas paradoxal
et ne comporte pas de contradiction en soi si l’on s’en tient à l’orientation
nouvelle donnée à la critique. En effet,
« (…)
la critique moderne depuis un demi-siècle s’est appliquée à séparer les notions
d’œuvre et d’auteur, dans le dessein tactique fort compréhensible d’opposer la
première à la seconde, responsable de tant d’excès et d’activités parfois oiseuses. On commence à percevoir
aujourd’hui qu’elles ont partie liée, et que toute forme de critique est
nécessairement prise dans le cercle de leur renvoi réciproque »[163]
.
En s’inscrivant, non pas dans
une tactique d’opposition mais de recherche et de construction d’une unité
homogène, l’objectif consiste à mesurer avec précision l’impact du Moi sur le
discours produit. C’est donc, dans les modalités pratiques de la relation entre
la personne et ses écrits ou à travers ceux-ci que se dessine le caractère
scientifique ou non du discours.
Ainsi faudrait-il d’abord
définir et déterminer le moi qui se donne comme modèle (2.1) pour ensuite
décrire comment l’auteur passe de sa singularité insulaire et subjective à
l’universalité rationnelle du discours sur l’homme (2.2). Ce n’est qu’en
éclaircissant ces deux points que l’on parviendra à élucider le processus de
sublimation ou de métamorphose par lequel le sujet s’objectivise.
2.1- Place du moi-modèle
Rousseau n’est ni un héritier direct ni un philosophe
proche de Platon, encore moins de son maître Socrate. Mais il fait sien un
précepte exclusivement socratique tout au long de son œuvre et dans ses textes
les plus apparemment éloignés. Ainsi dès la préface au second discours,
Rousseau affirme que : « la seule inscription du Temple de Delphes
contenait un précepte plus important et plus difficile que tous les gros livres
de moralistes »[164]
.
Outre l’indication négative
qu’elle contient et qui est relative à la distanciation par rapport aux livres,
cette assertion renvoie à la connaissance propre et intérieure du sujet
pensant. Car le « Connais-toi
- toi-même » communément
appelé précepte delphique, ou socratique, est une connaissance qui, dans la
chronologie de l’acquisition du savoir, doit précéder toutes les autres.
La particularité de Rousseau réside dans cette
option. En effet, il n’y a pas de distinction entre l’extériorité du monde et
l’intériorité du sujet pensant. Il court- circuite le long chemin sinueux de la
pensée qui évolue progressivement pour une philosophie de la fusion de l’être
et du savoir, ce que l’on nomme également une philosophie de la présence.
Rousseau lui-même fait la remarque :
« J’en ai beaucoup vu
qui philosophaient bien plus doctement que moi, mais leur philosophie leur
était pour ainsi dire étrangère (…) j’ai toujours cru qu’avant d’instruire les
autres il fallait commencer par assez pour soi… » [165]
.
Chez le Citoyen de Genève, la
connaissance est par essence contemporanéité, celle du sujet connaissant avec lui-même par le biais de la
réflexion qu’il opère sur son moi. Le Moi est au centre du dispositif
discursif, en même temps qu’il est le réceptacle de toute expérience. Il s’agit
même en fait d’une auto-génération du savoir que reflète au niveau narratif de
l’écriture, une caractéristique dite intradiégétique, et au niveau de la
relation de l’auteur à ses écrits, une spécificité homodiégétique[166].
Ainsi au lieu d’être
séparation et exclusion, la connaissance dans le système rousseauiste devient
une simple procédure anthropologique de dévoilement de l’évidence intérieure
empreinte dans l’âme de celui qui révèle la vérité occultée. La connaissance
est presque intuitive dans la mesure où elle traduit une présence immédiate à
soi-même[167] . C’est la
raison fondamentale pourquoi, Jean-Jacques Rousseau se comparant à ses
contemporains, s'interroge ainsi qu’il suit : « Mais moi
détaché d’eux et de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à
chercher »[168]
.
Il prend de ce fait la mesure de l’importance de
la question de l’identité. En se repliant sur lui-même, entouré par le vide
effrayant de l’espace qui le sépare de ses semblables dénaturés et de ses
contemporains phagocytés par l’opacité de la culture, Jean-Jacques Rousseau
trouve que seule la peinture de soi ouvre la voie à la science[169]
. C’est à ce niveau que Rousseau peut trouver la satisfaction et la
transparence de son cœur.
Pourtant, en certains moments
de l’analyse de sa propre pensée dans son mode de fonctionnement, Rousseau semble être pris par le
vertige de ce silence et de cette solitude qui l’entourent. Il en arrive même à
reconnaître la difficulté inhérente au précepte delphique. Il avoue de lui-même
ceci : « j’y viens bien confirmer dans l’opinion déjà prise
que le connais-toi toi-même du Temple de Delphes n’était pas une maxime si
facile à suivre que je l’avais cru dans mes Confessions »[170]
.
Toutefois, ceci n’est pas un
aveu d’échec, mais plutôt un signe
de complexité de la situation du moi. Cette situation pourrait
éventuellement être assimilée à
une aporie préjudicielle si l’on s’en tient à la dichotomie observée entre le
sujet et l’objet. Or il n’en est pas ainsi. Il faut l’interpréter autrement.
Claude LEVI-STRAUSS nous en donne ici une explication en comparant la démarche
de Jean-Jacques Rousseau à celle de l’ethnologue.
« C’est
à Rousseau que l’on doit la découverte de ce principe, le seul sur lequel
peuvent se fonder les sciences humaines, mais qui devait rester inaccessible et
incompréhensible, tant que régnait une philosophie qui, prenant son point de
départ dans le cogito, était la prisonnière des prétendues évidences du moi
(…). Ce que Rousseau exprime, par conséquent, c’est – vérité surprenante, bien
que la psychologie et l’ethnologie nous l’aient rendue plus familière – qu’il existe
un ’ il’ qui se pense en moi, et qui me fait d’abord douter si c’est moi qui
pense (…) et que l’expérience intime ne fournit que cet ‘il’, que Rousseau a
découvert et dont il a lucidement entrepris l’exploration »[171].
C’est donc, par le biais de
cette mutation, voire de cette métamorphose du moi que l’on parvient à lire la
transparence du moi rousseauiste. La conséquence immédiate de cet état de fait,
c’est que Rousseau déplace la position de son lecteur et le met en situation de
spectateur. S’il y a échec ou impossibilité de suivre le même processus que
l’auteur, la cause explicative de cette incapacité devra se trouver et se
rechercher chez le lecteur. En voulant rendre son âme transparente aux yeux du
lecteur[172] Rousseau
utilise un procédé d’ « objectivation radicale » selon
l’expression de Claude LEVI-STRAUSS, qu’il traduit comme suit :
« il
fallait nécessairement que je disse de quel œil, si j’étais un autre, je
verrais un homme tel que je suis. J’ai tâché de m’acquitter équitablement et
impartialement d’un si difficile devoir (…) en expliquant simplement ce que
j’aurai déduit d’une constitution semblable à la mienne étudiée avec soin dans
un autre homme »[173]
.
C’est par le biais de ce
dédoublement du moi que Rousseau résout la difficulté du précepte délphique
d’une part, et qu’il parvient à imposer son moi comme centre et source de
l’évidence intérieure qu’exprime sa démarche philosophique d’autre part. Le moi
rousseauiste est, par conséquent, non seulement incontournable, mais également
et surtout il est l’élément essentiel de son dispositif discursif. Il tient
lieu de paradigme qu’il suffit de bien décrire pour fonder une anthropologie
politique.
Jean-Jacques Rousseau n’est
donc pas ce penseur bipolaire valsant entre une certaine recherche de la
rigueur démonstrative scientifique et une expressivité littéraire calquée de sa
vie. En éliminant cette vision manichéenne sur Rousseau, on peut conclure avec
Jean WAHL en admettant ceci :
« Si donc
le philosophe est le docte professeur ou l’agile pamphlétaire, Rousseau n’est
pas philosophe ; mais si le philosophe est celui qui unit
profondément sa pensée et son existence, Rousseau mérite ce titre et sait qu’il le mérite »[174].
Telle est la caractéristique
du discours de Rousseau qui malgré cette particularité, a une prétention
universelle.
2.2- Vers l’universalité
L’universalité à laquelle prétend courageusement le
discours rousseauiste se justifie et s’explique par la transparence absolue de
son cœur ainsi que par les procédures de sa raison pour ce qui concerne son
anthropologie politique. Le logos de Jean-Jacques Rousseau est dépouillé,
objectif est accessible à tout esprit qui ferait l’effort de suivre le même
cheminement régulier qui le conduit à poser, non pas des problèmes personnels
et subjectifs, mais plutôt à réfléchir sur l’homme et sur la condition humaine
en général. L’objectif global de Rousseau est cette connaissance universelle
pour ce qui touche l’homme, ou plutôt cette connaissance de l’homme universel.
C’est pourquoi, la démarche qu’il emploie est celle de la référence fixe à un
moi intact, et son discours porte
sur un objet anhistorique et intemporel.
Le retour à soi n’est pas un
simple effet de style. Il se comprend par l’absence de repères que l’auteur ne
parvient pas à retrouver. Dans un texte qui rappelle l’image de Diogène,
Rousseau nous livre son parcours :
« Quand
après avoir vainement cherché dix ans un homme, il fallut éteindre enfin ma
lanterne et m’écrier, il n’y en a plus. Alors je commençais à me voir seul sur
la terre et je compris que mes contemporains n’étaient par rapport à moi que
des êtres mécaniques qui n’agissaient que par impulsion …»[175]
.
Le repli sur soi entraîne
l’incompréhension entre Jean-Jacques Rousseau et ses contemporains. La brouille
continue qui marque leurs relations, ainsi que le silence dont il fait écho
dans un passage caractéristique de la fin des Confessions[176] , sont
les conséquences visibles de cette incompréhension.
Néanmoins, Rousseau persiste
dans cette direction de sa démarche, persuadé qu’il était que seule la lumière
intérieure provenant d’un homme qui a gardé sa pureté originelle peut éclairer
l’opinion sur la vérité première de l’homme. Pour lui, cette lumière intérieure
est restée intacte. Et de plus, elle seule peut sauver l’humanité[177].
Ainsi donc, sa parole et ses écrits qui traduisent sa pensée profonde ont une
portée universelle pour ce qui touche l’humanité. Son mode d’expression
transcende l’individualité propre à Jean-Jacques Rousseau pour se fondre dans
une totalité propre à l’Homme.
« Dans
la parole ’authentique’ Rousseau espérait rester immédiat à lui-même, tout en
se communiquant aux autres : être soi et agir semblaient ne faire qu’un
seul mouvement, où le moi s’expose et s’invente tout ensemble. Se raconter,
c’était à la fois affirmer la valeur unique de l’expérience personnelle, et en
faire l’objet d’un spectacle et
d’un jugement universels »[178]
.
Jean-Jacques Rousseau réussit
ce pari, ou plutôt il nous impose l’issue de celui-ci. Et ainsi, les écrits
autobiographiques de Jean-Jacques Rousseau obtiennent une autre portée et une
autre signification. Ils ne se
limitent plus à la simple narration du vécu ordinaire de l’auteur. Ils
se posent en paradigme de l’homme tel qu’il doit être, et tel qu’il devrait
être. Par-là, Rousseau confond sa
trajectoire et son destin avec ceux de l’humanité tout entière. C’est pourquoi,
en lisant les écrits de celui qui devint écrivain malgré lui[179]
et qui se présente comme le meilleur des hommes[180]
, il faudrait avoir en tête cet arrière plan constitué par la situation de
l’homme.
Ainsi également, sur le plan
des idées proprement politiques, Jean-Jacques Rousseau ne vise pas
particulièrement une société donnée. Sa prise de position par rapport à
Montesquieu vient de ce fait. Car en effet, Rousseau tend là aussi vers l’universalité
du discours. Il écrit à ce propos ces phrases très significatives :
« Mon sujet intéressant l’homme
en général, je tâcherai de prendre un langage qui convienne à toutes les
nations, ou plutôt, oubliant les temps et les lieux, pour ne songer qu’aux
Hommes à qui je parle, je me supposerai dans le lycée d’Athènes, répétant les
leçons de mes maîtres, ayant les Platon et les Xénocrate pour juges, et le
genre humain pour auditeur. Ô homme, de quelque contrée que tu sois, quelles
que soient tes opinions, écoute; voici ton histoire telle que j’ai cru la lire,
non dans les livres de tes semblables qui sont menteurs, mais
dans la Nature qui ne ment
jamais »[181]
.
L’entreprise rousseauiste vise
la mise à nu de ce « beau
roman de l’espèce humaine »[182]
. Par le biais de son génie inventif il réussit ce que Paul RICOEUR appelle « cette exploration des
traits non littéraires du temps phénoménologique »[183].
Tel est l’accent de la réflexion et de l’écriture de Rousseau. Prenant leur
source dans une conscience individualisée, elles n’en ont pas moins une
vocation universelle dans la simple mesure où leur finalité est l’humain dans
son universalité.
Que dirions-nous donc des
écrits sur la Pologne et la
Corse ? Ne constituent-ils pas des exceptions pouvant ruiner cette tension
vers l’universel ?
Le Projet de constitution
pour la Corse ainsi que Les
considérations sur les gouvernements de Pologne et sur sa réformation projetée sont des études techniques portant sur des cas
historiques particuliers bien déterminés. Rousseau qui se refuse d’être un
politicien s’estime pourtant bien placé pour fournir des conseils avisés et
utiles qui puissent servir la Corse et la nation polonaise. C’est pourquoi, ces
écrits tiennent une place marginale dans la somme philosophique de Rousseau.
Cette place à l’écart se retrouve même dans la lumière que Rousseau projette
sur ses différents textes politiques par l’intermédiaire de ses textes
autobiographiques. Dans ses Confessions où il parle de la presque totalité de ses écrits, il passe sous
silence le texte sur la Pologne et ne s’exprime sur le texte relatif à la Corse
qu’au livre douzième[184].
Tandis que dans un autre écrit autobiographique, c’est dans l’ultime partie
qu’il parle des circonstances ainsi que de l’acteur principal de l’idée du
texte sur la Pologne[185].
Egalement enfin, les
commentateurs ainsi que les critiques de la pensée politique de Jean-Jacques
Rousseau ne réservent qu’un traitement timide à ces deux textes conformément
aux tardives révélations sur ces écrits de la part de l’auteur lui-même.
Néanmoins, ces considérations
liées au positionnement de ces deux textes ne doivent pas faire perdre de vue
le lien qui les unit aux autres écrits. L’œuvre politique abstraite sert de
modèle pour travailler dans le laboratoire grandeur nature de la réalité
politique.
« En
écrivant le Projet corse
Rousseau a voulu transposer ses principes de la communauté parfaite sur le plan
des réalités, comme il le fera dans les Considérations sur le gouvernement
de Pologne, en 1772, où les
renvois et les allusions au Contrat social sont également nombreux »[186]
.
Cela signifie qu’il n’y a pas
une réelle différence ou une innovation de Rousseau pour ce qui concerne ses
principes. Au contraire, il s’appuie sur eux pour tout simplement régler des
problèmes, ou pour proposer des solutions à propos des cas concrets soumis à
son analyse. Ainsi ces textes ne constituent pas des exceptions pouvant ruiner
cette tendance universaliste de la
réflexion et de la démarche de Jean-Jacques Rousseau.
De part l’accent de son
écriture, son témoignage personnel ainsi que son engagement existentiel dans
son œuvre, Rousseau pousse plus loin le rapport de l’auteur à ses écrits. En
tirant la substance de sa réflexion dans son intériorité et en la proposant
comme paradigme de la quintessence humaine, Rousseau fait littéralement
exploser les limites étroites de la subjectivité individuelle pour rendre le
sujet objectif et universel. C’est à ce prix seulement et suivant une telle
lecture de son procédé herméneutique que l’on pouvait parvenir à faire la
jonction procédurière entre les textes politiques et les écrits
autobiographiques. Cette unité de méthode est la base incontournable et
primordiale de l’unité de la pensée de Rousseau.
Conclusion du chapitre 3
L’anthropologie politique de Jean-Jacques Rousseau est un terrain sur lequel le sujet et l’objet nous semblent
proches et très familiers. Rousseau ne nie pas cette évidence. Car le sujet
n’appelle pas seulement le nombre et la quantité, l’équerre et le compas ;
il se laisse dévoiler par une intuition intérieure ou une évidence spontanée à
l’image du rêve de Descartes.
Par conséquent,
l’autobiographie révèle et réduit la distance ontologique entre le sujet et
l’objet sans pour autant tomber dans l’abîme. Cette vision ouvre une autre perspective qui est la
démarche propre à Jean-Jacques Rousseau si et seulement si on lui accorde un
crédit de sincérité. Il notait dans la première version des Confessions ceci : «
…tout se tient, tant tout est dans mon caractère, et tant ce bizarre et
singulier assemblage a besoin de toutes les circonstances de ma vie pour être
bien dévoilé »[187]
.
C’est donc dire que pour
réussir le dévoilement il ne faudrait négliger aucun aspect, y compris la vie
de Rousseau qu’il offre en exemple.
Conclusion de la
première partie
Loin d’être purement protocolaire, cette partie avait
pour objectif de déterminer le procédé rousseauiste dans son entreprise
d’élévation de la philosophie politique
au rang de science. La particularité dans cette tentative de saisie de
la procédure de Rousseau réside dans le fait qu’aucun aspect n’est négligé, et
surtout pas l’œuvre autobiographique, généralement classée de façon triviale
dans le genre romanesque et sentimental.
Ainsi, il s’est d’abord agi de
délimiter les contours de la science politique rousseauiste. Cette démarche
s’est effectuée en réglant le problème apparent et non moins significatif de la
pseudo dispersion des écrits du Citoyen de Genève, d’une part, et en fixant les
fondements essentiels qui expliquent son anthropologie politique, d’autre part.
Ensuite, la méthodologie
propre à Rousseau, en tant qu’elle regroupe les aspects de sa démarche, a été
étudiée. Elle révèle une forte dimension critique qui met Rousseau en constante
position de polémique contre ses prédécesseurs, surtout ceux des XVI° et XVII°
siècles, et contre ses contemporains. Ces polémiques qui ont souvent l’accent
de disputes, sont les préalables nécessaires à Rousseau avant l’établissement
de sa méthodologie. Elles orientent par là même le style de l’écriture
rousseauiste et donnent une autre dimension à la réflexion de l’auteur.
Enfin, si la pensée
rousseauiste doit avoir une unité, elle se fonde sur une unité de procédé et
d’intention, excluant d’emblée toute division entre l’autobiographique et la
politique. La sincérité de l’auteur n’a jamais été mise en doute, même dans sa
position extrême où il confond son destin individuel à celui de l’humanité.
Donc, les écrits autobiographiques apportent un éclairage supplémentaire et
très précieux sur la formation des idées de Rousseau, sur les motivations ainsi
que les circonstances de ses choix doctrinaux décisifs, sur ses rapports avec
les idées et les gens de son époque, toutes choses ayant partie liée avec le
mécanisme propre à la pensée de l’auteur. Pour Victor GOLDSCHMIDT :
« On
peut sans doute juger qu’il [Rousseau] s’est trompé sur lui-même, mais l’on n’administrera pas la preuve de ce sentiment en jouant les
écrits autobiographiques contre les écrits philosophiques, mais seulement par
l’échec manifeste d’une tentative de ressaisir le système dans ceux-ci »[188]
.
Autrement dit quelle que soit
la nature du moi rousseauiste, il y a une dynamique qui traverse l’œuvre.
L’échec de la saisie de celle-ci est imputable aux lecteurs et non aux textes
pour des raisons de clarté défectueuse ou d’éloignement. C’est cette dynamique
d’ensemble que nous révèle l’examen de la connaissance ainsi que les procédures
mises en œuvre dans le rousseauisme.
Globalement, retenons cette remarque de Emile BOUTROUX
inspirée de la physique céleste et essayons de toujours l’appliquer lorsqu’on
est en face de Rousseau :
« Pour
savoir si un astre qui se meut dans le ciel y suit un cours déterminé, il ne
suffit pas d’observer les caprices de sa marche apparentes : il faut
encore comparer entre elles toutes les positions qu’il traverse, et voir si ses
positions n’oscilleraient pas autour d’une courbe régulière »[189]
.
Partie
II : L’élucidation du problème politique
Du point de vue de la doctrine, la question essentielle à
laquelle tout penseur ou
philosophe s’intéressant à la politique doive nécessairement apporter
une réponse claire s’apparente à celle-ci : quelle est la meilleure forme
d’organisation politique dans laquelle l’homme, s’assemblant avec ses
semblables, puisse s’épanouir
correctement et conformément à sa nature ?
En abordant cette question,
Rousseau se propose ainsi d’élucider sa problématique politique. Cette
élucidation du problème politique consiste donc à apporter une solution en proposant
une société juste, stable et normée dans laquelle, tout en gardant ses
attributs essentiels, l’homme rousseauiste trouve les conditions qui lui
manquaient à un stade antérieur de son développement. Autrement dit, il s’agit
presque d’une ré-invention de l’homme au sein de l’organisation étatique par la
réhabilitation de la liberté humaine fondamentale.
Cela revient à supposer, et même soutenir qu’il y a, ou
qu’il y avait, une nature originelle qui a servi, et qui sert encore de
référence au Citoyen de Genève. L’état de nature, fruit de l’analyse
régressive, pris comme début logique constitue le repère sur lequel s’appuie
Rousseau pour mesurer d’une part les effets de la dénaturation provoquée par
une mauvaise socialisation, et pour servir d’autre part d’étalon pour la
transformation positive souhaitée pour l’homme dans le cadre civil de l’Etat.
En effet, pour
Jean-Jacques Rousseau, la nature ne rétrograde jamais. Il est clair que « le
genre humain avili et désolé ne pouvant plus retourner sur ses pas, ni renoncer
aux acquisitions malheureuses qu’il
avait faites … »[190]
n’avait en réalité qu’un choix viable et une seule voie de sortie heureuse pour
l’espèce, ailleurs signifiant la perte définitive de l’humaine nature.
Par
conséquent, si l’Etat vient se substituer
à la nature primitive pour sauver l’espèce, et quoiqu’il puisse exister
une différence radicale d’essence entre ces deux états, il nous est loisible d’affirmer avec Robert DERATHE
que :
« Ce
n’est donc pas absolument ni
définitivement que la société s’oppose à la nature. L’opposition n’est en un
sens qu’accidentelle : il n’est pas exclu, peut-être même est-il normal
que l’influence de la société s’exerce dans le sens de la nature, en permettant
à la nature humaine de s’épanouir et d’actualiser ses virtualités »[191].
