[Une visite aux sarcophages de Voltaire et Rousseau, au Panthéon]

22 septembre 1834

 

[...] J’ai acheté chez un bouquiniste qui longe la muraille devant l’Odéon, Matthiole, Thurneizerus et un ouvrage sur les hermaphrodites (9 fr.).

   Il m’est venu dans l’idée d’aller voir l’intérieur du Panthéon. Quand je suis arrivé devant la grille, un Anglais et sa femme descendaient de voiture; je les ai suivis. Un monsieur, sa femme et ses deux filles, se sont joints à nous; un gardien nous précédait.

   Nous nous sommes promenés d’abord dans l’intérieur de l’édifice, dont la grandeur et la magnificence méritent bien l’admiration qu’ils ont produite sur nous tous. On travaillait aux dorures qui se trouvent à la partie supérieure de la coupole; j’ai jeté les yeux sur les noms des héros de juillet, morts en combattant pour la patrie. Les cadres où ces noms se trouvent sont peu grands, et les noms eux-mêmes ont été écrits en si petits caractères, qu’ils ne remplissent pas l’espace embrassé par ces cadres.

   Nous avons suivi notre guide dans les caveaux du Panthéon. L’escalier qui y conduit est large et beau; on nous a montré à droite et à gauche en entrant les tombeaux de Rousseau et de Voltaire; ces tombeaux sont en bois un peu vermoulu; quelques figures en plâtre, blanches dans celui de Rousseau, peintes en noir dans celui de Voltaire, y avaient été appliquées.

   Ces figures sont à peu près détruites; il est même difficile, sur certaines parties du monument, de savoir ce qu’on a voulu représenter; les inscriptions sont à moitié effacées; le tombeau de Rousseau ressemble, jusqu’à un certain point, à un vieux chalet suisse. On nous a dit qu’on travaillait dans ce moment à exécuter en marbre deux tombeaux qui doivent remplacer ces deux vieilles carcasses, indignes des nobles dépouilles qu’elles renferment.

   Du côté gauche, vers le fond, tout près du tombeau de Voltaire, on a placé celui de Soufflot, architecte du Panthéon; il est en pierre froide.

   Notre guide nous a conduits jusqu’au milieu du souterrain; le jour commençait à manquer. cette partie était éclairée seulement par une vieille lanterne. Là, il a allumé une chandelle pour nous montrer le reste de ce vaste caveau.

   Nous avons vu d’abord la partie qui correspond au centre de l’édifice. Il y a une dalle ronde dont le milieu correspond à la boule placée au sommet de la coupole; de cette pierre on voit quatre grandes galeries qui correspondent parfaitement aux quatre points cardinaux.

   Nous sommes entrés dans les caveaux de droite, où on voit les tombeaux de plusieurs grands hommes.

   J’avoue à ma honte que, parmi ces grands hommes, j’ai lu des noms qui m’étaient tout à fait inconnus; cela pourrait prouver aussi, ce me semble, que les héros dont il s’agit n’ont pas joui, ou ne jouissent pas, d’une gloire bien étendue ou bien réelle. Je dois convenir cependant que j’ai remarqué avec plaisir les tombes de Cabanis, Vien, Bougainville, Lagrange.

   Les tombeaux sont en pierre froide, très simples, et exactement pareils; dans chaque caveau, on voit aussi des urnes qui renferment les cœurs des homes célèbres, morts en pays étrangers ou bien à une certaine distance de Paris, et dont on n’a pu obtenir la dépouille tout entière. Il m’a semblé que ces tombeaux étaient arrangés avec assez peu de symétrie; j’ai trouvé surtout bien mauvais que, d’après le plan de l’architecte, ils fussent placés les uns sur les autres. Je n’aime pas de voir un cadavre sur un cadavre.

   On nous a montré les places où doivent être déposés Manuel, Foy et Benjamin Constant.

   Au fond du souterrrain, on a déposé une des statues de marbre préparées pour être mises dans l’intérieur du Panthéon; c’est celle de Voltaire. Ce grand homme est debout, drapé à la romaine; il tient des tablettes dans la main gauche, qui est fléchie, et un crayon dans la droite. La figure ne m’a pas semblé bien ressemblante.

   A droite et à gauche sont les deux niches, humides et obscures, dans lesquelles, à la Restauration, on avait placé Voltaire et Rousseau; ces niches correspondent au-dessous du péristyle du Panthéon; on avait muré les deux entrées. En revenant, dans un caveau spécial sur la droite, se trouve le tombeau du maréchal Lannes; on a l’intention de le sortir de sa niche et de le placer tout près de ceux de Voltaire et de Rousseau.

   Derrière l’édifice du Panthéon, il y a celui de saint-Etienne-du-Mont. C’est une église fort ancienne, et qui mérite l’attention des amateurs de vieille architecture [...].

 

                                                Alfred Moquin-Tandon