ANTHOLOGIE POÉTIQUE

 

 

Actualisation : juin 2005

 

 

Jean-Jacques Rousseau a inspiré les poètes depuis le XVIIIe siècle. Nous nous proposons d’offrir ici une anthologie chronologique de ces textes et nous invitons même les poètes contemporains à la compléter en nous envoyant leurs poèmes.

 

 

 

 

    Tu me l’as fait sentir, j’ose t’en attester,

Île des Peupliers ; toi, qui m’as vu descendre

Te demandant Rousseau dont tu gardes la cendre.

Oh ! Comme à ton aspect s’émeurent tous mes sens !

Quelle douleur muette étouffa mes accents !

Combien je vénérai, combien me parut sainte

L’ombre des verts rameaux qui bordent ton enceinte !

Cette Île était un temple ; et de mes tristes yeux

Tandis que s’échappaient des pleurs religieux,

Rousseau, je crus, penché sur ton urne paisible,

Sentir de la vertu la présence invisible.

Je crus ouïr ta voix ; du fond de ton cercueil,

Ta voix de l’Amitié m’offrait le doux accueil.

    À la tombe champêtre accourez donc sans nombre,

Vous enfants qu’il aima ; ne craignez point son ombre ;

Approchez, folâtrez sous ces arbres naissants ;

Il va sourire encor à vos yeux innocents.

Et vous, que le Génie élève au ministère

De flétrir l’imposture et d’éclairer la Terre,

Sages, jurez ici qu’armés contre l’erreur,

Vous mourrez, s’il le faut, Martyrs de sa fureur ;

De ce beau dévoûement Rousseau fut le modèle ;

À sa noble devise il exprima fidèle,

Je vous appelle aussi, Peuples, et vous, bons Rois,

Dont il a révélé les devoirs et les droits ;

Les Tyrans sont connus ; ils tremblent sur le Trône.

Donc à son monument appendez la couronne,

Qu’au sauveur d’un Romain décernaient les Romains ;

Rousseau du Despotisme a sauvé les humains.

    MAIS de ses ennemis le flot bruyant approche.

Eh bien ! Tous à la fois vomissant le reoproche,

Profanez de la mort le silence éternel ;

J’attendais l’injustice à ce jour solemnel.

A-t-il pour s’agrandir armé la calomnie ?

À des soins intriguants ravalé son génie ?

Il ne mendia point la gloire ; il la conquit.

Qui le dira jaloux ? Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-il dit ?

Qui de vous l’a surpirs, des modernes Orphées,

En secret dégradant, et minant les trophées ?

D’un Vieillard qui le haît, du Sophocle Français,

Au fond de sa retraite il entend le succès,

Il l’entend ; et ses yeux en ont pleuré de joie.

Voilà cette âme grande ! Et l’on veut que je croie

Qu’ingrate, elle payait de haine un bienfaiteur !

Taisez-vous. Si, peu fait au métier de flatteur,

Il refuse aux bienfaits d’ouvrir sa solitude,

Le refus des bienfaits n’est point l’ingratitude ;

Non, non : c’est la Vertu, qui, s’armant de fierté,

Contre l’or corrupteur défend sa liberté.

Ce fut sa liberté qui fit son éloquence.

    MAIS ce qui de Rousseau dira mieux l’innocence,

C’est la profonde paix qui couronne sa fin :

Méchant, serait-il mort avec ce front serein.

Sans trouble résignant ses jours à la Nature,

« Laissez-moi voir encor cette belle verdure,

» Dit-il ; sur moi jamais un si beau jour n’a lui ;

» Je vois Dieu ; je l’entends ; ce Dieu m’appelle à lui. »

Il expire ; et trois jours, sur cette cendre éteinte,

De la gloire du Juste a rayonné l’empreinte.

    O TOI, dont l’indulgence encourageait mes Chants,

Qui te disaient la paix et le bonheur des champs ;

Grand Homme, dont j’allais admirer la vieillesse

Malheureuse en silence et fière avec simplesse !

Ah ! si, dans le repos où t’a placé la Mort,

Tu peux être sensible à mon pieux transport ;

S’il peut te souvenir quelle amour pure et tendre

M’attachait aux conseils que tu me fis entendre.

Garantis-moi des mœurs d’un siècle criminel.

Entends surtout la voix de mon cœur paternel.

Que ma fille, n’aguère arrivée à la vie,

Ait un jour les vertus dont tu paras Sophie ;

Qu’elle trouve un Émile, et que tous deux s’aimant,

De mes cheveux blanchis tous deux soient l’ornement.

 

 

                                         Jean-Antoine Roucher,

                                               Les Mois, en douze chants, « Janvier »,

Paris, imprimerie de Quillau, 1779, in-4º, t. II, pp. 260-264.

 

 

 

 

 

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Villette en son jardin du buste de Voltaire

           Fait son idole tutélaire;

La cendre de Rousseau, si chère à Girardin,

Avec honneur repose en son jardin;

De Chartres dans le sien renverse les statues

Des héros et des dieux, pour y placer Desrues.

 

Correspondance de madame Gourdan dite la Comtesse

13 juin 1783

 

 

 

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La pervenche

 

 

La neige  a fui : le ciel s’épure ;

La terre orne son sein d’un gazon renaissant,

Et déjà reparaît la première verdure

Aux feux d’un soleil caressant.

 

Vois-tu, dans leur couche d’argile,

Dormir encor la plante, et sommeiller les fleurs ?

Aucune n’ose encor, de sa tige fragile,

Eveiller les riches couleurs !

 

En vain un ciel doux les invite :

Sous les rayons trompeurs d’un soleil printanier,

L’air cache trop souvent les fureurs qu’il médite ;

Les fleurs n’osent s’y confier.

 

Mais la pervenche, moins timide,

S’élève sur le bord du manteau des hivers ;

Sa corolle d’azur s’entr’ouvre, et se décide

A braver la rigueur des airs.

 

De Flore espérance première,

Salut ! toi qui te peins de la couleur des cieux,

Salut ! ô du printemps aimable avant-courrière,

Toi qui ris, si fraîche à mes yeux !

 

Dès qu’en nos champs j’ai vu paraître

Tes pétales d’un bleu si charmant et si doux,

Je me suis écrié : « Mortels, tout va renaître,

« la nature est encore à vous ! ».

 

Douce  sœur de la primevère !

O fleur si gracieuse et si chère à Rousseau !

Viens, viens de ta parure et hâtive et légère

Embellir mon humble berceau !

 

Fleuris autour de ma retraite,

Et qu’engourdi long-temps par le froid des hivers,

A ton aimable aspect le talent du poète

S’éveille encor pour les beaux vers !

 

 

Chênedollé

Annales romantiques, 1836.

 

 

 

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La mort de Madame de Warens

 

                                              Paris, 1875

 

A soixante-trois ans, malheureuse, isolée,

Dans un réduit obscur, sans fleur et sans soleil,

Stoïque, elle aperçut la funèbre vallée,

Et s’en alla dormir son éternel sommeil!