Cette affirmation reconnaît au
moins le principe de la continuité entre l’état de nature et l’état civil, ne
serait ce que sur un plan purement logique. Car en effet, il s’agit de sauver
l’homme. Et même, au fond de la pensée de Rousseau, il s’agit précisément de
préserver la liberté qui est naturelle à l’homme et dont le paradigme est donné
dans la description faite de l’état de nature. Ainsi se comprend l’élucidation
du problème politique avec cette place importante assignée à l’homme.
Tout d’abord, qu’est-ce que la
nature primitive ? Qu’est-ce qui fait que l’on soit obligé de dépasser
cette phase primitive pour instaurer l’organisation étatique ? Ensuite,
que gagne ou perd l’homme individuel dans ce passage de l’état de nature à
l’état social ? Qu’est-ce qu’enfin l’Etat ou le pouvoir souverain
rousseauiste et quelle place y occupe l’homme naturel devenu citoyen par le
biais du contrat social et de la volonté générale ?
Ce questionnement re-pose,
dans toutes ses dimensions, le problème de l’unité et de la continuité de la
pensée de Rousseau, cette fois-ci au niveau doctrinal pur. Il dévoile
simplement le fait que l’homme occupe encore une place charnière dans le
dispositif rousseauiste.
Dans cette seconde partie, la
démarche consistera donc à étudier la nature primitive de l’homme. Ce premier
pas permettra de mesurer avec exactitude les constantes de base de l’analyse
anthropologique de Rousseau ainsi que ses modalités propres d’ouverture à
l’histoire ( chapitre 1). Ensuite, il sera question d’examiner la naissance de
l’organisation sociale ou le fondement de l’autorité politique. Car la finalité
de l’homme n’étant pas l’isolement définitif, mais plutôt l’intégration avec
ses semblables dans une société normée et conforme à sa nature essentielle. Et
d’ailleurs comme le remarque Patrick TORT :
« Aucune
philosophie politique explicite ne saurait se dégager tout à fait de la
quasi-obligation dans laquelle elle-même elle se place, de privilégier, d’une
façon directe ou indirecte, comme effet ultime de sa logique et horizon positif
de sa déconstruction, un type de détention et d’exercice actualisé ou non dans les formes historiques du
pouvoir »[192]
.
Pour ces deux raisons
fondamentales nous étudierons l’Etat ou le pouvoir souverain chez Rousseau, en
mettant surtout l’accent sur le rôle et les rapports qu’y entretient l’homme (chapitre 2).
Enfin, dans la mesure où c’est
dans son intériorité que Rousseau trouve la vérité, et que celle-ci est une
« vérité cordiale »,
suivant l’expression de Gérald ALLARD[193],
il nous faudra rapporter toute cette politique à l’auteur lui-même. Ce rapport
de la politique à l’auteur soulève l’épineuse question de la recevabilité ou
non de sa pensée mise au regard de son individualité passionnée et de la raison
profonde qui sous-tendaient son projet (chapitre 3).
Chapitre 1 :
La nature primitive
Le XVIII°siècle est marqué
entre autre, par un certain regain d’intérêt pour ce qu’il est convenu d’appeler le primitivisme, phénomène accentué par les récits des voyageurs en
provenance d’horizons nouveaux. Mais Rousseau, qui se situe sur le plan des
idées et qui cherche à asseoir une théorie anthropoligico-politique logique et
rigoureuse, ne semble pas s’éloigner de cette préoccupation majeure, sinon que
du point de vue de la méthode et de la finalité. En réalité Rousseau essaie, à partir d’une démarche dite de
« récession conjecturale »[194]
, de trouver la nature primitive fondamentale et essentielle de l’être humain.
Pourtant le premier obstacle
qui se dresse sur son chemin reste celui de la difficulté liée à l’appréhension
de l’idée même de nature comme le reflètent et la critique de Rousseau à
l’endroit de ses prédécesseurs et contemporains, et les différentes positions
de la critique face à cette idée dans la philosophie politique du Citoyen de
Genève.
En effet, dans le texte où
Rousseau avait sinon l’obligation, du moins la possibilité de définir ce qu’il
entendait par nature (naturel, loi naturelle etc…), il laisse le lecteur sur
son attente, car il ne donne pas une définition personnelle, nette et claire du
concept. Il écrit ceci : « Connaissant si peu la nature et
s’accordant si mal sur le sens du mot Loi, il serait difficile de convenir
d’une bonne définition… »[195]
. Néanmoins, la nature sans être préalablement explicitée
plane sur tout le long du Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes.
Ce vide définitionnel laissé
par Rousseau a ouvert la brèche à
la critique. Pour certains, cette absence de conceptualisation est très grave
car symptomatique d’une carence. Clément ROSSET est de ceux-ci. Il note une
certaine naïveté chez Rousseau et
s’en explique ainsi :
« Le lieu névralgique de cette
naïveté contestée réside dans l’idée de nature, que certains esprits auraient
tort de continuer à prendre au sérieux alors qu’il est loisible de montrer
qu’elle n’a jamais été, dans l’œuvre de Rousseau, qu’un mot auquel Rousseau ne
portait lui- même pas grand crédit. On montre ainsi que jamais Rousseau ne
s’est mis en peine de définir ce qu’il entendait par ‘nature’, mot dont
l’insaisissable sens varie non seulement d’un ouvrage à l’autre, mais encore
d’une page à l’autre d’un même ouvrage »[196] .
Ces propos sans doute sévères
de ce critique se justifient par l’absence totale de localisation précise d’une
définition du concept de nature dans le corpus rousseauiste. En cela, Clément
ROSSET n’a pas forcément la même perspective que d’autres commentateurs.
Pour certains, le plus
important ne se situe pas dans un débat conceptuel, mais plutôt dans la
fonctionnalité et l’opérabilité de
l’idée de nature dans la philosophie politique de Rousseau. C’est dans ce sens
qu’il faut comprendre cette remarque :
« La nature actuelle de l’homme
est infiniment plus que l’homme naturel, puisqu’elle contient aussi tout ce que
l’homme est devenu et peut devenir en suivant les indications de sa nature, et
que ce mot oscille perpétuellement entre le sens statique de simplicité
originelle et le sens dynamique de perfection sans que Rousseau ait jamais opté
délibérément pour l’un d’eux exclusivement »[197]
.
Toujours est-il que pour
Rousseau il convient de connaître la nature primitive, comme il l’indique
lui-même à travers l’expression de Perse qui clôt la préface du second
discours : « Quem te Deus esse jussit, et humanâ quâ parte
locatus es in re, disce »[198] qui signifie : « Apprends ce que
la Divinité a voulu que tu sois, et quelle est ta place dans ce monde humain ». Mais également et surtout, il faut la décrire
à l’image du travail effectué dans le second discours. Car en somme, si
Jean-Jacques Rousseau ne définit pas la nature ou l’idée de nature, c’est parce
que sa description est si longue, si complète qu’il pense que cette approche
détaillée est plus significative que toute tentative de saisie conceptuelle forcément
limitative et non obligatoirement explicite.
Ainsi cette description a deux
phases consécutives et complémentaires, qui reflètent par ailleurs
l’architecture du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes, et que l’on trouve
éparpillées dans l’œuvre de
Rousseau :
- d’abord une phase statique
où la nature humaine est entre parenthèses par rapport à l’évolution ; on
nomme cette phase le paradis des premiers débuts (section 1) parce qu’elle
reflète une u-chronie totale ;
- ensuite une seconde phase
qui se caractérise par le dynamisme ; ici s’enclenchent les développements
de l’homme, lesquels vont le pousser vers la sortie de l’état de nature. On
nomme cette phase le processus de dénaturation car apparaissent les premières
et irréversibles altérations de la nature (section 2).
Section 1 :
Le paradis des premiers débuts
Dans sa démarche qui a consisté à prendre le chemin inverse de l’évolution, Jean-Jacques
Rousseau avait pour objectif d’atteindre
l’état de nature. Celle-ci est la situation de l’homme dans son individualité
intrinsèque et au moment exact de sa venue au monde. C’est donc une phase pré
ou infra sociale pendant laquelle l’homme « sortant des mains de la
nature »[199]
ne connaît ni problème ni obstacle, encore moins toutes ces difficultés que
l’on qualifierait aujourd’hui d’existentielles. Et c’est en cela que les
premiers débuts de l’homme sont assimilés au paradis.
Seulement, le paradis fait
penser à la religion et à la théologie en général. Or Rousseau, lui, se situe
sur un plan purement logique malgré la possibilité de ressemblance massive du
paradis des premiers débuts avec l’Eden. Toutefois, il convient d’éviter un tel
glissement dans la lecture et l’interprétation des textes de Rousseau, et
refuser d’assimiler grossièrement l’état de nature à son stade initial à l’Eden
du christianisme. Pour Paul BENICHOU,
la solution est la suivante :
« La
tentation est forte de le conserver [l’Eden], à condition de l’envisager en dehors de toute théologie,
sous un angle purement humain, et comme représentation de l’excellence de
l’humanité dès son origine. L’optimisme philosophique incline fort vers cette
conception. Le début de la condition humaine n’est plus un paradis institué par
Dieu ; c’est un état premier (…) »[200].
C’est dans cette perspective
que nous nous inscrivons pour appréhender les premiers débuts de l’homme :
l’état de nature. Celui-ci se présente sous deux angles non nécessairement
contradictoires. Il y a d’une part une vision de l’homme à l’état de nature
considérée dans sa stricte individualité, et d’autre part l’homme naturel
étudié et décrit dans ses rapports avec ses semblables. En empruntant la
terminologie à Victor GOLDSCHMIDT, nous disons qu’il y a « l’état de
nature en lui-même » qui
correspond à la description de l’homme naturel (1.1), et « l’état de
nature par rapport à autrui »[201]
qui offre le tableau de l’univers relationnel de l’homme dans cet état (1.2).
1.1- La description physique de l’homme naturel
L’homme rousseauiste considéré dans « l’état
de nature en lui-même » a une
description purement physique dont l’enjeu principal est plutôt biologico-
anatomique pour Rousseau, tandis qu’elle sous-entend par ailleurs une
problématique liée à l’animalité ou non de l’homme naturel.
La description physique de
l’homme naturel permet en fait à Rousseau de faire un examen approfondi « du
premier embryon de l’espèce » tout en développant une attitude comparative
vis à vis de l’animal. Pour ce qui concerne cet examen physique, Rousseau
insiste sur les trois aspects suivants :
-
l’instrumentalisation du
corps humain ;
-
la bonne santé ainsi que
la primauté de la conservation du corps de l’homme naturel ;
-
et l’absence de réflexion chez l’homme naturel.
Isolé et devant pourvoir individuellement à ses besoins, l’homme doit utiliser ses
propres moyens. Il n’a ni le concours, ni le secours de moyens médiats. En
faisant sa description, Rousseau note que : « le corps de l’homme
sauvage étant le seul instrument qu’il connaisse, il l’emploie à divers usages,
dont par le défaut d’exercice, les nôtres sont incapables, (…) »[202]
. C’est donc dire par là que
Rousseau redonne au corps en général, et à ses différentes parties, leur utilité et leur fonction naturelle ainsi que les
performances qu’on pourrait tirer
d’eux. Il précise, en parlant de l’homme naturel à son état initial, que :
« il aura le toucher et le goût d’une rudesse extrême ; la vue,
l’ouïe et l’odorat de la plus grande subtilité (…) »[203].
La description physique de
l’homme naturel rousseauiste démontre ainsi la capacité de l’individu à vivre
isolé et indépendant, mais également elle prouve son aptitude à pourvoir à ses
propres besoins par ses seuls pouvoirs. C’est donc de son corps que l’homme naturel tire ses propres
ressources. La conséquence de cette instrumentalisation outrancière du corps
sont la nécessité d’une bonne santé et d’une bonne conservation.
Rousseau insiste sur la santé
naturelle et la conservation du corps de l’homme. Elles sont les gages de la
pérennité de l’espèce dans cet environnement. L’homme naturel ne connaît qu’une
faible quantité d’infirmités que sont « l’enfance, la vieillesse », la maladie n’appartenant en fait qu’à l’homme
vivant en société [204]
. D’ailleurs dans cet état, l’homme n’a besoin ni de médecin ni de remèdes. Il
est dans la même situation que les animaux[205]
car la maladie n’existait pas encore. Rousseau écrit à ce propos :
« Quant
on songe à la bonne constitution des sauvages, au moins de ceux que nous
n’avons pas perdus avec nos liqueurs fortes, quant on sait qu’ils ne connaissent
presque d’autres maladies que les blessures et la vieillesse, on est porté à
croire qu’on ferait aisément l’histoire des maladies humaines en suivant celle
des sociétés civiles »[206].
Cette affirmation de Rousseau
prouve, de sa part, la bonne constitution physique de l’homme à ses débuts.
Biologiquement et anatomiquement, il est prêt à affronter le milieu dans lequel
il est appelé à évoluer, et ce, au même titre que les animaux, et suivant sa
propre individualité. C’est pourquoi également, la conservation du corps est
une des principales préoccupations de l’homme naturel. Elle seule permet de
garantir l’intégrité physique de l’individu tout en lui assurant l’usage
optimum des capacités instrumentales de son corps. Rousseau écrit que :
« Sa propre conservation
faisant presque son unique soin, ses facultés les plus exercées doivent être
celles, qui ont pour objet principal l’attaque et la défense, soit pour
subjuguer sa proie, soit pour se garantir d’être celle d’un autre animal (…) »[207].
Ainsi, la conservation de soi associée à une bonne santé, ainsi que
l’instrumentalisation du corps garantissent à l’homme naturel une possibilité
de survie. Toutefois, Rousseau franchit un pas supplémentaire en allant plus
loin que l’anatomie comparée : il dénie à l’homme naturel toute capacité
de réflexion. L’absence de réflexion est la conséquence logique de l’autonomie
et de l’aptitude du sujet naturel à vivre dans son milieu. Il ne s’agit pas de
rabaisser l’individu au rang de bête[208],
mais plutôt de lui ôter tout ce qui serait non nécessaire à son existence.
Alors la réflexion, ou
l’usage de la raison, n’est pas utile à l’homme à l’état de nature. La
nature a tout prévu pour lui permettre de vivre sans pour autant déployer
entièrement toutes ses possibilités. Pour Rousseau, le raisonnement est le
suivant : « Si elle [la nature] nous a destinés à être
sains, j’ose presque assurer, que l’état de réflexion est un état contre
nature, et que l’homme qui médite est un animal dépravé »[209].
Rousseau signifie ainsi
l’absence de raison chez l’homme naturel. Mais c’est à ce niveau de la
description que la différence avec Hobbes est évidente malgré la critique
rousseauiste nominativement adressée à son prédécesseur anglais[210].
Pour Hobbes, l’homme naturel est doué de raison. Celle-ci est d’ailleurs une
caractéristique fondamentale de l’homme. Hobbes a annoncé la présence de la
raison dans cet état, sa réalité et son importance dès l’épître dédicatoire du De
Cive[211]. En réalité le débat de fond que posent la présence
ou non de la raison chez l’homme naturel ainsi que la description physique de
cet homme est celui de l’animalité ou non de l’individu. Essentiellement deux
points retiennent notre attention à ce sujet : la critique de Voltaire
d’une part, et l’usage fait des emprunts à Buffon.
En lisant le Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Voltaire avait été frappé par l’image que révélait
la description physique de l’homme naturel. Le poète n’y voyait aucune
différence réelle et significative avec l’animal. En réaction, il écrivit une
lettre datée du 30 Août 1755 et adressée au Citoyen de Genève dans laquelle il
formulait une critique sévère à son endroit. Il s’exprimait
ainsi : « J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le
genre humain (…). On n’a jamais tant employé d’esprit à vouloir nous rendre
bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre
ouvrage »[212].
Le tort de Voltaire c’est d’avoir limité abusivement l’image de l’homme
au seul aspect physique, et ce, contre l’idée de l’auteur. Cette amputation
comparable à une méprise ( d’ailleurs inconcevable pour quelqu’un qui se lance
hardiment à l’assaut des idées d’autrui) est la source de ses errements sur ce
point précis de la doctrine rousseauiste. Rousseau n’a jamais assimilé l’homme
à l’animal, même si dans cette partie de son ouvrage [213]
il a une forte tendance à user et à abuser de la comparaison. Sur ces quelques
pages, il a recours à l’animalité (animaux, animalité, bête) à quinze reprises
au moins pour expliciter et asseoir sa démonstration, car il est vrai que c’est
de l’animalité qu’il s’inspire pour la description de cet aspect de l’homme
naturel influencé qu’il était par son devancier Buffon.
Rousseau doit beaucoup à Buffon.
L’auteur de l’Histoire naturelle a
exercé une véritable influence sur le Citoyen de Genève. Sur ce point de sa pensée, Buffon a été une grande
autorité pour lui[214].
D’ailleurs en étudiant les deux penseurs, Jean STAROBINSKI note que Rousseau a
cherché dans les écrits de son prédécesseur
« tout un arsenal de faits et de preuves à l’appui de ses
propres théories ( sur l’importance du toucher, sur la longévité du cheval, sur
la durée de la vie, sur l’alimentation, sur l’emmaillotement , etc.) ; il
y a trouvé une image de l’homme, ou si l’on préfère, une anthropologie
philosophique, qu’il a pu accepter en grande partie et qu’il a contredite en
quelques points importants »[215].
Les points de la contradiction rousseauiste concernent la méthode, la
place de l’entendement ainsi que le report sur l’homme naturel du bonheur
physique que Buffon attribuait à l’animal. En somme, de ses emprunts à Buffon,
« L’on pourra donc
dire que Rousseau, pour peindre l’homme de la nature, animalise et
‘desintellectualise’ l’homme qu’avait décrit Buffon ; l’on constatera en
revanche qu’il humanise et idéalise un certain nombre de sentiments que Buffon
reléguerait dans le domaine obscur du ‘ sens intérieur matériel’ »[216].
Tel est l’usage que Rousseau fait des idées de Buffon. Il réussit ainsi
le tour de force qui consiste à réaliser une description physique de l’homme
naturel, en dépit de la grande incompréhension de Voltaire. Egalement tel se
présente donc l’homme au plan physique ou à « l’état de nature en
lui-même ». L’autre aspect
consiste à faire le portrait de l’homme naturel au plan relationnel,
c’est-à-dire dans « l’état de nature par rapport à autrui ».
1.2- L’univers relationnel :les côtés métaphysique et moral
Après avoir décrit le premier aspect de l’homme naturel, Rousseau
annonce la structure de son approche. Il écrit ceci : « Je n’ai
considéré jusqu’ici que l’homme physique ; tâchons de le regarder
maintenant par le côté métaphysique et moral »[217]
. Ce la traduit une tripartition de son anthropologie qu’il faut prendre en
compte dans ses différentes dimensions pour obtenir une image complète de
l’homme sortant des mains de la nature.
Pour notre part, dans l’analyse des deux derniers aspects de l’homme
naturel, à savoir les côtés métaphysique et moral, la procédure sera identique.
Dans un premier temps, il s’agira de définir rapidement le domaine auquel
s’applique l’aspect étudié. Et dans un deuxième temps, nous déterminerons les
caractéristiques de l’individu considéré sous le côté concerné.
Ici, l’enjeu est le rapport de l’individu avec son semblable. Il faut
donc savoir, en dernière analyse, les types de rapports inter-individus qui
découlent de cette description par les côtés métaphysique et moral.
La peinture de
l’homme vu sous l’angle métaphysique est une perspective qui permet de dégager
les spécificités essentielles et intrinsèques de l’homme. Mais d’abord
qu’entend-on par métaphysique ? A défaut d’avoir une définition claire et
précise de la part de Rousseau, empruntons à Condillac la sienne qui aurait pu
être l’acception commune à l’époque :
« Il faut distinguer
deux sortes de métaphysique. L’une , ambitieuse, veut percer tous les
mystères ; la nature, l’essence des êtres, les causes les plus cachées,
voilà ce qui la flatte et ce qu’elle se promet de découvrir ; l’autre,
plus retenue, proportionne ses recherches à la faiblesse de l’esprit humain,
et, aussi peut inquiète de ce qui doit lui échapper qu’avide de ce qu’elle peut
saisir, elle sait se contenir dans
les bornes qui lui sont marquées (…) »[218].
Pour ce qui concerne Rousseau, c’est le second aspect de la définition
qui sied le mieux à son entreprise, car la métaphysique y est circonscrite dans
les limites de l’individualité. Et c’est dans ce cadre que son portrait
métaphysique de l’homme naturel
permet de révéler les caractéristiques suivantes :
-la liberté comme attribut essentiel,
-et la perfectibilité comme spécificité intrinsèque de l’homme naturel.
Pour ce qui est de la liberté, Rousseau l’oppose à l’instinct propre
aux animaux. Cette liberté lui permet aussi de différencier de façon radicale l’homme
naturel de la bête. L’auteur du Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes
écrit :
« j’aperçois précisément les mêmes choses
dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait dans
les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité
d’agent libre »[219].
La liberté attribuée naturellement à l’homme est ainsi un des critères
discriminatoires décisifs qui l’éloigne de l’animalité. Elle change du tout au
tout la qualité de l’homme lorsqu’il est en face de la bête, et met fin en même
temps à toute possibilité de ressemblance, de rapprochement ou de confusion
entre les deux. C’est pourquoi, la critique de Voltaire apparaît, à la lumière
de ces développements, comme très légère. Elle est partiale dans la mesure où
elle n’épouse pas totalement les contours de la répartition tripartite de l’anthropologie rousseauiste.
D’ailleurs au nom de cette liberté, Rousseau évacue très rapidement
toute la discussion portant sur la différence entre l’homme et l’animal. Après
avoir reconnu, dans la description physique de l’homme, l’absence de raison[220]
, et ce contre Thomas
Hobbes, Rousseau affirme de nouveau que : « ce n’est pas
tout l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de
l’homme que sa qualité d’agent libre »[221].
