[J.M.GALLANAR=éditeur]




[JEAN JACQUES ROUSSEAU]




CLAUDE-NICHOLAS LE CAT





OBSERVATIONS DE M. LE CAT , SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE l'ACADÉMIE DES SCIENCES DE ROUEN, SUR LE DÉSAVEU DE l'ACADÉMIE DE DIJON, PAR l'AUTEUR DE LA RÉFUTATION DU DISCOURS DU CITOYEN DE GENEVE, &c.






[Août 25, 1752 == Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, pp. 182-195.]






OBSERVATIONS DE M. Le Cat , Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences de Rouen , sur le désaveu de l'Académie de Dijon, par l'Auteur de la Réfutation du Discours du Citoyen de Geneve, &c.* [*Dans ces Observations qui parurent dans une brochure in. 8. sous le titre de Londres chez Kilmornek, M. Le Cat se reconnoît l'Auteur des deux pieces précédentes.]




[182] L' Intérêt seul des Sciences & des Beaux-Arts m'a fait entreprendre la réfutation du discours du Citoyen de Geneve, qui les regarde comme un des principes de la corruption des moeurs.

 

J'ai eu pour compagnons dans cette carriere des savans en assez bon nombre & assez illustres , tous animés du même motif. Comme quelques-uns d'entr'eux , j'ai d'abord, caché mon pour des raisons dont je ne dois compte à personne. Dès qu'elles ont cessé je me suis montré ; j'ai donne l'ouvrage à mes protecteurs , à mes amis, au libraire sous mon nom, & la preuve en est l'annonce qu'en a fait le Mercure même, qui contient le désaveu de Messieurs de Dijon. Ce désaveu étoit donc sort inutile, si l'on ne vouloit que faire savoir au public que le suis l'Auteur de cette réfutation; mais on est colere, & plus occupé du desir de se venger, que du soin d'examiner si ce desir est juste, & si les moyens qu'on [183] emploie pour le satisfaire sont raisonnables. Je ne me mêlerai pas de deviner les véritables motifs de cette animosité de Messieurs de Dijon. Je pourrois , sans rien accorder à mon amour-propre, sans me fier à mon jugement, penser que cette Académie qui affecte de me croire plus occupé du plaisir de critiquer, que du soin de faite une bonne critique , ne me fait ce reproche plutôt qu'à tous ceux qui ont attaqué le Citoyen de Geneve, que parce qu'elle n'a trouvé cette critique que trop bonne. Je pourrois citer en preuve de cette opinion, les suffrages de plusieurs savans , & entr'autres de l'Auteur du Mercure , mois de Juin 1752, qui dit , en annonçant mon ouvrage, pag. 171. "De toutes les critiques qu'on a faites de l'ouvrage de M. Rousseau , c'est la plus détaillée & la plus propre , par la méthode qui y est observée , à faire découvrir la vérité ." Ai-je profité de cette méthode & de ces détails, pour montrer que cette vérité parle en ma saveur? J'ai, pour prouver l'affirmative , plus de vingt lettres écrites sur mon ouvrage, qui toutes s'accordent à le reconnoître pour une critique des plus completes & des plus solides qu'on ait faites du discours de M. Rousseau. J'affoiblis encore l'expression du plus grand nombre , & de ceux de la plus grande autorité. Il n'a point échappé à ces lecteurs , que non-seulement j'ai rétorqué comme mes confédérés, toutes les preuves historiques ou de fait contre notre adversaire ; mais que j'ai employé des preuves à priori , des preuves physiques tirées de la propre constitution de l'homme , de sa nature & de celle des sciences ; preuves qui sont des démonstrations en ce genre d'écrire, & qui caractérisent particuliérement notre [184] brochure. Je sais qu'il entre de la complaisance dans les lettres écrites à un Auteur ; mais la flatterie n'a pas un ton si uniforme. Voici ce que m'écrit de Paris le 8 Mars Académicien que je n'ai pas la permission de nommer; personnage qui est trop respectable, & qui m'est trop supérieur pour être soupçonné de sacrifier la vérité à cette basse politesse.