 

Ne regrettiez-vous pas, ô femme inconsolée,

Vos Charmettes, vos bois, votre horizon vermeil,

Vos vergers, vos amours,... La jeunesse envolée,

Jean-Jacques qui venait vous sourire au réveil?

 

O Rousseau, qu’as-tu fait? — Tu laissas ta maîtresse

Mourir dans l’abandon; tu ne vins pas fermer

Ses yeux si beaux jadis, en la saison d’aimer!

 

Tu ne recueillis pas sa dernière caresse,

Son suprême baiser... le reste du flambeau,

Et des indifférents la mirent au tombeau!

 

 

Hippolyte Buffenoir

J.-J. Rousseau et les femmes, 1891

 

 

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Lentement, sûrement, sans pitié ni colère,

J’ai déblayé la route et frayé mon chemin;

Tyrans et factieux ont vécu : voici l’ère

De ma pleine puissance et du bonheur humain.

 

Pour mon œuvre qui naît, et grandira demain,

Jean-Jacques m’a donné le principe angulaire:

Un Dieu, de qui la pompe aimable et populaire

A des bouquets d’épis et de fleurs à la main.

 

Sous mon incorruptible et douce dictature

On fêtera la Loi, la Vertu, la Nature,

Le civisme y fera naître l’âge d’or;

 

Les hommes seront purs, les cœurs seront sensibles,

Et le peuple, éveillé de rêves impossibles,

Saluera, libre enfin, l’aube de Thermidor !

 

Vicomte de Borelli

Rana, 1887

 

 

 

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        Je pense à Jean-Jacques...

 

Je pense à Jean-Jacques Rousseau, aux matinées

de cerises mouillées, avec des jeunes filles.

Il était fantasque et aimant par les belles soirées,

au clair de lune, avec Madame d’Erneville (?)

 

Il disait, à peu près des phrases comme ici:

Non! Je ne vis jamais gorge mieux faite...

C’est dans ce temps que je lus un nouveau poète...

Mes bas étant troués, elle m’en fit raillerie.

 

Ou es-tu, vieux temps? Où es-tu, triste botaniste

qui cueillais dans les bois la mousse et le colchique?

Dans les Académies, on posait des principes.

On demandait raison au nom de la Justice.

 

O Jean-Jacques! Au fond des humides bois noirs,

sur le flanc des collines vertes, par les beaux dimanches,

tu causais avec l’Eternel et tu allais boire

à la source de la Vérité toute blanche.

 

Thérèse préparait la soupe. pendant ce temps

tu répondais à d’injustes accusations,

ou bien à quelque amie pour qui ta passion

acheva de ruiner ta santé chancelante.

 

Je crois entendre encore claquer un clavecin.

Une avait un point noir tout au coin de la lèvre,

et un autre pareil sur le milieu du sein!...

La lune qui brillait augmentait votre fièvre.

 

Jamais tu n’aimas mieux que cette fois encore.

Des enfants qui jouaient abîmaient la pelouse.

Tu fus pressant. Mais elle, avec grâce jalouse,

ne te permit que ce que la bienséance accorde.

 

O Jean-Jacques! Ton singulier souvenir

est comme une vieille et jaune liasse

de lettres décachetées et couvertes de taches

d’encre et de pluie, triste à faire mourir.

 

Francis Jammes

De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir

1888-1897

 

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          Les Charmettes

 

La route: un tendre miel de menthe

Flottait sur le petit torrent,

Rousseau, quand vous vîntes, errant,

Vers votre humble, immortelle amante.

 

L’eau coule, le silence est frais,

L’ombre est verte, humide et dormante.

— C’est sur cette pente si lente

Que votre fenêtre s’ouvrait!

 

Tous vos soupirs, tout votre orage,

qui, dans la plus grande cité,

Mèneront un peuple irrité,

Soulèvent ici le feuillage...

 

Religieuse pâmoison!

Mon cœur, de douceur va se fondre.

Je pousse votre porte, j’entre,

Voici l’air de votre maison.

 

Je me penche à votre fenêtre,

Le soir descend sur Chambéry;

C’est là que vous avez souri

A votre maîtresse champêtre.

 

Vos pieds couraient sur le carreau

Et vous traversiez la chapelle

Quand votre mère sensuelle

S’éveillait entre ses rideaux.

 

Des cloches tintent, le jour baisse,

Voyez, je rêve, je me tais...

C’est sur ce lit que tu jetais

Ton cœur qui crevait de tristesse!

 

Voyez avec quel front pâli,

Dans cette émouvante soirée,

Je suis — l’âme grave et serrée —

venue auprès de votre lit.

 

Recueillie et silencieuse,

Les deux mains sur votre oreiller,

Les bras ouverts et repliés

Je fus votre sœur amoureuse.

 

Je presse votre ombre sur moi,

Que m’importent ces cent années!

Vous viviez ici vos journées

A la même heure de ce mois;

 

Il est six heures et demie,

Claude Anet arrose au jardin;

Vos deux mains, si chaudes soudain,

Sont sur le cou de votre amie.

 

C’est ici, près de ce muscat,

Dans la douce monotonie

Que vous grelottiez de génie

O héros lâche et délicat!

 

L’odeur claire et fraîche en automne

Des dahlias et du raisin,

Glissait, dans l’aube, sur le sein

De celle qui vous fut si bonne.

 

Dans la chambre un papier chinois

Sur les murs vieillis se décolle.

Ah! comme votre hôtesse est folle!

Vous pleurez d’amour tous les trois...

 

La force des soleils sur Parme,

Les beaux golfes de l’univers

Ne valent pas un jardin vert

Où coulaient de fameuses larmes.

 

O Rousseau qui fûtes laquais

Et fûtes chassé par vos maîtres,

Vous dont le chant divin pénètre

Les bois, les sources, les forêts,

 

Voyez, ce soir le ciel bleu penche

Sur les Charmettes son front pur,

Je prends dans mes mains tout l’azur,

Je te donne cette pervenche...

 

Anna de Noailles

Les Eblouissements.

 

 

 

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Les Charmettes

 

C’était un jour brumeux et gris:

Le brouillard, montant des vallées,

Pesait sur les monts assombris

Dont les cimes étaient voilés.

 

La fauvette et le gai pinson

Ne chantaient plus dans les futaies;

On n’entendait que la chanson

Du rouge-gorge dans les haies.

 

L’églantier, parmi les sureaux

Dont la bise effeuillait les branches,

Changeait en collier de coraux

Sa guirlande de roses blanches.


Mais au plus beau ciel des étés

Je préférais ce ciel sans flammes:

Car je marchais à vos côtés,

Et la joie était dans mon âme.

 

Tous deux, ô souvenir divin!

Nous suivions une route étroite

Que côtoie à gauche un ravin

Et que borde un buisson à droite.

 

C’est au bord du même sentier

Que Rousseau, gravissant la côte,

Vit poindre, au pied de l’églantier,

La pervenche dans l’herbe haute.

 

Et cette maison dans les champs,

D’où l’on voit le glacier splendide

Qui rougit aux soleils couchants,

Ainsi qu’une vierge candide;

 

Ce salon dont vos petits pieds

Foulaient la dalle humide et nue;

Cette terrasse où vous grimpiez;

Au bout d’une verte avenue;

 

C’est la terrasse et la maison

Où le philosophe morose

Vécut une douce saison,

Au souffle de l’amour éclose.