Cette liberté comme attribut essentiel de l’homme naturel a un contenu
très précis. Il ne s’agit pas de tout vouloir et surtout de porter préjudice à
son semblable. La liberté à l’état de nature signifie la possibilité de
choisir. En parlant de l’homme naturel, Rousseau remarque : « (…)
qu’il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister ; et c’est surtout
dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme »[222]
. Rousseau fait donc de la liberté une qualité métaphysique de l’homme, qualité
que ni le temps ni l’histoire ne pourront effacer et dont il faudra tenir
compte jusque dans l’état civil.
La seconde
spécificité de l’homme naturel vu sous l’angle métaphysique est la perfectibilité.
Evoluant toujours dans le registre de la comparaison entre l’homme et l’animal,
Rousseau attribue à l’homme la possibilité d’évoluer là où l’animal est un
produit fini, n’ayant aucune perspective de se transformer qualitativement.
Rousseau note que :
« C’est elle qui
le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il
[l’homme] coulerait des jours tranquilles, et innocents ; que c’est elle,
qui faisait éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et
ses vertus, le rend à la longue
tyran de lui-même, et de la nature »[223].
Autrement dit, la perfectibilité constitue le ressort
dont le déploiement entraîne également celui de toutes les potentialités de
l’homme. En elle-même et à l’état
de nature, elle n’exprime rien de visible. Mais toute l’évolution de l’homme, l’éveil de ses facultés
virtuelles et de ses capacités en hibernation seront le fait de la
perfectibilité. Dans ce paradis des premiers débuts où le temps est soit arrêté
soit inexistant, cette capacité en
latence constitue une force invisible mais elle est belle et bien présente.
Elle ne se déploie qu’avec et dans le temps, et permet à l’homme d’accéder aux
possibilités infinies que lui offrent sa nature et la Nature. Selon Victor
GOLDSCHMIDT :
« (…) la perfectibilité convient
avec l’état de nature et n’ajoute rien d’actuellement nouveau à la description de l’homme
physique : condition originaire, elle laisse les choses en l’état, elle
n’en compromet pas la stabilité. Elle doit seulement permettre à l’homme quand
cette stabilité sera rompue, par des causes externes et sans qu’il y soit de
son fait, de répondre à cette rupture. C’est donc une faculté de défense et de
riposte, non d’initiative »[224].
La perfectibilité, ainsi conçue, et la liberté constituent les deux caractéristiques fondamentales de l’homme naturel par son côté métaphysique. Elles ne lui offrent aucune possibilité de contact avec son semblable. Tout au plus ces deux qualités lui permettent de se distinguer de l’animal, mais en l’état des choses elles n’ont aucun impact sur l’évolution de l’homme naturel. Ce dernier reste par conséquent dans sa stabilité qui le fixe dans une situation aporétique.
En somme, du point de vue relationnel, Rousseau le
voit ainsi :
« Son âme, que rien n’agite, se livre
au seul sentiment de son existence actuelle, sans aucune idée de l’avenir,
quelque prochaine qu’il puisse
être, et ses projets bornés comme ses vues, s’étendent à peine jusqu’à la fin
de la journée »[225].
Qu’en est-il de l’homme par son côté moral ?
Le portrait moral fait
l’état des lieux du cœur de l’homme naturel. Il montre ses tendances ainsi que
ses penchants naturels, et par là-même ce portrait permet de déterminer les
rapports qu’il entretient avec ses semblables.
Sous cet angle, Rousseau reconnaît à l’homme naturel
au moins ces caractéristiques : - la bonté naturelle,
-
la pitié et l’amour de
soi.
L’homme naturel rousseauiste est
bon par nature. C’est non seulement une conviction profonde du Citoyen de
Genève, mais également une vision critique à l’endroit du hobbisme. Rousseau
revient à plusieurs reprises sur la bonté originelle de l’homme[226].
Cette insistance répétitive et qui a une valeur de leitmotiv prouve, si besoin
en était, l’importance de cette caractéristique de l’homme naturel.
Il convient toutefois de préciser
que cette bonté originelle n’a aucune connotation juridique ou éthique. Dans la
mesure où l’homme ne vit pas dans un cadre stable et organisé, sa vie se
limitant au sentiment de son existence, cette bonté est une indifférence globale,
une absence totale d’interaction avec son milieu et ses semblables. C’est ce
que Rousseau traduit ainsi : « Il paraît d’abord que les hommes
dans cet état n’ayant entre eux aucune
sorte de relation morale, ni de devoir connus, ne pouvaient être ni bons
ni méchants, et n’avaient ni vices ni vertus (…) »[227].
L’absence d’obligation place l’individu dans une situation, que nous traduisons
en parodiant le titre nietzschéen, par delà le bien et le mal[228].
Cette conception rousseauiste ne
saurait donc s’accorder avec l’interprétation que l’auteur fait du hobbisme. Il
écrit : « N’allons surtout pas conclure avec Hobbes, que
pour n’avoir aucune idée de la bonté, l’homme soit naturellement méchant, qu’il
soit vicieux parce qu’il ne connaît pas la vertu (…) »[229]
. Dans cette critique, il vise apparemment un passage de la préface du De
Cive où Hobbes
affirme ceci : «( …) je dirais volontier, qu’un méchant homme est
le même qu’un enfant robuste (…) »[230]
. Mais il s’agit là d’une réelle incompréhension de la part de Rousseau. Hobbes
n’attache aucune connotation morale à l’état de nature. La force physique n’est
aucunement liée à la méchanceté. Elle est identique et en partage chez tous les
individus. Elle ne fait qu’exprimer l’égalité naturelle dans l’état primitif
hobbien.
Toutefois, Rousseau, en plus de la
bonté originelle, reconnaît à l’homme naturel la pitié. C’est une disposition
innée en l’homme qui lui « inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout
être sensible »[231].
Rousseau définit la pitié comme « un sentiment naturel, qui, modérant
dans chaque individu l’activité de soi-même, concourt à la conservation
mutuelle de toute l’espèce »[232].
Dans cette définition on voit l’enracinement anthropologique de cette
disposition et son utilité pour le genre humain tout entier. C’est elle qui
tempère les ardeurs et modules les dérives guerrières des passions, et
donne ainsi à l’état de nature sa
stabilité.
L’existence de la pitié ne signifie
pas que l’individu ait quelque relation
ou commerce durable avec ses semblables. Ce sentiment inné opère par
projection et par identification et anime
ainsi le cœur de l’homme naturel. Il se limite à cela. Il est donc clair
que « la pitié maintient la solitude et l’isolement : elle n’entre
apparemment en action que lors d’une rencontre ou d’un affrontement ;
encore faut-il ajouter qu’elle ne fait rien pour provoquer l’une ni l’autre »[233].
La pitié est donc à l’image de
bonté naturelle, de la liberté et de la perfectibilité. Elle n’est pas positive
dans le sens d’une participation à l’évolution de l’homme. Elle contribue tout
au plus au statut quo et au maintien de la situation aporétique de l’état de
nature considéré comme le paradis des premiers débuts. Retenons simplement avec
Victor GOLDSCHMIDT que « Toute cette description porte donc sa fin en
elle-même : elle n’annonce ni ne prépare l’avenir, elle n’indique pas le
moindre motif à faire quitter cet état (…) »[234].
Mais Rousseau, dans la seconde partie de son Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes s’attaque à
l’aspect dynamique de l’état de nature pour rendre raison du processus de
dénaturation.
L’homme naturel reste donc,
conformément à sa nature et à la nature qui l’environne, dans une situation
stable qui, comparée aux développements ultérieurs, ressemble fort bien à un
paradis car le bonheur y est possible. Il a ses caractéristiques propres qui le
spécifient par rapport à l’animal et à l’homme socialisé, et baigne dans une
pureté individuelle originelle. Jacques MUGLIONI résume bien la situation
paradisiaque de l’homme naturel :
«
Sans doute peut-on rêver à l’innocence perdue , puisque la vie sociale et l’histoire nous ont à jamais
arrachés aux conditions idéales du bonheur. Le sauvage en effet, n’a pour se
conduire que l’instinct qui l’attache
à lui-même et
la pitié que lui inspire la souffrance
d’autrui, mais ignorant le lien social, il n’a pas l’usage de
la raison. La
seule dépendance des choses à laquelle il se soumet spontanément est la
garantie d’une liberté sauvage qui s’épanouit dans la solitude. L’état de nature est donc conforme aux conditions du bonheur »[235].
Section 2 : Le processus de dénaturation
Après la description de l’homme naturel suivant la tripartition
anthropologique, Rousseau aborde le processus de dénaturation. La dénaturation
fait apparaître les premières et irréversibles altérations chez l’homme et dans
son environnement. C’est une longue évolution graduelle avec des changements
qualitatifs notoires. Dans la seconde partie du Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau
utilise la terminologie propre aux métamorphoses et fait le récit de la
dénaturation sur un ton dramatique. Il parle d’une « grande révolution »[236]
dans une situation qu’il qualifie de « circonstance extraordinaire »[237].
Toutefois
le temps du récit[238]
est élastique. Il s’étale sur une très longue période qui ne couvre même pas le
regard d’un esprit historien. Ce sont des « commencements » qui s’étirent sur des « multitudes de siècles » dans une progression
« presque insensible »[239].
Cette progression du temps du récit va comme la flèche éléate. Elle passe d’un
stade à un autre et ne semble pas avancer de façon significative. L’indice
temporel y est presque absent. Pourtant, au bout du compte, la dénaturation se
mesure en terme de « si prodigieuse distance », ce qui fait dire « qu’il
n’y a point d’homme assez hardi pour assurer qu’[elle] y arriverait
jamais »[240].
La
dénaturation se traduit de deux manières d’une inégale manifestation. Il y a
tout d’abord la perte de la transparence chez l’homme naturel (2.1) suite à des
changements tant extérieurs qu’intérieurs. Ensuite toutes ces
modifications qui interviennent
aboutissent au terme de l’état de nature : la guerre (2.2). Celle-ci se
manifeste par la violence et par la vitesse de transformation de l’attitude de
l’homme vis à vis de ses semblables.
2.1-La perte de la transparence
L’état
de nature, comme entité close où l’individu entretient un rapport direct avec
son milieu sans besoin aucun de ses semblables, voit sa stabilité et sa fixité se rompre par deux types de
déterminations : les données
externes d’un côté et les données internes de l’autre. Rousseau trouve le
catalyseur ou le moteur qui enclenche tout ce processus dans le « hasard ». Tout d’abord qu’en est-il
de ce hasard ?
Le
hasard est l’artifice opératoire dont dispose Rousseau pour sortir l’homme
naturel de la situation aporétique qui le caractérisait. Avant même d’en venir
au hasard proprement dit, Rousseau fait appel à un « enchaînement de
prodiges »[241],
termes d’ailleurs anthitétiquement opposés. Puis son langage se précise en
prenant la tournure de l’hypothèse. Rousseau note : « (…) à moins
de supposer ces concours singuliers et
fortuits de circonstances, dont je parlerais dans la suite (…) »[242].
Il insiste sur le caractère fortuit de l’avènement des mutations. A la fin de
la première partie du second discours, il est plus explicite :
« (…)
les autres facultés que l’homme naturel avait reçues en puissance, ne pouvaient
jamais se développer d’elles-mêmes, qu’elles avaient besoins pour cela de
plusieurs causes étrangères qui pouvaient ne jamais naître (…) il me reste à
considérer et à rapprocher les différents hasards qui ont pu perfectionner la
raison humaine, en détériorant l’espèce (…) » [243].
Rousseau
attache donc inexorablement la
perte de la transparence à des événements fortuits. Ils ne sont en aucune
manière nécessaires. C’est donc dire que le processus de dénaturation est
contingent, ce que confirme Rousseau dans la seconde partie de son texte. Avec
une plus grande constance, une précision et une certaine régularité, il parle
d’ « heureux hasard »[244]
, puis de « funeste hasard »[245]
et enfin de « hasard »[246]
tout simplement.
Le
hasard est donc le moteur qui déclenche le processus. Il constitue l’artifice
opératoire que Rousseau met en oeuvre pour expliquer et justifier les causes de
la dénaturation. Le hasard se manifeste sous forme de déterminations. Celles-ci
apportent des modifications substantielles sur le milieu et sur l’individu.
Les modifications
sur le milieu sont les données externes. Elles consistent en une forte poussée
démographique, en causes climatiques et en changements telluriques constituant
autant de difficultés qui apparurent et qu’ « il fallut apprendre à vaincre »[247].
La nécessité d’un apprentissage
pour venir à bout des obstacles
montre les limites du corps humain instrumentalisé, et met en évidence la
nouvelle situation d’inadaptation de l’homme naturel. Elle exige, pour la
survie de l’espèce, le passage de l’univers immédiat et uniforme à celui des
moyens par la mise en éveil des facultés virtuelles essentielles de l’homme
naturel. Rousseau n’insiste pas beaucoup sur ces données externes. Il étudie
plutôt les changements internes à l’homme comme pour mieux prouver l’enracinement
anthropologique de son option.
En
effet, les changements internes sont les échos des données externes dans le
cœur et sur le comportement de l’homme naturel. Ils donnent une impulsion
nécessaire au développement et à la positivation de toutes les facultés de
l’homme, avec toutes les conséquences qui y sont rattachées, d’autant qu’il est
prouvé que l’état originel est une heureuse innocence.
La
perte de la transparence originelle se manifeste d’abord par l’actualisation de
la raison. Les facultés intellectuelles permettent en réalité à l’homme de
mieux faire face à son milieu devenu moins immédiat et moins favorable. Ses
facultés cognitives sont une précieuse aide pour domestiquer la nature
environnante.
«Plus l’esprit s’éclairait, et plus
l’industrie se perfectionna. Bientôt, cessant de s’endormir sous le premier
arbre, ou de se retirer dans les cavernes, on trouva quelques sortes de haches,
de pierres dures, et tranchantes, qui servirent à couper du bois, creuser la
terre, et faire des huttes de branchages »[248].
Ensuite, l’homme naturel entre en
contact avec ses semblables, non pas de façon éphémère et hasardeuse mais de
manière durable. La découverte du travail, la sédentarisation progressive ainsi
que la nécessité d’une entraide sont autant de facteurs qui rapprochent les
hommes petit à petit mais de manière très décisive. Rousseau note que
l’homme naturel
«
Instruit par l’expérience que l’amour du bien-être est le seul mobile des
actions humaines, il se trouva en état de distinguer les occasions rares où
l’intérêt commun devait le faire compter sur l’assistance de ses semblables, et
celles plus rares encore où la concurrence devait le faire défier d’eux »[249].
Il sort ainsi progressivement de son
isolement, et perd également un peu de sa nature originelle. L’homme naturel
n’est plus totalement et exclusivement autonome. Ses semblables lui sont utiles
dans une certaine mesure comme le décrit si bien Rousseau dans la scène de la
chasse[250].
Néanmoins, il conserve son égoïsme primaire, fruit de la préférence donnée à
soi et du souci de sa propre conservation. C’est pourquoi d’ailleurs, malgré
son rapprochement avec ses semblables, l’homme naturel a une forte tendance à
se comparer avec eux.
La
reconnaissance de ses semblables ne se fait pas par identification. L’homme
n’étant plus une conscience immédiate, mais un être, a donc des rapports d’altérité avec les autres. Il sort des
limites de son être en regardant l’autre suivant une échelle dont il veut être
la référence :
« Chacun
commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l’estime
publique eût un prix. (…) Sitôt que les hommes
eurent commencé à s’apprécier mutuellement et que l’idée de la considération
fut formée dans leur esprit, chacun prétendit y avoir droit (…) »[251].
A partir de ce moment, il est clair que
le cœur de l’homme naturel a prit une dimension passionnée et extravertie. Et
par rapport à ses caractéristiques intrinsèques de sa description originelle,
un écart réel commence à
apparaître.
En
effet, sur le plan moral, les passions se développent de façon exponentielle,
et le sentiment naturel de la pitié s’amoindrit dans la même proportion. Dans
la mesure où la préférence est donnée à soi dans un univers de rareté, de
concurrence et de compétition, l’amour de soi désintéressé est supplanté par l’amour propre
intéressé. Il se traduit par une recherche du désir jamais assouvie et surtout
par une trop grande tendance à se rendre maître et propriétaire de tout, y
compris de son semblable[252].
Et
sur le plan métaphysique, l’homme qui ne peut plus se passer « du
concours de plusieurs mains »[253]
perd ainsi progressivement sa liberté. En devenant dépendant de ses semblables
car « moins endurant »[254]
qu’auparavant, l’homme passe
également d’une situation de liberté par rapport aux hommes et aux choses à une
forte dépendance vis à vis des choses, des lieux et des autres hommes. Rousseau
mesure la distance franchie dans le tableau suivant :
« (…)
de libre et indépendant qu’était auparavant l’homme, le voilà par une multitude
de nouveaux besoins assujetti ;
pour ainsi dire, à toute la nature, et surtout à ses semblables dont il
devient l’esclave en un sens, même en devenant leur maître il a besoin de leurs
services ; pauvre il a besoin de leur secours, et la médiocrité ne le met
point en état de se passer d’eux »[255].
Autrement
dit, l’homme s’installe désormais dans un cercle vicieux fait de dépendance mutuelle. Il dégrade sa
nature en perdant ses qualités intrinsèques originelles. Là, Jean-Jacques
Rousseau établit une corrélation entre les progrès techniques l’inégalité et la
perte de la liberté.
En somme, de libre,
solitaire et sans attache aucune, l’homme est entré dans le cycle dramatique
qui l’a complètement dénaturé. En l’introduisant dans un univers de relations
et de dépendance, il a perdu sa transparence originelle malgré l’actualisation
de toutes ses facultés virtuelles. Cela peut ainsi signifier que la perte de la
transparence originelle traduit une perversion de ce que Durkheim appelle
« les instruments d’adaptation au milieu social » ; ou alors elle
introduit une « mauvaise socialisation » suivant l’expression de
Raymond POLIN. A ce niveau du processus de dénaturation, Rousseau statue
ainsi sur la situation des
hommes : « et de là commencèrent à naître, suivant les divers
caractères des uns et des autres, la domination et la servitude, ou la violence
et les rapines »[256]
. La perte de la transparence ouvre la voix à la guerre pour parachever le
processus de dénaturation.
2.2- La guerre comme
terme ultime de l’état de nature
£e thème de la guerre dans
l’état de nature est un de ces
lieux communs de la philosophie politique qui ont fait l’objet d’âpres discussions
entre les penseurs. Rousseau n’y a pas échappé dans la mesure où son second
discours l’aborde. Il mentionnait que : « Il s’élevait entre le
droit du plus fort et le droit du premier occupant un conflit perpétuel qui ne
terminait que par des combats et des meurtres. La société naissante fait place au plus horrible état de guerre »[257].
Cette assertion est claire dans sa formulation. Elle indique les
dispositions violentes des
individus, et la tournure prise par les rapports des hommes parvenus à ce stade de dénaturation.
Même
le pacte imaginé par le riche et proposé au pauvre ne résout pas la difficulté[258]
. C’est un pacte qui est spécieux et inique. Il n’a rien de proprement
juridique. Sa précarité vient du fait qu’il est conçu et taillé sur mesure pour maintenir les avantages
et la domination du fort. Il a pour but inavoué de créer les conditions d’une
inégalité et d’une dépendance pérennes. Ainsi, le pacte conclu à la fin du Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, n’est pas efficace juridiquement
et sociologiquement Il n’endigue
en rien le désordre ainsi que l’anomie crées par la rupture de
l’équilibre naturel. En parlant de l’égalité primitive des hommes, Georges
BURDEAU note qu’elle « a été rompue par l’apparition de la propriété
privée et par les inventions mécaniques des hommes. Il s’en est suivi un état
de désordre social, de guerre et de conflits internes dont chacun eut à
souffrir »[259].
Nous
convenons donc que la situation de l’homme, à ce stade de la dénaturation, est
assimilable à la guerre. Elle se caractérise en fait par la quête, la conquête,
la violence et la recherche effrénée de puissance pour la satisfaction des
désirs. L’homme heurte son semblable en tenant compte uniquement de sa
personne.
Rousseau,
lui, aborde le thème de la guerre dans plusieurs textes. Considéré dans sa
globalité, c’est un thème qu’on retrouve dans des textes épars, et surtout très brefs, ce qui fait
qu’en dehors de la fin du Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes où il y est question, on peut ne
pas lui prêter une très grande attention. En effet, Rousseau parle de la guerre
dans le Contrat social[260] , dans l’Emile ou de
l’Education[261] , dans les Ecrits sur l’abbé de
Saint-Pierre[262] et dans les Fragments
politiques[263]. D’ailleurs, ce dernier texte
serait l’extrait d’un ouvrage jamais achevé intitulé Principes du droit de
la guerre[264].
De
ces différents textes, il est à signaler qu’en dehors du second discours, seuls
les Fragments politiques peuvent correspondre au niveau considéré de notre approche. La guerre
telle qu’elle est abordée dans les autres textes sort déjà du cadre
pré-politique, or à ce niveau,
nous sommes dans le domaine de l’état de nature. Par conséquent, ils sont
purement et simplement écartés[265].
Egalement,
entre les deux textes sélectionnés, il y a une évolution certaine qui se dégage
de leur analyse. Le lien se trouve dans la critique que Jean-Jacques Rousseau
adresse à Hobbes d’abord, avant de faire part des normes ‘’juridiques’’
préjudicielles qui fondent la guerre.
La
critique adressée à Hobbes (et à Grotius) et une attaque qui porte une
empreinte passionnée. Rousseau récuse la conception de l’état de nature dont
« le sophiste Hobbes ose tracer l’odieux tableau »[266].
Pour lui, Hobbes ignore tout de l’état de nature à travers son « horrible
système » et
son « absurde doctrine »[267].
C’est, dans sa conception du hobbisme, non seulement une erreur de méthode,
mais également et surtout une erreur anthropologique et un non-sens
psychologique. Il est clair que pour
Rousseau, admettre la guerre comme situation naturelle à l’homme
signifie d’une manière certaine que le mal est inscrit dans le cœur humain au
sortir des mains de la nature[268].
Or le Citoyen de Genève admet comme principe la bonté naturelle, contrairement
à l’idée du philosophe de Malmesbury selon laquelle « homo homini lupus »[269].