 

"J'ai lu avec un très-grand plaisir & la plus grande édification , me dit-il , votre réfutation aussi pieuse que forte contre l'hérésie de M. Rousseau. Il me semble qu'il ne reste pierre en place de ce monstrueux édifice. Vous avez pris la défense de la vérité & du goût avec les armes du goût même. Je suis fâché seulement que vous n'ayez pas combattu cet ennemi des Lettres pendant qu'il étoit debout.... Il est vrai que vous l'empêcherez de se relever, & que vous l'écraserez, &c."

 

Un savant attaché au Prince, qui s'est le premier signalé pour la défense des Beaux-Arts, m'écrivit le 18 Mai sur le même sujet, des choses plus fortes encore. Je suis obligé d'en supprimer la plus grande partie , par cette seule raison qu'elle m'est trop honorable...."Vous n'abandonnez point, me dit-il, cet ennemi du savoir ( M. Rousseau ) , & vous le pressez si vivement, qu'il perd à tout moment de son terrain, sans rien gagner sur le votre; nous avons tous intérêt d'applaudir à votre triomphe; votre gloire augmente nôtre. Tous les littérateurs vous doivent des couronnes comme on en donnoit autrefois aux libérateurs des nations. Je ne crains plus qu'après une telle réplique , on ose désormais attaquer les Science les Arts. Vous les avez vengés des reproches [185] d'un ingrat qui, après s'être heureusement façonné par leur culture, a voulu les faire tomber dans le plus grand mépris , &c." Je supplie mes lecteurs de croire que c'est avec la plus grande répugnance que je me détermine à publier de pareilles citations ; mais je ne saurois opposer aux traits satiriques de mes ennemis, que les sentimens contraires des savans qui m'honorent de leur suffrage.

 

Enfin , je renonce au plaisir de penser que Messieurs de Dijon ne m'honorent de la préférence dans la sortie qu'ils viennent de faire, que parce que j'ai fait à leurs remparts la plus large brêche ; je veux bien, m'en tenir aux motifs apparens qu'ils citent eux-mêmes de l'indignation qu'ils me témoignent, & je leur demande la permission de leur prouver que je ne la mérite point. Si l'on donne les noms de fermeté, de courage , à la défense obstinée de l'ennemi des Lettres & du savoir, j'espere qu'on ne qualifiera point, par des épithetes plus odieuses, le zele qui n porte à défendre & les Belles-Lettres, & l'ouvrage que j'ai fait en leur faveur.

 

Je me suis déguisé sous le nom d'un Académicien de Dijon , dénomination qui ne m'est point due, dit cet Académicien j'avoue que je n'ai pas l'honneur d'être Académicien de Dijon ; j'ajoute que je n'ai même jamais pensé à solliciter cette place; mais M. Pascal n'a pas été plus tenté d'être jésuite; M. l'Abbé Saas d'être bénédiction; M. Quesnay d'être chirurgien de Rouen. Cette circonstance n'a point empêché ces illustres & respectables Auteurs de se déguiser sous ces dénominations qui ne leur sont point dues.*[*M. Pascal dans les Lettres Provinciales fait parler un Jésuite. M. Saas feint ingénieusement une défense des titres & des droits de l'Abbaye de St. Ouen, &c. contre le Mémoire de M. Térisse, pour réfuter & tourner en ridicule ces titres & ces droits. M. Quesnay a fait un livré contre les Médecins, sous le nom d'un Chirurgien de Rouen.]

 

[186] L'Académie de Dijon soutient que ce déguisement est une fausseté indigné d'un homme qui fait profession des Lettres, & que rien n'obligeoit à se masquer.

 

On ne doit plus être étonné de voir cette Académie avancer des propositions hasardées ; mais il me semble qu'on doit l'être un peu qu'un Corps respectable s'exprime d'une façon aussi peu mesurée.