 

Le souvenir de ces beaux jours

Charmait ses heures les plus sombres

Et dans son cœur vivait toujours,

Comme un fleur dans les décombres.

 

Aimer, être aimé: tout est là;

C’est la loi; c’est pourquoi nous sommes;

Celui que l’amour consola

Brave les choses et les hommes.

 

S’il est blessé par quelques traits:

« Qu’importe ! dit-il en lui-même;

Le ciel est bleu, l’ombrage est frais,

La nature est belle, et l’on m’aime ! »

 

Comme les coteaux éloignés

Changent d’aspect et de figure,

Dans l’azur éclatant baignés,

Ou plongés dans la brume obscure;

 

Ainsi, par l’amour transformé,

Tout nous paraît meilleur ou pire;

Sans lui tout semble inanimé;

Avec lui tout semble sourire.

 

Mais celui que l’on n’aime pas

Contre le sort est sans défense;

Voyageur sans but, ici-bas,

Chaque objet le blesse et l’offense;

 

La haine et les ressentiments

Etouffent ses penchants plus tendres;

Comme un feu privé d’aliments,

Son cœur ne chauffe que des cendres.

 

François Ponsard

1890

 

 

 

 

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Madame de Warens

 

Madame de Warens, vous regardiez l’orage

plisser les arbres obscurs des tristes Charmettes,

ou bien vous jouiez aigrement de l’épinette,

ô femme de raison que sermonnait Jean-Jacques !

 

C’était un soir pareil, peut-être, à celui-ci…

Par le tonnerre noir le ciel était flétri…

Une odeur de rameaux coupés avant la pluie

s’élevait tristement des bordures de buis…

 

Et je revois, boudeur, dans son petit habit,

à vos genoux, l’enfant poète et philosophe…

Mais qu’avait-il ?… Pourquoi pleurant aux couchants roses

regardait-il se balancer les nids de pies ?

 

Oh ! qu’il vous supplia, souvent, du fond de l’âme,

de mettre un frein aux dépenses exagérées

que vous faisiez avec cette légèreté

qui est, hélas, le fait de la plupart des femmes…

 

Mais vous, spirituelle, autant que douce et tendre,

vous lui disiez : Voyez ! le petit philosophe !…

Ou bien le poursuiviez de quelque drogue rose

Dont vous lui poudriez la perruque en riant.

 

Doux asiles ! Douces années ! Douces retraites !

Les sifflets d’aulne frais criaient parmi les hêtres…

Le chèvrefeuille jaune encadrait la fenêtre…

On recevait parfois la visite d’un prêtre…

 

Madame de Warens, vous aviez du goût

pour cet enfant à la figure un peu espiègle,

manquant de reparties, mais peu sot, et surtout

habile à copier la musique selon les règles.

 

Ah ! que vous eussiez dû pleurer, femme inconstante,

lorsque, le délaissant, il dut s’en retourner,

seul, là-bas, avec son pauvre petit paquet

sur l’épaule, à travers les sapins des torrents…

 

Francis Jammes

Le Deuil des primevères, Paris, Mercure de France, 1901.

 

 

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Jean-Jacques Rousseau

 

Il avait appris la musique

Au hasard d’un destin brutal,

Et vivait, scribe famélique,

En l’enseignant, tant bien que mal.

 

Mais, Génie âpre et despotique,

Ton cœur, plein d’un autre idéal,

Quand tu chantais un air rustique,

Rêvait au Contrat social.

 

Malgré mainte exquise ariette,

Qui charmait Marie-Antoinette,

Ton Devin du village dort,

 

Partition toujours fermée…

– Mais, de ta parole enflammée,

Le monde entier frémit encor !

 

 

Henri Allorge,

 Le Clavier des harmonies, 1907.

 

 

 

 

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Quatorze juillet

 

Ce jour-là, pour mieux fuir les badauds, la poussière,

Le bruit, toute la joie orgiaque et grossière,

L’air agité qui sent la sueur et l’alcool,

Le bon peuple, trempant sa chemise et son col,

Et secouant son cœur, sa tête et ses entrailles,

Au son faux et criard d’un orchestre à mitrailles,

Faisant trêve à l’ouvrage et quittant tout souci,

Nous allâmes tous deux jusqu’à Montmorency,

Caché dans un vallon parmi les verts feuillages.

Un petit train, poussif malgré ses courts voyages,

Nous monta, vers l’amas rouge et blanc des maisons,

Parmi la liberté des vastes horizons,

Dans un halètement de bête époumonée.

Temps clair. Il avait plu pendant la matinée,

Mais très peu, comme il pleut en été sur les bois,

Seulement pour qu’ensemble, et partout à la fois,

La verdure et la terre embaument davantage.

De Rousseau dans un angle on voyait l’ermitage,

Et tandis qu’enlacés devant lui nous passions,

Moi, ravi, j’évoquais dans les Confessions,

Vers le début du livre quatre, ce passage

Adorable et léger, leste un peu, mais si sage,

Qui s’enhardit à peine, et s’arrête en chemin,

Et ne va pas plus loin qu’un baiser sur la main.

Rappelez-vous. c’est à Thoune. Deux demoiselles

Rencontrent là Rousseau qui vient dîner chez elles.

Tout rit. La terre a mis sa robe de gala,

L’amant rêve, et, tandis qu’il est absorbé là,

Ces filles aux doux yeux, de sa jeunesse éprises,

L’entraînent au verger pour cueillir des cerises,

Et lui, montant à l’arbre, et lascif à dessein,

En jette en badinant des bouquets dans leur sein.

O le doux souvenir d’amour jeune et volage!

Pouvais-je y songer mieux que dans ce clair village,

Montmorency, qui rit avec ses cerisiers?

Mille oiseaux dans les bois chantaient à pleins gosiers

Ou becquetaient les fruits qui, pour nous seuls sans doute,

Se groupaient en bouquets sur toute notre route,

Comme si la nature, approuvant nos baisers,

Avait fait à nos pas des chemins pavoisés.

Les bois étaient charmants. Pourtant, dans chaque sente,

L’herbe mouillée encore était un peu glissante.

C’était un de ces jours où, parmi les halliers,

L’on gâte en folâtrant sa jupe et ses souliers,

Tant qu’enfin l’équipée, égayant la clairière,

Finit chez la modiste et chez la couturière.

Mais qu’importait pour elle un pareil lendemain!

Pour elle qui, chantant tout le long du chemin,

Sautait de joie, avec l’air crâne et la mimique

D’une reine échappée à l’Opéra-Comique.

Dans les taillis pleins d’ombre et de soleil baignés,

Nous froissions en courant les jeunes châtaigniers;

Leurs branches poliment nous faisaient cent courbettes,

Si bien qu’à la façon des oiseaux et des bêtes,

Sans nous gêner, n’ayant que le ciel pour témoin,

Nous pûmes... Mais pardon, je n’irai pas plus loin,

Et, malgré les accents de sa voix pénétrante,

Ma Muse, qui connaît l’article trois cent trente,

Hésite à vous conter les faits par le détail,

Comme si tout à coup, sinistre épouvantail,

Allaient surgir là-bas, près des meules en cône,

Le chapeau du gendarme et son baudrier jaune.