Pourtant,
en faisant l’effort de rechercher dans les textes de Hobbes lui-même, cette
contradiction peut s’éclairer en levant le voile sur les lectures grossières et
déformantes de Rousseau à l’endroit du hobbisme. D’ailleurs Clément ROSSET nous
conforte dans notre position :
« La
conception hobbienne de l’état de guerre (…) a donné lieu à un autre et
fréquent contresens transmis, dès les XVII° et XVIII°siècles, indirectement par
Locke et directement par Rousseau (…) L’état de guerre est bien une des notions
clef de la pensée de Hobbes ; mais cet état est complètement indépendant
de l’idée d’agressivité naturelle : car il définit l’absence d’état ( et d’Etat), de nature (et donc
de nature agressive), c’est à dire une situation de hasard physique non aménagé
par l’artifice social »[270].
Quant
Hobbes parle de la guerre c’est par opposition à la paix. Il signifie par là
que les hommes se comportent de façon erratique. Hobbes n’est pas un pessimiste
comme veut l’entendre Rousseau. La guerre est une « volonté avérée de
se battre »[271] fermement rattachée à la vitalité
individuelle. Hobbes définit la guerre en ces termes :
« L’état
naturel des hommes avant qu’ils eussent formé la société, était une guerre
perpétuelle, et non seulement cela, mais une guerre de tous contre tous. Car
qu’est autre chose la guerre que cette saison pendant laquelle on déclare de
paroles et d’effet la volonté qu’on a de se battre ? Le reste du temps est
ce qu’on nomme la paix »[272].
C’est
pour n’avoir pas compris que Hobbes oppose la guerre à la paix que Rousseau
invite à ne pas « conclure que pour n’avoir aucune idée de la bonté,
l’homme soit naturellement méchant »[273].
Sa critique et sa compréhension du hobbisme sont donc biaisées et tronquées.
Mais malgré cette critique, l’état de nature tel que présenté à la fin du
second discours reste un état de guerre lui aussi. Il y a donc comme une sorte de reprise de ce
thème déjà présent chez Hobbes à un niveau différent de la description de
l’état de nature. La leçon nous vient d’ailleurs d’un critique de
Rousseau :
« Quelle que soit la version de
l’état de nature considéré, celle
de Hobbes, de Locke ou de Rousseau, on voit l’homme combattre pour sa survie
dans un monde où les seules réalités sont la quête de la nourriture, d’un abri,
du plaisir sexuel et l’effort pour se protéger contre la maladie et les autres
hommes. Il n’y a plus de place pour l’amour ni pour l’attachement au sol ni
pour la crainte de Dieu »[274].
Comme
on le voit la guerre est présente à l’état de nature à un degré plus ou moins
important. Elle sous-tend un débat doctrinal entre les penseurs. Rousseau lui,
après sa critique du hobbisme, aborde un autre volet de la question.
Dans
les Fragments politiques, la pensée de Rousseau subit une évolution. Nous tirerons tout
simplement les caractéristiques qu’il souligne à propos de l’état de guerre.
Tout
d’abord, Rousseau définit la guerre en ces termes : « J’appelle
donc guerre de puissance à puissance l’effet d’une disposition mutuelle,
constante et manifeste de détruire l’Etat ennemi, ou de l’affaiblir au moins
par tous les moyens que l’on peut »[275].
Par
cette définition, Rousseau récuse la guerre de chacun contre tous, car il ne
saurait y avoir de guerre entre des particuliers pris dans leur individualité.
La guerre proprement dite n’existe qu’entre Etats. Et de surcroît elle
nécessite le consentement réciproque des belligérants. Au cas contraire, elle
est simplement une agression[276].
Albert SCHINZ explique que « avant Rousseau, la guerre était
conçue comme un rapport d’Etat à particulier, et depuis celui-ci seulement
comme un rapport d’Etat à Etat »[277].
Rousseau
admet aussi que la guerre est une violence qui s’inscrit dans la durée[278].
Elle est distincte des rivalités éphémères qui mettent en contradiction les
individus. La constance des affrontements entre Etats est totalement différentes
des passions fugaces et des désirs des hommes.
Enfin,
la guerre doit remplir une condition d’objet. Il faut un objet précis sur
lequel porte la rivalité entre les individus, car « c’est le rapport
des choses et non des hommes qui constitue la guerre »[279].
En
clair, dans cette évolution doctrinale, la guerre doit remplir trois conditions
au moins : - une condition de durée ;
-
une
condition de personne ;
-
et
une condition d’objet.
A
considérer la guerre sous ce nouvel angle, est-on toujours dans l’état de
nature ? Rousseau ne
pressent-il pas une sortie annoncée de l’état de nature ? Enfin, le second
discours se situe-t-il au même niveau que les écrits postérieurs portant sur la
guerre ?
Toutes
ces questions soulèvent en filigrane le problème de l’unité de la pensée de
Rousseau.
Conclusion du chapitre premier
C’est
la violence assimilable abusivement à la guerre qui clôt l’état de nature. Elle
met un terme à une longue évolution marquée par un passage de l’homme naturel
d’une phase qualifiable de statique à une phase dynamique dite processus de
dénaturation. Pendant cette période, l’image de l’individu a beaucoup évolué.
De libre, indépendant et solitaire, l’homme naturel a vu ses facultés
virtuelles passer de la puissance à l’acte, et lui-même empiéter dangereusement
sur la liberté de ses semblables.
Ainsi,
malgré l’absence de définition formelle de l’idée de nature
«
la pensée de Rousseau sur la nature humaine est parfaitement claire, en
dépit de l’usage qu ‘il fait, quelquefois, de termes impropres ; le
contexte et les rapprochements
permettent toujours de saisir son sentiment sans erreur. Seuls ont tout
embrouillé les échos infidèles, les traductions fautives, les commentaires
passionnés »[280].
Pour
ce qui est de la fonctionnalité de l’état de nature, il convient de retenir
qu’elle sert d’étalon de mesure de la dénaturation de l’homme. Elle ne s’arrête
pas pour passer dans le domaine de l’inutilisable. « Cet ordre naturel,
quelque contenu qu’on lui donne, reste valable en civilisation ; il est la
référence par rapport à laquelle le présent est jugé et orienté »[281].
C’est ainsi que l’on définit la fonctionnalité et l’opérationnalité de l’état
de nature.
Enfin,
retenons avec ce commentateur
que :
«
à partir de ce moment, le problème qui se posera pour Rousseau sera le
suivant : comment, sans retourner à l’état de nature, sans renoncer aux
avantages de l’état de société, l’homme civil pourra-t-il recouvrer les biens
de l’homme naturel, innocence et bonheur ? »[282].
C’est à cette question que la théorie
rousseauiste de l’Etat tentera
d’apporter une réponse.
Chapitre 2 :
L’Etat ou le pouvoir
souverain
La
pensée politique de Rousseau serait incomplète si elle se limitait uniquement à
critiquer les maux dont souffre la société et à en déterminer les causes
explicatives. Car au delà de ces préoccupations étiologiques, il faut proposer,
sinon donner les lignes directrices d’une solution aux problèmes de l’homme.
Jean-Jacques Rousseau en est conscient[283].
C’est pourquoi la question de l’Etat ou de l’autorité politique est au cœur de
ses préoccupations théoriques et doctrinales. De plus, l’état de nature, avec
sa configuration dernière faite de violence, n’est ni viable ni valable pour l’épanouissement de l’individu pourtant
perfectible. Pour ces deux raisons il faut trouver une forme d’organisation
supérieure à l’individu qui en est le moteur, de sorte que l’humaine nature
puisse s’y développer correctement. C’est donc de l’Etat moderne qu’il doit
s’agir.
« L’Etat est la
puissance que les hommes doivent nécessairement instituer, s’ils veulent entrer
le plus complètement possible, en possession de la liberté et de l’égalité dont
les a privées la société actuelle. Il repose sur un contrat idéal, par lequel
l’homme se soumet à la puissance qu’il crée, à condition que celle-ci lui
assure la jouissance des biens qui font à ses yeux le prix de la vie »[284].
Il y a un certain nombre d’aspects
qui se dégagent de ce texte et permettent ainsi de bien caractériser l’Etat. Il
y a d’abord l’acte fondateur inaugural et essentiel. C’est lui qui est le début
logique et juridique de la nouvelle étape de la vie de l’homme. Par cet acte
les rapports humains prennent une orientation nouvelle radicalement différente de celle du terme ultime de l’état de
nature.
Ensuite la puissance étatique
instituée entretient des relations dialectiques avec les hommes dans leur
individualité comme l’intériorité et l’extériorité d’une même réalité. Elle
n’est pas au-dessus des hommes et ne les transcende pas. L’aspect formel de
l’Etat n’efface en rien l’expressivité et l’intériorité de la participation
individuelle à l’autorité politique.
Enfin l’acte fondateur a une
finalité bien précise. Celle-ci repose ne serait-ce qu’en partie, sur un
étalon, une mesure ou une référence antérieure donnée par la nature primitive
et originelle. Elle consiste à retrouver les attributs essentiels et
intrinsèques de l’homme, cette fois-ci dans un cadre civil plus évolué. Il va
s’agir de retrouver la liberté dans l’égalité à l’effet d’obtenir pour
l’individu la dignité dans la grandeur[285].
Et c’est là exactement que le rôle
de la nature apparaît clairement. La référence faite aux données originelles
fait dire à Pierre BURGELIN que :
« Reconstruire
une nature en tenant compte de ce que les puissances de l’homme se sont
dévoilées, et par conséquent dans une situation entièrement différente, refaire
par la force du génie humain ce que la spontanéité de la nature nous offrait au
commencement comme modèle, tel est le rêve de Rousseau »[286].
S’il n’y a pas de doute que le
pacte d’association est l’élément incontournable pour le fondement de
l’autorité politique (section 1), un grand problème subsiste cependant et se résume à travers cette
question : est-il possible, dans le cadre civil, d’évoluer conformément à
la nature principielle ? Cette interrogation trouve son importance dans le
fait qu’elle articule l’immuable qu’est la nature individuelle aux
déterminations du temps et de la communauté civile. Pourtant, Rousseau n’est
pas catégorique et absolu dans son affirmation de la primauté de
l’individualité sur l’Etat. Son écriture semble vaciller en penchant plutôt pour un retour à
l’homme (section 2) qu’à l’acceptation de la toute puissance de l’Etat. Par le
jeu d’un langage mathématique de la proportionnalité et du dédoublement[287],
il essaie de sortir de cet écueil qui est une très grande brèche dans laquelle
la critique moderne trouve un argument solide et une opportunité pour attaquer
d’une certaine manière la doctrine rousseauiste.
Section 1 : Le fondement de
l’autorité politique
Dans la philosophie
politique de Jean-Jacques Rousseau, l’autorité politique n’est pas une donnée
naturelle. Elle requiert un fondement légal qui donne ainsi à la société son
acte de naissance et au pouvoir sa légitimité nécessaire à l’exercice
souveraine de sa puissance. C’est
un moment capital et décisif dans la vie des hommes et de l’espèce car « le
genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être »[288].
Ce changement ne s’effectue pas
n’importe comment. Il a une
finalité. En cela il est différent du pacte spécieux de la fin du second discours dont la grande caractéristique
est qu’il renvoie à une nullité juridique et à un non-sens du point de vue
moral. Ici, il s’agit plutôt de retrouver ou de créer les conditions, les
structures ainsi que les rouages qui se traduisent, dans la vie de l’homme et
dans ses rapports humains, par l’équité et la justice.
En effet, l’usage d’un cadre formel
pour poser le fondement de l’autorité politique permet d’inscrire au départ
l’idée essentielle de l’existence de la liberté humaine. Tout l’enjeu de ce
choix réside dans cette idée, ce qui fait aussi toute la délicatesse de
l’écriture rousseauiste. Le Citoyen de Genève part d’une idée du contrat social
(1.1) pour poser l’acte de mutation anthropologique, sociologique, juridique et
même psychologique dans la vie de l’homme. Après cela seulement, le peuple
souverain (1.2) peut légalement voir le jour pour exercer l’autorité souveraine
dans les conditions acceptées lors de l’institution de l’agrégat social.
1.1-Le contrat social
Le contrat social
matérialise le fondement de la société civile. Rousseau fait un usage de cet
« artifice correcteur »[289]
pour résorber le désordre de l’état de nature. Il permet en effet de passer
d’un néant de société à la société politique civile. Selon l’expression de
Rousseau, il est « l’acte par lequel un peuple est un peuple »[290].
C’est par conséquent l’acte incontournable, voire même le fait obligatoire pour
entrer dans l’état civil. Selon Claire SALOMON-BAYET, « le contrat social substitue à la durée la
vertu de l’instant qui opère la transmutation immédiate de l’état de nature en
état civil »[291].
Qu’en est-il de ce contrat
social ? Quel est son objet ? Quelles métamorphoses capitales
introduit-il dans la vie de relation ? La réponse à ces
interrogations permettra de mieux
cerner la nature du pacte fondamental et ses répercussions sur l’individu.
La conception contractualiste de la société politique
remonte aux jurisconsultes. Rousseau en hérite et s’en approprie comme certains
de ses prédécesseurs et contemporains. Cette conception se démarque de
l’origine divine de la société telle que prônée par Bossuet, du patriarcat, de
la société naturelle chère à Aristote que Rousseau ne manque pas de
critiquer au passage[292],
et même de l’idée de certains jurisconsultes comme Grotius et Pufendorf avec
son double contrat[293].
Elle se différencie également de
l’idée du pacte hobbien. Pour Thomas Hobbes, le pacte est établi pour enrayer
la menace du danger mortel causée par la guerre de chacun contre tous en vertu
du droit naturel sur toutes choses. Le but du contrat, conformément à la
première loi de nature est la recherche de la paix[294].
Sa modalité d’édification est « la transmission mutuelle de droit »[295]
en vertu des présupposés individualistes et mécanicistes dans la doctrine
hobbienne.
Par contre chez Rousseau, le but du
contrat social est de retrouver et de sauvegarder la liberté humaine
fondamentale conformément à la nature originelle. La conservation de la
liberté est une exigence
essentielle à laquelle l’homme politique, même civilisé, ne saurait se passer. Car elle fait
partie des attributs qui justifient son humanité. Le contrat rousseauiste
accommode le contrat avec la liberté. Il permet la dénaturation positive dans
le cadre social. Il consiste à :
« trouver une
forme d’association qui défende et protège par la force commune la personne et
les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous,
n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant »[296]
.
La première particularité du
contrat rousseauiste c’est qu’il est un pacte unique d’association. C’est à
dire que d’une part, il se différencie du réseau de contrats hobbien dans la
mesure où c’est d’un mouvement
d’ensemble de la collectivité qu’il s’agit et non une transmission
mutuelle ; et que d’autre part le contrat ne se fait pas avec un tiers
supérieur ou extérieur au profit de qui les droits individuels seraient
transférés. Au contraire, il y a comme une sorte de simultanéité entre le fait
de contracter et l’apparition de la collectivité qui exerce l’autorité souveraine sans en exclure aucun de
ses membres.
Louis ALTHUSSER y trouve un
décalage. L’individu et la communauté respectivement partie prenante 1 et 2
(notées PP1 et PP2) n’ont pas le même statut considéré sous l’angle de leur
existence antérieurement et extérieurement à l’acte de contracter. Il note
que :
« Dans le contrat social de
Rousseau, seule la PP1 obéit à ces conditions. La PP2 au contraire y échappe.
Elle n’existe pas antérieurement au contrat, pour une bonne raison : elle
est elle-même le produit du contrat. Le paradoxe du Contrat social est donc de mettre en présence les deux PP, dont
l’une existe antérieurement au contrat, mais dont l’autre n’est ni antérieure
ni extérieure au contrat puisqu’elle est le produit même du contrat,
mieux : son objet, sa fin »[297]
.
D’un point de vue logique, cette
remarque est pertinente. Elle met à nu une insuffisance du rousseauisme dans sa
conception du contrat social. Toutefois, le critique se trompe lorsqu’il s’agit
de déterminer exactement l’objet et la fin du contrat.
La seconde particularité du contrat de Rousseau, c’est la
liberté. L’objet réel du contrat, c’est d’instituer l’Etat pour mettre un terme
à l’anarchie de la violence de l’état de nature. Mais cet Etat ne peut
subsister qu’à la seule condition de recouvrer la liberté des hommes dans le
cadre civil. Le contrat apporte un souffle nouveau et métamorphose la liberté
naturelle en liberté civile. Il apporte une caution juridique et une garantie
morale à la liberté en évacuant « l’effet de la force ou le droit du
premier occupant ».
Rousseau affirme que :
« Ce que
l’homme perd par le contrat c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à
tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la
liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède »[298].
Autrement dit, c’est d’une
transformation radicale par compensation qu’il s’agit. Le contrat instaure un
nouveau cadre marqué par la légalité dans les actions
et dans les relations humaines. Rousseau réinvente un homme libre dans
un cadre civil en « substituant dans sa conduite la justice à
l’instinct, et en donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant »[299].
L’homme qui se faisait comparer à l’animal à l’état de nature, se transforme
ainsi en sujet juridique et en sujet éthique. Le premier aspect se situe dans
la sphère des relations extériorisées et formelles, tandis que le sujet éthique
se trouve dans le domaine de l’expression interne et individualisée de la règle
communautaire[300].
C’est le droit qui permet cette
transformation. Le contrat social fait apparaître le droit dans sa forme
positive. Son expression est la Loi dont la fonction principale est d’indiquer
le licite et l’illicite, le juste et l’injuste. Ainsi, les lois créent les
conditions de la stabilité. Elles permettent même de mieux comprendre les
clauses du contrat et leur incidence dans la doctrine rousseauiste. A propos de
celles-ci, Rousseau fait remarquer que :
« Ces clauses
bien entendues se réduisent toutes
à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits
à toute la communauté (…) De plus, l’aliénation se faisant sans réserve,
l’union est aussi parfaite qu’elle ne peut l’être et nul associé n’a rien à
réclamer »[301].
Les clauses du contrat réduites à
cette aliénation totale peuvent, à certains égards et interprétées
tendancieusement, ressembler à une dérive totalitaire. Mais c’est une
possibilité qu’enraye la fonction
libératrice de la loi.
Dans le Discours sur l’économie
politique Rousseau
exprime son admiration pour la loi malgré les apparences de servitude liées au
contrat social. Il s’interroge et répond immédiatement au sujet de ce paradoxe
apparent :
« Par quel art inconcevable, écrit-il, a-t on pu trouver le
moyen d’assujettir les hommes pour les rendre libres ? (…) Comment se
peut-il qu’ils obéissent et que personne ne commande, qu’ils servent et n’ayant
point de maître ; (…) Ces prodiges sont l’ouvrage de la loi. C’est à la
loi seule que les hommes doivent la justice et la liberté. C’est cet organe
salutaire de la volonté de tous, qui rétablit l’égalité naturelle entre les hommes. C’est cette
voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes de la raison publique et
lui apprend à agir selon les maximes de son propre jugement et à n’être pas en
contradiction avec lui-même »[302]
.
Ce long texte montre l’importance
des lois. Elles seules donnent vie au contrat social en définissant les
modalités pratiques d’existence des hommes. Elles ont leur point d’ancrage dans
les individualités[303]
avant d’être expression impersonnelle et générale de la société entière.
Par ailleurs, cette qualification de la loi ainsi que son
adjonction au contrat social autorisent le fondement de l’autorité politique
tout en évacuant en même temps le débat sur le caractère obligatoire de la
convention et la question de la sanction morale pour l’individu qui ne tiendrait pas ses promesses ou
engagements. Le problème de la réciprocité obligative est ainsi posée :
« Un pacte n’a
de sens que si ceux qui le concluent se sentent liés par l’engagement qu’ils
prennent. Cela suppose non seulement qu’ils ne soient pas contraints de donner
leur consentement, mais qu’ils aient aussi le respect de la parole donnée »[304]
.
Le problème de la sanction morale
avant l’établissement des lois peut ne pas se poser dans la doctrine
rousseauiste pour les raisons suivantes :
- l’acceptation du contrat pour
obtenir la liberté dans l’état civil est préférable au cercle catastrophique de
l’état de nature ;
- la liberté dans n’importe quelle
condition est un bien supérieur et préférable à tout autre car elle seule
permet à l’homme de se réaliser pleinement ;
- enfin, dans la mesure où les
temps de l’innocence sont révolus à jamais et que même dans le cadre civil il
n’est pas question de renoncer à sa qualité d’agent libre (« on le
forcera à être libre »),
l’homme n’a pas besoin de la menace d’une sanction pour conclure un pacte tout
à son avantage.
Par conséquent, tout
ceci revient à dire que la finalité du contrat est la réalisation de l’homme
libre dans un cadre civil conformément à sa nature essentielle. En aucune
manière « le souci de sauvegarder la liberté de l’individu ne saurait
être mis en doute chez Rousseau ; qui plus est, elle est posée comme
postulat et comme finalité dans la problématique du contrat »[305].
Le contrat social est ainsi le premier pas décisif vers l’état civil. Il reste
à instaurer un pouvoir souverain en faisant de la multitude une unité.
1.2-La volonté générale et la
souveraineté
L’essentiel n’est pas
de conclure un pacte d’association. Pour entrer effectivement dans la société
civile, dans la République, et faire de la multitude disparate sortant de l’état de nature un corps
homogène, il faut arriver à lui donner une unité. En réalité seule l’unité du
corps politique peut enrayer les comportements erratiques en donnant naissance
à ce nouvel organisme fruit du contrat social et qui rassemble l’ensemble des
individualités. Rousseau, lui, trouve l’unité non pas dans la matérialité du
pouvoir, mais plutôt dans la volonté générale contrairement à Hobbes qui
utilise la théorie de la représentation[306].
C’est dans son Discours sur l’économie politique que Rousseau aborde pour la première fois la théorie de la
volonté générale. Celle-ci représentait pour lui un modèle de communication
organique interne. Comparant le corps politique à l’organisme humain, Rousseau
écrit que :
« le corps
politique est donc aussi un être moral qui a une volonté ; et cette
volonté générale, qui tend toujours à la conservation et au bien être de tout
et de chaque partie, et qui est la source des lois… »[307].
Ensuite, dans les premiers
chapitres du livre II du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau définit le pouvoir souverain
dans ses caractères généraux. Il rattache la volonté générale à la
souveraineté. Dès la phrase liminaire de cette partie, Rousseau fait cette
affirmation qui donne toute la
mesure de l’importance de la volonté générale dans l’existence et l’exercice de
la souveraineté :
« La première et la plus
importante conséquence des principes ci-devant établis est que la volonté
générale peut seule diriger les forces de l’Etat selon la fin de son
institution, qui est le bien commun : car si l’opposition des intérêts
particuliers a rendu nécessaire l’établissement des sociétés, c’est l’accord de
ces mêmes intérêts qui l’a rendu possible. (…) je dis donc que la souveraineté
n’étant que l’exercice de la volonté générale… »[308].