 

Commençons par observer que Messieurs de Dijon ne sont pas conséquens dans leurs principes. Qu'ils se souviennent que selon eux, la culture des Sciences & des Arts corrompt les moeurs, & qu'ainsi ils doivent penser que tous les vices sont annexés aux gens de Lettres. De quelle grace s'avisent-ils donc aujourd'hui de trouver indigne d'un homme de Lettres, un déguisement, une feinte , une ruse de guerre qui n'a tout au plus que l'ombre du vice? Mais applaudissons à la délicatesse de Messieurs de Dijon ; pardonnons - leur une contradiction inévitable dans le personnage qu'ils sont , une contradiction que leur arrache la vérité de la cause des Belles-Lettres que je défends, & qu'ils ont trahie : oui, sans doute, la fausseté est indigne d'un homme qui fait profession des Lettres; la vérité , la vertu la plus pure étant l'appanage ordinaire de cette profession , & le principal but de tous ses exercices: mais comment l'Académie de Dijon a-t-elle pu caractériser par cette [187] expression indécente un stratagême permis , usité dans toutes les especes de guerres ? Ainsi donc les Turenne , les Catinat , ces hommes plus dignes encore du titre de sages que de celui de héros, seront taxés d'avoir fait des faussetés, des fourberies, parce qu'ils auront trompé nos ennemis, & qu'en ruses, en stratagêmes, ils l'auront emporté sur les plus vieux renards*[* Expression de M. de Turenne, en parlant de Montecuculli.] militaires. Ainsi donc, pour rentrer dans nos propres camps , les Pascal, les Saas, les Quesnay, ces Auteurs déguisés que je viens de citer & qui ont fait & sont tant d'honneur à la république des Lettres, tant par leur savoir que par leur probité, sont déclarés par l'Académie de Dijon indignes de la profession des Lettres. Ainsi le fameux Jean Le Clerc, qui a écrit sous le nom des théologiens d'Hollande, sans leur aveu, & pour soutenir des sentimens opposés aux leurs , recevra de ces Messieurs la même flétrissure; aussi bien que Jean Cassien , auteur du cinquieme siecle, qui s'est déguisé sous le nom des Provinces Belgiques; M. de Sacy, sous celui des Religieux Dominicains, M. Richard-Simon, sous le nom des Rabbins d'Amsterdam, &c. Pour constater un usage qui n'est inconnu à aucuns savans, je pourrois accumuler ici une foule des plus grands hommes , & des plus dignes d'être nos modelés à tous égards qui se sont déguisés, non-seulement sous des noms de Compagnies comme les précédens, & qui n'en ont reçu aucuns reproches; mais encore sous des noms de particuliers connus & des plus respectables, sous des noms de Souverains même. Ceux d'Aristote, de Cicéron, de Virgile , ont servi de masque à des Auteurs; [188] on a emprunté ceux de saint Athanase ,de saint Augustin & des autres Peres de l'Eglise ; on s'est déguisé sous ceux d'Alexandre, de César, de Charlemagne & de Louis XIV. Est-ce faire déshonneur à Messieurs de Dijon de les mettre à la suite de ces noms fameux ? Et ces déguisemens , je le répete, ayant été affectés par les plus grands hommes de tous les siecles, ne m'est-il pas bien doux de partager avec eux & avec les Sciences & les Arts, dont ils sont l'honneur, l'anathême émané du tribunal de l'Académie de Dijon?