Enfin le soir venu, tandis que Dieu, sans bruit,

Pour sa fête céleste illuminait la nuit,

Nous dînâmes tous deux, sous la tonnelle arquée,

Ainsi que deux oiseaux se donnant la becquée,

Dénoncés seulement, dans les bois apaisés,

Par le claquement brusque et clair de nos baisers.

La pleine lune éclose et suspendue aux branches

Etalait sur les prés de grandes nappes blanches,

On eût dit que dans l’herbe, où rampent les fourmis,

Des mille esprits du soir le couvert était mis.

Là-bas pourtant, bien loin, la ville énorme et saoule

Suspendait ses cordons enflammés sur la foule,

Et, vidant sur le sol le trop plein des maisons,

Souillant tout, charriant la fièvre et les poisons,

Comme une eau dans sa course incessamment grossie,

Bondissait d’aise en une immense épilepsie.

Mais nous n’en savions rien. Ces bruits lointains et fous

Semblaient accroître encore le calme autour de nous,

Et, seul, des vers luisants le flambeau minuscule

Brûlait, fleur de phosphore éclose au crépuscule,

Tandis que les chemins et les longs promenoirs

Brillaient comme de l’eau sous les peupliers noirs.

 

Gauthier Ferrières

La Romance à Madame

1909

 

 

 

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Offrande à Jean-Jacques Rousseau

 

 

J’ai songé bien souvent à ce frère, ô Rousseau,

Dont l’amitié fidèle eût charmé ton berceau,

Ton pauvre Berceau solitaire,

Et qui t’aurait compris peut-être et dans ta nuit

Eût tendrement guidé tes pas, – mais qui s’enfuit,

Un triste soir, dans le mystère !

 

Quel souffle l’emporta ? Vers quels rêves lointains

Voulut-il aiguiller ses orageux destins ?

Dans quels flots a-t-il jeté l’ancre ?

Connut-il le pays des étés glorieux ?

Vit-il les durs climats où roulent, furieux,

De lourds nuages couleur d’encre ?

 

Nul ne sait. Pour nous tous, qui du fond de nos pleurs,

De nos erreurs, de nos terreurs, de nos douleurs,

Devers toi nous sentons attraire,

Nous, qui t’avions laissé, mais qui te revenons,

Ne te semble-t-il pas que, sous nos divers noms,

Nous sommes tous un peu ce frère ?

 

Vois, nous avons pour toi des joyaux ciselés,

D’étincelants saphirs sertis dans l’or des blés,

Toute une sonore Cocagne

De ces pompeux trésors qu’épandent à merci

Les poètes aimés des Dieux, et puis aussi

Quelque humble fleur de la montagne !

 

 

Fabre des Essarts

Le Savoyard de Paris, 6 juillet 1912.

 

 

 

 

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Le Cerisier de Thones

(Chanson sur un air de J.-J. Rousseau)

 

I

 

Dans ce verger Rousseau s’est arrêté.

Sur ce vieil arbre, il cueillit des cerises

Pour amuser des bouches tant exquises,

Plaire à des yeux au regard velouté,

Rousseau joyeux a cueilli des cerises.

 

II

 

Sur une échelle en le voyant monter

Du cerisier pour atteindre les branches,

Montrant les dents, riant à lèvres franches,

Toutes les deux se mirent à chanter,

Battant des mains, riant à lèvres franches.

 

III

 

Mais le galant sur l’arbre s’attardait :

Car, au-dessous, s’entr’ouvraient les corsages

Plus séduisants encor que les visages ;

De légers fruits, habile, il bombardait

Les seins jumeaux bombant sous les corsages.

 

IV

Et ce fut tout, l’idylle finit là,

Préface frêle aux livres de Jean-Jacques !

Du vieux bouquet, parfums élégiaques ;

Oui, ce fut tout, le soir, il s’en alla,

Et bien qu’heureux, comme devant Jean-Jacques.

 

 

Edmond Teulet

Le Savoyard de Paris, 6 juillet 1912, p. 3.

 

 

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                                 Rêverie

 

En soupant lentement sous une treille brune
Dont les beaux muscats blancs luisaient au clair de lune,
Tandis que pour moi seul, dans la nuit, un oiseau
Chantait vers le tilleul, je pensais à Rousseau...
Un soir divin et frais venant après l’orage.
Devant le banc de bois du rustique Ermitage,
Une jeune servante avait mis le couvert.
Quelques gouttes tombaient du feuillage plus vert.
Un vase sur la nappe était plein de pervenche,
Madame d’Épinay portait – c’était Dimanche,
Son chapeau de bergère et son corsage ouvert.
Pure fraîcheur du soir ! On apportait la lampe,
Et Jean-Jacques songeait, un doigt contre sa tempe.
La serveuse heurtait les plats dans la maison,
L’étoile du berger montait à l’horizon,
Et quand mourait au loin le bruit du char qui rentre
On entendait couler la source dans son antre
Et chanter la rainette et le grillon perdu.
Madame d’Épinay caressait son bras nu,
Rose et rond sur la table, et parfois son haleine
Dans son corsage creux enflait sa gorge pleine
Qu’une tremblante et tiède ligne séparait.
Un léger vent coulis qui passait murmurait
Dans les arbres du parc une plainte endormie,
Et Rousseau, souriant, regardait son amie,
En feuilletant, distrait, un petit livre gris,
À côté d’un panier plein de cerises blanches,
Un petit livre simple et sans ors sur les tranches
Que Denis Diderot envoyait de Paris.

 

                                                Léo Larguier

 

 

 

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Rousseau

 

Rousseau, gardien de phare au cœur de mes errances

Tu n’es pas Belge, hélas ! Est-ce mieux d’être Helvète ?

Je te vois, l’œil amorphe et tourné vers la France

Prostré sur un pliant, taquinant la crevette,

 

Pisser nonchalamment dans le lac de Genève,

Je te revois encor, en bas et en guêpière

Dans le cul d’un gamin postillonner ta sève,

Ecumer les bordels au fil d’une rapière

 

A embrocher tout vif un cent de jouvencelles,

Et surtout, écartant d’une paume fiévreuse

Deux fesses bien galbées sur un con de pucelle,

Charmant petit pétard de Suissesse suceuse,

 

Car je ne connais rien de mieux que la Suissesse

Pour dégorger les queues d’un seul suçon des fesses !

 

Plus tard, le Promeneur aux manies solitaires

Devenu boutonneux dans les bras d’une pute

De l’Helvétie bravant les génies tutélaires

Choisit pour s’établir la forêt des Carnutes.

 

Pourquoi ? Nul ne le sait. Quant à moi, Belge infâme,

Critique d’art un jour, l’autre marchand de frites

Rimailleur devant qui le Tout-Beaubourg se pâme

J’ai l’air, étant à jeun, de sortir d’un Magritte,

 

Rictus dans un miroir, furoncle sur la nuque

Tel qu’en moi-même enfin l’éternité me grime,

Reflet virilisé, ou tristesse d’eunuque,

Je ressemble à Duras-l’hommasse. Est-ce mon crime ?