Autrement dit, la volonté générale
est le nouvel organisme qui permet et facilite l’existence de l’Etat. Cela ne
veut nullement dire que les hommes soient soumis à une autorité extérieure,
puissante et arbitraire[309]
. Egalement cela ne signifie pas que les individualités vont vivre selon leur
propre pouvoir et leur volonté particulière[310].
Par la volonté générale, Rousseau introduit la balance et l’équilibre dans l’exercice de la
souveraineté, et par conséquent dans l’Etat.
Ainsi, Jean-Jacques Rousseau écarte
toutes les sociétés particulières, et tous les intermédiaires potentiels entre
le souverain et le peuple. Dans la mesure où la souveraineté est indivisible[311]
et que la volonté générale ne peut en aucune manière errer[312],
les sociétés particulières, les factions et les particuliers ne peuvent délibérer
pour le compte de la collectivité. Leurs délibérations seront partielles et de
ce fait, elles ne peuvent être
tenues pour légitimes. Ce monisme juridique annihile en principe toute
conflictualité entre la volonté générale et la volonté particulière sans pour
autant effacer cette dernière. Seul le peuple uni en tant que collectivité
ayant une existence sui generis est souverain d’autant plus que « le souverain
est un être collectif »[313]. C’est ainsi que réfléchissant sur « un mécanisme
politique qui donnerait à ce pouvoir suprême le moyen de s’exercer » Bernard BOSANQUET note
ceci :
« Avec la
conception philosophique de Rousseau, maintenant, le problème change de niveau,
et apparaît la seule solution pratiquement possible. Il fallait insister sur la
réalité supérieure de quelque chose qui n’est pas un individu humain visible, mais qui est
l’esprit ou la pensée sous jacente d’un corps d’individus, pour qu’une volonté
à la fois positive et générale pût être pensée »[314].
Ce qui se dégage a priori, c’est que la volonté générale
n’est pas étrangère aux individus. Elle est une rencontre, à un niveau
supérieur, entre l’individu et la communauté, par delà le « murmure
des volontés particulières ». Et d’ailleurs pour mieux caractériser la volonté générale,
Jean-Jacques Rousseau utilise le langage comptable de la proportionnalité. Il
écrit que :
« Il y a
souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté
générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à
l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières : mais
ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste
pour somme des différences la volonté générale »[315].
La volonté générale est donc le
mécanisme qui permet à Rousseau d’obtenir l’unité du peuple et d’établir la
souveraineté qui a son siège dans ce même peuple. Mais c’est aussi à ce niveau
de sa théorie que se rencontrent, peut être, les plus grandes difficultés.
Le problème essentiel qui divise
d’ailleurs les commentateurs et les critiques se pose en terme d’efficacité et
d’efficience réelles de la volonté générale. En plus clair, le débat s’articule
autour de la résolution du dilemme entre l’individu et la communauté surtout eu
égard à la question de la droiture de la volonté générale par rapport aux
volontés particulières. La brèche est ouverte par Rousseau lui-même lorsqu’il
précise que :
« (…) la volonté générale est
toujours droite et tend toujours à l’utilité publique : mais il ne
s’ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude.
On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours… »[316].
Même en définissant les bornes du
pouvoir souverain dans le cadre de la mise en œuvre de ce pouvoir, Rousseau
utilise une image et une terminologie qui ne passent pas inaperçues aux yeux de
ses adversaires et contradicteurs. De plus, il semble même que l’auteur du Contrat
social a tendance
à reprendre le thème hobbien de l’aliénation totale[317].
Rousseau s’engage dans la voie de l’absolutisme du pouvoir. Il écrit que :
« Comme la nature donne à
chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte social donne au
corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens et c’est ce même pouvoir,
qui, dirigé par la volonté générale
porte, comme j’ai dit, le nom de la souveraineté »[318]
.
Cette déclaration de Rousseau est
celle qui provoque les interprétations les plus éloignées. Elle fait surgir
également les images les plus passionnées pour ce qui concerne la question du
totalitarisme. Globalement, deux positions s’affrontent au sujet de
l’explication de cet aspect de la pensée de Rousseau. La première position
s’inscrit dans la voie de l’explication par la compréhension sans interpréter
abusivement le texte. La seconde, prenant en compte la critique rousseauiste de
l’absolutisme hobbien, saisit cette opportunité pour ranger le Citoyen de
Genève et le philosophe de Malmesbury dans la même lignée des philosophes
absolutistes.
L’explication qui va dans le sens
de la compréhension humaniste du rousseauisme trouve son fondement dans l’enracinement anthropologique de
la doctrine de Rousseau. C’est de l’homme qu’il faut partir en donnant toute la valeur à sa raison
et à sa volonté de vivre libre et heureux dans le cadre civil de la société du
contrat. Les propos suivants de Eric WEIL s’inscrivent dans cette perspective :
« Seul avec lui-même, et
s’ouvrant à la voie de la raison, l’individu doit chercher la volonté générale.
C’est aussi pourquoi Rousseau a été capable de dépasser l’opposition entre
collectivisme et individualisme : l’individu raisonnable, en tant que tel,
l’individu qui fait taire ses intérêts particuliers et ses passions, est en
lui-même universel, et sa volonté vraiment libre ne peut différer quant à son
contenu de celle de n’importe quel individu également raisonnable. Tous et
chacun, ils ne peuvent que vouloir le bien de la communauté, le bien
raisonnable »[319].
Au contraire, si le problème est
abordé à partir de l’Etat et de la collectivité exprimée par l’idée de volonté
générale, l’interprétation du rousseauisme offre un autre visage. Ceux qui se
sont le plus illustrés dans cette perspective sont : la critique libérale
avec Benjamin CONSTANT et Lester G.
CROCKER, le juriste de type constitutionnaliste qu’est le doyen Léon
DUGUIT, et certains comme Jean MAREJKO.
Pour la critique libérale, Hobbes
et Rousseau sont tous deux « des fauteurs de despotisme »[320].
Elle ne peut cautionner l’idée d’une aliénation totale de l’individu au profit
de la communauté, même si Rousseau en déduit la liberté civile plus avantageuse.
Pour Lester G. CROCKER:
« Là encore, il semble difficile
de nier que Rousseau, en
dépit de son noble idéal, ouvre la porte au collectivisme et au totalitarisme -
si en réalité il n’y entre pas. Au regard de sa théorie de la nature humaine et
de la société, n’est-il pas évident que Rousseau soit lié par la crainte de la
liberté individuelle ? L’intégration de la personnalité individuelle dans
la collectivité sociale implique en même temps un processus coercitif à travers
l’éducation et la loi (…) »[321].
La critique libérale ne s’attarde
pas sur la forme du pouvoir. C’est plutôt dans l’expression de ce pouvoir
souverain que se manifeste le totalitarisme. D’ailleurs pour Lester G. CROCKER
« l’opposé du totalitarisme n’est pas la démocratie »[322]
.
Les
constitutionnalistes, quant à eux, se posent des questions relatives au système
d’institutions politiques ainsi que sur les principes qui les régissent[323].
Et en vertu des réponses obtenues, ils se prononcent sur la nature du pouvoir.
Le verdict de Léon DUGUIT est sans appel. Il considère Rousseau, ou plutôt sa
pensée, comme « l’initiateur de toutes les doctrines de dictature et
de tyrannie (…) Il suffit d’ouvrir le Contrat
social pour
voir comment Rousseau sacrifie sans réserve les droits de l’individu à la toute
puissance de l’Etat »[324].
Ce jugement du juriste est sans aucun doute trop sévère. Il représente la
poussée extrême dans l’interprétation de l’aliénation totale chez Rousseau.
Par contre Jean MAREJKO relativise le point de vue en prenant en considération
l’environnement intellectuel de Rousseau. Il reconnaît certes le totalitarisme
dans la doctrine rousseauiste, mais avec un bémol. Selon lui :
« Le
totalitarisme n’est pas né d’esprits pervers et despotiques, mais du désir de
faire le bien. C’est même dans une véritable orgie de bonnes intentions qu’il
prend corps. Cette orgie, aucun siècle n’ y a plus voluptueusement participé
que le XVIII° siècle. Et dans ce siècle, personne n’a désiré plus ardemment et
naïvement faire le bien de l’humanité que Jean-Jacques Rousseau. C’est chez lui
qu’on peut voir comment ce désir conduit sous les bannières de la libération
universelle, au grand enferment
des âmes et des peuples »[325].
Il disculpe ainsi, d’une certaine
manière, le Citoyen de Genève des critiques acerbes de l’interprétation
radicale de sa doctrine. Tout en reconnaissant cette possibilité de
qualification totalitaire, il estime que le but recherché était plutôt la
libération de l’homme. Est-ce donc un manque de vigilance de la part de
l’auteur ? Ou alors est-ce une volonté délibérée de sa part ? C’est
peut être dans le retour à l’homme, pour voir comment il s’agrège au pouvoir,
que l’explication et les réponses à ces questions sortiront.
Section
2 : Le retour à l’homme
En vertu de son enracinement
anthropologique et de son présupposé individualiste confirmés depuis l’état de
nature, la politique de Jean-Jacques Rousseau ne pouvait évacuer
définitivement la question de
l’homme au sein de l’Etat. L’homme demeure l’entité insécable pour qui l’Etat
est institué. L’Etat n’est pas sa propre fin. Même si le Contrat social semble se préoccuper exclusivement
de l’Etat, dans l’Emile ou de l’éducation, dans Julie ou la Nouvelle Héloïse transparaissent des préoccupations
purement rattachées à l’individu dans le sens de la facilitation de son
intégration dans la vie sociale civile.
En effet, la question se posait de
savoir comment s’effectue le saut qualificatif de l’individualité naturelle à
la totalité politique et sociale, non pas seulement d’un point de vue formel,
mais en tant que processus de modification des dispositifs naturels virtuels de
l’homme au cours de leur déploiement. Après l’établissement du pacte social, ce
problème peut paraître comme une régression. Cependant il est au cœur de la politique
rousseauiste et se traduit à
travers ces couples d’opposition : privé – public, nature – culture ou
artifice, individu – Etat, démocratie-absolutisme.
S’il convient que tous ces aspects
peuvent être exhumés dans la doctrine de Rousseau, il reste cependant que chez
lui le passage de l’individu à la collectivité ne constitue pas en soi une
contradiction, car la conduite sociale et civile s’enracinent d’abord dans
l’individu avant de s’exprimer dans sa dimension relationnelle. Emile BOUTROUX écrit à ce propos que :
« traçant,
en théoricien, le plan d’une organisation rationnelle de la vie humaine,
Rousseau place au commencement la constitution de l’Etat, non comme la pleine réalisation de la nature
humaine, mais plutôt comme condition extérieure de cette liberté »[326]
.
Autrement dit, cela revient à accréditer l’idée d’un retour à
l’homme. Le retour à l’homme s’entend
comme l’examen des processus d’intériorisation des éléments de base de
la sociabilité ainsi que la détermination des relations que l’homme entretient
avec l’Etat.
C’est ainsi que l’étude du retour à
l’homme s’articulera autour de la compréhension de l’homme politique civil
(2.1) à travers le processus éducatif ainsi que sa participation aux manières
d’être collectives par le biais de
la religion civile ; et du rôle qu’il joue dans l’Etat à travers son
rapport avec le pouvoir souverain. (2.2).
2.1 – L’homme politique civil :
éducation et religion civile
L’homme politique civil
est celui qui est pétri de valeurs sans lesquelles la vie sociale dans l’Etat
ne saurait être. C’est celui qui,
tout en gardant son individualité
propre, sait en même temps se diluer dans le grand être collectif qu’est
l’Etat. Ce serait de nos jours le citoyen, non pas simplement dans son
acception juridique, mais également dans sa dimension éthique, c’est à dire là
où se rencontrent et se complètent ce qui tient du privé et ce qui de l’ordre
du public, jusque et y compris dans les manifestations qui relèveraient de la
conscience collective commune.
En clair, l’homme politique civil
est tout d’abord un homme éduqué et qui fait ensuite siennes les valeurs de la
collectivité. Et c’est dans cette optique que l’éducation peut participer de
l’éclairage du retour à l’homme.
Pour Gustave LANSON, la prise en
compte de l’éducation résout une question plus délicate liée à l’unité de la
pensée de Rousseau. Il s’y prend ainsi :
« Mais alors
que reste-il pour que la doctrine du Contrat
ne soit pas une
pure chimère ? Il reste l’Emile, c’est à dire l’éducation. La
république de la volonté générale ne peut être que la république des bonnes
volontés individuelles. Le Contrat
fera entrer dans la vie sociale un plus grand nombre d’Emiles, à mesure
que s’opère la restauration de l’homme naturel dans l’homme civil »[327].
Cette position s’oppose non
seulement à celle qui prône la synthèse par la révolution[328],
mais aussi à d’autres. Pour Yves VARGAS, il est clair que :
« Contrairement
à une réputation tenace, Emile n’est pas un traité d’éducation.
Rousseau y étudie par quels mécanismes la nature humaine se développe dans le
sens de la sociabilité ». Et il ajoute que « Toute grande philosophie répond aux questions des
pédagogues sans être pour cela un traité d’éducation »[329].
Malgré les positions
contradictoires et apparemment inconciliables, il convient de reconnaître que
le passage de l’homme naturel à l’homme civil nécessite un réel apprentissage.
Que l’Emile
soit ou non un traité d’éducation peu importe, (même s’il a profondément marqué
la grande figure philosophique du XXIII° siècle que présente Kant jusqu’à lui
inspirer des Réflexions sur l’éducation[330] ; et dans la pratique en
offrant à Basedow une source pour son institut nommé le Philanthropinon et son
ouvrage titré l’ Elementarwerk), l’essentiel réside dans la finalité et l’intérêt rattachés à l’éducation dans la
philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau. Et de surcroît, l’Emile ou
de l’éducation n’a
pas l’exclusivité de la question éducationnelle ; Rousseau définit
précisément ses concepts d’ « éducation négative » et d’ « éducation positive » dans la Lettre à M. De
Beaumont.
En effet, il ne s’agit pas ici de
retracer le processus décrit dans ce texte de 1762. L’éducation occupe une
fonction déterminée et joue un rôle dans la philosophie politique de Rousseau.
Qu’en est-il effectivement ? Cette interrogation n’est pas notre seul
apanage. Un éminent commentateur de Rousseau écrit :
« Lorsqu’on suit l’évolution de
la pensée de Rousseau sur l’éducation, l’aspect philosophique se marque de
mieux en mieux (…) Si l’homme n’est lui-même qu’au sein d’un groupe,
l’éducation n’est-elle pas affaire politique ? N’est-ce pas au législateur
de prévoir la nourriture des
futurs citoyens ? Rousseau, admirateur des Anciens, l’a d’abord cru. L’éducation
est d’utilité publique »[331].
Cette réflexion fixe la place de
l’éducation dans le dispositif rousseauiste. L’éducation, chez le Citoyen de
Genève, n’a pas un intérêt pédagogique, mais plutôt politique, parce que tout
est lié à la politique chez Rousseau. Elle permet de modeler l’homme de sorte
que d’un côté il garde sa nature essentielle et que de l’autre il soit
véritablement préparé à intégrer le corps social. La réinvention de l’homme, ou
l’éducation de l’homme nouveau[332]
passe nécessairement par ce processus. Telle est la finalité de l’éducation qui
doit préparer l’homme à vivre au sein de l’Etat. La conception rousseauiste de
la religion répond également à cette préoccupation civile.
L’homme politique
rousseauiste manifeste aussi son intégration à l’Etat par le biais de la
religion. Il ne s’agit pas de la religion des prêtres, mais d’une religion à la
dimension de l’Etat dont le rôle est de renforcer la cohésion sociale et que
l’on désigne sous ce vocable original de religion
civile.
Si le Contrat social et l’Emile ou de l’éducation furent tous deux indexés, la
question de la religion n’y est pas étrangère. Et cela s’est traduit par une
attitude
critique de l’Eglise à l’endroit du
rousseauisme[333] décrit
comme « rempli d’inconséquences et d’impiétés » et l’auteur lui-même vu
comme « Satan »
ou « Goliath ».
Jean-Jacques Rousseau traite de la religion dans plusieurs
textes et de manière très inégale : dans le Contrat social[334], à travers la Profession de foi
du Vicaire Savoyard[335], dans les Lettres écrites de
Montagne[336] , et même dans la Lettre à
Christophe De Beaumont[337], pour l’essentiel.
Religion et éducation ne sont pas
incompatibles dans la doctrine rousseauiste pour deux raisons. La première
tient au fait que la Profession
de foi du Vicaire Savoyard s’intègre parfaitement à l’Emile ou de l’éducation en son livre IV. La seconde raison
est la nécessité sociologique de l’unité sociale. Rousseau écrit ceci :
« Pourquoi un homme a-t-il
inspection sur la croyance d’un autre et pourquoi l’Etat a-t-il inspection sur
celle des citoyens ? C’est parce qu’on suppose que la croyance des hommes
détermine leur morale et que les idées qu’ils ont de la vie à venir dépend leur
conduite en celle-ci (…) »[338].
Il est clair par là que la religion
a une fonction politique très importante. Elle s’enracine dans le cœur de
chaque citoyen pour mieux bâtir l’unité sociale. En cela elle diffère de la
religion des prêtres et des théologiens qui distinguent nettement le spirituel
du temporel. La religion ici est civile, c’est à dire qu’elle est sans cultes,
rites, temples, mystères, cérémonies et miracles sinon ceux destinés à
renforcer la conscience citoyenne indispensable à la cité du contrat social.
A l’opposé des philosophes qui ont
la plupart du temps une vision critique de la religion et qui devient souvent
une ligne de rupture dans leur doctrine, Rousseau oriente la religion dans le
sens civil qui convienne le plus à l’homme et à la société entière. Pour Pierre
BURGELIN :
« La religion remplit une
fonction sociale : elle établit l’unité du groupe. L’homme n’a pas
d’instinct social, la société ne répond à aucun appel de sa nature, elle est
essentiellement corrosive. Il faut donc que l’unité sociale trouve en
chacun de nous, désormais divisé, un appui : il faut une force qui soit
capable de réaliser en chacun sa nouvelle unité et qui en même temps inscrive
en lui l’exigence sociale, sur le plan moral. Tel est le rôle de la religion… »[339].
Et c’est ainsi que se comprend la
jonction entre la religion et la politique par le biais de la connotation
morale introduite par la religion à l’instar de l’éducation. L’argumentaire
théologique n’est pas le créneau exploité par le Citoyen de Genève.
Il s’intéresse plutôt aux effets de
la religion sur la société et sur les individus en particulier, car « si
l’homme est fait pour la société, la religion la plus vraie est aussi la plus
sociale ; car Dieu veut que nous soyons tels qu’il nous a faits… »[340]
. Rousseau se démarque alors de toute religion au sens théologique pour montrer
les avantages de la religion civile. Il écrit que : « en ôtant des
institutions nationales la religion chrétienne , je l’établis la meilleure pour
le genre humain »[341].
Ce sont là des propos et une attitude nouvelle qui ne lui attirent pas la
sympathie de l’Eglise et de certains critiques qui vont même jusqu’à qualifier
Rousseau d’athée ou de franc-maçon[342]
.
Toutefois, malgré ces difficultés,
nous retenons fermement, et en accord avec le professeur Jean FERRARI, cette
place de la religion :
« Dans la
philosophie politique de Rousseau, la religion est donc mise au service de la
cité. L’éternel n’est évoqué que pour assurer le temporel. (…) si la profession
de foi civile – et c’est bien ainsi que Rousseau l’entend – n’est pas une
simple formalité destinée à rassurer
le souverain sur les sentiments des citoyens, mais l’expression sincère
d’une certitude, non de la raison trompeuse et changeante, mais du cœur, elle
rejoint, par son contenu, celle du vicaire et
par l’une et l’autre le plus important réside moins dans les affirmations
dogmatiques que dans les devoirs de l’homme et du citoyen que celles-ci
justifient »[343]
.
En somme l’homme
politique civil chez Rousseau est un homme éduqué, formé pour la vie dans
l’Etat, et surtout doué d’un sentiment religieux qui est aussi une foi en
l’organisation sociale. La leçon qui se retient de cette double qualification
de l’homme civil, c’est que son engagement social au sein de l’Etat est une
impression gravée en lui, dans son cœur et dans son être. C’est un engagement
volontaire d’un homme qui se veut libre dans son rapport avec le Souverain.
2.2 – Le rapport au pouvoir souverain
La détermination exacte
de l’homme dépasse son cadre individuel. Elle suppose une mesure extérieure
qui, dans le cadre de la cité du contrat, ne peut être que le pouvoir issu du
pacte. Dans la mesure où la politique de Rousseau a une marque fortement
anthropologique, il faut par conséquent déterminer le rôle et la place de
l’homme civil dans l’Etat, autrement dit, il s’agit de préciser le rapport
entretenu avec le Souverain.
Dès le chapitre VI du livre I du Contrat
social, Jean-Jacques
Rousseau précise sa terminologie en y mettant un contenu sémantique :
« (…) cet acte
d’association produit un corps moral et collectif composé d’autant de membres
que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi
commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par
l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de
corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain
quand il est actif, Puissance en le comparant à ses
semblables. A l’égard des associés ils prennent collectivement le nom de peuple et s’appellent en particulier Citoyens comme participants à l’autorité souveraine, et Sujets comme soumis aux lois de l’Etat »[344]
.
La puissance relevant des relations
internationales, dépasse notre cadre, tandis que l’Etat en tant que totalité
passive ne met pas en relief le sujet ou citoyen ; ils ne retiennent donc
pas notre attention. Le nœud du problème se situe dans le dédoublement de
l’homme comme sujet prouvant sa soumission et son intégration à
l’Etat d’un côté, et comme citoyen participant effectivement à l’exercice de l’autorité
souveraine, de l’autre côté. De façon plus explicite, Rousseau nous fait comprendre
ce double engagement du citoyen
ainsi : « (…) chaque individu, contractant pour ainsi dire, avec
lui-même, se trouve engagé sous un double rapport ; savoir, comme, membre
du Souverain envers les particuliers, et comme membre de l’Etat envers le Souverain »[345].
