Genêve aux approches de la révolution (1771-1789)

Correspondance d'Antoine Mouchon
circa 1790.

[Transcription par J. Vaucher d'un cahier de 60 pages, décembre 2003 ]

URL: http://www.iro.umontreal.ca/~vaucher/Genealogy/Documents/Cahier_1.html

Plusieurs extraits de ce cahier se retrouvent tels quels dans le document "Voltaire et les Genevois[1]" (1857) par J. Gaberel, Ancien Pasteur qui les attribuent ŕ Antoine Mouchon et qui cite parmi les documents consultés :

- Correspondance hebdomadaire entre Mr Mouchon de Genčve et son frčre Pierre Mouchon, pasteur ŕ Bâle, fourni par Mr le pasteur Vaucher-Mouchon.

Pierre Mouchon est l'auteur de l'index analytique de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, 1751-1780.

Vaucher-Mouchon est Jean Vaucher (1804-1869) dit "John", bibliothécaire-archiviste de la Compagnie des pasteurs, 1845-1861, fils du botaniste Jean-Pierre Etienne Vaucher et époux d'Anne-Stéphanie Mouchon, petite fille de Pierre Mouchon.


Vous me demandez quelques renseignements sur l'état religieux et moral de notre bien-aimée ville de Genčve aux approches de la révolution de 1789. Vous croyez pouvoir tirer quelq. profit des documents que je possčde sur cette époque, quand bien męme s'il s'agit d'un des plus petits pays de l'Europe, d'hommes entičrement inconnus ŕ l'étranger & dčs longtemps oubliés dans leur patrie. Vous prétendez que c'est chez nous que la lutte a commencé, que la résistance a été vraiment sérieuse et que les moindres détails peuvent jeter du jour sur l'esprit & les tendances qui animčrent la grande catastrophe qui nous épouvante encore.

Il y a quelque chose de vrai dans votre supposition. Sans vouloir exagérer en rien l'influence de notre république, il est évident que quelques-uns de ses citoyens ont joué un rôle dans ce drâme important & contribué pour leur part ŕ changer la face du monde. Il suffit d'indiquer en passant les services rendus par LeFort[2] ŕ la création de l'empire Russe, ceux de Galatin[3] dans la guerre de l'indépendance américaine, les travaux de Delolme[4] sur la constitution de l'Angleterre et les écrits de Rousseau qui émotionnent le monde entier, pour justifier votre assertion. Ajouter ŕ tout cela les tentatives de Voltaire et des encyclopédistes pour nous mettre en relief en nous transformant ŕ leur ressemblance, en s'appuyant sur nos libertés pour en conquérir de plus grandes encore & vous aurez une preuve indirecte de l'influence réelle de notre ville, de celle aussi qu'on lui attribuait.

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Mais ns n'aspirons nullement ŕ empięter sur les droits & les devoirs de l'historien. Nous laissons les Russes faire sentir aux Turcs leur supériorité naissante. Nous laissons les Anglais étudier leur constitution. Nous laissons les Américains préparer leur lutte contre la métropole. Nous laissons Catherine II, Marie Thérčse et Frédéric II démembrer pour la premičre fois la pauvre Pologne. Nous laissons Clément XIV menacer & supprimer l'ordre des Jésuites. Nous ne voulons nous occuper que de Genčve et encore en simple chroniqueur.

Et que vous dirais-je de Genčve? Faut-il vous parler de ce qui fait un peu de sensation dans le public? He bien voici ce qui préoccupe nos concitoyens. C'est la bourgeoisie qui a été accordée gratuitement ŕ Pierre Soubairan, maître de l'école de dessin, en considération de ses talents distingués et de ses services - puis ŕ George Louis le Sage[5] en égard ŕ sa réputation ŕ Genčve et ŕ l'étranger comme mathématicien. - C'est le professorat d'histoire civile donné ŕ Paul-Henri Mallet et celui d'Astronomie ŕ Jacques André Mallet vu ses talents, ses relations avec divers savants de l'Europe et le choix que l'impératrice de Russie a fait de lui pour observer le passage de Venus. C'est le départ de tel ou tel qui va chercher fortune ŕ l'étranger- C'est Necker[6] qui accepte le plan du Sieur de Crommalin et qui se fait présenter ŕ sa Majesté trčs chrétienne en qualité de ministre de la République. C'est Lord et Lady Stanhope qui donnent leurs fętes. C'est Lord Mahon qui aspire ŕ la dignité de commandance de l'arc - Ce sont les riches qui rivalisent avec les étrangers & font représenter chez eux des comédies - C'est l'amour des plaisirs, des dignités, de l'or qui envahissent notre ville et la corrompent. Ce sont les conseils de la vieille cité de Calvin qui ne veulent plus maintenir l'ancienne austérité de nos mśurs. Ils estiment qu'il est de la prudence de tolérer les amusement innocents des jeunes gens, quand ils se renferment dans le sein des familles et des sociétés particuličres et il le disent hautement au Consistoire & ŕ la V.C [ ndlr. Vénérable Compagnie des Pasteurs ]

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Et pourquoi se gęner ŕ l'égard de ces corps ecclésiastiques. La plupart des membres de la V.C. sont agés et malades, ils ne peuvent plus prendre que des demi places et souvent il faut faire des élections forcées pour pourvoir aux cures [?] de la campagne. Il y a peu d'apôtres, peu d'étudiants en théologie. Tous ceux qui tiennent ŕ la magistrature et aux emplois ont abandonné cette route. Peu de fils de pasteurs suivent la vocation de leurs pčres et les fils des ppaux négociants préfčrent d'autres genres d'occupation. Encore la majeure partie des candidats au St. Ministčre s'en va dans les pays étrangers chercher des conditions meilleures; le mal augmente tous les jours et il est ŕ craindre que notre Eglise ne manque de sujets qui ayent eu une bonne éducation et de bons exemples domestiques, ce qui jusqu'ici contribuait ŕ lui donner du lustre. Ceux lŕ męme qui peuvent en soutenir l'honneur par leurs talents & lui donner du relief par leur opulence (??) menacent de l'abandonner. On dit que Mr Vernes veut renoncer au ministčre, mais on vient de l'appeler ŕ la ville et on espčre qu'il édifiera longtemps encore les fidčles quoiqu'il ne soit plus ce qu'il était autrefois. Il ne donne plus ŕ ses exhortations la force, l'onction et la beauté qu'il leur donnait dans le temps ou il faisait de la prédication sa principale affaire. D'ailleurs il est tout occupé de ces confidences philosophiques et il pręche trčs rarement. On n'entend gučre non plus les Romilly, les Claparčde et ceux qui soutiennent encore l'honneur de la chaire.

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Mais le cśur vous dit-il des Perdriau, des Archimbaud, des Cardosien [?], des Francillon[?], des Pictet, des Mercier, des DewaldKirch, des Delescati, des ... Venez, venez ce sont eux qui dominent l'horizon de nos Eglises... mais non ne venez pas, de peur de troubler la tranquillité de leur solitude, car ceux-lŕ pręchent vraiment au désert. Les premiers qui sont fort rares ne donnent que des chefs d'oeuvres et les autres endorment de leurs plates homélies. En voyant leurs noms sur la liste des prédicateurs on entend dire autour de soi: que d'autres aillent se cond.., s'étouffer dans nos églises pour y entendre ces célčbres..rien de tout cela ne pourra nous tenter on se réservait soigneusement pour les bonnes occasions.

Elles étaient bien rares en effet, Romilly[7] alla desservir l'Eglise de Londres, Mouchon se dévoua ŕ celle de Bâle, Reybey voyageait, Laget était fort âgé et Claparčde pręchait peu. Valletti qui donnait des espérances ne peut pas les réaliser. L'état languissant de ce jeune prédicateur le fait déchoir de plus en plus. Quand ŕ Desroches dont la composition est peut ętre excellente, il gâte tout par la maničre de réciter. Une voix monotone, altičre et qui ne peut convenir qu'ŕ un prédicateur de cinquante ans et cela d'un jeune prédicateur qui fait l'homme ŕ la mode, l'ornement de nos promenades, en un mot un véritable petit

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maître qui s'occupe sans cesse ŕ faire sa cour aux dames, je vous le demande, la morale la plus sévčre de l'Evangile dans sa bouche, n'est elle pas comme la cymbale qui retentit. Mr Picot a si peu pręché depuis son élection qu'on ne peut rien décider encore sur ses talents. Il parait étudier avec soin nos orateurs et se choisir parmi eux le modčle qui s'accorde le mieux avec ses facultés. Son organe se fortifie et devient propre ŕ une récitation sonore qui plait de plus en plus. Son éloquence naissante fait entrevoir qu'il se distinguera un jour. Valletti va remplacer Mr Pasteur qui dessert l'Eglise de Dardagny et qu'on élit ŕ la ville pour pasteur ou plutôt pour pastoureau, car il ressemble assez lorsqu'il pręche, ŕ un berger qui fait une confidence amoureuse ŕ sa bergčre. La meilleure acquisition que le clergé a fait ŕ cette époque c'était Danton le fils. Il vient de nous donner un sermon sur ce texte ou plutôt sur ce sujet: si l'homme meurt, revivra t'il? Il a employé tout ce que l'éloquence lui fourni de plus énergique et le sentiment de plus attendrissant pour démontrer, pour établir l'affirmative de cette importante question. Il a subjugué, entraîné, ému jusqu'au larmes le plus grand nombre des ses auditeurs. Quel présage pour l'avenir que le succčs distingué de ce jeune prédicateur qui ne s'amorce que par des chefs d'śuvre et dont l'organe distingué et toute la déclamation conspirent avec les talents pour en faire un jour un orateur distingué.

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Il était difficile dans un sujet aussi rebattu que l'est l'immortalité de l'âme, de dire plus de nouvelles choses et exprimer d'une maničre plus neuve ce qui a été si souvent répété, mais s'il s'est attiré bcp d'éloges, les critiques ne lui ont pas été épargnées.

La vieille orthodoxie pour employer l'expression consacrée ou la vieille compagnie avec ses traditions aristocratiques et ses doctrines calvinistes est représentée par un assez grand nombre de pasteurs plus ou moins respectés mais assez médiocres, assez orgueilleux, assez jaloux qui endorment ou froissent leurs auditeurs. Quand ses Messieurs parviennent ŕ surprendre un auditoire composé en majeure partie des fidčles qui suivent les prédications des Romilly, des Vernes[8], des Mouchons.. il leur arrivent de produire un effet pareil ŕ celui du brave Mr Liomin alors connu pour ses écrits en faveur des peines éternelles. Ce pasteur Neufchatelois se hasarda un jour ŕ monter dans une des chaires occupées par l'un des hommes que je viens de nommer et scandalisa réellement les fidčles: Tout ce que vous pouvez imaginer de ridicule, de faux, d'outré, d'extravagant dans la déclamation n'est rien en comparaison de ce que nous vîmes et entendîmes de sa part dans notre assemblée, dont les rires ŕ demi étouffés avaient peine ŕ se contenir. Quelques uns des notres peuvent rivaliser avec ce prédicateur aussi étrange qu'étranger. Quel effet peut produire ce gros bon Mr Mercier, qui nomme

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chaque chose par son nom pour ętre entendu de son auditoire et qui affirme sérieusement dans sa derničre congrégation qu'il vient de répéter au jour de l'escalade que dans le royaume des cieux il n'y aura ni bal ni comédie. Les sorties les plus vigoureuses de ses collčgues sont aussi ridicules qu'irritantes. A chaque instant nous redoutons quelque éclat. Voici venir le jour du jeune (1772) et la liste nous annonce pour le matin ŕ St Gervais, Mr Pictet qui n'avait pas reparu dans cette chaire depuis l'affaire du bourgeois. Veut-il se réconcilier avec le quartier? Veut-il profiter de cette occasion pour lui adresser plus librement des injures? C'est ce que nous saurons bientôt, disait-on ŕ St. Gervais. Les passions politiques se męlent ŕ tout et enveniment tout. L'affabilité de Mr Vernes et de ses collčgues représentant contraste avec la morgue des pasteurs négatifs qui n'aiment gučre ces hommes nouveaux. Dimanche passé fut le jour des premičres annonces d'un vieux pasteur, publiées par l'affable Mr DeLescale. Le frčre du fiancé va les lui porter la veille. Il le reçoit sur la montée, jette un coup d'oeil sur le papier et ŕ la vue d'un nom qu'il ne doit pas méconnaître, ne daigne pas lui adresser la moindre question. Depuis l'héritage qu'il a fait, l'orgueil domine autant ce respectable pasteur qu'une de ses épaules domine arrogamment sur l'autre.