 

Je conviens qu'un Auteur qui mettroit sous le compte d'un autre des infamies, feroit une fausseté indigne d'un homme de Lettres. Mais bien loin que l'Académie de Dijon puisse rien me reprocher de pareil , elle ne sauroit désavouer que de tous les illustres Auteurs déguisés , pas un seul n'a eu un but plus louable & plus honnête que celui que je me suis proposé dans cet innocent stratagême; car, malgré la colere qui a ces Messieurs, quels reproches me sont-ils ? J'ai cru, selon eux, intéresser le public dans une querelle qui n'a que trop duré; c'est-à-dire , j'ai cru intéresser le public en faveur des Sciences & des Arts dans la guerre que leur a déclaré l'Académie de Dijon; guerre qui n'a que trop duré, sans doute, parce qu'elle a dû donner à ces Messieurs des regrets de l'avoir suscitée. J'ai cru laisser entrevoir à ce public quelque semence de division dans la société de Dijon; & qu'il y avoir parmi ces Messieurs quelqu'un d'assez peu soumis à leur décision pour croire que ces Sciences & ces Beaux-Arts; loin de corrompre les moeurs , les rendent plus pures & plus parfaites.

 

J'avoue que l'Académie de Dijon a deviné juste; oui, j'ai [189] commis tous les forfaits dont elle vient de m'accuser; & j'ajoute l'impénitence au crime; je l'ai fait, j'ai cru devoir le faire , & le ferois encore si j'avois à recommencer. Qu'elle ne me reproche donc plus, par une contradiction manifeste , que rien ne m'obligeoit à me masquer; car ces motifs me paroissent aussi pressans que justes. Oui, j'ai cru devoir intéresser le public à la gloire, à l'honneur, aux progrès des Beaux-Arts , l'ornement & le soutien des états , & l'appanage le plus flatteur & le plus brillant que l'homme ait reçu de son Auteur. J'ai cru que je devois laisser entrevoir au public qu'il y avoit au moins quelqu'un dans une Société qui fait profession de cultiver les Sciences & les Arts, qui étoit conséquent dans sa conduite , & qui pensoit que ces Sciences & ces Arts ne sont pas des corrupteurs des bonnes moeurs, & en cela même j'ai cru faire honneur à Messieurs de Dijon, j'ai cru diminuer un peu dans le public l'idée désavantageuse qu'en a donne le problême singulier proposé par cette Académie, & le triomphe encore plus singulier décerné au Citoyen de Geneve. Il étoit permis à M. Rousseau d'user de la liberté des problèmes, puisqu'on avoir tu l'imprudence d'en proposer un de cette espece ; mais il étoit contre la sagesse qu'on doit attendre d'une société de gens de Lettres, de mettre en problême une question dont l'affirmative a toujours passé pour constante, & qui doit sur tout faire loi dans une Académie , comme le prouve bien ce sujet proposé encore tout récemment par l'Académie Françoise. L'amour des Belles-Lettres inspire l'amour de la vertu. S'il est scandaleux qu'une Académie rende cette question problématique, de quelle dénomination caractériserons - nous sa [190] décision en faveur de la négative, & son obstination à soutenir, à défendre cette décision?

 

Nous avons pu couronner le Citoyen de Geneve, diront ces Messieurs , sans adopter son sentiment; c'est son éloquence seulement que nous avons récompensée.

 

Cette raison est fausse & dans le fait & dans le droit: dans le droit; lorsqu'il s'agit de la solution d'un problème , ou de décider d'une question de conséquence qui admet deux propositions contraires, l'une vraie & l'autre fausse, c'est à la bonne solution du problême, c'est-à-dire , au seul vrai qu'on doit accorder la couronne promise; jamais on n'est en droit de couronner le faux , quelque paré qu'il soit des plus belles couleurs; & l'Académie qui enfreindroit cette regle, seroit aussi coupable que le Jugé qui sacrifieroit l'innocence & le bon droit des cliens à l'éloquence des Avocats. Je dis éloquence, en supposant qu'on puisse prodiguer ce titre jusqu'à le donner à de pompeux sophismes , en supposant qu'il puisse y avoir de véritable éloquence sans la vérité.

 

Il est donc démontré que la concession du prix au Discours du Citoyen de Geneve emporte de droit l'adoption du sentiment soutenu par ce Discours.