Au point de vue de l’organisation
sociale, ce dédoublement fait donner la préférence à un mode précis de fonctionnement de l’Etat, autrement dit
une répartition des tâches entre l’exécutif et le législatif dans le cadre de
la démocratie directe avec en arrière plan le problème de l’unanimité. Et du
point de vue de la finalité, c’est au niveau des effets induits, à travers la
participation directe de l’individu à la souveraineté, qu’il faut entendre la
quintessence de son rapport avec le pouvoir souverain.
Techniquement, l’organisation
sociale fonctionne par et avec la participation effective de tous les
contractants. Réuni, l’ensemble des participants détient la puissance
législative. Autrement dit c’est le peuple lui-même qui vote les lois de la République
que l’Etat est chargé d’exécuter. Si l’Etat détient le pouvoir dans la
pratique, en réalité l’ordre de préséance met en avant les délibérations du
peuple sans quoi l’Etat n’aurait pas d’objet encore moins de limites pour
l’exercice de ses attributions. Ainsi, la part active que prend le peuple pris
dans son intégralité est la traduction du rôle décisif et de la place centrale
qu’occupe l’homme dans le dispositif fonctionnel de l’Etat rousseauiste. Et
c’est cela que l’on appelle la démocratie définie ici par Hans KELSEN :
« Démocratie signifie identité du sujet et de l’objet du pouvoir, des
gouvernants et des gouvernés, gouvernement du peuple par le peuple »[346]
.
Ainsi donc, l’homme civil
rousseauiste se sent concerné et impliqué au premier chef. Il s’identifie et se
confond avec le pouvoir car il est une partie intégrante du Souverain. Cela
transparaît non seulement dans sa définition de la loi, mais également et
surtout dans celle de la République[347].
Toutefois cela n’occulte pas les
difficultés, ou en tout cas une difficulté majeure, perceptible à travers les interrogations angoissantes
symptomatiques d’un problème dans le rousseauisme. L’auteur du Contrat
social, après
avoir définit la loi se pose les questions ci-après :
« (…) Comment
les règleront-ils ? Sera-ce d’un commun accord, par une inspiration
subite ? Le corps politique a-t-il un organe pour énoncer ses
volontés ? Qui lui donnera la prévoyance nécessaire pour en former les
actes et les publier d’avance, ou comment les prononcera-t-il au moment du
besoin ? Comment une multitude aveugle qui souvent ne sait ce qu’elle
veut, parce qu’elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle
d’elle-même une entreprise aussi grande aussi difficile qu’un système de
législation ? »[348].
Ce doute dont fait part Rousseau,
et qui se fonde sur l’imperfection humaine, pose un problème lié à la
clairvoyance de la subjectivité individuelle et aussi de la convergence des
volontés particulières pour ce qui touche les délibérations du peuple.
Par la détermination de la volonté
générale qui est droite, inaliénable et qui ne peut en aucun cas errer,
Rousseau avait anticipé sur la résolution de ce problème, s’il en est un. Selon
Charles EISENMANN, le problème de l’unanimité est un faux argument, tiré du
dehors qui plus est[349].
Par conséquent, sur le plan du
fonctionnement de l’organisation sociale nous retenons la place centrale qu’y
occupe l’homme. Doué de raison et éduqué, il intègre parfaitement la
communauté, prend une part active dans ses délibérations et se plie volontairement
aux résultats de celle-ci. L’homme devient sa propre mesure et ne serait plus
opposable à une puissance extérieure supérieure et transcendante au nom du
principe de l’égalité avec ses semblables[350].
Il est donc clair que :
« contrairement à la théorie
consensualiste de la tradition, l’individu-sujet se taille une part de la souveraineté, les conditions sont
posées, sinon constitutionnelles, du moins anthropologiques, qui permettront à
l’homme (…) d’assumer une souveraineté… »[351].
La conséquence de ce rapport de
l’homme au Souverain est la liberté qui est le maître-mot de la politique
de Rousseau.
A l’état de nature la
caractéristique principale de l’homme était la liberté. Celle-ci tient à son
essence à laquelle il ne saurait renoncer sous aucun prétexte. Le but de
contrat social était également de recouvrer la liberté ; non pas naturelle mais dans un cadre
civil. Rousseau mentionne qu’on pourrait « ajouter à l’acquis de l’état
civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui »[352]
. Cette affirmation réitère l’enracinement anthropologique de la pensée
politique de Rousseau. L’homme est le point de départ, mais également
l’aboutissement inéluctable de son étude. La liberté fondamentale ne réside et
ne s’exerce qu’en lui. C’est là un des plus grands effets induits de la
participation de l’homme civil au pouvoir souverain. Et d’ailleurs le pacte
n’aurait pas donné l’effet escompté
sans cette liberté. En effet « cette convention n’est conforme à
son essence et à l’essence de ses agents que si au terme de l’opération, la
liberté est intacte, quoique dans une nouvelle assiette »[353]
.
L’homme
politique civil a un rapport direct avec le Souverain. Mieux, il est lui-même
partie intégrante du Souverain. En supprimant la transcendance dans le
fonctionnement de l’Etat, Rousseau accepte l’immanence de la souveraineté qui
trouve son réceptacle chez les individus. L’auto obéissance à sa propre loi et
le gouvernement de soi et pour soi sont les gages d’une liberté civile.
Conclusion
du Chapitre 2
Rousseau hérite du contrat social
et en fait son « artifice correcteur » qui sort l’homme du cercle catastrophique de
l’état de nature. Par ce biais, il donne un nouveau départ à l’homme en posant
le pacte d’association comme début logique et juridique de l’étape civile qui
supplante l’état de nature. Le contrat social instaure un pouvoir souverain.
Celui-ci est le fruit de
l’organisation sociale qui ne peut d’ailleurs se passer d’une telle structure.
Rousseau ne verse pas cependant dans le totalitarisme même si certains
interprètes et des commentaires tendancieux veulent confondre sa doctrine avec
l’absolutisme le plus autoritaire.
C’est pourquoi Rousseau revient à
l’homme en lui accordant une place importante dans son dispositif. L’homme civil
rousseauiste est éduqué à cet effet et les manifestations de la conscience
collective trouvent un écho dans chaque individualité. C’est d’ailleurs ainsi
que la religion dans la cité du Contrat est une religion civile.
Enfin, par le biais du
dédoublement, l’homme politique civil participe au Souverain en tant que sujet,
bien entendu, mais également et surtout en tant que citoyen. Il participe ainsi
directement aux délibérations qui concernent la communauté en général, et
chaque sujet en particulier. C’est là la marque suprême d’une liberté civile
acquise et concrétisée dans le fonctionnement de l’Etat.
Chapitre 3 :
Analyse de la pensée
politique de Rousseau
Pour un penseur de la
trempe de Jean-Jacques Rousseau, l’analyse de la doctrine en particulier et de
la pensée en général, ne devrait en principe laisser aucun point d’ombre. Par
le champ thématique qu’il aborde ainsi que le soin méticuleux qu’il y met,
l’auteur traite la politique avec assez de hauteur et surtout avec un réel
effort d’objectivation.
Seulement, les brèches que
laisse Rousseau ouvrent la voie à
de multiples orientations interprétatives pour ce qui concerne l’unité de sa
pensée. Eu égard à la personnalité propre de Rousseau telle qu’elle est livrée
par les écrits autobiographiques et par les témoignages historiques sur
l ‘homme, la question se transforme et tourne autour de l’existence même
de la problématique objective et consciente chez le citoyen de Genève. En
insistant abusivement sur cette donnée on peut parodier Ernest CASSIRER et dire
qu’il y a un « problème Jean-Jacques Rousseau ».
En effet, selon ce commentateur, en
parlant de Rousseau, il écrit que : « Pour un penseur de cette sorte, le contenu et le sens de
l’œuvre ne se laissent pas séparer de leur racine personnelle et vivante »[354].
Cette affirmation tranche pour la prise en compte effective de l’homme pour une
parfaite compréhension de l’œuvre. Et par rapport à cela nous ne pouvons ne pas
nous poser certaines questions. Tout d’abord, qui est Jean-Jacques
Rousseau ? Ensuite, quelles références utilise-t-il pour structurer sa
pensée politique ? Enfin sa pensée suit-elle une direction
repérable ?
En tout cas, Paul JOHNSON pense
que :
« Rousseau fut
le premier à combiner tous les caractères saillants des prométhéens
modernes : la revendication du droit de rejeter l’ordre existant ; la
foi en sa propre compétence pour le restructurer en vertu de principes de son
cru ; la croyance que cette tâche pouvait s’accomplir par un processus
politique »[355].
Cela nous amène à nous introduire
directement dans l’univers de la production de la pensée de Rousseau ou alors à
rapporter la pensée à l’auteur lui-même. Avec cette démarche, l’intérêt réside
dans le fait de savoir si effectivement Jean-Jacques Rousseau est un « mauvais
maître »[356],
mais surtout de voir quelques modalités propres à sa pensée. Mais tout d’abord,
l’auteur sera mis en situation devant lui-même (section 1). Ensuite, il sera
question des paramètres essentiels
qu’il faudra retenir pour donner crédit à l’unité de la pensée de Rousseau
(section 2).
Section 1 : Les paradoxes de la situation de l’auteur
Ici, c’est l’auteur lui-même qui est le
centre de gravité. Il s’agit de voir quelques modes opératoires propres à sa
pensée. Autrement dit c’est une exploration de l’univers intellectuel interne
de l’auteur des Confessions non pas suivant ses affirmations seulement, mais en
faisant intervenir une dimension psychologique et parfois cachée et qui ne
saurait être définitivement occultée, et ce au nom d’une démarche systémique et
pluridisciplinaire.
Rousseau fait allusion aux personnages et aux cités du
passé. Il parle des cités antiques, et même de Genève, en s’enfonçant dans un
passéisme nostalgique et dans une réelle volonté d’identification avec la cité
du contrat. Il frôle ainsi les formes imaginaires qui sont l’utopie et le mythe
(1.1). Ces deux aspects caractérisent ses références sur des points clés de sa
doctrine, et constituent aussi des processus propres à la pensée de Rousseau. Nous
ne les jugeons pas pour leur valeur, mais en tant que simples processus
intellectuels de l’auteur. L’existence de ces formes imaginaires de l’auteur
prélude et fait soupçonner une dimension psychocritique. Elles nous incitent à
placer Rousseau dans la trajectoire qui va du normal au pathologique, si tant
et qu’il existe une démarcation nette entre les deux, pour voir dans la
personnalité de l’auteur ce qui tiendrait de la ‘’pathologie’’ (1.2).
1.1-Les références
extérieures : entre mythe et utopie
Jean-Jacques Rousseau a été un grand
lecteur. Il s’est également exercé à la traduction de Tite-Live, de Tacite et
de César[357], de
Sénèque[358] sans
oublier qu’il fut admirateur de Homère[359].
Certains n’hésitent pas à parler de « tentations platoniciennes »[360]
de Rousseau. Aussi, ce dernier parle de Lycurgue et de Caton que Saint-Preux
qualifie de « grand et divin »[361].
Aussi est-il à noter que les
ouvrages architecturaux romains laissent une forte impression sur Rousseau. Il
s’émeut en marchant sur le pont du Gard et en voyant les arènes de Nîmes[362].
Personnellement Rousseau ne manque pas de s’identifier
à d’illustres personnages tels que Socrate, Jésus, Lycurgue et Caton[363].
Seulement dans une époque imprégnée de classicisme, le retour à l’antique n’a
rien d’étonnant[364]
dans la mesure où Rousseau y trouve, sur le plan doctrinal, des références à
une éthique nouvelle. Ainsi, en plus de Genève toute proche, « voilà
que Rousseau fait de la Rome républicaine ou de la Sparte idéale le berceau des
plus hautes vertus » [365].
Dans ses Confessions, Rousseau dit
de lui-même ceci :
« Sans cesse occupé de Rome et d’Athènes ;
vivant, pour ainsi dire, avec leurs grands hommes, né moi-même citoyen d’une
république, et fils d’un père dont l’amour de la patrie était la plus forte
passion, je m’en enflammais à son exemple ; je me croyais Grec ou
Romain ; je devenais le personnage dont je lisais la vie »[366].
Ce passage montre la fascination exercée par
l’Antiquité dans l’esprit de Rousseau. Dans presque tous ses textes Rousseau
fait référence à ces hommes illustres et à ces cités qui n’existent plus.
Toutefois, il ne va pas dans le sens d’un Thomas More qui imaginait une cité
idéale dénommée Amoraute. Au contraire, il s’appuie sur ces références pour les repères de la cité du contrat
social. Et c’est pourquoi, Eric WEIL nous met en garde et note que si Rousseau
reste
« fidèle à l’antiquité,(…)rien ne
serait plus dangereux pour la compréhension de sa théorie que de garder sa
vénération de l’Antiquité comme une pièce d’apparat, un vêtement recouvrant des idées et des thèses modernes »[367].
Avant de voir son procédé,
examinons ce que Rousseau tire des exemples spartiates, romain et genevois.
Pour ce qui concerne Sparte,
Rousseau est d’abord fasciné par le mode de vie des spartiates. Leur mode de
vie est communautaire. Il est le fondement même de l’émergence de la
citoyenneté. En se diluant dans l’être collectif de la cité, le citoyen
renforce l’unité et la cohésion sociales. Rousseau illustre ce degré
d’intégration à travers l’épisode d’un compte rendu fait à une mère qui avait
cinq fils engagés dans une bataille, épisode emprunté à Plutarque :
« une femme de Sparte avait
cinq fils à l’armée et attendait des nouvelles de la bataille. Un hilote
arrive ; elle lui en demande en tremblant. Vos cinq fils sont tués. Vil
esclave, t’ai-je demandé cela ? Nous avons gagné la bataille. La mère
court au temple et rend grâce aux Dieux. Voilà la citoyenne »[368].
Cette conscience citoyenne élevée
au niveau de laquelle se trouvent les spartiates a été acquise grâce à l’éducation
donnée aux enfants par la communauté, et la liberté. La liberté spartiate est
différente de l’ akolasia (licence) qui est source d’ubris (démesure). Elle est obtenue par l’action remarquable du
législateur personnifié par Lycurgue. Lycurgue est l’architecte de Sparte, et
Rousseau (de même que René Descartes dans la seconde partie de son Discours
de la méthode) le
reconnaît ainsi. Il écrit que :
« Lycurgue
entreprit d’instituer un peuple déjà dégradé (…). Sparte n’était qu’une ville, il est vrai,
mais par la seule force de son institution cette ville donna des droits à toute
la Grèce, en devient la capitale et fit trembler l’empire persan »[369].
Ainsi donc, à propos de Sparte,
Rousseau a retenu l’importance de la citoyenneté, la place et le rôle de l’éducation,
la liberté acquise par l’action du législateur personnifié par Lycurgue. Toutes
ces données se trouvent dans l’édification de la cité idéale du contrat social.
Quant à Rome, il représente un véritable mythe pour Rousseau.
Il consacre quatre chapitres du Contrat social aux institutions romaines[370].
Ainsi, même si Jean COUSIN
interprète la passion rousseauiste pour Rome comme une vision édulcorée
de ses institutions[371],
il reste que cette cité ainsi que ses personnages servent d’illustration pour l’auteur avec une dimension
presque mythique[372].
En effet, selon COUSIN,
Jean-Jacques Rousseau serait « victime des mirages de la rhétorique
livienne »[373].
C’est peut-être vrai. Mais ce qui est constant dans les textes, c’est que
Rousseau insiste sur la vertu républicaine romaine par l’exemple donné par
d’illustres personnages.
Rousseau fait référence à Caton le
Censeur (et à son arrière-petit-fils Caton d’Utique) pour stigmatiser et louer
la vertu au nom de l’unité de la cité. C’est ainsi que dans le Discours sur
les sciences et les arts, il parlait de lui en ces termes : « Le vieux Caton
continua dans Rome de se déchaîner contre ces grecs artificieux et subtils qui
séduisaient la vertu et amollissaient le courage de ses concitoyens »[374].
Ensuite, c’est de Brutus qu’il
parle. Il retient de lui sa haute idée de la cité qui transcende même son amour
filial. En effet, Brutus fit périr ses enfants, Titus et Tibérinus,
conspirateurs contre l’Etat. Et Rousseau approuve cette décision de Brutus qui
va à la préférence pour l’Etat car « il n’y a point de milieu ; il
fallait que Brutus fut un infâme ou que les têtes de Titus et de Tibérinus
tombassent par son ordre sous la hache des licteurs »[375].
Et d’ailleurs, Rousseau va jusqu’à s’identifier à Brutus[376].
Enfin, Rousseau fait référence à
Numa[377]
dont il dit qu’il est le « vrai fondateur de Rome »[378],
et à Caius Fabricius Luscinus (consul du III° siècle) dont la prosopée fut la
première à sortir de la plume de l’auteur dans l’épisode de l’illumination de
Vincennes.
De tous ces romains, Jean-Jacques
Rousseau retient deux traits essentiels : la frugalité et la liberté. Le
premier trait est celui qui retient le peuple contre la course effrénée vers le
désir et contre l’ouverture vers un plus jamais atteint[379].
Le second est un indice de maturité et d’organisation de la cité à travers la
place accordée aux citoyens responsables. Pour Rousseau « le peuple
romain est ce
modèle de tous les peuples libres »[380].
A l’instar des spartiates, Rousseau
dégage la liberté comme caractéristique des romains. Toutefois cette liberté
est très nuancée entre ces deux cités[381].
Par ailleurs, au-delà de Rome et de
Sparte, Rousseau fait référence à
Genève qui se situe dans un passé plus récent et lui reste attaché en tant que
lieu géographique très symbolique. Rousseau aime sa cité, comme en témoigne sa
lettre adressée au premier Syndic en date du 12 mai 1763[382].
Genève constitue pour lui une
grande source d’inspiration malgré l’abdication solennelle de son droit de
bourgeoisie dans la même lettre. Déjà quelques années auparavant, Rousseau
adressait sa dédicace du Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes à la République de Genève[383].
Puis dans ses Lettres écrites de la Montagne, Rousseau fait allusion à la
perfection de sa cité qui représente un modèle pour lui[384].
Robert DERATHE n’hésitera pas à qualifier le Contrat social de « livre
d’inspiration genevois »[385].
De toutes ces références de
Rousseau, on en retient que l’auteur des Rêveries du promeneur solitaire est entré de plein pied dans l’univers
onirique du mythe ou de l’utopie. L’aspect mythique de cette procédure
intellectuelle de Rousseau s’entend au sens où DUMERY définissait le mythe
comme « représentation de structures imaginatives (non imaginaires)
avec saisie de valeurs »[386].
Tandis que la thèse de l’existence de « tendances à l’utopie »[387]
chez Rousseau s’explique ainsi :
« Toujours chez les utopistes,
l’imagination se nourrit de mémoire ; Jean-Jacques n’échappe pas à la
règle : cette antiquité qu’il reconstruit à partir de Plutarque ou de
Tite-Live et où il projette ses
rêves inconsciemment, a une existence historique, reculée dans le temps certes
puisqu’elle apparaissait déjà lointaine (…) mais enfin réelle »[388]
.
Toutes ces deux explications
tiennent et prouvent en même temps la presque similitude entre mythe et utopie
dans leur processus de fonctionnement apparent. La pensée de Rousseau possède
leur caractéristique. Pourtant cette tendance onirique est parfois vue d’un
autre œil surtout combinée avec d’autres facteurs et considérée sous l’angle
purement psychologique.
1.2 – La ‘’pathologie’’ de Rousseau
Au cœur de notre étude
se trouve la question de l’unité de la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Cette
pensée doit donc au moins être analysée, évaluée, voire même diagnostiquée dans
toutes ses dimensions. Aussi, dans la mesure où c’est une pensée vivante, elle
peut osciller et évoluer dans un sens plus ou moins normal ou aller
progressivement vers le sens de la morbidité. Et de surcroît, une importante
littérature s’est développée depuis longtemps autour de ce que l’on appelle
sous les vocables de « cas », « maladie », « pathologie », et « folie » de Jean-Jacques Rousseau.
Evidemment les raisons de tous ces
qualificatifs sont nombreuses. Mais toujours est-il que, quelle que soit la
cause évoquée, il nous semble que la motivation principale doive avoir partie
liée avec la connaissance profonde du sujet que représente Rousseau, et surtout
avec l’impact que la maladie peut avoir dans la relation entre la vie et l’œuvre du Citoyen de Genève. C’est
pourquoi Jean STAROBINSKI, qui est tout d’abord un psychiatre, s’interroge en ces termes, dans
le chapitre consacré à la maladie de Rousseau :
« L’œuvre et la vie entières de
Rousseau portent-elles la marque de la maladie ? Au contraire, le trouble
mental ne serait-il qu’un phénomène surajouté, tardivement survenu, et se
manifestant par épisodes intermittents ? La discussion reste donc ouverte
sur la part de la maladie dans la vie et l’œuvre de Jean-Jacques, sur le lien
qui pourrait unir son délire et sa pensée ‘ raisonnable ‘ »[389].
Si pour nous la première question
est d’une importance capitale, la seconde l’est moins. Cette dernière reflète
des interprétations sans enjeu, car leur intérêt se situant sur un plan
purement historique, médico-historique ou alors dans des orientations qui
sortent de notre cadre. Simplement dans ce registre, nous mentionnons au
passage l’ouvrage de Claude WACJMAN en son chapitre II où Rousseau fait office
de référence théorique des médecins, ce qui peut du reste masquer l’œuvre[390].
Il y a également la tendance interprétative cloisonnée dans un aspect
particulier de la vie de l’auteur[391].
Au contraire, de ces démarches,
nous essayons d’appréhender cette « folie » de Rousseau en faisant la
nôtre la réserve émise par Jean STAROBINSKI[392].
Car en effet,
« C’est en
comprenant son conflit qu’on arrive à apprécier l’œuvre de Rousseau, qui, au
point de vue politique a eu une part considérable. (…) Ceci montre l’intérêt
qu’aurait la société à soumettre les idées de certains hommes politiques à une
étude psychanalytique avant de les accepter ou de les rejeter »[393].
Quel est donc le conflit de
Rousseau ? Comment se manifeste-il ? Quel est son influence dans son
œuvre ? La réponse à ces questions est une invitation à une approche
psychocritique du rousseauisme.