C'était ŕ ce qu'il parait par les impertinences et par des intrigues que la vieille orthodoxie se faisait craindre et détester. Mr le Ministre Diodati (1771) avait logé le jeune prince de Mecklembourg-Schwerin pendant son séjour ŕ Genčve. Cet homme n'a été pour lui qu'un sujet de désagrément. Le gouverneur du jeune

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prince a été disgracié et cette disgrace lui a été attirée par les calomnies et les faux rapports d'un cocher du prince. Elle lui a été notifiée dans une lettre qui renferme une longue liste de griefs les plus absurdes et qui contient je ne sais combien de chose injurieuses pour Mr Diodati. On y reproche entre autres au gouverneur d'avoir introduit le prince dans la maison d'un Socinien[9], ou rčgnent le moeurs les plus libres. Vous comprendrez que cet affront n'a pas atteint celui auquel il était destiné. Il ne suffit plus de jeter ŕ la tęte d'un homme honorable une accusation de Socianisme1 pour l'accabler. Les disputes religieuses ne sont plus ŕ l'ordre du jour. Nous sommes plus avancés dans la tolérance. A peine avons nous entendu parler ŕ Genčve de la traduction allemande de la Bible qu'on vient d'imprimer ŕ Zurich (1773) avec une table des matičres et un index destiné ŕ expliquer les passages les plus obscurs. Cet ouvrage porte atteinte ŕ la vieille orthodoxie. Les Théologiens de la vieille roche l'ont examiné ŕ Berne et ont fait prohiber la Bible Zurichoise dans tout le canton. Il y a deux ans cette affaire se serait terminée par une guerre de religion, aujourd'hui on se contente de se faire poliment des reproches de part et d'autres. Il n'y a pas de Schisme ŕ redouter entre les Zurichois et les Bernois. Le terme de Mésimbelligence [?] est assez fort. A Genčve un pareil ouvrage écrit en français aurait été condamné par les uns, approuvé par les autres, mais il ferait trčs peu de sensation.

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Ce qui contribue encore ŕ discréditer la prédication des anciens, c'est que lŕ ou la foule ne se porte pas, lŕ ou l'auditoire n'est pas dominé par nos bons orateurs, il se passe toutes sortes d'inconvenances. Je ne veux pas vous fatiguer en multipliant les exemples, je citerai seulement deux traits d'effronterie, l'un de Mr le chantre Bruguier, l'autre du châtelain Marcet. Ils suffiront amplement pour vous donner une idée de la maničre dont les choses se passent quelquefois soit ŕ la ville, soit ŕ la campagne.

C'était un jour de communion. Tout le monde avait passé devant les tables et le lecteur, jeune homme assez novice allait faire chanter une nouvelle pause. Mr Bruguier se lčve, frappe avec force sur son pupitre pour interrompre le proposant, qui n'y faisant pas attention continue de lire la pause indiquée. Notre chantre perd patience et se met ŕ lui crier ŕ haute voix: "Attention, Monsieur, attention, s'il vous plait! Tout le monde a passé!" Cette brusque incartade a scandalisa les uns, fait rire les autres et couvert de confusion le pauvre lecteur, qui n'a eu hâte que de détaler les yeux baissés et de la chaire et du temple.

Voici l'autre exemple. Mr Marcet, châtelain de la Champagne, y faisant sa tournée arrive ŕ Cartigny un dimanche de la belle saison. Il s'allait rendu chez Mr le Colonel Pictet, mais lui et sa famille étant au sermon, notre homme s'achemine ŕ l'Eglise. Mr Perronnet pręchait, on en était ŕ la seconde pričre. Le fier châtelain entre avec fracas, va droit au premier banc et s'y fait placer avec la plus grande hauteur. Vous devez imaginer quel scandale cette rumeur causa dans ce moment. Tous les yeux étaient figés sur lui. La pričre s'interrompit et Mr Perronnet

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attendit que le silence fűt rétabli pour la continuer.Durant tout le reste de l'assemblée, le Châtelain se comporta avec la męme morgue et fit baisser les yeux de tout assistant qui osait lever ses regards jusqu'ŕ lui. Quelques chiens qui étaient dans l'église ne contribučrent pas moins ŕ troubler la dévotion. Auc (?) ne fut de dévotion plus traversée, auc dévot ne fut plus mal ŕ l'aise, car chiens d'aboyer et châtelain de scandaliser par ses bruyantes allures. Il semblait ŕ entendre tout ce vacarme que chiens et Châtelain s'étaient donné le mot. On sort enfin. Le châtelain aborde le pasteur et d'un ton de seigneur ŕ son vassal: "Je me serais attendu, lu dit-il, qu'il eut régné plus d'ordre et de décence ds vos assemblées. Je n'aurais pas cru qu'on y laissât entrer les chiens; j'en ai été scandalisé et j'allais donner ordre qu'on les chassât de l'église, lorsque j'ai vu que Mr le pasteur souffrait le sien dans sa chaire." Or notez que Ratou, le chien favori de Mr Perronnet, n'avait fait aucun bruit et s'était couché ŕ l'entrée de la chaire selon sa louable habitude. Surpris mais non décontenancé de cette fičre incartade Mr Perronnet réplique avec son flegme ordinaire: " Je ne me serais jamais attendu, Mr, qu'on put troubler avec si peu d'égards et si peu de retenue la dévotion et la tranquillité de toute une assemblée; je vous avouerai que j'en ai été scandalisé et que j'allais imposer silence ŕ celui qui en usait si indécemment, mais je me suis tu dčs que j'ai vu que c'était Mr le châtelain."

Voila Monsieur quelques traits caractéristiques de cette singuličre époque. Ils vous suffiront sans doute pour ... ->

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vous donner une premičre idée des hommes qui se trouvaient ŕ l'oeuvre et des difficultés qui allaient croissant. La vieille aristocratie de Genčve préférait jouir de toutes les libertés qui lui étaient offertes par les philosophes et de tous les plaisirs mondains qu'elle pouvait se procurer ŕ l'honneur de garder l'héritage de leurs pčres. Les membres du clergé qui appartenaient au parti des négatifs par leur position dans le monde, leur naissance ou leurs sympathies maintenaient autant qu'ils le pouvaient les traditions et les croyances orthodoxes. Ils s'inquiétaient sérieusement des progrčs de la liberté. Ils se sentaient menacés jusque dans le sanctuaire, ils résistaient autant qu'ils le pouvaient sans avoir ni la foi, ni les talents, ni rien de ce qui est indispensable pour obtenir le plus léger succčs. Ils étaient d'autant plus embarrassés que les gouvernants de la république, l'aristocratie et tous ses tenants voulaient bien imposer aux représentants un joug religieux, moral et politique mais ne voulaient pas se résigner eux-męmes ŕ subir celui de l'Evangile. La passion des Genevois pour les représentations théâtrales l'emportait sur toutes les considérations religieuses et morales. Les meilleurs se laissaient entraîner. Les incrédules et leurs amis se moquaient de nos vieux préjugés. Les comédiens redoublaient leurs représentations ŕ Ferney sans s'embarrasser ni des communions, ni des jeűnes, peut ętre męme pour marquer le peu de cas qu'ils faisaient de la religion. Leur dépit du peu de gain et de la perte męme qu'ils faisaient ne les empęchaient point de tenter le public en revenant sans cesse ŕ la charge.

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Enfin, ils s'établirent d'une maničre stable ŕ Chatelaine. Le théâtre est achevé, le jour de l'ouverture irrévocablement fixé. Les vrais patriotes devaient absolument s'abstenir d'y aller. Ils vouaient aux comédiens l'abandon et la misčre. La V.C.[10] avait arręté une visite extraordinaire de chaque pasteur dans son quartier pour exhorter les paroissiens ŕ renoncer ŕ ce plaisir dangereux. On devait en faire mention dans les chaires. On se raidissait, on se préparait ŕ lutter contre la tentation, mais hélas quand le jour arriva tout le monde alla ŕ Châtelaine, c'était comme une procession.

La comédie n'était pas le seul moyen qu'on a inventé et employé pour corrompre nos moeurs et pour ébranler notre foi. Des écrits de tous genres inondent notre ville et propagent les principes les plus détestables. Le nombre des incrédules va croissant. Des gens de toutes conditions donnent dans ce dangereux délire. Des personnes éclairées et reconnues d'ailleurs pour avoir d'assez bon principes, chancellent et ont assez de peine ŕ résister au poison subtil que respirent les derniers ouvrages des philosophes. Elles n'osent presque plus vivre saintement, modestement, religieusement, tout en regrettant de se laisser séduire et comme le dit trčs bien Mr Claparčde: il semble qu'on ait mis la religion au nombre des préjugés qu'on respecte encore pour leur ancienneté. Encore un progrčs dans ce sens et on la jettera comme un vętement qui a vieilli.

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Ici, Monsieur permettez moi de m'arręter et de renvoyer ŕ un autre jour les renseignements que je dois vous donner sur la lutte qui devient touj. plus vive entre les philosophes incrédules et quelques uns de nos pasteurs. ---

Il y a dans toutes les époques de crises religieuse et sociales une tendance générale plus ou moins déterminée contre laquelle ceux qui veulent vraiment le bien s'unissent presque instinctivement. Ils ne diffčrent en réalité que dans le remčde qu'ils opposent au mal, dans les moyens qu'ils employent pour les combattre. Les uns se roidissent. Ils se font arracher, si nous pouvons nous exprimer ainsi, toutes les concessions impérieusement exigées. Les autres envisagent les circonstances ds lesq. ils se trouvent, puis abandonnant ce qu'ils ne peuvent plus défendre, ils se retranchent dans les positions qui leur paraissent les plus fortes. Nous n'avs rien ŕ vous dire des premiers. Ils n'eurent aucun succčs. Aucun homme ne se distingua dans leurs rangs. Les seconds déployčrent la plus grande énergie et tout en reconnaissant qu'ils ne furent pas ŕ la hauteur de la tache qui leur était imposée, nous les admirons et nous les bénissons. Si Dieu leur avait accordé plus de talents ŕ faire valoir en faveur de l'avancement du rčgne de son fils, leurs noms seraient inscrits en lettres d'or dans les fastes du monde entier. Il ne leur accorda gučre que ce qui était indispensable pour entraver les progrčs d'un mal. Pour semer ... ->

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qqs bons grains qui germeraient plus tard. Ne faut il pas, Monsieur, consacrer au moins un patriotique souvenir ŕ ces hôm qui furent de bons confe(ssans?) & presque des martyrs.

La grande majorité des genevois flottent encore indécis entre la foi de leurs pčres et l'incrédulité des philosophes. Ils ont peur de Voltaire et de ses satellites. Ils éprouvent une secrčte sympathie pour Rousseau. L'un d'eux exprimait avec franchise cette impression qui est plus générale que vous ne pourriez l'imaginer «Quand ŕ moi je ne sais pourquoi, mon coeur s'épanouit lorsqu'on dit du bien de Rousseau & s'indigne quand on le prostitue par un Voltaire, mais comme l'idée de l'un des personnages est toujrs lié dans mon esprit ŕ celle de la vertu et l'idée de l'autre ŕ celle de la méchanceté et du vice, je crois que de tels sentimens loin de faire la satyre, ne peuvent que faire l'éloge de celui qui les professe.» Et moi je ne pense pas me tromper non plus en affirmant que cette maničre de sentir est celle de la partie la plus saine et la plus généreuse de la nation.

Voila donc le troupeau qu'il faut garder et défendre, celui qu'on peut encore réunir dans les temples et rassembler autour de la croix du Seigneur. Toutefois ces fidčles sont ébranlés. Ils ne se contentent plus de la vieille orthodoxie qui leur paraissait nagučre encore si respectable. Il leur faut des choses nouvelles ou au moins renouvelées par la forme dont on saura les revętir, il leur faut bien plus encore des arguments en faveur de leur foi, des explications, des preuves, des réponses aux attaques furibondes et vraiment jésuitiques des philosophes de l'école nouvelle.

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Deux hommes se dévouent. Vernes et Roustan. Vernes avait négligé la prédication pour composer un ouvrage contre les incrédules. A la fin 1771 on lit avec délices ses confidences philosophiques. Il parait avoir trouvé la bonne tournure pour faire lire un écrit qui malgré la bonté des choses n'était plus des gout. Tandis que le bon Roustan avait manqué d'adresse, voulant aller au but par le chemin le plus court et le plus uni, Vernes employe un art infini, pour tirer de la bouche męme de l'incrédule tout ce qui peut servir ŕ le combattre et disons le ici cette méthode est d'autant plus habile que les prédicateurs eux męmes sont conduits ŕ s'attayer souvent des aveux des philosophes pour glorifier l'Evangile.

Tous les écrits de Roustan qui sont en assez grand nombre ont un cachet particulier qu'on retrouve dans ceux que ns indiquons ici. Il a publié une série de lettres sur le Christianisme, ouvrage rempli de traits lumineux, de réflexions victorieuses et qui fait honneur ŕ la touche mâle et hardie de l'auteur.Il le fit précéder d'une préface, toute relative ŕ Voltaire, ou il drape ce Monsieur comme il le mérite et se montre supérieur ŕ toutes les poliçonneries que le vieux Diable de Ferney lui a lancées et peut lui lancer encore, le priant au reste, de ne pas troubler les cendres de son pčre, qui pour avoir cordonnier, n'en avait pas moins été fort honnęte homme. Sa réponse aux difficultés d'un ..... est écrite avec une clarté, une force, une simplicité qui la met ŕ la portée de tout le monde. L'esprit n'y est point fatigué par des raisonnemens abstraits et ... ->

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métaphysiques. Il semble dédaigner cette maničre d'écrire des philosophes modernes. Point de prétentions ou bel esprit. La premičre expression qui se trouve sous sa plume est pour lui la meilleure pourvu qu'elle soit forte et vraie. Les philosophes ne sont pas les seuls qu'il attaque. Quand le catholicisme et ses erreurs se rencontrent sur son chemin, il ne l'épargne gučre. Ce n'est pas de la réformation qu'il faut s'étonner, mais de ce qu'elle arriva si tard et ne fut pas universelle... Le Christianisme romain fait de l'essentiel l'accessoire et de l'accessoire l'essentiel; il occupe sans fin les peuples de processions, de fętes, et de rites; il offre ŕ leur adoration un morceau de pâte, des images, des croix, des guenilles; au grand intercesseur que nous donne les livres sains, il en joint d'autres ŕ milliers pris parmi les hommes et les anges, leur adresse plus de pričres et leur élčve plus de temples qu'au créateur męme... Le Xisme Romain calculé pour élever et enrichir le clergé aux dépens du peuple, encourage le célibat, canonise l'oisiveté, asservit le trône ŕ l'autel et les peuples ŕ cent abstinences, qui laissent aux riches vingt moyens de satisfaire sa sensualité et mettent le pauvre ŕ contribution.... Le Papisme, sur de sa faiblesse, cherche les ténčbres, décrie la raison, décrie męme l'Ecriture, multiplie avec art les obstacles ŕ sa lecture, craint de la voir en langue vulgaire, au lieu de ses sublimes leçons, repaît les peuples d'absurdes légendes et porte l'oubli de toute pudeur jusqu'ŕ leur parler ds les temples une langue qu'ils n'entendent point. Le papisme est un systčme ... ->

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d'orgueil, de tyrannie et de cruauté. Plus superbes et plus vains que les despotes męme de l'Asie, son chef se fait porter sur l'autel et y reçoit comme un Dieu l'adoration de ses esclaves... Armé de bulles et d'anathčmes, d'inquisiteurs et de bűchers, il dévoue ŕ la destruction quiconque ose lui résister, prétend męme au pouvoir de briser les trônes, de juger ceux qui les occupent et souillé fréquemment des forfaits les plus odieux, n'en accepte pas moins le titre de trčs Saint.