 

Quant à Rousseau, je ne sais pas. Est-il un jour

Mort dans une maison de bains d’outre-Léman,

Pour avoir trop cerné les innocents contours

D’une jeune Astarté qui jactait allemand,

 

Et, drapé de vapeur, lui avoir fait l’amour

Quinze fois. Est-ce vrai ? Demandez à Dutourd !

 

Télesphore Anthème

                                                    Mes Flatulences, sans lieu, 1985

 

 

 

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Sonnet rousseauiste

 

Quand l’aurore farouche et rebelle se lève

Le souvenir s’arrache à mon corps, pesamment

Et tandis que les monts s’ourlent de blanche sève

Brûle d’un feu glacé les eaux du Lac Léman.

 

Trop débile est son aile aux lisières du rêve

Et pour se consoler dilue au firmament

Ces faisceaux d’or transi qui ouvrent une trêve

Dans l’acier de la nuit durcie par les serments.

 

Un jour les Peupliers, le lendemain Genève,

Dans le gâteau divin toujours la même fève,

Et l’ombre de Julie qui flotte sur Clarens.

 

Si je reprenais vie, nul doute que sans peur

J’accrocherais mon âme aux bateaux à vapeur,

Pour prouver que Rousseau a bien le pied marin.

 

Marc Binazzi

25 janvier 1988

 

 

 

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                                                          Sonnet rousseauiste

 

 

Echo de mes soupirs, quand la lune se fronce

En brasier de courroux par l’aurore pâli,

Quelle invisible chair s’illumine, où tu lis

De mes sanglots confus l’ineffable réponse?

 

De mes herbiers moisis je vois fleurir les ronces

Comme de mon suaire un par un, pli à pli,

Ces livres trop brûlants pour consumer l’oubli

Sur l’autel du Malin dont Voltaire est le nonce.

 

La nuit autour de moi dilapide mes ailes

Car je suis séraphin et ma plume cisèle

Au flanc du souvenir ce doux refrain: ci-gît.

 

Et pour qu’eux à leur tour reprennent le flambeau

Pour qu’à l’Esprit vainqueur s’éveille le tombeau

Dans l’ombre des vivants grave mon effigie.

 

Marc Binazzi

11 avril 1990

 

 

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CINQ  ODES

 

 

 POUR 

 

 

JEAN - JACQUES  ROUSSEAU

 

De

 

Françoise Bocquentin

 

 

 

*****

 

 

 

 

.

 

PROLOGUE

 

 

 

 

C'était dans cette heure mauve où se lit le courrier avec mille piqûres à l'âme

Que je lisais ta belle rêverie

La cinquième sans doute

Un vent doux écartait les pages

L'air dispersait les mots

Tout me disait qu'ailleurs tu étais déployé

Délivré de la forme

Que l'écriture impose à la pensée

 

 

Le lac palpitait sobrement

Comme si tu étirais ses eaux de gestes pâles

D'imperceptibles déploiements

Et je voyais dans ce miroir mouvant trembler- très fugitives- les ondes du passé

 

 

 

 

 

 

Alors il me sembla te reconnaître dans le beau glissement d'une aile apprivoisée

Dans ce lacis de cris légers

Qui - au-dessus des flots - déployait son murmure

 

 

Car l'ignorance affirme et crie pour se convaincre

Mais le savoir murmure

Il n'impose jamais:il propose

Puis se tait

Attendant d'une attente qui peut être éternelle

L'oreille du parfait

 

 

 

 

 

LES  CHARMETTES

 

 

 

Automne 1736 -  Eté 1981

 

 

 

 

I

 

 

 

 

 

 

Comme toi j'ai connu une maison où l'on vient respirer lorsque l'air des villes est trop lourd

Une maison qui sait aimer abondamment et que l'on voudrait protéger de la mort pour préserver l'aurore inépuisable dont elle vous a fait don

Et qui vous alimente encore

 

 

Car c'est ici que nait - de chaque nuit- un jour  sans cicatrice

C'est ici que l'invisible se dévoile et que l'inaltérable se bâtit

Pas à pas

Larme après larme

Dans un  enfant lointain qui aime avec ferveur

 

 

 

 

Comme toi j'ai marché dans les ruisseaux de l'aube

J'ai traversé la terre  à l'heure première de la rosée

Comme toi j'ai vu rougir l'azur et se lever  la  brise

Et comme toi j'ai pris le sentier

 

Je suis montée sur le rondeau où jaillit - à Pâques fleuries- la pudique pervenche

J'ai humé le tilleul

J'ai planté le lilas

Et le vin de Frangy je l'ai bu moi aussi...

 

Comme toi j'ai regardé par la fenêtre bleu le jardin des Charmettes

Et cet azur - rond comme un fruit- que tu croquais à pleines dents

Heureux d'être toi-même et de te savourer à chaque instant

 

 

 

 

II

 

 

 

 

 

 

Car il te fut donné de traverser le temps sous l'apparence humaine et de connaître ici l'innocence réelle

L'innocence qui rend léger

Et la terre maintenant te semble presque ronde comme si tu t'élevais au-dessus de son corps

Bleu de ce bleu profond qui a forme de sein

 

 

 

 

Heureux ceux qui s'avancent avec leur seul baiser

Abandonnant les chants- fussent-ils éternels- qui les alourdissaient:

Une ligne suffit pour être

Un mot peut-être

Mais il doit venir lentement

En son lieu

En son temps

Comme on tire peu à peu l'eau perlante du puits

Comme on rentre des champs

Pas à pas

Dans l'or du crépuscule

Où toute chose enfin acquiert sa finitude

Et son remembrement

 

 

 

Car un mot qui se hâte n'est qu'un bruit

Une pierre jetée sur la nuit

Un étron dans l'espace limpide

 

 

 

 

 

 

III

 

 

 

 

 

 

La vraie parole est faite de silence :

La bouche ne peut la dire

La main ne peut l'écrire

Elle fuit- toujours plus loin- là où l'instant s'épure,atteint son faît, exulte et se transforme en signe indélébile

 

 

Car tout est signe et tout signe est un univers

Empêcher l'invisible?

Nul ne le peut

Il est partout

Et que vos yeux l'ignorent est de peu d'importance

Car toujours l'au-delà est bien plus grand que le regard,fut-il immense....

 

 

 

 

 

Je parle ici  du signe, non de la preuve

Cette preuve qui efface ce que le signe avait inscrit et la recouvre à tout jamais d'un voile...

 

Que dire de l'improuvable, sinon qu'il est certain ?

Qu'il est seul à être certain ?