L’homme Jean-Jacques Rousseau est venu au monde avec un
handicap majeur et préjudiciel qui le suivit toute sa vie durant. A son sujet,
il se confesse ainsi : « Je naquis infirme et malade ; je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance
fut le premier de mes malheur »[394].
C’est dans ces circonstances douloureuses faites de déchirements que Rousseau
vint affronter un monde que son errance commencée le 14 mars 1728 l’amènera à
mieux connaître. Cet orphelin de naissance ne s’est pas réellement adapté au
monde en général et à sa société en particulier. Cela vient du fait que soit il n’ait pas bien compris le
monde, ce qui est peu probable, soit qu’il ait été incompris, ou alors les deux
à la fois d’une manière plus ou moins accentuée. De toutes manières ces variantes se détectent
dans la personnalité de Jean-Jacques Rousseau avant de se refléter dans son
œuvre. Et c’est pourquoi en prenant l’expression de Sophie d’Houdetot, il est
permis de dire que Rousseau « est un fou intéressant »[395].
La pathologie de Rousseau se manifeste de trois manières au moins :
-
tout
d’abord à travers une solitude symptomatique d’une rupture ou d’une
inadaptation ;
-
ensuite
par une hantise inhibante de l’idée d’un complot qui dérive sur un délire de
persécution ;
-
enfin
par une tentative d’identification
à la société du genre humain usant de la technique de l’inversion.
Rousseau s’identifie quelque peu à
Ovide exilé aux confins de l’empire romain, cette identification va jusqu’à
l’emprunt des mots et vers de ce personnage dans ses écrits. Ainsi le Citoyen
de Genève fait précéder son premier discours par cette phrase assez
significative : « barbarus
hic ego sum quia non intelligor illis » que l’on traduit par : « je suis un
barbare parce qu’ils ne me comprennent pas »[396].
En tant qu’étranger dans ce monde,
Rousseau se réalise dans la solitude. C’est un des traits caractéristiques de
sa personnalité. Au lieu d’être totalement un aspect négatif, cette solitude
lui permet d’avoir assez de hauteur et de recul par rapport à la politique.
Elle devient par-là même une condition de possibilité de discours rousseauiste,
suivant sa psychologie telle que décrite par Louis PROAL : « c’est
dans la solitude que Rousseau goûte l’ivresse de ces extases, c’est dans le
silence et le recueillement de la campagne qu’il se livre à la rêverie, et qui
était un besoin de son imagination et de son cœur »[397].
Par contre, Voltaire s’attaque à Rousseau en
partant de ce trait de sa personnalité. La solitude du Citoyen de Genève est
non seulement identique à celle de l’homme à l’état de nature dont sa fameuse
lettre du 30 août 1755[398]
fait écho, mais aussi elle permet de personnaliser d’avantage les discussions.
Pour Voltaire, Rousseau « est un homme qui ne convient ni dans une
république ni dans une société. Il faut que Tronchin le purge, que Cabanis le
taille mais qui le corrigera ? »[399].
Il lui trouve ainsi une tare congénitale incurable. Mais c’est peut-être là que
Rousseau trouve tout l’élan nécessaire
pour formuler des critiques à l’endroit de la société et pour proposer
des solutions nouvelles. Toute la hargne qui accompagne l’accent de ses
discours trouve sa source dans le voile qu’enlève cet isolement. Il le dit
lui-même en ces termes :
« j’avais beau fuir au fond des
bois, une foule importune me suivait partout et voilait pour moi toute la
nature. Ce n’est qu’après m’être détaché des passions sociales et de leur
triste cortège que je l’ai retrouvée avec tous ses charmes »[400].
C’est là tout le bénéfice de cette
retraite physique et intellectuelle de Rousseau. Il trouve la nature ainsi que
l’homme dans leur quintessence. L’incompréhension presque généralisée de ses
contemporains va ainsi faire naître chez lui l’idée du complot universel ourdi
contre sa personne et ses idées.
Le complot a été une des plus
grandes hantises ayant poursuivie Rousseau presque toute sa vie durant,
influençant ainsi son comportement. Il ne s’agit pas simplement de « bigarrures
d’un citoyen de Genève »[401],
mais d’un vécu profond et traumatique lié à un complot. Rousseau parle de la
« cabale philosophique »[402]
de « persécutions depuis plusieurs années »[403],
sans compter la phrase assassine du Fils naturel de Diderot [404],
les manœuvres inquisitoriales et les conversations secrètes dirigées contre lui
par son entourage[405],
la fausse lettre de Frédéric II du 23 décembre 1765 pourtant rédigée par
Walpole et qui est attribuée à d’Alembert[406],
et enfin les lettres à David Hume et à Saint-Germain. Ce sont ces deux
dernières lettres datées respectivement du 10 juillet 1766 et du 26 février
1770 qui dévoilent l’amplification du sentiment du complot ainsi que celui de
la persécution éprouvés par Rousseau[407].
Tous ces évènements apparemment
sans cause commune mais dont l’enchaînement infernal était parfaitement
ordonné, exerçaient une forte pression sur Rousseau au seul but de flétrir la réputation de
l’auteur, de l’étouffer et de la présenter sous son mauvais jour. C’est ainsi
que ses idées et son comportement attaqués le firent réagir par la décision
d’écrire ses écrits autobiographiques réalisant ainsi la prouesse littéraire
d’effacer la frontière évanescente entre l’épistolaire, la doctrine et
l’autobiographique. Pourtant, le ton de sa correspondance et de ses textes
autobiographiques laisse transparaître « une terrible paranoïa » qui fait dire à Gérald ALLARD
qu’ils ressemblent à un « long et douloureux monologue d’un patient de
psychanalyste »[408].
Pour Paul JOHNSON, le jugement psychocritique sur Rousseau est sans appel
car :
« L’esprit
froidement calculateur de Rousseau comportait aussi un élément de paranoïa.
Trop compliqué et trop exigeant pour mener agréablement la vie de parasite, il
se dispute en permanence avec presque tout le monde et de préférence avec ceux
qui lui témoignent de l’amitié. Il est impossible de lire les histoires
pénibles et répétitives de ces querelles sans en conclure que Rousseau était un
malade mental. La maladie cohabitait avec son originalité d’esprit, sa rare
ingéniosité, et ce mélange était très dangereux pour lui et pour les autres »[409].
Toutefois, malgré ce désordre
relationnel se reflétant sur le comportement et la pensée, Jean-Jacques
Rousseau va utiliser la technique de l’identification par inversion et par
projection. C’est en cela que sa doctrine se trouve teintée par sa personne.
Jean-Jacques Rousseau comble son déficit relationnel au plan des idées par une
identification au genre humain et à la société en général. Son être et son
existence sont représentatifs de l’humanité tout entière. Il use ainsi de la
technique d’inversion par projection pour se diluer dans le grand être
collectif. Rousseau parvient, malgré ses difficultés et l’ostracisme dont il
fait l’objet, à se noyer par confusion dans la totalité du genre humain. Louis
PROAL s’appuie sur cela pour qualifier la morale rousseauiste de « morale
sentimentale »[410].
Mais plus précisément, dans son essai de psychocritique terminant son ouvrage
Denise LEDUC-FAYETTE fait le portrait de Rousseau d’une manière qui résume
parfaitement son profil et à laquelle nous adhérons :
« Son
individualisme renvoie, en fait, à ce qui en est le reflet inversé :le
besoin de communiquer, bien plus de communier, l’aspiration au syncrétisme
émotionnel, de même que ses sentiments intenses de culpabilité expliquent son
moralisme outrancier. Cela se traduit, sur le plan de sa politique, par sa nostalgie
d’une cité communautaire (…) l’évolution de Jean-Jacques est, comme diraient
les psychiatres, involutive. La totalité du moi remplace la totalité de la
société, dans la mesure où celui là a échoué à se fondre dans celle-ci »[411].
Autrement dit, la vie et l’œuvre de
Jean-Jacques Rousseau sont inséparables,
et la connaissance de l’auteur est une pièce maîtresse du processus
d’appréhension de sa pensée politique.
Après un long parcours
heuristique sur la doctrine et la personne de Rousseau, il reste à présent à
statuer sur sa pensée conformément au pari fixé initialement. En effet, ce pari
consistait à remettre en question l’horizon du discours rousseauiste, mais surtout
à s’inscrire dans une perspective dynamique et globalisante de compréhension de
sa pensée.
Cela revient à donner une idée sur
les modalités de manifestation et d’existence propres à la pensée de Rousseau,
en tant qu’elles définissent son type de fonctionnement ainsi que sa structure.
Car seules ces données permettent de se faire une idée sur l’unité de la pensée
du Citoyen de Genève. Et par ailleurs, elles seules peuvent venir à bout de
l’ « esprit rousseauphobe »[412]
dont fait état Albert SCHINZ ainsi que des angoisses liées aux attentes
systémiques décelables chez de grands critiques et commentateurs de Rousseau
dès l’abordage de la pensée de celui-ci[413].
Deux positions s’opposent radicalement pour ce qui concerne
l’appréhension de la pensée de Rousseau. Nous symbolisons ici la première à
travers cette interprétation de Emile BOUTROUX pour qui « il est banal
de remarquer les contradictions que présente à chaque pas l’œuvre de Rousseau
(…) il n’a nul souci de cette cohérence extérieure (…) »[414].
Elle nie toute unité formelle de la pensée chez Rousseau. La seconde position
est celle défendue par des commentateurs comme Gustave LANSON[415]
et Georges LAPASSADE[416]
qui reconnaissent son unité fondamentale. En récusant formellement la première
position, nous sommes d’accord avec la seconde en y ajoutant cette relation
nécessaire qui va « de la personne à la doctrine »[417].
Et dans ce sens nous nous donnons deux exigences majeures relatives aux
questions suivantes : Quel est le mode fonctionnement de la pensée de
Rousseau ? Comment se présente l’unité de sa pensée ?
Nous répondons à ces questions en
terme d’évolution dialectique (2.1) d’une part, et d’unité dans l’esprit de la
pensée de Rousseau (2.2) d’autre part.
2.1 – L’évolution dialectique
Une application des
catégories dialectiques à la pensée rousseauiste constitue une entreprise
quelque peu délicate. La dialectique, en tant que dispositif conceptuel, ne
peut en principe être tenue et reconnue que pour une pensée essentiellement
dialectique.
Cependant, le développement de la
pensée rousseauiste et la manifestation évolutive de l’élucidation de son
problème politique prouvent, si besoin est, qu’il y a un fait dialectique
indéniable dans cette pensée. Ici la dialectique est entendue comme une saisie
de la multiplicité du réel et se révèle
surtout comme une organisation interne de la pensée de Rousseau qui, par
un phénomène d’anticipation notoire a su manier des concepts dialectiques qui
dictent l’évolution de son œuvre. Il est donc clair que :
« Si jamais il y a
un penseur dont l’œuvre doive nous apparaître comme ayant une unité dialectique, et non pas statique, une unité que nous ne puissions pas dégager en
comparant simplement les résultats de sa pensée que nous devions chercher, au
contraire, dans le processus
vivant de la formation des idées et du progrès de la pensée, c’est bien Rousseau »[418]
.
Autrement dit, l’évolution
dialectique dont il est question est à démontrer par l’affirmation de plus en
plus nette des idées de Rousseau, par leurs liens dans la suite des textes et
par leur processus d’élucidation de la problématique politique. Elle est le
mode de fonctionnement et de progression propre à l’œuvre de Rousseau. Il
s’agit donc d’une évolution par contradiction, mais aussi d’une évolution
graduelle et par enchaînement des thèmes. Cette évolution dialectique se
manifeste à plusieurs niveaux :
- le premier est celui de
l’écriture rousseauiste qui est le reflet de l’opposition constante de couples
de concepts antithétiques ;
- le second est celui de la
reproduction du traditionnel schéma ternaire dialectique dans la sphère qui va
de l’anthropologie au pouvoir politique ;
- le troisième est celui de
l’incessant renvoi entre la personne et la doctrine.
L’écriture qui véhicule la
pensée de Jean-Jacques Rousseau utilise des concepts qui entretiennent entre
eux des rapports dialectiques de contradiction et d’opposition par dépassement.
Ce sont des couples dits antithétiques parce que les termes ont des signifiés
qui s’opposent. Ces concepts se côtoient dans la pensée de Rousseau. Et cette
proximité a, en effet, comme conséquence de mettre en exergue le contraste qui
les différencie. De cette manière, la nature est toujours pensée par opposition
à la culture, l’être par rapport au paraître, le bien par rapport au mal, l’individu
par opposition à la communauté etc…. C’est sur ce registre d’oppositions
conceptuelles que s’expriment les thèmes dominants de la pensée rousseauiste.
En fait :
« les explosions successives de
Rousseau illuminent les deux côtés opposés de l’horizon. Il fait ainsi, à sa
manière sentimentale, l’équivalent de ce qu’avait fait Pascal dans son
affirmation simultanée des contraires, de ce que devait faire Hegel dans sa
position de la thèse et de l’antithèse »[419].
Ainsi, par l’usage de ces couples
de concepts antithétiques, il est clair que Rousseau fait valoir des critères
dialectiques dans sa pensée. Celle-ci évolue par le canal des oppositions. Mais
également, Rousseau fait recours à ce qu’il convient d’appeler le traditionnel
schéma ternaire de la dialectique.
Dans son économie générale, la
pensée politique de Rousseau peut se voir appliquer le schéma ternaire de la
thèse- antithèse- synthèse.
En fait, Rousseau fait d’abord une
présentation de l’homme naturel dans sa bonté et sa liberté originelles. C’est
la nature primitive telle que décrite dans le second discours. Elle correspond
à la thèse.
Ensuite par le processus de
dénaturation, cette donnée première va être niée. L’homme naturel sort ainsi de
la transparence originelle. Il entre dans une phase pré-sociale dite second
état de nature qui se caractérise du reste par la guerre. En ce sens, cette
nouvelle situation devient la négation de l’état de nature. Elle équivaut à
l’antithèse.
Enfin, étant donné que cette
situation est invivable pour l’homme, il advient l’instant où tout doit changer
avec le contrat d’association, l’éducation, la volonté générale et la
souveraineté du peuple. Autrement dit Rousseau appelle à la négation de la
négation pour sauver le genre humain car il « périrait s’il ne changeait
sa manière d’être »[420]
.
« En quelques
pages admirables, Rousseau nous montre comment, par le travail, l’homme sort de
la condition animale et découvre le conflit des contraires : le dehors et
le dedans, le moi et l’autre, l’être et le paraître, le bien et le mal, le
pouvoir et la servitude. Si nous refusons à ce texte le mérite d’être
dialectique, quelle autre philosophie nous en donnera l’exemple ? Car nous
voyons ici les opposés s’appeler les uns les autres, se développer les uns par
les autres ; (…) »[421].
Rousseau réussit ainsi le tour de
force qui consiste à imprimer dans sa pensée le schéma de l’évolution ternaire.
C’est donc une raison suffisante pour nous de conclure une nouvelle fois à l’évolution dialectique de la pensée
politique de Rousseau.
Enfin, la dialectique se manifeste
dans l’incessant va et vient entre la personne et la doctrine. Il a des
échanges constants entre l’homme individuel Rousseau et ses textes où il se
dévoile en faisant état de ses
intimes convictions et qui lui renvoient son image comme référent. A ce niveau
on se situe dans ce que Paul BENICHOU décrit comme : « à la
fois une continuité et un état de rupture ». Pour lui :
« l’homme est un être dont les
expériences s’achèvent en doctrine, nous existons de deux façons dont la
relation nous échappe (…) mais qui toutes deux, doivent nous être présentes si
nous voulons nous saisir tout entier (…) Que l’homme qui vit et l’homme qui pense, distincts en
principe, ne soient qu’un ; que nous devions pourtant avoir sur cet être
unique deux points de vue dont aucun n’est entièrement réductible à l’autre, et
que nous ne puissions en sacrifier aucun sans nous mentir – telle est la
condition qui nous est faite et qu’il nous convient d’accepter telle quelle »[422].
En réalité c’est cet aspect du lien
dialectique entre Rousseau et sa doctrine qui nous conforte dans notre idée de
prendre en compte à la fois les textes politiques et les écrits
autobiographiques et mêmes épistolaires, pour comprendre la pensée du Citoyen
de Genève.
Ainsi tels sont les
modes de fonctionnement dialectiques de la pensée de Rousseau. Son évolution
est marquée par cette empreinte dialectique faite d’opposition, d’évolution par
négation et de renvoi mutuel. Il convient donc de bien les prendre en compte
pour mieux appréhender la pensée de Rousseau dans un dessein unitaire.
2.2 – L’esprit de l’unité de la pensée
de Rousseau
La détermination de
l’esprit de l’unité de la pensée de Rousseau procède de la volonté de découvrir
l’ordre qui sous-tend la doctrine et les écrits du citoyen de Genève. Elle
prend le contre-pied des déclarations incendiaires et destructives qui font des
idées de ce philosophe un amas « de pièces et de morceaux » ou, selon l’expression de
FAGUET, « un chaos d’idées ».
Loin de ces interprétations déplacées,
il existe en réalité un Rousseau penseur logique. C’est cette logique qui
traverse d’un bout à l’autre son œuvre, donne une direction à ses différents textes, et crée un esprit
d’unité de la pensée politique du Citoyen de Genève. Le but est donc de
découvrir et de mettre à jour cette logique profonde qui, malgré la diversité
apparente des orientations, traduit parfaitement l’esprit de l’unité de sa
pensée.
Pour entreprendre cette découverte,
il faut tout d’abord des règles générales qui sont des précautions à l’usage du
lecteur pour ne pas sortir du cadre ainsi arrêté. Gustave LANSON précise en ce
sens le cadre de la découverte :
« Il y a des
règles générales (…) peser soigneusement le sens et la portée des textes, y
considérer l ‘esprit plus que la lettre, et en regarder toujours les
limites ; ne pas imposer à l’auteur des conséquences, si bien déduites
qu’elles soient, comme partie intégrante de sa pensée (…) et surtout ne pas
substituer à cette pensée la conséquence qu’on en déduit ; distinguer les
valeurs inégales des idées qu’il exprime, et ne pas traiter comme valeurs de
même ordre et comparables ou réciproquement compensatrices, un chapitre
mûrement pensé et la boutade, le cri ou la plainte d’une lettre familière
écrite sous la pression d’une circonstance ou dans la fièvre d’une
émotion ; ne pas introduire sans y penser dans notre raisonnement des
suppositions arbitraires sur la signification d’un texte »[423].
Ce long texte du commentateur
indique les précautions avec plusieurs règles de prudence, de modestie et de
retenue qui évitent les précipitations ainsi que l’engagement vers les
tentations qui caractérisent l’interprétation des écrits rousseauistes. En
effet, la lecture de l’œuvre de Rousseau recèle plusieurs pièges qui sont
autant de détours et de sorties peu recommandables pour la saisie d’ensemble de
sa doctrine. En les évitant par des repères précis on peut se mettre dans la
direction ou dans le sillage de ce qui fait l’unité de sa pensée.
Cet esprit d’unité n’est pas un
décalque apposé du dehors à la pensée du Citoyen de Genève. Rousseau a une
pleine conscience de cette unité et de l’esprit qui anime et lie ses différents
écrits. En effet, Rousseau avait une orientation doctrinale, peut être dès
l’illumination de Vincennes, mais surtout à partir la préface à Narcisse ou
amant de lui-même[424]. Ensuite, il reconnut le lien
entre ses différents écrits à plusieurs reprises[425].
Mais face à cette tendance nous ne pouvons pas ne pas nous poser une ultime
question : qu’est-ce qui justifie l’existence des contradictions sur
lesquelles s’appuient les adversaires et les contradicteurs de Rousseau ?
En vérité, les détracteurs de
Rousseau n’ont jamais essayé de prendre sérieusement sa pensée dans sa logique
profonde et suivant son orientation doctrinale. Ils se sont limités aux détails
saillants et presque insignifiants en mettant en relief les excentricités immanquablement présentes dans
toute œuvre, surtout à cause de sa formulation littéraire et romancée. A ceux-là
Pierre BURGELIN fait remarquer ceci : « Que la pensée soit
difficile à interpréter, il faut l’accorder. Mais on ne saurait piétiner plus
brutalement une pensée qui se cherche et ne voudrait négliger aucun aspect du
réel ni de la valeur »[426]
.
C’est pourquoi, le lecteur,
l’interprète ou le commentateur doit avoir assez de hauteur et de lucidité pour
saisir « l’aspiration profonde sous-jacente à toute l’œuvre doctrinale
et autobiographique : ce désir d’unité, d’harmonie, de réconciliation, de
transparence, la résolution des antinomies (…) »[427]
.
L’esprit de l’unité de l’œuvre de
Jean-Jacques Rousseau est assimilable à cette aspiration profonde pour un
penseur qui a réparti les tâches entre
le lecteur et lui. Dans ses Confessions, il affirme que : « c’est
à moi d’être vrai, c’est au lecteur d’être juste. Je ne lui demanderai jamais
rien de plus »[428].
Alors en supposant de bonne foi que Rousseau accède à la lumière de la vérité,
ou en tout cas de sa vérité, c’est au lecteur de faire l’effort nécessaire pour
retrouver l’unité de la pensée du Citoyen de Genève, si tant et qu’il est animé
par une volonté constructive ou de compréhension à l’égard de cette doctrine.
La découverte ou la saisie de
l’esprit d’unité de la pensée de Rousseau est donc un effort ou une attitude
positive du lecteur, du critique ou du commentateur, et de l’historien de la
philosophie en face du rousseauisme. Elle seule peut enrayer, et ce
définitivement, les tendances centripètes épi phénoménales par rapport à la
direction centrale suivie par Rousseau. Sans cette disposition, il serait illusoire
de parvenir à faire corps avec Rousseau et de suivre pas à pas le progrès de
ses idées dans leur continuité, leur agencement et leur finalité.
En réalité, pour comprendre la
pensée rousseauiste dans la sphère qui va de l’anthropologie au pouvoir, avec
en arrière plan la recherche de l’unité de sa doctrine, il y a nécessairement
un effort de sympathie, dédoublé bien entendu d’une objectivité certaine, pour
arriver à l’objectif assigné. Car Rousseau est de la trempe de ces penseurs divers dans leur pensée,
dans leur attitude. Mais au fond, et au-delà de toutes ces apparences, une
logique profonde, une direction précise et un réel esprit unitaire sous-tendent
la trajectoire de sa vie comme de ses écrits en tant qu’ils constituent son
œuvre. Le tout est de se mettre à la bonne place et sous l’angle le plus
favorable à la saisie de la dynamique d’ensemble de cette doctrine.