Certes Roustan a retrouvé ce nerf des premiers réformateurs pour opposer le vrai christianisme qui porte partout l'empreinte d'une religion céleste, au papisme qui n'est qu'une religion fausse, enfantie et barbare, mais toujours bon, toujours équitable, aprčs avoir tonné contre le mal, il supplie ses lecteurs de ne pas confondre les papistes avec le papisme parce que beaucoup d'entre eux valent mieux que leur religion , comme beaucoup de protestants sont au-dessous de la leur.

Roustan lutte contre l'incrédulité mais considérant le papisme comme la source la plus féconde du décri ou est tombé la religion il lui demande un compte service de toutes les idées fausses dont il a affublé le christianisme et de toutes les horreurs dont il l'a rendu responsable aux yeux des hommes. Vernes se préoccupe davantage des affreuses conséquences de l'irréligion qui va croissant et qui menace d'envahir le monde en renversant toutes les notions vraiment morales. Mr Vernes brille plus par l'esprit et Roustan par le coeur. Le sérieux, la chaleur et le zčle avec lequel ce dernier embrasse et traite ... ->

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son sujet ne lui permet pas d'imaginer ces méthodes raffinées qui semblent dégrader la majesté, mais aussi doit il ętre moins lu dans notre sičcle "bel esprit". J'aimerais donc ętre Roustan pour l'énergie de ses sentimens et Vernes pour l'intéręt de ma gloire, ŕ supposer au moins qu'il possčde en assez grande dose tous les talents qui peuvent l'acquérir.

Vernes vient de publier ses confidences philosophiques. Ce titre est trčs bien appliqué, car c'est un jeune homme qui rend compte de ses opérations au philosophe auquel il doit la délivrance du joug de ses préjugés. Par quelle gradation il a corrompu l'esprit et ensuite subjugué la vertu de la femme de son bienfaiteur, que le désespoir entraîne ensuite au tombeau. Cette histoire est des plus révoltantes et cependant il y est démontré que toutes sortes de crimes, un désordre affreux, un renversement total ds la société sont la conséquence naturelle des principes de ces fameux penseurs. Voilŕ la confidence que Mr Vernes a éventée et dont il fait part au public.Il présente tous les principes des philosophes de maničre ŕ les tourner contre eux męmes, il met au jour leur misérables ruses de guerre, il trouve qu'on ne peut pas mieux les combattre qu'avec leurs propres armes et en les couvrant de ridicule. C'est l'ironie la mieux soutenue qui rčgne du début ŕ la fin, mais le chapitre qui mérite le plus d'ętre lu sous ce point de vue, ... ->

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c'est le dernier oů l'incrédule propose mille rčglements singuliers pour saper la religion et pour étendre le rayon de l'incrédulité. Le Maître veut qu'on divise la secte impie en conteurs, rieurs et argumentateurs, qui au besoin viendront au secours les uns des autres. Il fait sentir la puissance du ridicule qu'il faut employer de préférence. Et vous croyez ŕ l'ânesse de Balaam ! Cette exclamation dit il, suivi d'un rire éloquent suffit pour ... le plus orthodoxe.

Monsieur Vernes est sorti de la route tracée par les adversaires des philosophes. Il a adopté une nouvelle maničre de les réfuter parce qu'on ne lit pas du tout les réfutations sérieuses qu'on leur adresse. Je ne crois pas cependant qu'il échappe ŕ la critique. De bonnes gens seront scandalisés qu'un ministre ait tracé, dans un ouvrage public, la maničre de séduire une honnęte femme, comme Machiavel ds ses leçons de politique donne aux princes la maničre de tromper les peuples. Ne voyant pas qu'exposer les noirceurs d'une intrigue, c'est inviter aux précautions ceux qu'on cherche ŕ séduire et leur montrer les pičges. D'autres penseront que l'auteur a trop donné de force aux difficultés en proportion du peu d'étendue de ses réponses. C'est une critique que j'ai entendu. Je trouve seulement qu'il a rendu Me Hébert de trop bonne composition et que pour l'honneur des femmes et l'intéręt de la vérité, il n'aurait pas fallu lui laisser céder la victoire avec tant de facilité. Pour moi, qui ne mesure point mon estime sur le degré de celle des autres, je puis vous assurer sans me soucier de ce ... ->

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qu'on pensera de mon goűt, que je suis trčs content de l'ouvrage et de sa tournure. La lettre du Capitaine Davington, en particulier, écrite avec toute la force et l'onction de l'éloquence me paraît admirable.

Malheureusement ce n'est pas ŕ Genčve qu'un genevois peut trouver, je ne dirai pas de l'indulgence, mais de la justice. Point de lieu sur terre ou le proverbe "nul n'est prophčte dans son pays" ne se vérifie mieux. Comme tout le monde s'y pique de "bel esprit", on n'y aime point ceux qui déploient leurs ailes un peu au-dessus du niveau des autres, a moins que ce ne soit pour planer dans la plus haute région de l'air, tel qu'un Rousseau, car en ce cas on s'honore d'ętre son compatriote et on croit partager sa gloire en lui rendant honneur. Ce que je dis de Mr Vernes, je le dis de bien d'autres. Et d'abord je le dis de Roustan. Je le dis de Mr Comparet dont le "traité sur l'éducation" renferme de bonnes choses et reste sans débit; de Senabier (?) dont les contes moraux renferment des détails pleins d'esprit, mais qui sont écrit d'une maničre trop alambiquée; de Mr Butini le jeune dont les "lettres africaines", petit roman de cent et quelques pages prouvent (?) beaucoup de talent et que j'ai vu annoncé de la maničre la plus avantageuse ds "l'année littéraire" et qui n'obtient pas plus ... que les autres auprčs de ses compatriotes, ou l'émulation est étouffée pas ces Zoďles de la littérature et de la société qui trouvent mauvais tout ce que les autres font, parce qu'ils ne font rien, ou sont incapables de rien faire de pareil.

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Il se forme contre l'ouvrage de Mr Vernes une ligue de la part des Messieurs les aristocrates qui hantent le théâtre et le château de Voltaire et qui sont acharnés contre lui depuis longtemps. Ils se vantent d'avoir engagé l'ermite de Ferney ŕ répondre. Tout nous annonce un combat intéressant entre les deux champions, dont l'un est sans doute trčs supérieur, mais dont l'autre a de l'esprit, de la fortune, beaucoup de fermeté, une vie parfaitement pure et la vérité, le bon droit en sa faveur. On a demandé ŕ Mr Vernes comment il se conduirait alors et voici dit-on ce qu'il a répondu. « Tant qu'il ne m'opposera que des bavardages, des brocarts et des plaisanteries sur mon ouvrage, je le laisserai se soulager; mais s'il m'a en vue personnellement, s'il attaque ma réputation, je lui ferai voir que si je n'ai pas un grand génie comme lui, du moins je sais me défendre et je lui tomberai sur le corps de la belle maničre. »

Il ne parait pas que Voltaire ait cédé aux sollicitations des genevois qui se prostituaient en lui faisant une cour assidue et en l'adorant presque comme un dieu. Peut-ętre aussi les malheurs domestiques qui accablčrent Mr Vernes et qu'il supporta en vrai chrétien lui imposčrent l'obligation de le respecter. Cet homme digne par ses vertus et ses talents d'un sort heureux. Pčre, époux infortuné en perdant sa derničre femme (juin 1773) voit se renouveler toutes ses pertes, il les sent toutes ŕ la fois. Je l'ai visité deux ou trois fois depuis cette époque et je l'ai toujours trouvé dans l'accablement de la douleur, mais d'une douleur noble et pleine de résignation.

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Si cette douleur pouvait s'adoucir en proportion au nombre des personnes qui y prennent part, combien ne devrait-il pas en ętre soulagé, puisque tout le public dont il est généralement aimé, y a pris la part la plus vive et n'a fait que ... dans le temps. Il m'a paru fort sensible ŕ cet empressement. Il m'a assuré toutefois que les consolations qui lui étaient venues des personnes pieuses et de bons principes lui avaient été d'un tout autre efficace que celles qu'il avait reçues des personnes reconnues ... incrédules et relâchées dans leurs principes. Tout le monde a voulu lui donner quelques marques d'intéręt. Voltaire lui-męme s'en est męlé. Il lui a écrit sur le champ une lettre de condoléance qui commence par ces mots: « le vieux malade de Ferney est honteux de vivre, quand la jeunesse, les grans et la beauté périssent... » Mr Vernes n'a pas paru faire grand cas de cette attention, ni surtout de ce genre de consolations.Il est allé ŕ la campagne, ou ses amis l'ont sollicité de tous côtés d'aller quoiqu'il m'ait déclaré n'avoir du goűt pour rien et que partout ou il irait, il y porterait sa douleur.

Voilŕ encore, Monsieur une véritable calamité pour la bonne cause. Tant d'épreuves privent un de ses meilleurs champions d'une partie de ses forces, dans la lutte qu'il soutient contre les incrédules et dans la tâche au pastorat qu'il remplit avec tant de sagesse et de fermeté. Dieu l'a voulu ainsi, nous devons nous soumettre ŕ ses décrets, sans murmures, Il a brisé ... ->

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un des hommes qu'il employait, un des serviteurs qui se dévouaient, il l'a purifié par l'épreuve, il l'a sauvé par beaucoup d'afflictions, en se ré... a lui de tirer le bien du mal et de régler toutes choses selon les vues de sa sagesse éternelle.

D'un autre côté, ni Vernes, ni Roustan ne peuvent trouver un peu d'appui en dehors de Genčve. Les hommes irréligieux ne leur tiennent aucun compte de l'abandon qu'ils font des erreurs du Catholicisme parce qu'ils les ramčnent sans cesse ŕ l'Evangile et glorifient de toutes leurs forces la morale et la foi chrétienne. Les partisans du Catholicisme redoutent bien plus encore ces écrites profondément empreintes des principes de la réforme, dans lesquels on faisait si bon marché du Papisme, que les libelles des incrédules.Ils ne peuvent pas męme y puiser quelques arguments ŕ employer dans leurs propres intéręts, car Vernes et Roustan se font forts avant tout de la liberté, en invoquant l'examen, ou le provoquant męme en abandonnant ŕ l'avance tout ce qui n'est pas la "vérité".

Si vous croyez que j'invente ces choses, vous vous trompez. Ce n'est pas moi qui ai découvert d'oů provient le peu de réussite qu'ont toutes ses tentatives de nos hommes d'esprit et de coeur.C'est le journaliste Linguet, ŕ qui Vernes a envoyé son ouvrage, en lui demandant l'explication de la résistance qu'il éprouve ŕ introduire son livre, męme ŕ Paris, ou on laisse circuler et vendre tant de mauvais livres.J'ai copié la lettre de cet homme et je ne saurais mieux faire que de la transcrire ici. Elle pourra justifier mes assertions.