 

Il n'est pas moins vrai dans le fait que l'Académie de Dijon l'ait adopté, & que pour cette fois au moins elle ait été conséquente dans ses principes. On étoit déjà sur, quand elle a proposé ce problème , qu'elle doutoit que. . . Le rétablissement des Sciences & des Arts eût contribué à épurer les moeurs... mais dans le désaveu, objet de ces réflexions, elle leve toute équivoque.... M. Rousseau, dit - elle, a usé de[191] la liberté des problêmes, la seule voie propre à éclaircir la vérité; il a eu assez de courage pour en soutenir le parti, & l'Académie ( de Dijon ) a eu assez de bonne foi pour la couronner. Cela est clair; ce n'est donc point l'éloquence du discours qu'on a couronnée, c'est la proposition que l'Académie de Dijon regarde comme une vérité. Ainsi cette Académie pense que le rétablissement des Sciences & des Arts a contribué à corrompre les moeurs. Que répondroit - elle maintenant à son Souverain , s'il lui disoit. "Vous m'avez trompé dans les représentations que vous m'avez faites pour me déterminer à vous établir; vous ne m'avez montré que des utilités dans ce projet; vous m'avez dissimulé qu'il détruisoit le plus précieux de tous les avantages que je puisse procurer à tous mes sujets , la probité, la pureté des moeurs. Je n'ai garde de souffrir dans mes états une Société qui est persuadée elle - même que l'objet de ses travaux est la perversion des moeurs , & qui en fait une profession publique. De ore tuo te judico, &c. Rentrez donc dans le néant que méritent , selon vous-mêmes , les Arts que vous exercez. Je ne veux protéger & laisser décorer du titre d'Arts libéraux, de beaux Arts, que ceux qui conduisent à la vertu." Quel est l'Académicien & le patriote qui, pénétré de ces dangereuses conséquences , ne croira pas obliger au fond & très-essentiellement l'Académie de Dijon, en laissant entrevoir au public qu'il y a quelqu'un dans cette Société qui pense comme elle pensoit, quand elle a sollicité son établissement, qui pense comme l'Académie Françoise de Paris , & je crois pouvoir dire hardiment, comme toutes les autres Académies [192] de l'Europe. Ce bon office déplaît à celle de Dijon; elle s'en offense ; elle le paye par des invectives; elle ne veut pas absolument qu'on croye qu'il y ait un seul homme chez elle qui fasse des Sciences le cas qu'en sont tous les savans de l'Europe révoltés contre son problême. Non est qui faciat bonum, non est usque ad unum. Après la déclaration formelle de ces Messieurs, je me garderai bien de les contredire.




On trouvera peut - être que je sors de la question. On dira qu'il peut y avoir quelqu'un des Académiciens de Dijon qui ne soit pas de l'avis dominant, mais qu'il n'y en a point qui soit capable de commettre l'indécence de réfuter, par un écrit, une décision qui auroit payé contre son avis.

 

Voilà, sans doute, le grand argument de Messieurs de Dijon ; mais qu'ils se dépouillent pour un moment de leur préjugé, & que dans ce moment ils regardent avec toutes les Académies de l'Europe leur problème comme une conspiration contre la république des Lettres ; alors ils sentiront que cet Académicien, assez brave pour les contredire en face & par écrit , loin d'être un traître, comme ils le pensent, seroit un digne citoyen, qui , en se faisant leur délateur , ne feroit qu'obéir aux loix les plus positives , un héros de cette république, qui en affrontant les ressentimens des conjurés , mériteroit, dans Dijon même , les titres de pere & de libérateur de la patrie.




Puisque l'Académicien réel de Dijon seroit si louable, celui qui a emprunté son titre ne sauroit être criminel; aussi le sentiment contraire est - il encore réservé à la seule Académie de Dijon.