Que tout le reste - si longuement prouvé,tant de fois reproduit - se dissoudra bientôt

Cendre du temps

Bulle du vide

Pétale du néant

 

 

 

 

 

 

IV

 

 

 

 

 

 

Blessés par l'heure

Crispés par la blessure

Nous glissons dans le gouffre intérieur

Tout au fond de la voie sans issue

 

 

 

Pourtant les signes nous traversent et dénouent lentement les noeuds de notre corps

 

Encore faut-il s'abandonner à eux

Se laisser déployer

Ne rien faire

Laisser faire:

La vie sait ce que le vivant ne sait pas ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais toujours nous voulons au lieu de consentir

Toujours nous exigeons:

Louer,pourtant,sera notre demeure

Le reste périra

 

 

 

 

 

V

 

 

 

 

 

 

Jamais tu n'as laissé l'aube s'éveiller seule:

Tu l'attendais- debout- dans la limpidité

Tes poumons déployés en un chant magnifique

Tu priais ardemment,les pieds dans la rosée:

 

"O,Seigneur,donne-moi la profondeur pour accueillir,le silence pour écouter,l'intuition pour connaitre,les larmes pour parler"

 

Le soleil,entendant ton murmure ,levait soudain son corps éblouissant

Et tu disais très haut ce "oui" d'acquièscement

Ce "oui" qui crée la création à chaque instant

Ce "oui" qui ouvre les abîmes et noie l'obscurité

 

 

 

 

 

Ce "oui" je mis longtemps à le former

A l'arrondir en moi

A le rendre nubile

Pourtant toute fleur a dit "oui" avant d'offrir au vent l'or poussiéreux de son pollen ..

 

 

 

 

 

 

 

VI

 

 

 

 

 

 

Est-ce sur la route de Vincennes ou bien ici q'est venue l'illumination qui transfigura tes pensées?

 

 

Car il est dans toute vie un pur instant

-Fut-il même inconscient-

Où chacun d'entre nous découvre tout ce qui va lui advenir

Tenant son destin dans sa main

Telle une boule lisse et dense

Plus lourde encore

Plus dense encore

Que toute chose lourde ici appréhendée

 

 

 

Sans les fleurs parfaites des sentiers

L'aile apeurée de l'hirondelle

Les trilles bleues du rossignol

Aurais-tu conçu toutes ces paraboles où tu tentas- en vain- de  dévoiler le secret de ton sein ?

 

Est-ce ici  que germa en toi la source d'une langue nouvelle ?

Est-ce ici que tu fis sourdre l'eau souterraine de  ton âme ?

Est-ce ici que ta plume magique commença ses métamorphoses?

Est-ce ici que tu t'initias à ces signes que nous offrent les  Dieux pour parler avec eux?

 

 

 

Est-ce ici que ton corps se mit à déclamer ce que ta voix ne pouvait dire  ?

 

Car déjà tu savais déjouer dans ton  corps l'arbitraire de son  anatomie

Ce corps emprunté - mais à qui?- depuis le fond ,très profond,de la nuit....

 

 

 

 

VII

 

 

 

 

 

 

Et pourtant c'est bien d'un défaut

D'une très petit défaut dans l'harmonie grandiose du règne minéralqu'est née la vie et qu'ont jailli ses convulsions

Elargissant la faille infime en vastes tourbillons

 

Et nous voici vivants

Nés d'une erreur

D'une léger tremblement

D'un minuscule écart dans les jalons moléculaires

Oui,nous voici

Pistils imprévus d'un calice stérile

Pour un étrange accouplement

Une fécondation innattendue

 

 

 

 

Créer?

Est-ce possible si déjà tout existe?

Et si l' abîme est là  avant que notre cri célèbre son horreur?

Si le futur - au creux de l'heure- est comme un fruit parmi la fleur?

 

Ne faisons-nous que mettre à nu

Que révéler

La pépite enfouie dans l'obscur

L'amande voilée par sa bogue?

Nous faut-il traverser -vierges et stériles- les formes du créé,sans  jamais  accoucher ?

Sans jamais concevoir en nous l'infinitésimal grain qui déploiera notre infini?

 

 


 

 

 

 

MONTMORENCY

 

 

 

9 Avril 1756  - 4 Avril 1987

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

 

 

 

Est-ce par un temps de lune -qui rend la campagne si blanche que l'on croirait en ouvrant les volets qu'il a neigé- que nous fîmes plus ample connaissance?

Ou bien est-ce en un jour où la jonquille sort de la mousse son fuseau d'or?

 

Non,ce n'était pas encore le réel printemps lorsque je vins à l'Ermitage

Et rien n'adoucissait un paysage

Ingrat

Brisé par des lotissements

J'y cherchai la violette:en vain

Et ce doux rossignol où plus tard tu viendras t'incarner.

J'étais désemparée

 

 

 

Il faisait froid.

Il faisait sombre aussi dans ce monde pavillonnaire;

Un bleu de porcelaine triste écaillait l'horizon.

J'avais peur que l'infini me quitte,qu'il aille se répandre ailleurs :

Perdre un seul grain de la lumière n'est-ce pas l'égarer toute entière?

 

 

 

 

 

 

J'ai marché - pour te retrouver- au hasard du crépuscule:

Les bois étaient figés  par l' hiver difficile

Des caillots noirs coagulaient l'espace

Et chaque brin de vie mourait en solitude

Nu et désespéré

 

 

 

 

 

II

 

 

 

 

 

 

J'ai froid

J'attends:

Car les étoiles ont des voix lentes ...

 

Mais qui va là?

Est-ce le bruit qui vient?

Le silence qui se retire?

 

La tristesse est tombée des choses

Les branches  s'arrondissent

Un vent tiède s'amarre aux rives de la vie

Il y a comme une ascencion,un désir d'être dans les eaux qui gonfle chaque goutte

De lourdes bulles de lumière montent des vases de la nuit

 

 

 

 

Alors je sens en moi l'allégresse d'un ange

Alors j'entends sa voix :

Un soupir minuscule

Un son de flûte au loin frêle et fragile

Un murmure insistant

Un chant qui tiédit tout mon sang

Un pouls grandiose qui m'anime

Un hymne tout-puissant qui me soulève au sein de ce hasard immense qui est aussi immense finalité

 

 

 

 

Celui qui ne voit pas les signes subit tout le poids de l'obscur sans pouvoir s'y soustraire ....

 

 

 

 

III

 

 

 

 

 

 

Avoir une âme est le plus lourd fardeau

Car la chair est facile,elle a peu d'exigences:

Il lui suffit d'un rire,d'un désir ou d'un songe

D'une heure où l'air embaume

De quelque instant léger où l'horizon scintille...

 

Mais les âmes montent plus haut:

Ce sont elles  qui attirent l'amour sur notre terre

Comme ces grands arbres au-dessus de la plaine attirent l'éclair qui va les consumer

Ce sont elles qui portent le poids du ciel et l'empêchent de tomber

Ce sont elles  aussi qui engendrent les étoiles et les font avancer jusqu'au bout de la nuit

 

 

 

 

Faudrait-il cependant  oublier l'immense effort qu'exige  une incarnation réussie ?

L'épouvante de vivre au-dessus de la vie,de ne jamais la pénétrer et de rester stérile,alors que crie vers vous

La hâte d'exister

Le désir de gésine?

 

Si longtemps tu voulus t'incarner!

Devenir un mortel!

Avoir un corps qui bouge!

Un sang qui saigne!