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<< J'ai reçu, Mr et lu avec le plus grand plaisir, la confidence philosophique. L'idée de mettre en action la morale de la secte moderne et ses effets est trčs heureuse. Elle est exécutée comme elle devait l'ętre, sans sarcasme, sans malignité, mais avec la force, la décence et l'adresse qui pouvaient rendre dette espčce de roman aussi agréable qu'utile. La dixičme lettre est la meilleure plaisanterie. Je ne m'étonne pas qu'elle vous ait coűté du travail. Ce sont toujours les choses les plus faciles, dont la production est la plus pénible, mais vous ne devez pas avoir de regret ŕ des peines qui ont fait éclore quelque chose d'aussi bon. C'est dans ce genre, ce que j'ai lu de mieux depuis les Provinciales: je vous remercie bien en mon particulier de ce présent qui tiendra une place honorable dans ma bibliothčque. >> Voilŕ Mr. quand ŕ l'auteur. Admettez si vous le voulez que le journaliste exagčre un peu ce qu'il pense, il en restera bien assez pour satisfaire un homme aussi modeste que Mr Vernes. Voici maintenant ce que Linguet ajoute en réponse aux explications demandées. << Je me rappelle que vous m'avez marqué que cet ouvrage avait trouvé de la difficulté ŕ s'introduire dans Paris. Vous en étiez surpris attendu le changement des circonstances, qui vous paraissaient ne point donner si beau jeu qu'autrefois ŕ vos adversaires. Mais ne serait ce pas votre XXe lettre qui en serait cause? Nos prętres ne seraient-ils pas choqués de la proposition que vous faites, d'écarter le "billon théologique", pour ne conserver que "l'or dans l'Evangile?" ... ->

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Cette opération ferait évanouir toutes leur opulence, et ils y tiennent au moins autant qu'ŕ leur religion. L'Evangile purifié comme vous le dites, ne donne ni croix pectorale, ni abbayes de commande, ni chapeaux rouges et nous trouvons cela fort bon, ainsi nos prętres s'accorderaient peut-ętre encore, plutôt avec les philosophes qui se contentent de rire du culte, qu'avec vous qui en bon protestant proposez tout d'un coup, une réforme. Dans l'état des choses, des gens qui se moquent de l'Evangile & de tout l'édifice de la religion ne sont dangereux que pour les moeurs, ils ne le sont gučre pour les dignités ecclésiastiques. Prétendre que le Christianisme est absurde, ce n'est pas prouver la nécessité de renverser toute la hiérarchie de notre clergé; mais vous qui le rendez raisonnable, vous qui vous attardez ŕ la morale plus qu'au dogme, vous qui en simplifiez la pratique et la rčgle, vous qui portez les plus grands coups, aux loups déguisés en pasteurs, qui le pręchent pour leur intéręt. Au reste, Mr, vous devez vous consoler de vos traverses (?), votre ouvrage vous conciliera dans tous les temps, l'estime des âmes honnętes et c'est le payement le plus satisfaisant pour un écrivain qui en est digne.

Que pourrais-je ajouter ŕ ces aveux d'un homme qui connaissait si bien le monde au milieu duquel il vivait? Ne voyez vous pas qu'il a jugé depuis longtemps ce qu'il peut et ce qu'il doit dire, pour échapper lui-męme ŕ la réprobation dont il serait bientôt accablé s'il écoutait son propre coeur, s'il ne faisait aucun sacrifice ŕ ses intéręts. Ces explications firent du bien ŕ ceux qui ont travaillé pour la bonne cause.

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Ils comprirent que leur impuissance ne venait pas uniquement de leur faiblesse ou de l'imperfection de leurs écrits, mais de la position dans laquelle ils se trouvaient placés. Ne pouvant pas concilier leur maničre d'agir avec tous ces intéręts mondains qui se liguaient contre eux, ils se résignčrent ŕ faire un peu de bien dans le cercle étroit oů il leur était donné de se mouvoir, comme je vous l'expliquerais dans ma prochaine épître consacrée entičrement ŕ la prédication et aux prédicateurs de notre époque.

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Vous vous faites certainement une fausse idée de nos prédicateurs et des prédications qu'ils nous adressent, en pensant ŕ ces hommes d'élites dont les noms sont parvenus jusqu'ŕ nous et qui nous ont laissé quelques uns de leurs sermons que vous lisez encore avec tant d'édification que de plaisir. Ils se font rares « apparent rari nantes, ingurgito vasto ». C'est une monotonie, une langueur universelle, un accord si parfait ŕ cet égard entre les prédicateurs journaliers et ceux qui les écoutent, qu'on ne peut assigner lesquels des uns et des autres causent l'ennui dont ils s'accusent réciproquement. Il ne manque pas il est vrai de personnes ŕ talents, qui peuvent édifier et plaire, mais ou la santé, ou la paresse, ou le dégoűt leur impose silence et ceux qui sont toujours sur la liste trouvent précisément dans cette raison une excuse.D'un autre côté le goűt qui s'et... et la piété qui s'affaiblit rendent les oreilles et le coeur encore plus difficiles, on devient plus sévčre lorsqu'on devrait ętre plus indulgent, l'auditeur ennuyé ne prend plus le chemin du temple, le prédicateur dépité du petit nombre

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de fidčles qu'il harangue, ne fait plus d'efforts, on en fait moins qu'il n'en pourrait faire, il se relâche qd il devrait redoubler de zčle et d'ardeur, il cherche ŕ se dédommager par le repos ou par les compagnies de l'aliment qu'on refuse ŕ sa vanité et qui est nécessaire ŕ la vertu męme, en sorte que tour ŕ tour, cause et effet, cette nonchalance des uns, cette tiédeur des autres, s'est bien éloigné d'aller au soutien de la religion.Entre vous et moi, une demoiselle, dimanche dernier me disait qu'avec toute sa piété, il fallait qu'elle s'ordonnât ŕ elle-męme d'aller au sermon, quelle se repentait bientôt du joug qu'elle s'était imposé et que rien ne lui plaisait plus que de substituer ŕ un prédicateur qui fatigue ou qui ennuie, une lecture qui édifie ou qui instruit. Malheureusement je n'avais ni raisons ŕ alléguer, ni exemples ŕ citer. Il fallait convenir que le nombre de ceux qui méritent d'ętre écoutés est trčs petit et que j'aurais plus vite compté les Claparčde, les Vernes, les Roustan que les S. les P les C et ...

[ Note du transcripteur: l'écriture change ]

Parmi les représentants de la vieille orthodoxie - quant aux opinions - nous trouvons Mr Dejoux. Cet homme a des principes en matičre de religion qui ne peuvent manquer d'en faire ou un fanatique ou un incrédule. Selon lui la foi est moins l'ouvrage de l'étude ou de la réflexion que de la grâce. Toutefois ces principes ne sont pas trčs arrętés. Je l'ai vu derničrement et il m'a paru changé ŕ son avantage, quant ŕ la décence, ŕ la politesse et ŕ l'honnęteté, mais que vous dirais-je ? J'ai bientôt reconnu notre ancien protée (?). Ses principes religieux ne sont plus les męmes. Autant il paraissait les ... ->

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avoir adoptés pour la vie, chercher en eux toute sa consolation, autant il s'en moque aujourd'hui et se fait l'honneur de les mépriser. Je ne voudrais pas porter un jugement téméraire, mais toutes les probabilités se réunissent pour me persuader, qu'ŕ peine tient il par un fil au Christianisme. Il a déjŕ conçu le plus grand dégout pour le ministčre, qu'il est presque résolu d'abandonner pour aller ŕ la Martinique, ou l'on vient de lui offrir de Nîmes (?) une place comme journaliste avec les appointements de 2000 frs par année. Mais qui sait si la crainte des dangers de la mer et du séjour ds un climat brűlant ne le ramenera pas au ministčre pour s'en éloigner de nouveau par une suite d'oscillations que la réflexion ne fixera jamais. Tel est le Mr Dejoux qui nous donna dimanche un sermon sur le jugement dernier, qui doit ętre selon sa façon de penser présente son sermon dernier. La récitation fut froide, ce qui venait en partie de ce que la texture de son sermon prętait peu ŕ la déclamation. J'ai remarqué plusieurs pensées heureuses et bien exprimées, mais d'ailleurs un style chargé de figures incohérentes, d'épithčtes inutiles et mal choisies, des idées peu développées et une grande confusion. En voilŕ bien assez sur cet homme et ses travers. Ils tiennent ŕ sa nature et nous devons plutôt le plaindre que nous en fâcher.

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J'ai dit de Dejoux qu'il était le représentant de la vieille orthodoxie, entendons nous sur ce point. C'est le seul qui les ait affichés parmi les jeunes ecclésiastiques car nous ferons pas ŕ l'ancienne compagnie, ni ŕ l'ancienne orthodoxie l'injure de leur imposer la moindre solidarité avec cet homme qui jetta plus tard son froc aux orties, pour en prendre un autre qui lui permit de cacher toutes les fluctuations de sa foi sous les apparences extérieures et des formules dictées par l'Eglise Romaine sans pouvoir rompre encore la chaine qu'il s'était forgée.

Le prédicateur qui exerce le plus d'influence sur le jeune clergé est ŕ coup sur Mr Romilly qui est venu recemment se fixer ŕ Genčve. Avant que cet homme eut paru ds nos chaires, chacun suivait l'impulsion de son génie sans se régler sur celui des autres, mais dčs qu'il fut de retour, voilŕ toutes nos jeunes cervelles subjuguées par le prestige de sa prédication et travaillant ŕ l'envi (?), ŕ qui l'imiterait le mieux tant pour la composition que pour la récitation. Dčs lors tout ŕ Romillisé. Cette épidémie a saisi surtout nos jeunes débutants, qui tous ont cru voir dans Mr Romilly le comble de la perfection, Cependt aux yeux des personnes du métier les plus sensées et les plus accréditées, il en est fort éloigné. Tout pęche dans sa composition, nul plan, nul ordre; un style qqf. trop ampoulé et des idées tirées ŕ perte de vue. Ce sont des élans continuels d'imagination, de magnifiques apostrophes, de fréquentes citations de Rousseau, en un mot tout ce qui est propre ŕ éblouir les connaisseurs bornés qui forment le plus grand nombre. Sa récitation ... ->

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aussi a paru vicieuse, mais il a réussi ŕ faire goűter jusqu'ŕ ses plus grands défauts, et on l'a considéré bientôt comme le Sénčque de la prédication tant il a corrompu les principes et fait perdre de vue les bons modčles. De toutes nos jeunes tętes, celle de Laget le fils s'est trouvé le plus analogue avec celle de Mr Romilly et par conséquent a eu le plus de facilité ŕ l'imiter. Romilly est devenu son modčle ou plutôt son oracle pour la prédication. En 1773, Laget a du rendre sa proposition d'épreuve. On l'annonçait comme un chef d'oeuvre, toute remplie de déclamation, toute étincelante d'imagination et brillante de fleurs, quoi qu'exécutée et apprise selon l'usage en deux jours. Le sujet en était "si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, Dieu vs pardonnera aussi les vôtres." On a cru voir Romilly lui męme dans cette proposition et plus que Mr Romilly, car il a renchéri sur lui par ses déclarations, ses tableaux, ses apostrophes et quantité d'autres écarts que Mr Romilly ne peut qu'avoir approuvé, puisqu'avant quon ne portât aucun jugement il s'est vanté d'avoir aidé Laget. Jugez de la confusion et de l'étonnement du jeune homme, qui s'attendait ŕ faire l'admiration de son auditoire et qui le mécontente au point de s'en faire renvoyer honteusement. On a été d'autant plus surpris du jugement sévčre de la Compagnie ŕ son égard, que jusqu'alors Laget avait donné l'idée la plus avantageuse de sa composition, ... ->

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tant par ses propositions antérieures que par l'éloge historique de son pčre qu'il a publié avec les sermons. Il paraît certain que la Vénérable Compagnie des pasteurs a voulu faire un exemple et réprimer un peu l'enthousiasme des admirateurs de Mr Romilly, ainsi que leur acharnement ŕ l'imiter.

Romilly ne craint pas de professer hautement des principes qui lui assurent la faveur populaire. En Juin 1769 il a pręché deux fois de suite ŕ St.Gervais qui a augmenté sa réputation. Afin de plaire ŕ son nombreux auditoire il avt enrichi son discours de tous les traits de l'histoire profane qui pouvait y ętre relatifs. Il a eu y faire mention de l'élection des papes en décrivant les suites d'un gouvernement auquel l'ambition a frayé un chemin disant que "jamais l'Empire romain ne fut plus florissant que lorsqu'on vit un de ses rois arraché ŕ la charrue pour le charger de la royauté et un de ses plus sages dictateurs retourner vers sa chaumičre aprčs avoir écarté de la patrie les orages qui la menaçaient. De męme l'Eglise ne fut jamais plus florissante que lorsqu'on éleva aux dignités d'évęques et de patriarches le mérite qui quoique dans la bassesse, s'y refusait avec modestie et qu'au contraire jamais elle ne pencha mieux vers sa ruine et ne perdit plus de son crédit que lorsqu'on vit des ambitieux se la disputer et se l'arracher par l'intrigue et par la bassesse." Il flattait ainsi les passions de ses auditeurs, il se faisait bien venir de la multitude au lieu d'attaquer en face les abus de la papauté!

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Il se liait si je puis m'exprimer ainsi avec les novateurs auxquels il donnait des gages de sympathie encore plus évidents. Nous verrons bientôt qqs orateurs s'ébayer des aveux des philosophes pour glorifier le christianisme, Romilly se contente d'embellir ses discours en les citant. « Jetez les yeux sur toutes les nations du monde, parcourez toutes les histoires" s'écriait il dans un sermon sur l'immortalité de l'ame ou il fit admirer les grâces de l'art oratoire qu'il déploya en le prononçant. "Parmi tant de cultes inhumains et bizarres, parmi cette prodigieuse diversité de moeurs et de caractčres, vous trouverez partout les męmes idées de justice et d'honnęteté, partout les męmes notions du bien et du mal. L'ancien paganisme enfanta des Dx abominables, qu'on eut punis ici bas comme des scélérats et qui n'offraient pour tableaux du bonheur supręme, que des forfaits ŕ commettre et des passions ŕ contenter. Mais le vice armé d'une autorité sacrée descendait en vain du séjour éternel, l'instinct moral le repoussait du coeur des humains. La Sainte voix de la nature plus forte que celle des Dieux, se faisait respecter sur la terre et semblait reléguer ds le ciel, le crime avec les coupables. »

On s'étonnait, on admirait, on se laissait entrainer, on retrouvait les męmes principes, la męme éloquence, la męme pureté et la męme richesse de style auxqq on s'était habitué en étudiant les écrits de Rousseau, puis enfin on découvrait ... ->

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que cette merveilleuse tirade était tirée de l'Emile, de la profession de foi du Vicaire Savoyard, mais l'impression était produite, on était reconnaissant du plaisir que le prédicateur avait procuré ŕ son auditoire en faisant entendre les paroles de l'oracle, de l'idole du jour. C'était plus qu'il n'en fallait pour plusieurs, mais la prédication n'était pas plus religieuse qu'évangélique.