[193] L'illustre Secrétaire d'une Académie déjà célebre, quoique naissante, n'ignoroit pas mon déguisement , quand il m'écrivoit ces traits que j'ai rapportés ci-devant. "Nous avons tous intérêt d'applaudir à votre triomphe. Votre gloire augmente la nôtre : tous les Littérateurs vous doivent des couronnes , comme on en donnoit autrefois aux libérateurs des nations."

 

Enfin , Messieurs de Dijon reconnoissent le tribunal du public , c'est à lui qu'il appartient de décider qui des deux procédés est indigne de gens de Lettres , de celui qui tend à faire regarder ces Lettres comme les corruptrices des bonnes moeurs & le poison de la société , ou de celui qui a pour but de leur conserver le précieux avantage d'être le lien le plus doux & le plus pur de cette société , le flambeau qui rend l'esprit juste, la regle qui rend le coeur droit , le grand art enfin de rectifier une nature perverse & de former l'homme de bien. C'est à lui qu'il appartient de décider qui des deux est indigne de la profession des Lettres , de celui qui s'efforce de dégrader , d'anéantir ces Lettres , & de leur substituer l'ignorance & la barbarie, ou de celui qui se consacre à la défense de leur honneur & de leurs avantages, qui a pour but de les faire triompher & fleurir chez tous les peuples , de les rendre l'objet de l'estime & de l'honneur des nations. C'est ce dernier personnage que fait & sera toute sa vie ,

 

LE CAT.

 

A Rouen , ce 25 Août 1752.

 

P. S. Il paroît par le désaveu de Messieurs de Dijon , que M. Rousseau a imprimé une réponse à la réfutation que [194] j'ai faite de son discours. Il y a quatre ou cinq mois que j'ai entendu parler de cette réponse, qui a, dit-on, cinq ou six pages. Je ne l'ai point encore vue, & je ne pense pas qu'il soit nécessaire que je la voye.

 

Si M. Rousseau me chicane , comme Messieurs de Dijon, sur mon déguisement, je viens de répliquer à sa réponse; s'il est question du fond de notre dispute , mon illustre adversaire a donne assez de preuves de la fécondité de son génie à soutenir des propositions fausses, pour deviner aisément qu'il ne restera jamais court , quelque démontré que soit son tort. Le seul sentiment que m'inspire son obstination, est de gémir sur cette fécondité fatale , sur cet abus manifeste des talens , des Sciences & des Arts , qui, indépendamment de l'injure qu'il fait à la vérité , du découragement qu'il peut causer aux amateurs , & de l'obstacle qu'il peut apporter aux progrès des Lettres , ne produit à son Auteur même d'autre avantage , sinon, dit le grand Descartes , que peut-être il en tirera d'autant plus de vanité , que ses spéculations seront plus éloignées du sens commun, à cause qu'il aura dû employer plus d'esprit & d'artifice à tâcher de les rendre vraisemblables. Le Citoyen de Geneve a cultive les Lettres avec tant de distinction, que nous avons lieu d'espérer qu'elles lui auront élevé l'ame au-dessus de cette foiblesse. Malgré cette fécondité de M. Rousseau , on ne voit cependant paroître de lui que ces premieres raisons tournées à différentes façons , ainsi qu'il l'avoue dans cette réponse au discours de Lyon qu'il annonçoit comme la derniere. Je suis donc persuadé qu'il n'y a pas une des raisons employées dans [195] cette réponse de M. Rousseau à notre ouvrage, qui ne soit déjà réfutée dans ce même ouvrage auquel il répond. Or ceux qui ont lu l'un & l'autre , les y trouveront aussi bien que moi : ainsi je me passerai fort bien de voir cette réponse ; & quand je la verrois , je n'y répliquerois point. Je me serois un crime vis-à-vis du public de pousser plus loin ce démêlé littéraire , accoutumé que je suis de n'en avoir jamais que pour venger mon honneur offensé ,ou pour défendre la vie des hommes contre des pratiques dictées par l'erreur & la témérité.

 

FIN.