 

Un jour un cri troua le centre de l'été:

Tu étais né

Faible et petit

Peut-être malformé:

 

 

Il est toujours petit celui qui doit gravir les hauts espaces et s'élancer au coeur du vent....

 


 

 

IV

 

 

 

 

 

 

Alors commença ton silence :

Tu lus avidemment pour cesser de parler

Pour cesser de penser à ce noeud d'infinies souffrances qui transformait ton âme en momie repliée.

 

 

Et pourtant....

N'est-il pas d'autre vérité que celle qui lie nos os entre eux?

N'est-il pas d'autres ligaments qui rassemblent l'épars?

N'est-il pas d'autres liens pour rendre au monde un ange mutilé?

 

 

 

 

 

 

Dans la chataigneraie un arbre abrite ton mystère

Un arbre creux ,vidé par l'âge et la fatigue

Il dresse encore ses bras houleux vers le ciel insensible

Tandis qu'au loin les vallées bleues sont aplanies par l'ombre 

Il était vert ,cet arbre,lorsque tu vins ici

Maintenant l'oiseau gris chante sa nudité dans la douleur aigu d'un crépuscule atone

 

 

 

V

 

 

 

 

 

 

La pluie est froide.Une neige fondue confond le ciel et le jardin

Et dans le donjon de Montlouis tu écris au seul feu de ton coeur

Les mains gourdes

Mais l'âme ravie

L'ange qui pleurait en toi n'est plus

Il court ,jettant ses bras dans la lumière,quittant ce noir couloir empli de mots brillants que l'on nomme l'enfance

 

 

 

O,course pure dans la chaleur laiteuse,jambes tendues vers le centre d'un lieu innaccessible et peut-être aboli...

 

Alors ta voix s'éveille et perle aux branches de la nuit

La bougie agrandit ton ombre

Le pouls régulier de la pluie anime en toi tout ce qui est fluidité

Tandis que tu racontes un songe

Tandis que tu inscrit sur les eaux de l'aurore ton incroyable singularité

 

 

 

 

 

 

 

Mais dire un songe - le sais-tu?- c'est aussi cesser de songer....

 

 

 

 

 

 

VI

 

 

 

 

 

 

 

Te souviens-tu de l'arbre creux où nous étions blottis dans la chataigneraie?

Une goutte d'eau fraîche s'égrénait très au-dessus de nous

En ces cimes poreuses où le regard hésite entre l'or et la cendre

Entre le couchant et la nuit

 

Nous écoutions tout ce qu'un vent contient d'êtres secrets

Tout ce qu'il porte de périples

Dans cet oubli profond où est la vraie mémoire

Ce beau roseau d'or noir

Qui a forme de chant

 

 

 

 

Car les signes suffisent

Echos d'un invisible ardent

Et de ce quelque chose en soi qui est aisance

Et proche firmament

Et c'est lorsque les mots oublient tout ce qu'ils ont à dire

Qu'enfin ils se mettent à parler

 

 

 

 

 

Signe après signe l'univers se confirme et s'appréhende en nous

dans les étapes progressives de l'illumination :

La vue,le regard,la vision

Marches splendides de cette connaissance

Qui jamais ne sera saisie

Devinée seulement

A travers l'ondoiement des ondes

Le voile ardent d'un beau reflet

 


 

 

MOTIERS

 

 

 

 

6 Septembre 1765 - 13 Octobre 1987

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

 

 

 

Grands espaces du cri qui déchirez le monde

Montez vous jusqu'ici?

Est-ce en ces lieux parés d'un rêve difficile que vous venez -promeneurs incertains- chercher celui qui dort ailleurs et n'a besoin de rien?

 

 

 

Nous aurions beau crier jusqu'à l'heure où notre sang devient épais

Où nos corps sont dissouts

Où notre sommeil - morcellé par la terre- tisse un songe éternel

Qui pourrait nous entendre sinon cet ange qui meurt en nous à mesure que nous prenons vie?

 

 

Car tout homme a deux voix:l'impudique et la vierge

Et le pur chant d'enfance évaporé ne reste dans la bouche que l'obscène parole,plus proche de la mort que les morts mêmes

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant ,tout homme inscrit son nom dans le centre d'un fruit,dans l'épaisse nuit de la pulpe qu'une bouche un jour connaîtra....

 

 

 

 

II

 

 

 

 

 

 

Tu es debout et les âges t'entourent,baignant de flux secrets l'étrange voix qui t'interpelle

Ton ombre est pure

Ton corps n'a plus de poids:

Déjà tu as l'immensité d'un mort

 

Pourtant,jour après jour,tu t'efforces d'agir comme si tout était vrai

Tu accomplis le chemin douloureux

Tu n'esquives jamais

Tentant de vivre-avec ténacité- ces mots que tu oses former

 

 

Etre engage tout ce qui Est:

Et cela,tu le sais

 

 

 

 

 

Ton seul baume:rêver

Panser la plaie avec les songes

Poser sur la blessure le doigt de la chimère

L'ample souffle des nues

Coudre la déchirure avec le fil divin

 

 

 

 

Rêver la vérité n'est-ce pas la rendre vraie ?

 

 

 

 

III

 

 

 

 

 

 

Lorsque la feuille semble enfin détachée de la branche et va battue de vents légers au grand lointain

Est-elle encore vivante

Ou bien saisie d'un néant qui l'aspire

Et meut ce mouvement que l'on croyait vivant?

 

Vivant?

Mais qu'est-ce à dire?

Qui peut communiquer est présent

-Fut-il mort-

Et qui sait émouvoir

Plus vivant que celui qui sommeille lorsque parait l'azur....

 

 

 

 

Etre ému!

Vivre en état d'émotion permanente:

Telle est la vraie leçon des âmes vierges!

S'émerveiller:

Là est le feu  où prennent centre  tous les  cercles de la connaissance

 

 

 

 

Mais l'homme est loin dans l'homme

Veine enfouie dans le deuil de la terre

Dans l'étendue obscure de tout l'inachevé

 

Il faut creuser toujours plus haut pour le trouver

Jusqu'à l'eau pure de la géode

Jusqu'à ce bleu des sèves qui donne à la pensée ce ton juste des choses qui savent s'en aller:

 

 

Car la mort n'est qu'une apparence

Une autre aisance au sein de l'infini....

 

 

 

 

IV

 

 

 

 

 

 

Dans cette maison lapidée ne reste que quelques fleurs séchées par le silence

Les pierres,elles aussi,ont pâli

Et - lourdes et denses- ne savent plus qu'un jour elles ont frémi dans la main d'un bourreau

L'eau n'est plus déchirée

Le jour n'a plus de cicatrice

L'azur est beau comme un pommier

 

 

 

 

 

 

 

 

Vois:il neige à Môtiers

L'ombre est devenue blanche:

Qui pourrait dire qu'il existe une nuit?

Que l'obscur fut créé?

Qu'il loge- avec ténacité- au creux de nos entrailles?

Vois:il neige à Môtiers

Et tout est rédimé par ce blanc

Par cette aile muette qui murmure en ton coeur une seconde éternité

 

 

 

 

 

V

 

 

 

 

 

 

Ici ,pourtant, tu commis tes écrits polémiques

Tu forgeas des mots acérés

Tu couvris tes chiffons de fils  noirs

Et tu les cousus sans gaité dans ce Val de Travers au nom pour toi prédestiné!