Cassa de Reybaz avait un tout autre caractčre sans ętre bcp plus chrétienne. Son retour ŕ Genčve (1772) fit époque. Il surpassa l'opinion qu'on se faisait de lui, il subjugua l'admiration du plus grand nombre. Il avait - suivant des juges compétents - tout ce qu'il fallait pour former le parfait orateur ou si vous l'aimez mieux, pour réaliser l'idéal qu'on s'en fait. Le génie pour la composition, l'organe pour la rendre et le geste expressif pour l'accompagner. Nous venons de l'entendre, je ne puis choisir un meilleur moment pour vous parler de lui. Son sermon a traité les dangers de la prospérité et son texte est tiré du Ps. XXX v.7 « quand j'étais dans la prospérité, j'ai dit: je ne serai pas ébranlé » (XIV. S. de Reybaz) Il était divisé en 4 parties. Ds la 1čre il a indiqué les sources de l'abus de la prospérité, dans 2ş les ppaux traits auxquels on peut le reconnaître, ds la 3ş les dangers qui l'environnent et dans la quatričme qui a servi d'application, les remčdes et les préservatifs contre cet abus, ainsi que les vices qui l'accompagnent. Que n'ai je la mémoire assez heureuse, pour vous rendre les beautés qui m'ont le plus frappés ... ->

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parmi toutes celles dont cette pičce brillait! Que ne puis je vous analyser son discours! Mais comment pourrais je en citer quelque chose sans l'affaiblir! L'idée que j'en ai est trop confuse pour que je puisse l'entreprendre.

Ce qui doit me justifier en partie, c'est que la composition de Mr Reybaz est d'un genre ŕ trop fatiguer l'attention et ŕ ne pouvoir ętre bien suivie. Il en développe pas assez ses idées pr les imprimer ds l'esprit, ou pour mieux dire, ce qui empęche de les bien saisir c'est leur accumulation, leur suite non interrompue. Chacune d'elles offrant ŕ l'esprit un sens ŕ dévelloper, ŕ mesure qu'on l'appercoit, nuit ŕ l'attention que méritent celles qui suivent, ou ne permet de les saisir que d'une maničre bien superficielle. Chacune presque par sa beauté porte setence (?). En voici une que j'ai pu retenir parce qu'elle terminait une période. « La nature a fait l'homme pr l'h... et la fortune détruirait elle la nature ? » (La nature ns a fait homme et la fortune ne change pas la nature.)

Avec quelle chaleur et quelle éloquence il a attaqué l'orgueil des grands de la société; côe (comme ???) il les a dépouillé de leur fausse grandeur pour démasquer leur misčre, en décrivant les orages auxquels leur élévation les expose, les alarmes qui empoisonnent sans cesse leurs faux plaisirs, la profondeur de leur chűtes, l'angoisse et l'abattement de leurs derniers instants, lorsq. s'estimant â leur juste valeur ... ->

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ils sont punis de leur insolence par l'effroi, lorsq. cherchant autour d'eux ds appuis factices (?), ils n'en trouvent point, lorsq. implorant la nature qui les rejette de son sein et rend au néant les vils atomes qu'ils ont encore dégradés. Mais d'un autre côté, avec quelle énergie attendrissante n'a t-il pas rendu les sentiments d'une ame forte d'elle męme, ds le męme état, l'image de l'homme vertueux qui satisfait de sa vie passée n'est point ébranlé, se ramasse en soi et jouit de la conscience de ses vertus, ne craint point la mort parce qu'il l'apprécie et quoiqu'environné de ses ombres, semble un ętre sacré qui imprime le respect ŕ tout ce qui l'environne.

L'éloge de la médiocrité, mise en oposition avec les deux conditions extremes, la grandeur et la misčre, était de main de maître. Enfin si les pensées étaient pleine d'énergie, la diction était aussi des plus brillantes, remplie d'images, de tours nombreux et saillants, en un mot de tout ce qu'il faut pour la vraie éloquence. Ce qui déparerait cependant un peu ces beautés, ce serait qqf. une emphase ds la récitation qui tiendrait quelqs peu de la pédanterie, un air plus théâtral qu'oratoire, un accent et un ton d'auteur tragique, des éclats de voix trop bruyants et trop peu ménagés. On voit bien que ds ses voyages ce sont les spectacles dt il a le plus profité et qu'il a bcp étudié les grands acteurs, côe les Garrick ŕ Londres, les LeKaier (?) ŕ Paris, les Aufręre ŕ Strasbourg. Vous jugerez par lŕ que les défauts de Mr Reybaz loin d'ętre des faiblesses sont des beautés, qui auraient plus de droit ŕ plaire si elles n'étaient pas déplacées.

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Au reste dans la foule de beautés que présentait son discours, je crois bien qu'il s'en trouve qui ne sont pas toutes de lui. On voit qu'il a aussi profité de la lecture des écrivains de génie, de Rousseau, de Thomas et de bcp d'autres. Ds une tirade ou il apostrophe l'orgueil de l'homme fortuné, il s'écria « Tu ne seras point ébranlé! J ... ! Qd tout tremble autour de toi, qd la terre elle męme semble pręte ŕ crouler sur ses fondements, qd le temps destructeur exerce autour de toi ses ravages et que chaq. heure s'envole chargée des débris, des dépouilles, de la vie męme de tes semblables.." ou je me trompes fort, ou cette belle figure se trouve ds Young (?).

Vous le voyez Mr Reybaz n'étais pas un orateur chrétien, il n'étais pas męme vraiment religieux, c'est un philosophe, c'est un déclameur qui porte dans la chaire de vérité tout autre chose que l'Evangile. Aussi n'allez pas imaginer qu'il ait produit une impression profonde et sanctifiante sur les auditeurs. On les entendit parler bientôt d'un tout autre ton de Mr Reybaz et de son sermon. On se réunit surtout pour blâmer sa déclamation et on décida "qu'il pręchait avec hauteur, l'humilité." Le public ne lui aurait demandé qu'un peu plus de modestie, ou un peu plus d'onction.

Le second discours qu'il prononça ŕ Genčve avt pr texte: "Et Jésus pleura" et pour objet la sensibilité religieuse. On n'est point d'accord ŕ son sujet. Les uns admirent le tableau des ... ->

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souffrances de J.C., les autres le traitent de "capucinade" et malheureusement bien des gens de gout sont de ces derniers. On prétend retrouver dans Mr Reybaz les talents et les défauts qu'on avait remarqué dans ses premiers essais, toutefois il excite un si gd enthousiasme que plusieurs le regarderaient comme un prédicateur parfait, s'il ne tombait pas qqfs ds l'enflure et la déclamation.

Mr Reybaz ne se prodigue point. Un an aprčs, en décembre 1773 il fit le soir ŕ St. Gervais des tours de force admirables qui sentaient bien la préparation et le travail d'une année. Il avait ŕ traiter un texte magnifique tiré de l'apocalypse ou l'apôtre fait entendre une voix céleste qui lui ordonne d[écrire: « heureux dit l'esprit ceux qui viennent au Seigneur. Oh pour certains ils se reposent de leurs travaux et leurs ... les suivent." Je coudrais avoir le temps de vous en parler davantage mais je me bornerai ŕ vous dire que cette pičce était remplie de tableaux magnifiques et touchans, qu'elle abondait en expressions heureuses, énergiques et frappantes, le tout soutenu par une déclamation ŕ laq. l'art des Aufresne n'a pas peu contribué! Il doit donner dimanche prochain une seconde représentation ŕ la Fraterie. Vous pouvez penser le concours qu'un prédicateur mondain côm celui lŕ attire, bien moins que la dévotion, mais ŕ peine y a t'il ŕ son auditoire deux ou trois pasteurs et Mr Vernes qui ne peut pas souffrir en chaire les affectations n'est certainement pas de ce nombre. Nous n'ajoutons rien ŕ ces lignes qui caractérisent suffisamment et le genre de Mr Reybaz et l'effet qu'il produisait. Reybaz minimisait l'Evangile. ... ->

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Acteur et auteur dramatique il harmonisait ses représentations sentencieuses et morales avec la sainteté des lieu de l'assemblée en parant son discours de citations scriptaires et en se drapant lui męme de quelques lambeaux évangéliques.

N'allez pas imaginer que Reybaz ait fait école. Malgré le succčs de ses pričres il n'exerça presqu'aucune influence sur le clergé de Genčve. Quelq. prédicateurs profitčrent sans doute de l'étude qu'ils avaient faite de la déclamation, mais ils ne cherchčrent pas ŕ l'imiter. Vernes et Claparčde le dominčrent de toute la hauteur d'un sentiment plus élevé et plus rapproché du Xisme.

Claparčde passe pour un homme de Dieu. Toutes ses prédications sont marquées au coin du patriotisme le plus animé, du zčle pour la religion le plus vrai et la plus éclairé. Nous ne pensions pas avoir pour nos étrennes un plus habile prédicateur (1771). Le texte de son sermon qu'il a pręché ŕ la Fusterie le jour de l'Escalade est tiré d'Habacuc III.2 "Éternel, j'ai ouď ce que tu m'as fait entendre et j'ai été saisi de crainte. Éternel ! Conserve en son état ton ouvrage pendant le cours des années; fais le connaître pendt le cours des années ; & lorsq tu es en colčre, souviens-toi d'avoir compassion!" Son sermon fut le tableau abrégé de tous les fléaux qui désolent aujourd'hui la malheureuse Europe. Des armées innombrables descendent du nord au midi, une flotte ... ->

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formidable aprčs un circuit de prčs de mille lieues, prena la capitale du plus vaste empire et remporte autant de victoires qu'elle livre bataille. Les couronnes s'ébranlent de tous côtés. la famine, la peste exercent dans de malheureuses contrées leur cruel empire. La terre est un théatre de révolutions qui s'enchaînent les unes aux autres et Genčve, la petite Genčve, dont on peut dire que ses remparts lui servent de limites, Genčve subsiste encore. Les flots destructeurs qui submergent des empires entiers, viennent se briser au pied de ses murs. Aprčs un détail des maux qu'a éprouvés notre malheureuse patrie, de ceux qu'elle éprouve encore et de ceux qui la menacent, il fallait entendre ce vertueux prédicateur s'écrier avec un enthousiasme sublime "et Dieu ne plaise que je ne puisse dire que Genčve ne m'est plus rien; ô ma patrie si je t'oublie" et considérant Genčve comme le foyer pour ainsi dire de la pure religion, d'ou sont partis ces rayons qui ont éclairé plusieurs peuples, il a prouvé que ce n'était que de la religion qu'elle tenait son crédit et sa splendeur et que si son lumineux flambeau venait ŕ s'éteindre, elle périrait infailliblement. De la une sortie des plus fortes qu'il fit contre les incrédules.

C'est aux incrédules qu'il en veut, ŕ ceux qui sapent la foi par leurs objections, leurs préjugés et leurs préventions ridicules. Mais il ne les foudroie pas, il ne les humilie point. Nathanaël et son objection: peut il sortir qq. chose de bon de Nazareth? Philippe & sa réponse ... ->

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Viens et vois, pourraient ŕ la rigueur nous représenter l'esprit de sa prédication. Il veut les éclairer, leur faire toucher du doigt la folie de leurs jugements inconsidérés et la divinité de l'Evangile. Pourquoi ces ames honnętes, ces hommes vraiment intčgres et droits ne sont ils pas gagnés au Seigneur? Nathanaël se contente d'opposer la ville ou Jesus a pris naissance aux preuves incontestables d'une divine autorité. Il commet une double erreur. C'est a Bethléhem que le Seigneur est né et le dicton qu'aucun prophčte ne peut sortir de Nazareth, n'est qy'un préjugé, un bruit populaire, un mot aussi peu fondé en raison que démenti pal le fait. "Venez et Voyez" Voyez tout ce qui dépose en faveur de Jesus, sa sainteté, ses miracles, l'excellence des ses dogmes, la pureté de sa morale, les oracles des prophéties qu'il accomplit et vous reconnaîtrez qu'il nous parle au nom de Dieu et de sa part.

C'est de continuelles apologies, parfaitement appropriées aux besoins de l'époque et vraiment chrétiennes. "Le Messie qu'il nous fallait est celui qu'Esaďe nous dépeint. Nous étions privés de lumičres, il est la lumičre par excellence; de consolations, il est le consolateur; nous sommes coupables, il intercčde; mortels, il a vaincu, désarmé, terrassé la mort pour lui et pour nous. --- Négligeons nous un si grand salut? Craignons que sa bonté méprisée ne fasse place ŕ une sévérité que ns avons provoqué nous męs contre nous męmes, Si tant de fautes nous échappent, tant de faiblesses involontaires nous découragent, allons ŕ lui. Il vous appelle, vous qui ętes travaillés et chargés ; ... ->

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ne séparons pas ces deux choses le pardon et l'amendement, la réconciliation et la sanctification. Si le soleil de justice brille sur nos tętes et nous inonde de ses rayons, oes oeuvres de ténčbres doivent disparaitre, ceux qui les font rougir, se cache, on devine sans délai des hommes nouveaux." Vous le voyez Monsieur, cet homme de Dieu ne négligeait aucune des vérités fondamentales de Christianisme en faisant appel ŕ la saison, ŕ la conscience et au patriotisme de ses nombreux auditeurs.