Parmi les commentateurs, on sent
cette attitude stratégique chez la plupart de ceux-là qui ont adopté une
volonté constructive aussi bien chez Gustave LANSON, chez Georges LAPASSADE que
chez Pierre BURGELIN. Retenons enfin les précieuses indications de ce dernier
au sujet de la pensée de Rousseau :
« Traitant l’œuvre de Rousseau
comme une œuvre unique (…)il nous semblé d’abord qu’il était inutile de refaire
ce qui avait été fait et bien fait, ensuite que les rapprochements de textes
très différents étaient singulièrement suggestifs et projetaient sur
l’architecture de la philosophie de Rousseau un jour assez neuf (…). Les idées
cheminent d’ailleurs mystérieusement dans un esprit et paraissent çà et là dans
son œuvre avant qu’il les ait portés à la conscience totale, comme elles
survivent lorsqu’on peut les croire abandonnées »[429]
.
Autrement dit, il nous revient de
retrouver cet ordre de raisons ou alors l’esprit de la pensée de Rousseau parce
que celui-ci existe. La pensée de Rousseau est une totalité à saisir dans son
ensemble et dans sa globalité propre à son esprit. En somme elle est « continue
et constante en son esprit dans ses directions successives »[430].
Conclusion du chapitre 3
Il est évident que la
pensée de Rousseau ne se laisse pas appréhender immédiatement. Dans la mesure
où c’est une pensée vivante se manifestant suivant des registres différents, il
faut essayer de la comprendre dans sa diversité.
Paradoxalement Rousseau est non
seulement imprégné de l’antiquité, mais également il fait référence à ses
personnages et cités illustres dans le cadre de son projet de cité du contrat
social. Le passé est exhumé pour servir de modèle pour le futur. De même, par
ses attitudes, sa vie relationnelle et comportementale, ses procédures
intellectuelles, Rousseau n’a pas échappé à la catégorisation nosographique.
Pourtant, sa pensée, même si elle a subi ces influences et perturbations, n’en
garde pas moins une identité qui lui est propre.
La pensée de Rousseau a son mode de fonctionnement, et
surtout une structure. Elle fonctionne de façon dialectique à plusieurs
niveaux, ce qui lui donne du reste une impression de désordre. Mais au-delà de
cette impression, elle est traversée par une cohérence, une logique et un
esprit unitaire que l’on doit saisir d’emblée pour mieux connaître le penseur
dans sa pensée profonde.
Conclusion de la partie II
A la question de savoir
quelle est la meilleure forme d’organisation politique Rousseau propose la cité
du contrat. Elle constitue le cadre civil organisé et juste le plus approprié
pour garantir à l’homme la préservation
de sa liberté naturelle essentielle. La cité du contrat constitue de ce
fait un dépassement qualificatif et structurel de l’état de nature.
Chez Jean-Jacques Rousseau, l’état
de nature est l’origine première de l’homme dans toute sa simplicité. Il
constitue une phase pré-politique coïncidant avec la transparence absolue de
l’homme pris dans son individualité. Mais ce paradis fût bouleversé par un « funeste hasard » et l’individu précipité
dans un cycle infernal fait de violence
et de guerre, toutes choses incompatibles avec sa nature. Rousseau a
pris l’état de nature comme un repère ou un étalon sur lequel il va s’appuyer
pour mieux élucider sa problématique politique.
Cette élucidation passe par le
pacte fondamental fondateur de la société civile. Mais le tout n’est pas de
contacter ; il faut surtout en arriver à ériger une Res-publica, c’est à dire qu’il faut amener
les individus à se fondre dans le grand être collectif sans pour autant tomber
sous le coup de la tyrannie, et tout en conservant leur liberté. En effet, chez
le Citoyen de Genève, « la vocation de l’homme, c’est la
concitoyenneté : le moi doit s’agrandir aux dimensions de la cité, le
narcissisme devenir en quelque sorte collectif »[431].
Tel est le pari en face duquel Rousseau se trouve et pour lequel les théories
de la volonté générale et de la souveraineté tentent d’apporter une réponse.
Cependant, au-delà de ces artifices
opératoires, l’ultime solution rousseauiste ne peut se départir d’un retour à
l’homme par le biais de sa transformation par l’éducation, sa foi en la
religion civile et surtout par son rapport au Souverain en
tant que partie intégrante de
lui-même. Telle est l’approche rousseauiste de l’homme dans la sphère qui va de
l’anthropologie à la science au
pouvoir.
De cette approche on retiendra
néanmoins certaines spécificités liées à la pensée politique de Rousseau. Par
ses références multiples et répétitives aux hommes et aux cités illustres de
l’Antiquité et à sa ville natale, Rousseau se met dans une situation
paradoxale entre une nostalgie mythique et une aspiration presque utopique,
sans compter les indices réels et supposés de « folie » chez cet
auteur.
Toutefois, malgré ces données, on
remarquera avec force un fonctionnement et une structure propres à la pensée
politique de Rousseau. Elle suit une évolution dialectique et progresse suivant
une direction qui trahit l’existence d’un esprit d’unité dans cette pensée.
Voilà les leçons à retenir sur la question de l’unité de la pensée dans l’œuvre
de Rousseau.
Conclusion
générale
Le problème posé au
départ était de savoir s’il peut y avoir, ou s’il existe une unité dans la
pensée de Jean-Jacques Rousseau. Le champ d’application de cette problématique
s’étendait de l’anthropologie à la science du pouvoir souverain et prenait en
compte aussi bien les écrits politiques que les textes autobiographiques du
Citoyen de Genève, sans compter l’inévitable ricochet de l’épistolaire.
Au-delà de la diversité réelle des textes, il a fallu
d’abord appréhender le processus de production de la connaissance chez
Rousseau. Son épistémologie a permis de déceler non seulement un lien
inextricable entre la personne de l’auteur et la doctrine, mais aussi entre
l’existence et l’idée. Malgré les circonstances particulières qui ont présidé
l’avènement de chaque texte, l’œuvre politique de Rousseau suit de façon nette
une direction bien définie dans l’espace thématique compris entre l’anthropologie et la politique. Son
sujet est centré sur l’homme (anthropocentrisme politique) car Rousseau croit
réellement en l’homme (optimisme anthropologique).
Rousseau n’est cependant pas le premier à se pencher
sur ce domaine de la philosophie politique. C’est pourquoi, il s’inscrit
résolument dans une perspective critique à l’endroit de ses prédécesseurs et
contemporains qui ont déjà abordé le problème politique. La démarche de
Rousseau s’articule donc en deux mouvements. C’est d’abord la critique négative
contre la méthodologie des jurisconsultes, dont le représentant le plus visé
est Grotius, et aussi celle des philosophes du droit naturel, dont le déductivisme
génétique est mis à nu. Après ce premier mouvement, Rousseau développe ensuite
sa propre démarche fondée sur l’hypothèse d’une histoire naturelle et sur
l’élaboration de la fiction constructive. La première va à la recherche des débuts premiers et essentiels sur
l’homme. La seconde fait entrevoir une solution aux problèmes et aux
difficultés de l’homme naturel dénaturé.
Pour faire aboutir ce projet et lui donner la
consistance nécessaire à toute innovation, Jean-Jacques Rousseau invente le
langage approprié à cette fusion de l’existence et de l’idée. C’est dans le
dédoublement réflexif qu’il réussit à peindre l’homme qui n’est personne
d’autre que Jean-Jacques Rousseau lui-même. Son écriture traduit sa pensée qui
reflète à son tour son existence. Le langage de Rousseau traduit l’expérience
immédiate du penseur, et par conséquent les écrits autobiographiques se
rapprochent de la doctrine en annihilant l’aporie préjudicielle qu’aurait pu
poser le logocentrisme. L’auteur, dans
sa vie et dans ses relations, est devenu le laboratoire de sa
doctrine : le sujet est donc objectivisé, car non seulement le moi est
modèle, mais surtout il tend à l’universalité nécessaire à la recevabilité de
tout discours du sujet sur le monde.
C’est ainsi que Rousseau élève sa philosophie
politique au rang de science. Il réussit en même temps à éliminer la distance
apparente qui sépare ses textes pour aller dans le sens de l’unité d’intention
que l’élucidation du problème politique traduit profondément.
Jean-Jacques Rousseau retrace ainsi le parcours suivi
par l’homme, de sa nature
originelle à son intégration dans l’Etat. Il fait le portrait de l’homme « sortant
des mains de la nature ». Ce
stade appelé nature primitive est semblable à un paradis où l’homme, confiné
dans les limites de sa propre personne (à travers son côté physique) et sans
besoin aucun de ses semblables,
vit dans un bonheur parfait. Il est caractérisé par la liberté, mais il est
tout aussi perfectible car il possède des facultés virtuelles. Ce sont
celles-ci, à l’aide des circonstances extérieures et du hasard, qui déclenchent
la perte de la transparence originelle. L’homme sort de son isolement, entre
dans la vie de relation et des moyens, et s’oppose à ses semblables. Le
résultat de tout cela est la situation de guerre. C’est donc cette guerre qui
constitue le terme ultime de l’état de nature et oblige l’homme à trouver un
autre modus vivendi.
La solution rousseauiste réside dans le contrat
social. Il s’agit de jeter les bases légales de l’Etat qui est le cadre idéal au développement et à l’épanouissement
de l’homme par le biais de la volonté générale et de la souveraineté résidant
dans le peuple. Car en fait, il faut retrouver la liberté humaine fondamentale,
mais dans un cadre civil. En vertu
de l’enracinement anthropologique de sa politique, Jean-Jacques Rousseau opère
un retour sur l’homme. Il insiste sur l’éducation indispensable au citoyen et
sur la religion civile en tant que ferments de la cohésion sociale. Enfin,
Rousseau donne une large part à l’homme dans l’exercice de la souveraineté dans
l’Etat du contrat social.
Le pari
est-il gagné ? Peut être que la voie est déjà tracée. Seulement l’analyse
de la pensée de Rousseau fait aussi apparaître des aspects résiduels qui
pourraient être interprétés autrement et qu’il faut prendre en compte.
En effet, Rousseau fait souvent référence à
l’Antiquité, à travers ses cités
et ses personnages illustres, et à Genève. Cet aspect grossi exagérément
fait soupçonner une forte tendance
à la mythification ou à l’utopie. De plus, l’auteur de Narcisse ou amant de
lui-même, en tant que référence de
soi-même, développe une conduite peu référentielle qui peut amener à penser à
la « folie » de Jean-Jacques Rousseau.
Toutefois, cela n’empêche aucunement à la pensée de
Rousseau d’avoir sa cohérence et son homogénéité. Elle a son mode de
fonctionnement ainsi que sa structure propres. Le mode de fonctionnement de la
pensée de Rousseau est une évolution dialectique par opposition de concepts
antithétiques, par reproduction du schéma ternaire dialectique, et par renvoi
réciproque de la personne à la doctrine. Sa structure est unitaire. Il faut par
conséquent, se mettre dans les dispositions requises et adopter la stratégie de
saisie de l’esprit de l’unité de la pensée du Citoyen de Genève.
C’est à ce prix seulement que l’on peut
comprendre l’unité de la pensée de Rousseau en ne négligent aucun de ses
textes, et surtout en privilégiant la transparence sur l’obstacle qui voile les
principes de son système.
Essai
bibliographique
Essai bibliographique sur la philosophie politique
de Jean-Jacques Rousseau
Un penseur de la trempe de Jean-Jacques Rousseau
(1712-1778) nous paraît à bien des égards comme à la fois proche et familier.
Ses idées, son œuvre ainsi que ses
préoccupations, surtout en matière de philosophie politique, sont proches de
nous de par le temps relativement court qui nous en séparent, et nous sont
tout aussi familiers de par l’actualité qu’on peut leur concéder. Pourtant
Rousseau et le rousseauisme ont fait un long chemin parsemé d’une très grande
production explicative, critique et comparative qui est également un piége
potentiel pour qui veut embrasser sa pensée dans sa totalité, ou même par un de
ses côtés singuliers. En effet, sous peine de stagnation ou de répétition,
l’étudiant, le chercheur ou tout autre producteur d’un travail à caractère
académique ou universitaire doit être au diapason des avancées réalisées dans
son domaine d’investigation.
C’est dans ce cadre que se situe cet essai. En tant que tel, il n’a pas
la vocation de dresser une liste
exhaustive et définitive de toute la bibliographie jusqu’ici consacrée à
Jean-Jacques Rousseau. Si telle était la finalité, il conviendrait peut-être
des se lancer dans la réalisation d’un ou de plusieurs volumes, ou alors d’un index
librorum spécifique tant les études
totalement ou partiellement consacrées à l’auteur sont nombreuses. Ici
l’intention consiste à proposer des références sélectionnées, aptes à
contribuer ou à éclairer l’approche de Rousseau et du rousseauisme. L’objectif
consiste aussi à rompre avec une absence, un vide et un mutisme en matière d’établissement de bibliographies
dans nos traditions académiques, lacune qu’il conviendrait de combler.
A
l’origine de cette entreprise bibliographique consacrée à l’auteur du Contrat social, une fidélité et une assiduité dans la pratique des
écrits consacrés à Rousseau et dans la recherche orientée sur sa pensée.
Le résultat est aujourd’hui un capital bibliographique non négligeable,
qu’il serait intéressant de partager avec la communauté universitaire, surtout
avec les étudiants qui rencontrent beaucoup de difficultés à chercher et
connaître d’abord, et à trouver et exploiter ensuite les références nécessaires
à la scientificité de leurs travaux.
La
recherche bibliographique évoluant comme une boule de neige, il suffit aux
utilisateurs éventuels de cet essai de s’en servir en tant que tremplin, et de
l’enrichir en fonction de leur orientation réflexive.
Dans cet essai, la part belle est faite à la dimension philosophique du
rousseauisme, laquelle dimension n’épuise pas bien entendu le champ thématique
du penseur des Lumières, mais contribue à en éclairer beaucoup d’aspects du
fait de sa tentation globalisante et hégémonique jamais reniée sur les autres
domaines.
Aussi, en plus des grands commentateurs, critiques et autres professeurs
dont les études font références, malgré les différences qu’on y trouve et les
polémiques qu’ils entretiennent, il nous a paru important d’adjoindre à cet
inventaire quelques manuels d’histoire de la philosophie, même si la portion
congrue y est souvent réservée au rousseauisme, ainsi que certains travaux
universitaires. Egalement, par souci de prudence ajouté à une trop grande
méfiance née d’une pratique de Rousseau toujours problématique qui est une
source d’incertitudes assez symptomatique du rousseauisme, la classification
thématique (politique et pouvoir, éducation et pédagogie, autobiographie,
psychologie, religion, histoire, droit, influence, révolution française, etc…)
n’a pas été prioritaire dans la démarche adoptée; le soin est laissé à l’usager
de faire ses choix en fonction de ses objectifs. Ensuite, les ouvrages, de par
leur nombre, semblent l’emporter quantitativement sur les articles. C’est une
simple impression ; car les actes des colloques ainsi que les numéros
spéciaux de périodiques consacrés à Rousseau et au rousseauisme constituent des
sources fécondes d’articles compilés qu’on ne saurait mentionner tous.
Toutefois, il nous arrive d’en indiquer certains au regard de l’importance
qu’ils revêtent pour nous. Enfin, nous avons cru nécessaire d’indiquer en
premier lieu l’édition des textes de Rousseau la plus couramment utilisée ces
dernières années dans les cercles et exploitations rousseauistes, sans oublier
de mentionner sa correspondance.
I - Les textes de Rousseau
-
Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, édit.
par Marcel RAYMOND et Bernard GAGNEBIN :
Tome I : Confessions
et autres écrits autobiographiques,
1959.
Tome II : La Nouvelle
Héloïse – Théâtre –Poésie – Essais littéraires, 1961.
Tome III : Du Contrat
social – Ecrits politiques, 1964.
Tome IV : Emile –
Education – Morale – Botanique, 1969.
Tome V : Ecrits sur la
musique, la langue et le théâtre,
1995.
-Correspondance Complète, Ed. critique établie et annoté par R.A. LEIGH,
Genève, Institut et Musée Voltaire – Oxford, The Voltaire Foundation, 1965.
II – Les Critiques et
commentaires
1.
ACHER
William, Jean-Jacques Rousseau
créateur de l’anamorphose d’Apollon,
Paris, Nizet, 1980.
2.
ADAMY
Paule, Les corps de Jean-Jacques Rousseau, Thèse dirigée par Jean Deprun, Paris I, 1995.
3.
ANSART- DOURLEN Michèle,
Violence et dénaturation dans la
pensée de Jean-Jacques Rousseau, Paris,
Klincksiek, 1975.
4.
AUDI Paul, - De la
véritable philosophie, Rousseau au
commencement, Paris, Le
Nouveau Commerce, 1994.
-Rousseau, éthique et passion,
Paris, PUF, 1997.
5.
BACZKO Bronislaw, Rousseau,
solitude et communauté, Paris – La
Haye,
1974.
6.
BARNY Roger, - Rousseau
dans la Révolution : le personnage de Jean-Jacques et les débuts du culte
révolutionnaire, Oxford, Voltaire
Foundation at the Taylor Institution, 1986.
-Le droit naturel à l’épreuve de l’histoire : Jean-Jacques Rousseau
dans la Révolution (débats politiques et sociaux) : suivie de Montesquieu
dans la Révolution, Paris, Les Belles
Lettres, 1995.
7.
BENREKASSA Georges,
Fables de la personne. Pour une histoire de la subjectivité, Paris, PUF, 1985.
8.
BENSOUSSAN Daniel, - La
maladie de Rousseau, Paris,
Klincksieck, 1974.
-L’unité chez Rousseau. Une quête de l’impossible, Paris, Nizet, 1977.
9.
BERTHIER R.G.F., Observations
sur le Contrat social de Jean-Jacques
Rousseau, Reims, éd. « À
l’Ecart », 1988.
10.
BESSE Guy, Jean-Jacques
Rousseau, l’apprentissage de l’humanité,
Paris, Messidor / éd. sociales, 1988.
11.
BREHIER Emile, Histoire
de la philosophie, tome II, Paris,
PUF, 1985.
12.
BRETONNEAU Gisèle, Valeurs humaines chez
Jean-Jacques Rousseau, Paris, La
Colombe, 1961.
13.
BOREL Jacques, Génie
et folie de Jean-Jacques Rousseau,
Paris, Corti, 1966.
14.
BURGELIN Pierre, La
philosophie de l’existence de Jean-Jacques Rousseau, Paris, PUF, 1952.
15.
CARRERE Jean, Les
mauvais maîtres : Rousseau, Chateaubriand, Flaubert, Paris, Plon, 1922.
16.
CARTON Paul, Le faux
naturisme de Jean-Jacques Rousseau,
Paris, 1951.
17.
CASSIRER Ernest, - Le
problème Jean-Jacques Rousseau,
Paris, Hachette, 1987.
- Rousseau,
Kant, Goethe, Paris, Belin, 1991.
18. CELL Howard R., Rousseau’s
response to Hobbes, New York, P. Lang, 1988.
19.
CHARPENTIER John, Jean-Jacques
Rousseau ; ou, Le démocrate par dépit, Paris, Perrin et Cie, 1931.
20.
CHATEAU Jean, Jean-Jacques
Rousseau : sa philosophie de l’éducation, Paris, Vrin, 1962.
21.
CHEVALLIER Jean-Jacques,
Les grandes œuvres politiques de Machiavel à nos jours, Paris, Armand-Colin, 1970.
22.
CHIRPAZ François, L’homme
dans son histoire : essai sur Jean-Jacques Rousseau, Genève, Labor et Fides, 1984.
23.
CHOULGUINE Alexandre, Les
origines de l’esprit national moderne et Jean-Jacques Rousseau, Genève, Julien, 1937.
24.
CLEMENT Pierre Paul, Jean-Jacques
Rousseau : de l’éros coupable à l’éros glorieux, Neuchâtel, Editions de la Baconnière, 1976.
25. CONROY Peter V., Jean-Jacques
Rousseau, New York, Twayne Publishers / London / Mexico City, Prentice Hall
International, 1998.
26.
COURTOIS Louis J., Le
séjour de Jean-Jacques Rousseau en Angleterre, 1766-1767 ; lettres et
documents inédits, Genève, Slatkine
[réimpression de l’édition de Genève, 1911] 1970.
27. CROCKER Lester G.,
- Rousseau’s Social contract, an interpretation essay, Cleveland
University Press, 1968.
-Jean-Jacques Rousseau, New York, Macmillan, 1968-1973.
Vol. 1 : The
quest, 1712-1758.
Vol. 2 : The prophetic voice, 1758 1778.
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III– Colloques et revues
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116. Société des études robespierristes, Jean-Jacques
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118. Annales Historiques de la Révolution Française, LX, 1978.
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1978) :Jean-Jacques Rousseau et la société du XVIII° siècle, Presses de l’Université d’Ottawa, 1982.
120. Colloque de Northfield (6-8 mai 1983) : J.-J.
Rousseau Association, Rousseau et l’éducation : étude sur l’Emile, présent. par Jean TERRASSE, Scherbrock (Québec),
Naaman, 1984.
121. Colloque d’Ottawa (15-17 mai 1985) : J.-J.
Rousseau Association, Pensée libre No. 1 :Etudes sur les discours de
Rousseau, présent. par Jean TERRASSE,
Ottawa, 1988.
122. Colloque de New York (29-31 mai 1987) : J.-J.
Rousseau Association, Pensée libre No.2 :Etudes sur le Contrat social, présent. par Guy LAFRANCE, 1989.
123. Colloque de Montréal (26-28 mai 1989) : J.-J.
Rousseau Association, Pensée libre No. 3 :Jean-Jacques Rousseau et la Révolution, présent. par Jean ROY, Ottawa, 1991.
124. Colloque de Caen (16-18 mai 1991) : Expériences
limites de l’épistolaire. Lettres d’exil, d’enfermement, de folie, textes réunis par A. MAGNAN, Paris, Champion, 1997.
125. Colloque de Trent (27-30 mai 1993) : J.-J. Rousseau Association, Pensée libre No 5 :Rousseau et la critique, présent. par Lorraine CLARK et Guy LAFRANCE, Ottawa, 1995.
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