 

 

Voulais-tu partager le beau drame des nuits  qui jamais- quoiqu'elle fassent - ne deviendront  lumière puisqu'elles sont  nées  pour être nuits ?

Voulais-tu exposer l'image redoutable qu'un linceul dérobait ?

 

Tu étais attaqué .Tu étais disséqué

Non pas par la  bonne autopsie qu'en vain tu réclamais

Mais par des regards fourbes,de noirs soupçons,de ténébreuses contre-façons

Qui malmenaient ton âme

Impitoyablement

 

 

Alors tu devins soupçonneux

Tu façonnas des ombres

Et les mots cessèrent de briller

 

 

 

 

 

Un mot qui porte l'ombre est-il encore un mot ou seulement un bruit?

 

 

 

VI

 

 

 

 

 

 

Périr est vain lorsque reste noué le noeud de la colère:

Toujours renait le cri

Toujours renait l'amer

S'il n'est pas dénoué par la main de cet ange qui garde en nous ce très peu qu'il convient de garder

Pour arrondir le monde .

 

 

 

 

Qui entend la parole entend aussi le long silence

Et les vasques d'eau calme où les sources s'apaisent

Et les feuilles muettes qui tourbillonnent en nous comme ces jours d'enfance

Sans lesquels nul automne ne pourrait resplendir

 

 

 

 

 

 

 

Maîtriser ta mort,ne pas la subir

La faire venir à toi avant qu'elle ne te tue

Ouvrir la bogue avant qu'elle ne pourisse

Et libérer le fruit....

 

Ce fut là ta métamorphose:

La mise à nu d'un être que le paraitre avait enfoui au creux insondable du puits

La mise à nu d'un être en sa divine épiphanie

 

 

 

 

 

 

VII

 

 

 

 

 

 

Lorsque ,certain de sa brève innocence, l'oiseau chante soudain

Lorsque le rossignol érige le matin

Il me semble t'apercevoir .

 

 

Ton corps n'est plus cette île noire

Ce vent gris 

Cette vague où ,noyée  dans la chair ténébreuse ,ton âme suffoquait

Et lorsque tu descends du  Chasseron muet jusqu'aux bords de l'Areuse

L'eau tremble sous tes pas

Et le silence est traversé soudain du bruit léger d'une aile qui s'en va

 

 

 

 

 

Aller plus loin que soi est une grâce extrême

L'oeuvre d'un long repos que peu d'âmes accomplissent

Tant il faut  de douleur

Tant il faut de sanglots

Pour agrandir le vide

Et le combler de mots .

 

Alors le pouls du monde se met à battre  dans les feuilles  de vie

Qu'ils soient nervures ou veines

Rais de lumières traversant les abîmes

Ou ce beau lys de la prière qui monte à l'horizon

 

Car les Voies sont multiples:

A peine ébauchées  dans  la fluidité du monde incandescent

 

 

Ce qui n'est pas encore existe infiniment

 


 

 

 

L'ILE  SAINT  PIERRE

 

 

 

12 Septembre 1765 - 11 Septembre 1978

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

 

 

 

Au bord de l'eau s'incline un ange solitaire:

Est- ce toi?Je vois mal :tu le sais:

Réponds-moi!

Est-ce toi qui marche si bas ou le ciel qui s'approche?

Est-ce ton ombre qui m'éclaire?

Est-ce ta voix- ou la douleur qui prend forme de voix- qui monte,comme un roseau,de la vase des âges?

Est-ce toi que je vois

Blanc comme un jeune corps avant d'être ridé par son premier mensonge?

 

 

Car  je cherche partout ta bouche entourée d'ombre pour exprimer enfin  ce très peu que je sais

Ce très peu qui me brûle là où fument les mots...

 

 

 

 

Nul ne peut sans un guide traverser l'épais maquis  des mots

La forêt noire de l'écriture

Nul ne peut sans un maître retrouver le sentier que chacun trace en lui,pas  à pas,les yeux clos,à  travers l'ouragan de sa vie!

 

 

 

 

 

Alors j'implore

Alors je crie vers l'aile immense

Vers le pétale de silence que je sens frémir dans ma main!

 

Mais les étoiles ont des voix lentes:

Attendre est le seul chemin!

 

 

 

 

 

II

 

 

 

 

 

 

Oui,c'est toi qui m'appris à prolonger un son jusqu'à cette onde ardente où il devient clarté

Où chaque mot est rosée d'une tige

Fut-elle invisible ou brisée

Où chaque mot - comme  un bourgeon de blé -  prend assise sur le limon  du temps

Et doit franchir les étapes de l'ombre

Avant d'illuminer

 

 

 

Alors vient la parole

La lente ride au front de  la pensée

A l'âge de l'errance et de la pauvreté

Plus haute que le vent elle est cet astre clair

Ce soleil abondant

Qui vient nous abreuver

 

 

 

 

Car croitre est un secret

 

Qui de nous le connait?

Qui de nous peut prétendre avec sincérité avoir eu l'illumination

Celle qui chaque matin féconde en nous l'oeuvre des brises

Et fait de notre glaise un souffle créateur?

 

 

 

 

 

 

 

III

 

 

 

 

 

 

Etre léger ,ne pas peser,ne pas s'assoir sur la beauté

Ne pas ajouter de laideur,de désespoir,d'obscurité:

Tel était ton souhait lorsque - à la fin du jour- tu t'allongeais près de la rive

Le lac - à cette heure- était muet

Un peu d'or argentait ses eaux

Une hirondelle - rasant la terre  - entourait  de son cri la belle humidité

 

 

Tu restais longtemps immobile

Loin de ce corps étrange qu'un Dieu distrait t'avait donné

 

C'était l'heure grise où les formes s'allègent

L'heure indécise où tout peut arriver

L'heure des ambiguités

La nuit soudain te délivrait du jour

Amplement tu la respirais

Tandis que de jeunes étoiles commençaient à briller parmi  les astres morts

 

 

 

Bientôt une fenêtre s'allumait

Un enfant t'appellait

Tu revêtais ton corps et - cessant de rêver- tu marchais à pas lents vers la maison du receveur...

 

 


 

 

 

IV

 

 

 

 

 

 

L'île au printemps doit être belle

Comme toi je ne l'ai vue qu'au début de l'automne

J'ai vu la même brume ensevelir ses eaux

La même haleine montée de la terre chaude, retournée en sillons

La même rosée sur les prairies

La même buée sur les carreaux 

 

 

 

Là -haut, parmi les arbres, l'ombre était rose encore

Les chemins bordés de colchiques

On faisait des feux  au  jardin

L'odeur de la fumée avait la douceur  des fruits blêts

Des poires étaient encore pendues aux espaliers

Des ombres encore dorées allongeaient la terrasse

Non,rien n'avait changé

 

Ta chambre était encore immense dans son étroite pauvreté

Au sein de  la pénombre blanche le lit de carreaux bleus avait le ton juste des humbles