Vernes se fit remarquer par sa conduite honorable dans les discussions qui troublaient notre ville. Il n'embrassa le parti des représentants que lorsqu'il vit la constitution attaquée et les fondemens de la liberté ébranlés, mais alors il s'employa avec le zčle d'un patriote et d'un républicain ŕ la défendre et il concourrut d'une maničre distinguée ŕ l'accomodement qui fut cimenté par l'édit du mois de Mars 1768. Jusqu'alors il s'étt renfermé ds sa sphčre & n'avait employé son éloquence que pour tâcher de réunir les esprits, en pręchant avec autant de force que d'impartialité contre les animosités civiles & l'esprit de parti, bien différent de nos prédicateurs aristocrates qui semblent prendre ŕ tache d'attiser le feu de la discorde et d'éloigner les esprits, en faisant tous les jours dans leurs sermons quelq. sortie scandaleuse contre le parti qu'ils honorent ds leur charitable haine.

Nous fumes on ne peut mieux partagés pour nos sermons d'Escalade (1771). Ce fut Vernes que nous eumes ŕ St.Gervais le soir ... ->

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& qui fit le plus beau sermon sur la patriotisme. Chaq. trait dont il caractérisait le patriote pourrait lui ętre appliqué. Impossible de finir une période d'une maničre plus saillante que celle ci: "nous n'avons pas besoin de solliciter votre attention... il est question de la patrie! ni de rompre entičrement avec ceux ŕ qui la patrie est indifférente: "il est inutile de leur en faire un crime, la nature leur a refusé un coeur." Il adressa ŕ tous les ordres de l'état les exhortations les plus pathétiques. Cependant, je trouve plus de neuf & d'énergie dans ses prédications que dans ses compositions imprimées *. Il faut que la noblesse de sa déclamation & la beauté de son organe fassent bcp d'illusions la dessus. Vous pouvez juger quelle affluence de monde il y avait. Les autres prédicateurs furent , ŕ ce quon dit, d'assez mauvaise humeur dans leurs sermons. Ce misérable esprit de parti perce toujours. Vernes s'occupa dčs lors de ses confidences philosophiques & négligea un peu la prédication, peut ętre aussi sa prédication fut dirigée d' le męme but que ses écrits. Il a fait ce matin la congrégation & vous pouvez juger si j'ai manqué ce brave homme, un peu trop rare en chaire, écrivait en mars 1772, un de ses admirateurs. C'est le 4ş Ch. d'Esdras qu'il a eu pour sujet & ŕ l'occasion des manoeuvres ds Samaritains d'Assuérus pour traverser (?) le rétablissement du temple et de la ville. Il a tracé dans son application un parallčle des plus éloquens de leur conduite avec celle des philosophes modernes contre la religion. Il a eu surtout en vue un ouvrage abominable qui a paru il y a peu de temps & qui est intitulé: Vie critique de Jesus Christ.

Note: (*) Il parait que Mr Vernes a remplacé ces deux phrases si incisives lorsqu'il a publié ses sermons par celles que nous citons ici - " L'amour de la patrie! Quel intéressant sujet! L'amour de la patrie! Puissions nous ou le reveiller ou le fortifier dans vos ames. Ah, s'il était quelqu'un parmi nous, sans attachement pour sa patrie, qui ne se croirait fondé ŕ dire, que la nature lui a refusé un coeur. Voyez Sermon sur ces paroles du PS CXXXVII 5 & 6 Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite s'oublie elle męme.

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Dans sa congrégation sur Néhémie réformant les abus en Israel. Voyant le scandale qui est en Israel, ne pensant qu'ŕ le faire cesser & chassant du Temple l'Hammonite Tobija, il exalte la fermeté du chef du peuple. Noble courage! Héroique fermeté s'écriait il! Ah qu'il eut été ŕ souhaiter, que ds tous les temps, les chefs de l'Église eussent trouvé un frčre ds l'autorité civile! Du vertueux Néhémie pour leur résister en face, pour empęcher leurs usurpations, pour les ramener au devoir, lorsqu'ils s'en étaient écartés! Ou plutôt qu'il serait ŕ désirer que les rois & les magistrats, ne vissent jamais ds les conducteurs de l'Église que la lumičre des peuples, les colonnes de la vérité, une forte digue contre le torrent des erreurs & des vices, le plus ferme rempart de la vertu & des moeurs; des hommes touj aussi respectables par la régularité, la sagesse de leur conduite, que par le saint & auguste ministčre dont ils sont revętus. Mais tout en faisant la part de l'autorité civile, Vernes ne craignait pas de courir le risque des imputations les plus injustes pour dire des vérités utiles ŕ la patrie & rappeler aux magistrats les devoirs qui leur étaient imposés. Pourquoi leur dit il sous le couvert de Néhémie. Pourq. a_t_on abandonné la maison de l'Éternel & il rappelle aux magistrats Chrétiens le zčle qu'ils doivent avoir pr les temples du seigneur, pour ces lieux respectables, ou le Pčre commun des hommes reçoit l'hommage de ses enfants; ou le sentiment de sa présence saisit l'ame d'une sainte émotion, d'une respectabilité, d'un respect religieux ou le grand & le petit, ... ->

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le riche et le pauvre, confondus tous ensemble, plient le genou devant la majesté du maître du monde, élčvent vers lui leurs coeurs & leurs mains, se mettent sous sa protection & apprennent ŕ la mériter, en faisant leur tout de le craindre & de garder ses commandemens. Ces lieux respectables ou l'homme ignorant est instruit; l'homme de bien encouragé; l'homme méchant effrayé; l'homme repentant, rassuré; l'homme malheureux, consolé; l'homme mortel, réjouis par l'espérance d'une heureuse immortalité -- Ces lieux respectables, les temples du Seigneur! ...n'affaiblissons pas ces expressions, en les abondant (?) que ne disent elles pas ŕ des ames religieuses.

Nous devons nous arręter ici. Ces différentes citations peuvent suffire pour vous donner une idée du genre de Mr Vernes & des sujets qu'il abordait en chaire avec la plus grande franchise. Nous aurons ŕ revenir sur cette congrégation dans qqs instants mais vous sentez sans doute que ce grand prédicateur, cet homme vraiment dévoué ŕ la religion & ŕ son pays était contraint de lutter contre tous & partout, qu'il le fit aux dépens de son repos & de sa vie, un mot encore et vous comprendrez que l'esprit du temps leur imposait des devoirs vraiment sacrés.

Quelqs années avant l'époque dont nous essayons de vous donner une idée, l'intervention du clergé avait été reclamée au ... ->

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au nom de la paix & de la religion pour engager les citoyens ŕ accepter la médiation de la France & des cantons de Zurich & de Berne. La vénérable compagnie conjura les commissaires de céder ŕ l'orage, mais Deluc le pčre lui répondit: « Ministres d'un Dieu puissant & juste, vous ns présentez des moyens humains, ns vs en rappelons un .... Vous auriez du vous męmes ns apprendre ŕ ns confier; c'est l'appui de la Dme Providence; cette protectrice déclarée de notre République veille sur les petits états côm sur les grands; douter de sa protection c'est l'outrager; en étant fidčles ŕ nos serments jusqu'ŕ la fin, ns méritons la couronne de vie & ns conserverons notre liberté. ns allons vs tracer la route du vrai patriotisme; si vs ns imitez vs pourrez connaître l'infortune, mais vous ne connaitrez pas les remords » Puis côm les Pasteurs insistaient sur les dangers personnels que couraient les défenseurs du peuple, cette considération révolta les commissaires. & un d'entr'eux Vienneux (?), singuličrement distingué par la pureté de ses moeurs, par ses vertus publiques & privées & par son respect pour la religion, compara la sainteté du Serment de citoyen avec l'acte pour leq. on le sollicitait: Ministre dit-il aux Pasteurs, Ministres d'une religion dt la morale est aussi pure que st sublimes les récompenses qu'elle offre ŕ la vertu, ne profanez vs point ici votre caractčre sacré, en ns sollicitant de faire céder le cri de nos consciences, ŕ de misérables considérations humaines? L'esprit de cette Religion sainte que vous m'avez enseigné, est un esprit de liberté; rien ne m'engagera ŕ trahir un ... ->

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serment de Chrétien, de citoyen & ŕ signer moi ma servitude et celui de ma postérité. Ma conscience est nette, je suis pręt ŕ monter sur l'échaffaud avec sérénité & et si je survis aux coups dt on me menace, consolateurs des ames, je vous somme de vs rapprocher de mon lit de mort. Vous jugerez de concolations que fournit au Xms, le sentiment d'avoir rempli leurs devoirs.

Il en est de la persécution politique côm de l'intolérance religieuse, l'un et l'autre conduisent ŕ une espčce d'enthousiasme bien pardonnable chez des citoyens libres quand il n'a que pour but que le maintien de leurs droits, ajoute l'auteur anonyme du Tableau ... de révolution de Genčve. Quelqs membres du clergé le partagčrent & Vernes plus que tous les autres. Il lutta pour l'honneur de l'humanité, pour celui de la patrie, pr le maintien de la religion, pour le triomphe de l'Evangile. Il triompha de ses adversaires pendant les dix années dont nous écrivons l'histoire, mais bientôt il succomba. Voltaire, le vieux malade, ou plutôt le vieux Diable de Ferney voulu se venger de la supériorité de Rousseau par un libelle atroce qu'il eut l'adresse infernale de faire attribuer ŕ Vernes. Il éprouvait ainsi la double satisfaction de décrier notre pasteur en rompant les liens qui l'unissait au Citoyen de Genčve. Vernes se justifia, mais il n'obtint pas d'autre satisfaction que la déclaration de Rousseau qui dit que Vernes "était le plus grand ou le plus vil des mortels." Enfin Vernes fut arręté ŕ Coppet, puis exilé ou au moins contraint de quitter sa patrie & nous le trouvons établi ŕ Constance, ou il accueillit ceux de ses concitoyens qui s'expatričrent aprčs la révolution de 1782.

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Les débuts d'un jeune prédicateur me serviront ŕ préciser l'état de la prédication sous le double point de vue de la composition et de la récitation. Ce sont ceux de Mr Roget (1772). Il aime se livrer d'abord ŕ toute la chaleur dont son sujet est susceptible disait de lui un de nos orateurs (Pr Mouchon). Cela ne me parait pas raisonné. je ne suis point aussi, non plus que lui, des dissertations froides. Il faut éviter tout ce qui peut assoupir l'auditeur qui n'est déjŕ que trop porté ŕ réparer au pręche ses insomnies de la nuit précédente, mais aussi se livrer tout ŕ coup ŕ toute la chaleur dt un sujet est susceptible, est souvent le moyen de n'en exciter aucune dans le coeur de l'auditeur, Il faut le supposer tranquille & froid au moment ou vs commencez & męme il ne peut passer brusquement de cet état d'apathie au sentiment vif auquel vous voulez l'élever. Il y a entre ces deux extręmes bien des échelons ŕ monter, il faut vous , les monter avec lui, pour qu'il ait le courage de vous suivre. Il faut partir ensemble du męme point, ne le précéder que d'un pas, autrement il vous verra toujours dans les nues & vous y laissera. Un autre avantage de ce mouvement progressif, c'est que par l'effet des contrastes votre chaleur en aura mille fois plus d'efficace & de force. L'esprit de l'auditeur ne se fatigue point. S'il sort de son état de repos, c'est pour se livrer ŕ une marche aisée & naturelle, telle qu'il l'aurait faite, ou qu'il croirait avoir faite s'il fut livré seul ŕ la méditation. C'est une vérité ... ->

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d'expérience qu'on ne peut s'abandonner longt. ŕ l'extase & ŕ la violence des grands sentiments. L'ame s'épuise, s'affaisse & retombe ŕ moins que vs n'ayez de singuličres ressources pour la soutenir ou que les circonstances ne vs favorisent: aussi remarque t'on que ds les temps de dévotion extraord. ou le auditeurs sont déjŕ émus, on peut selon la nature du sujet, mettre dčs l'entrés plus de chaleur ds son discours. Ainsi encore il était permis ŕ Cicéron ds ses catilinaires de débuter par de grands mouvements, parceq. parlait ŕ des ames déjŕ échauffées. Si vous voulez exciter ds les autres ce doux frémissement qui est le prélude des grandes passions, mettez vous d'abord ŕ l'unisson avec elles. Un autre désavantage que je trouve dans cette méthode, c'est qu'elle ne se pręte pas ŕ la discussion, au raisonnement par lequel il faut éclairer & convaincre. Me niera-t-on que cette partie soit essentielle ŕ l'orateur? Mais excitera-il jamais de sentiments durables, s'ils ne sont préparés et amenés par la conviction, de telle sorte que l'auditeur se repliant sur lui męme puisse se rendre compte des raisons par lesquelles il a été ému, agité & renouveler en soi ces sensations autant de fois qu'il se rappellera ces raisons? Vs voulez échauffer les autres: mais ne leur rendez vs pas encore plus grand service en mettant en eux le principe de chaleur indestructible ... ->

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qu'en les échauffant ŕ un feu étranger, dt il ne peuvent s'éloigner qu'en retombant dans leur premičre froideur & ce principe dont je parle, c'est l'esprit éclairé par la lumičre du raisonnement.

On rend justice aux talents qui brillent dans la composition de Mr Roget, mais on regrette la faiblesse de son organe. Je crois cependant que le long exercice pourra le fortifier. Mr Roget n'aime pas la lenteur ds la récitation. Je ne veux point discuter sur son gout, ... moi qui pense autrement je serai ici juge et partie, cependant ce que je puis assurer, c'est l'avantage qu'elle lui donnerait pr se faire entendre. Notez que lenteur & froideur sont deux choses trčs différentes & que dernier vice peut s'allier avec la précipitation, comme avec la maničre de réciter dont je parle. Ce qu'il y a de singulier & de remarquable ici, c'est l'influence de la mode, jusque sur la prédication. J'ai vu le temps ou la lenteur était recommandée comme un point de perfection. Les Desroches, Lullin l'ainé, Mallet l'ainé et nos premiers prédicateurs du temps passé, ceux qui donnaient le ton ŕ tous les autres, se seraient bien gardés de se faire une loi d'ętre rapides, si non dans certains morceaux ou trčs évidemment la bonne récitation l'exige. Aujourd'hui qqs prédicateurs distingués ont du ętre plus rapides parceq. ce caractčre était dans leur genre, il s'associait en qqs sorte ŕ leur composition. Il n'en a pas fallu davantage pour donner le ton ŕ tous nos jeunes orateurs. Aujourd'hui, ... ->

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ils considčrent la lenteur comme un vice, en oubliant qu'on doit moins chercher ŕ étonner ses auditeurs par une abondance de paroles, qu'ŕ se faire comprendre, ŕ leur présenter des idées sur leq. l'auditeur attentif ait le temps pr ainsi dire, de réagir.

Si je voulais établir une dispute en forme avec Mr Roget, j'aurais je crois de bonnes choses ŕ lui répondre. En convenant avec lui d'un principe incontournable, savoir que c'est la nature qu'il faut imiter ds la prédication & la belle nature côm ds tous les arts. Je serais fort éloigné de lui accorder que ce soit la conversation familičre, ni l'acteur sur le théâtre que le prédicateur en chaire doive se proposer pour modčle. Il y a une différence trčs considérable entre l'objet de la conversation familičre, entre le but de l'acteur & celui du prédicateur. La conversation familičre roule ordin. sur des intéręts assez faibles & alors la rapidité est sans conséquence. Mais supposez entre deux personnes un entretien sur de grands objets, qui est le seul modčle que ns devons ns proposer & voyez si ces personnes, auxqq. Je suppose du sentiment & de la réflexion pr se mettre au niveau du sujet qu'elles traitent, n'en parleront pas avec dignité, si cette dignité ne donnera pas ŕ leur discours une mesure plus lente & si la rapidité męme qu'elles se permettront ne sera pas toujours en quelq. sorte réglée par la gravité du sujet.

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Je sais que Mr Roget approuve la lenteur dans certains morceaux caractérisés pour cela, mais il y a entre sa maničre de penser et la mienne cette différence, que le fond de la récitation du prédicateur doit ętre selon lui rapide & la lenteur momentanée, au lieu que je pense au contraire que la lenteur doit faire le caractčre essentiel & que la rapidité doit ętre réservée ŕ qqs morceaux rares, ŕ certains entassements d'idées dnt il importe peu que l'auditeur retienne les détails.

Pour soutenir son opinion il allčgue ici l'exemple des plus gds acteurs! Mais ŕ combien d'égards la déclamation de l'acteur doit différer de celle du prédicateur? Le premier s'adresse ŕ un interlocuteur, ŕ un confident, ŕ qq. personnage déjŕ pour l'ordin. instruit de l'objet dt il va s'occuper, ou du moins des tenans & des aboutissans de cet objet. Ce n'est pas un discours en forme qu'il lui adresse, dt il faut saisir l'ordre méthodique & le détail des idées. Le second au contraire se propose d'instruire par un long discours, une assemblée composée (en partie) d'ignorants, de gens préoccupés, d'hôm froids, indifférents ds la tęte desq. il faut faire entrer des idées bien distinctes, bien liées dt il faut éclairer plutôt qu'étonner l'esprit, parceq. le son d'éclairer laisse une impression durable, au lieu que le prestige par leq. on cherche ŕ étonner, ne laisse rien. L'acteur peut ętre ou paraître livré ŕ une foule de passions qu'un prédicateur n'aura jamais lieu d'exprimer. Les passions violentes, tumultueuses doivent sans doute donner une étonnante rapidité ŕ la parole, mais le prédicateur se trouve-t'il jamais ... ->

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dans ce cas? Ainsi en partant du principe que pose Mr Roget que c'est la nature seule qu'il faut imiter, nous allons l'un & l'autre ŕ des conclusions tout ŕ fait opposées. Reste ŕ savoir lequel de nous raisonne juste!

Vous le voyez, Mr, les prédicateurs de cette époque s'efforçaient d'exercer une grand influence par la prédication & en cherchaient les moyens. Ils abandonnčrent l'ancienne méthode, la route frayée par leurs devanciers, ils quittaient le genre classique des Deroches, des Lullier, des Mallet qui avait dégénéré en langueur. Ils laissaient ces dissertations & ces exhortations froides, calmes; cette mesure lente qui avait paru si imposante quand la foi était vive, mais ils n'étaient point d'accord sur le genre & les principes qu'il fallait adopter. Les uns voulaient plaire, surprendre, étonner, captiver les masses en faisant usage de toutes les ressources de l'art oratoire & męme en portant ds la chaire chrétienne cette déclamation théâtrale qui faisait la gloire des grands acteurs tragiques. Les autres voulaient convaincre leurs auditeurs, les gagner ŕ l'Evangile en faisant appel ŕ la raison, ŕ leur patriotisme. Tous ceux qui avaient encore un peu de vie & d'ardeur aspiraient ŕ imiter la nature. Ils méprisaient plus ou moins les vieilles traditions de la chaire chrétienne, ils s'en écartaient de plus en plus et chacun s'essayait dans le genre qui le séduisait. Reybaz fut le type le plus caractéristique de la tendance théâtrale, mais aucun n'osa ... ->

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marcher sur ses traces. Romilly entraîna un plus grand nombre d'imitateurs. Vernes fit appel au patriotisme des genevois, Claparčde se tint plus prčs de l'Evangile, mais toutes ces tentatives ne rendait pas au clergé la vie dont il avait besoin. On cherchait des remčdes au mal & vous verrez encore par ceux lŕ męme qui furent proposés, en quel état se trouvait & la prédication & le clergé.

Il parait que tout le monde éprouvait le besoin d'une réforme, d'une amélioration réelle, mais comme ŕ l'ordinaire tout en s'accordant pour signaler le mal, pour se plaindre & des pasteurs & de leurs sermons chacun a ses idées sur les moyens de remettre en honneur la religion & ses ministres. (1776)

Les uns attendent beaucoup d'une réforme projettée & pour laquelle le conseil des CC a nommé une commission. Le premier syndic a déclaré que le conseil peut donner 8000 livres par année pr l'augmentation des payes, ce qui porte ŕ cent écus de plus pr la ville & ŕ cinquante pour la campagne. Comme on pense en męme temps ŕ retrancher des actions, on parle aussi de retrancher des pasteurs. On porterait męme ce retranchement assez loin parmi un certain monde, si l'on ne remarquait que cette idée ne prend pas faveur. On consentira volontiers ŕ quelq. réductions, mais il n'est pas de l'intéręt de la bourgeoisie de rendre trop peu nombreux le corps ecclésiastique. Ce serait alors des places d'élite ou tous ne pourraient pas aisément parvenir. ... ->

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Chaque jour elle y aurait moins de partisans & sa politique doit ętre ca me semble de former une compagnie qui ds la suite ait plus de patriotisme & d'impartialité.

Mr Diodati a fait un plan généralement gouté. Il retranche trois demi pasteurs & celui de Cologny dt il fait une annexe de Vandoeuvres, retranchement qui me parait impossible. Il supprime toutes les actions de la semaine, excepté le jeudi ŕ St Pierre & ŕ St Gervais, en laissant pour le dimanche deux sermons ŕ chaque temple. Quelques paraphrases & qqs pričres restent encore pour la semaine & il porte avec ces retranchemens & ces réductions la paye de la ville ŕ 1200 fl en augmentant celle des champs de 200.

D'autres projets courent aussi. Celui de Puirari (?), l'ex pasteur qui prend la cognée, coupe ŕ droite, ŕ gauche & met presque l'arbre ŕ bas afin de l'émonder. On répugne en général aux réductions & l'on aura bcp. de peine ŕ s'entendre sur cet article, côm sur plusieurs autres. La compagnie parait faire le sacrifice des actions de la semaine mais elle veut conserver au dimanche la solennité. On dit que la commission lui remettra les plans qu'on lui a fait parvenir pour qu'elle prononce elle męme. Si par malheur elle se met ŕ les discuter article par article, elle n'en finira jamais & on veut voir la fin de cette trop longue affaire. Sa position me parait fort délicate, entre le conseil qui voudrait bcp & les citoyens qui désireraient peu. C'est ŕ elle de faire les propositions ... ->

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qui ne soient refusées ni des uns, ni des autres, car si le conseil général rejetait malheureusement son ouvrage, le tout serait coulé ŕ fond & pour toujours.

Je crois aussi que pour rallumer un zčle qui s'éteint, il faut tout ŕ la fois, diminuer les fonctions & augmenter le honoraires, mais quoique j'attend du bien de cette double opération, il ne sera sensible que dans la génération future. Des prédicateurs qui remplissent aujourd'hui nos chaires, ont fait leur cru si j'ose le dire, leur provision ne s'améliorera pas parce qu'ils auront plus de loisir & vous donnerez ŕ tel ou tel un mis pour faire un sermon, qui vu ses facultés ne le fera pas meilleur que s'il n'avait que huit jours. Les hommes médiocres sont nécessairement bornés dans leurs vues & dans leurs efforts. Ce n'est pas le temps qu'il faudrait leur donner, mais leur cerveau qu'il faudrait agrandir. Lorsqu'on est parvenu ŕ un certain âge, on est tout ce qu'on sera ds la suite. Eut on des semaines entičres ŕ tourner ds le męme cercle, le pli est formé & il en est je crois des idées de l'esprit comme des habitudes du coeur. A cet égard le public pensera avoir bcp fait & sera trompé ds son attente, il continuera touj. ŕ entendre les męmes ritournelles, il exigera plus & ilo n'aura pas davantage. Les gens sensés seuls, jugeront, qu'il faut que des années s'écoulent avant que les effets soient sensibles & qu'il est injuste de demander les fruits, au moment ou on travaille ŕ développer le germe.

Telle est l'opinion de Mr Juventin, mais il ne s'explique aussi catégoriquement en public qu'avec ses amis les plus intimes, Il se contente ... ->

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de ne pas exagérer l'efficacité du remčde qui est proposé & de dire hautement qu'il attendrait plus pour le moment de qqs prédicateurs qui entretiendraient entre les membres du clergé une espčce d'émulation, la réveillerait chez leurs contemporains & la feraient naître chez ceux qui, quoique dans leur jeunesse n'en ont absolument point & préféreraient tout autre chose ŕ une occupation pénible qui ne leur offre que des dégoűts(?) & des travaux. C'est selon lui le seul remčde qui puisse opérer promptement & chaque jour il regrette que Mr Romilly consacre sa vie ŕ l'Eglise de Londres, Mr Mouchon ŕ celle de Bâle, tout en offrant de pourvoir ces deux postes en choisissant un peu mieux pr Genčve. Nous avons dit plus haut qu'elle fut l'influence de Mr Romilly, ajoutons en passant que si la direction qu'il donna ŕ la prédication ne fut pas aussi heureuse que l'espérait Mr Juventin, il réveilla toutefois le jeune clergé & tourna ses pensées vers l'art oratoire.

Vernes allait plus loin, il espérait davantage & il fit tout ce qu'il put pour assurer l'adoption du plan de réforme qui devait ętre proposé au conseil général. Mieux placé que la plupart de ses collčgues pour aborder ces questions si délicates il le fit en chaire avec la plus grande franchise. Il somma les magistrats d'examiner si la portion des Levites leur est fidčlement donnée, si cette ... ->

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portion, par le changement des temps & des circonstances, n'est pas devenue insuffisante, non pas ŕ Dieu ne plaise, pour les faire vivre ds le faste & ds l'opulence, mais pour leur fournir le nécessaire honnęte, qu'ils ont droit d'attendre de leurs soins & de leurs travaux. Si l'insuffisance de cette portion n'empęche pas les pčres & les mčres d'un certain ordre, de vouer leurs enfants ŕ une vocation qui demande des études longues, pénibles, dispendieuses & qui ne peut que souffrir de la nécessité ou se trouvent ceux qui l'exercent, d'ętre distraits par les occupations étrangčres - Si cette insuffisance n'oblige pas plusieurs ecclésiastiques ŕ s'éloigner d'une patrie qui les réclame, pour aller servir ailleurs - Si elle n'ôte pas, ŕ ceux qui y sont réduits, cette élévation de sentiments, cette liberté d'esprit, cette sécurité, cette assurance si nécessaire ŕ des hôm occupés des grands objets de la Religion - Si elle ne les prive pas & des moyens & des plaisirs de cette bienfaisance dont les occasions renaissent pour eux ŕ chaque instant & dont l'exercice est si avantageux ŕ leur ministčre.

Il ne dit rien de cette indépendance dont il jouissait lui męme grâce ŕ sa fortune particuličre & peut-ętre il fit bien, de passer sous silence un avantage dont les adversaires de la religion ne se souciaient gučre de doter ses ministres. D'ailleurs Vernes ne sépara jamais la Religion & l'Etat. Il les unissait au contraire tellement dans sa pensée qu'il faisait dépendre la prospérité de ... ->

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l'Eglise & le salut de l'Etat de l'appui qu'ils se prętaient mutuellement - Vous le subites sages législateurs de la patrie, qd vs liâtes la religion ŕ l'état, qd vs le męlâtes ŕ sa constitution, qd vs les enchaînâtes l'une ŕ l'autre! Remarquez le bien Mr F ! Nos premiers législateurs ordonnaient que tout bourgeois prętât serment de professer & de maintenir la Sainte réformation évangélique. Ils voulurent que les conseils généraux commençassent par l'invocation du nom de Dieu, par l'intervention du Serment, par une exhortation religieuse. Ils voulurent qu'il y eut ds l'Etat, un corps spécialement chargé des intéręts de la religion. Ils voulurent que chaq. jour on put nourrir & fortifier les sentimens de religion ds les temples du seigneur. En un mot, il ne négligčrent rien pour faire des hommes religieux, convaincus qu'ils en feraient des hôn citoyens & qu'empęcher la décadence de la religion, c'était empęcher la décadence de la république... Citoyens de cet état! N'oubliez jamais, que sa prospérité date du moment heureux ou le flambeau de la religion chrétienne brilla, sans nuages, aux yeux de vos ancętres & tremblez pour sa ruine, au moment funeste ou vous verrez que cette divine lumičre commence ŕ frapper inutilement les regards.... Genčve, Genčve! La religion, les moeurs! Voilŕ ta garde et ton boulevard.

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Malgré le désir & le besoin d'une réforme qui était généralement demandée. Malgré les prédications de Vernes & le soin qu'on a mis ŕ préparer le projet qui fut soumis au conseil général tout fut rejeté en 1777. Les uns s'en affligčrent, d'autres s'en réjouirent. Ils étaient choqués de tous ces retranchemens proposés, ils les trouvaient scandaleux, plus scandaleux męme de la part du législateur souverain qui les aurait approuvés, que ne l'était l'abandon du culte par les citoyens. Ceux ci peuvent revenir de leur indiférentisme, rien n'en démontre l'impossibilité, mais les actes religieux retranchés par un décret! C'est pour toujours. D'autres trouvaient le plan proposé bcp trop compliqué. Il aurait fallu de la part du public, l'étude d'une année pour savoir au juste quand & ŕ quelle église il devait aller au sermon! Et puis n'est-il pas plaisant que vu la plainte générale sur l'indévotion qui rčgne ŕ Genčve, on cherche ŕ y remédier en diminuant le nombre des services, en changeant des sermons en paraphrases! N'est pas vouloir donne ŕ un malade dégoűté, un morceau de pain sec, quand il refuse un mets assaisonné. N'est ce pas tarir en partie la source des sentimens religieux! Les pasteurs de Genčve continučrent ŕ lutter sans parvenir ŕ s'entendre. Ceux que nous avons nommés persévérčrent presq. tous dans la voie qu'ils s'étaient ouverte. Les anciens & disons le franchement ceux qui avaient le moins de talents s'opposčrent ŕ toutes les améliorations.

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Ils se roidirent contre toutes les concessions que les circonstances exigeaient impérieusement. Les Claparčde, les Juventin, les Vernes restčrent ŕ la brčche. Vernes surtout & la lutte dura jusqu'en 1782 ou notre ville fut bloquée par les Français, les Piedmontais et les Bernois. Ces bons pasteurs se dévoučrent ŕ l'Eglise malgré la décadence de la religion. En 1781, le roi de Prusse fit venir devant lui Pre Prévost prof de Philosophie & membre de l'Académie de Berlin & lui parla de Genčve avec le plus gd intéręt, l'envisageant côm la Rome protestante & lui témoignant de la voir sans cesse en proie aux troubles & aux dissensions & le chargeant d'écrire qu'un ami l'a chargé de faire parvenir ses exhortations ŕ la paix, ŕ la fraternité, surtout ŕ l'esprit d'ordre & de subordination envers les chefs de l'Etat - que la république est faite pour jouer, malgré sa faiblesse, un rôle trčs honorable si elle est assez sage pour point détruire par sa faute, les solides fondements de sa prospérité. Mais hélas tous ces efforts, toutes les exhortations, tous les conseils des hôm sages & religieux furent inutiles! Le malheureux état de Genčve devint de plus en plus, une preuve bien éclatante de l'utilité des ppes ..X ds une république. Les hôm irréligieux & mal intentionnés qui se trouvaient ds les rangs des négatifs & des représentants sacrifičrent la patrie ŕ leurs ressentiments & ŕ leur vengeance & l'Eglise & l'Etat succombčrent ensembles. Si les principes qui furent si long. la garde et le boulevard de Genčve avaient régné ds la Cité de Calvin, si la foi & les moeurs s'y étaient conservés pures & chrétiennes l'Eternel aurait gardé son hęritage, il aurait eu compassion de nos pčres.



Extraits de "Voltaire a Geneve"

- De Mr le pasteur Vaucher-Mouchon. Correspondance hebdomadaire entre Mr Mouchon de Genčve et son frčre Pierre Mouchon, pasteur ŕ Bâle.

- La Compagnie des Pasteurs ordonna une visite générale des paroisses, "aux fins d'obtenir des adhésions contre le théâtre de Mr de Voltaire." Les promesses d'abstention furent si nombreuses qu'on put croire que les comédiens joueraient dans le désert. "Mais quelle déception, écrit un témoin oculaire, Mr Mouchon. Le théâtre est achevé, le jour de l'ouverture fixé. Des assemblées ont eu lieu dans les cercles; les vrais patriotes, amis de la religion et du pays, s'engagent volontairement ŕ n'y pas mettre les pieds; ils vouent les comédiens ŕ l'abandon et ŕ la misčre: on se roidit, on se prépare ŕ lutter contre la tentation; mais, hélas ! le jour arrive... et le soir de ce jour tout le monde va ŕ Châtelaine... c'était comme une procession !" Un peu plus tard, Mr Mouchon écrit encore: "Tout l'intéręt que devait causer le tirage de la loterie a été absorbé cette semaine par la passion pour la comédie; il semblait qu'on allait chercher le gros lot ŕ Châtelaine par la fureur avec laquelle on s'y portait.

- Voici comment Antoine Mouchon décrit cette lutte: "La majorité des citoyens flottent encore indécis entre la foi de leurs pčres et l'incrédulité des philosophes. Ils ont peur de Voltaire et de ses satellites. Honneur donc ŕ ceux qui se mettent au-dessus des polissonneries du vieux diable de Ferney. Notre bon Roustan est de ce nombre: il ne craint pas de saisir le taureau par les cornes. Il vient de publier une série de lettres sur le christianisme, ouvrage rempli de traits lumineux et de réflexions victorieuses qui font honneur ŕ la touche mâle et hardie de l'auteur. [ voir p. 14 du cahier ]

- Le brillant succčs littéraire qui accueillit la Confidence philosophique éloigna pour longtemps Vernes de Voltaire: "Il se forme, dit ŕ ce sujet la correspondance de Mr Mouchon, il se forme contre Mr Vernes une ligue de la part de Messieurs les Genevois qui fréquentent le château de Ferney; ils se vantent d'avoir engagé l'ermite de Ferney ŕ une lutte qui ne peut manquer d'ętre curieuse entre deux champions dont l'un, prime en tout lieu par son esprit, mais dont l'autre ne manque ni de fermeté, ni de mordant, ni de science. On a demandé ŕ Mr Vernes comment il se conduirait lorsque Voltaire lui déclarerait la guerre. [ Cahier p.21 ]

- Mr Beauchâteau, parent de Jean-Jacque Rousseau, écrivant ŕ Mr Mouchon (Paris, mai 1778), lui disait: "A 84 ans faire des tragédies, courir 120 lieues de poste; le lendemain de son arrivée, ouvrir sa maison, recevoir un monde de visitants, faire lui-męme diverses visites, lire son Irčne ŕ des gens de goűt,

CHRONOLOGIE

[1] Gaberel, Jean, Voltaire et les Génevois, Paris, 1857, http://www.geocities.com/CollegePark/Square/9736/voltgen.htm

[2] François Lefort : Homme politique russe d'origine suisse (Genčve, 1656 - Moscou, 1699). D'une famille protestante d'Écosse, il fut au service de la France et des Provinces-Unies avant de se rendre en Russie en 1675. Principal conseiller de Pierre le Grand (1689), il réorganisa l'armée russe et enleva Azov (1695-1696). Grand amiral, général en chef, il fut encore vice-roi de Novgorod.

[3] Gallatin, Albert de (1761-1849) 29.1.1761 (Abraham Alphonse Albert) ŕ Genčve,12.8.1849 ŕ Astoria (New York), prot., de Genčve, Américain dčs 1785. Fils de Jean, négociant, et de Sophie Rolaz. 1) Sophie Allčgre, fille de William, 2) Hannah Nicholson, fille de James. Emigré aux Etats-Unis en 1780, G. est professeur de français ŕ Harvard (1781-1783), commerçant, puis fermier en Virginie (1784). En 1795, il fonde la ville de New Geneva avec Jean-Louis Badollet et Jean-Antoine Cazenove. Député ŕ l'Assemblée constituante de Pennsylvanie (1789), membre de la Chambre des représentants (1790), puis du Sénat (1793), G. est secrétaire aux Finances sous Thomas Jefferson (1801-1813) avant d'ętre nommé ambassadeur ŕ Saint-Pétersbourg (1813), au congrčs de Gand (1814) et ŕ Paris (1816-1823). En 1824, il refuse l'élection ŕ la vice-présidence des Etats-Unis. Ambassadeur extraordinaire ŕ Londres (1826-1827). Retiré de la vie politique en 1830, G. est l'un des fondateurs de l'université de New York, dont il a été le premier recteur. En 1842, il fonde la Société américaine d'ethnologie. [Voir : http://www.infoplease.com/ce6/people/A0820051.html]

[4] Delolme, Jean Louis (1740-1806), Swiss jurist and constitutional writer

Jean Louis de Lolme est né ŕ Genčve le 28 octobre 1741. Il appartient ŕ une famille de juristes calvinistes. A 14 ans son pčre l'inscrit ŕ l'Ecole de Droit de l'Université de Genčve. En 1763, il s'inscrit comme avocat au barreau de Genčve oů il plaidera jusqu'ŕ son départ pour Londres (en 1768).

A cette époque, il milite politiquement dans le camps des "représentants", bourgeois ultra-démocrates qui se réclament des idées de Jean-Jacques Rousseau contre l'oligarchie modérée qui dirige la ville. Il écrit un pamphlet ŕ la gloire de Rousseau "Les princes manqués, lettre d'un citoyen ŕ J.J. Rousseau du 29 mars 1765", pamphlet qui est interdit.

En 1767 il écrit un libelle "La purification des trois points de droit souillés par un anonyme", d'une grande violence, qui fait sensation mais qui ne plait que médiocrement ŕ l'oligarchie, de telle sorte qu'on lui conseille, en haut lieu, de quitter la ville pour quelque temps. Jean Louis de Lolme va donc quitter Genčve, en 1768, pour l'Angleterre et aprčs avoir exprimé, une nouvelle fois, ses opinions démocrates extrémistes dans les "Réflexions politiques et critiques par un citoyen représentant sur le projet d' arrangement du 25 janvier 1768".

During his protracted exile in England Delolme made a careful study of the English constitution, the results of which he published in his Constitution de l'Angleterre (Amsterdam, 1771), of which an enlarged and improved edition in English appeared in 1772, and was several times reprinted. The work excited much interest as containing many acute observations on the causes of the excellence of the English constitution as compared with that of other countries.

In 1775 he found himself compelled to accept aid from a charitable society to enable him to return home. He died at Sewen, a village in the canton of Schwyz, on the 16th of July 1806.

[5] Georges-Louis Lesage (1724-1803) Les recherches du mathématicien et physicien genevois Georges-Louis Lesage (1724-1803) occupent une place ŕ part parmi les explications mécanistes de la gravitation proposées au XVIIIčme sičcle. Alors que ces théories sont habituellement d'inspiration anti-newtonienne, Lesage adopte la loi de l'attraction. Il se distingue par une connaissance solide de l'oeuvre de Newton, comme des travaux des Cartésiens du début du sičcle. Il connaît bien les objections qui leur ont été opposées. En dépit d'un nombre trčs restreint de publications, son statut de correspondant de l'Académie des Sciences de Paris, et de membre associé de plusieurs sociétés savantes étrangčres, témoigne de la reconnaissance accordée ŕ ses recherches Il entretient une correspondance avec les géomčtres et astronomes les plus célčbres de son temps. Il discute ainsi son systčme avec d'Alembert, Daniel Bernoulli, Euler, Clairaut ou encore Lagrange.

Correspondant de Lalande ŕ l'Académie des Sciences de Paris ŕ partir de 1761, Lesage sera aussi nommé associé étranger de la Société royale des sciences de Montpellier en 1768, membre de la Royal Society de Londres en 1775 et associé étranger de l'Institut et académie des sciences de Bologne en 1782. Le premier biographe de Lesage est Pierre Prévost [1805a ; 1843], son élčve et héritier intellectuel qui consacra une partie de son oeuvre ŕ la promotion des idées du maître. 1774 - Lesage patents the electrostatic telegraph http://people.deas.harvard.edu/~jones/cscie129/images/history/lesage.html

[6] Jacques Necker, 1732-1804, Swiss Director of Finance under Louis XVI.

He started as a clerk in Swiss Bank of Issac Vernet. At 18, he was sent to the Paris branch. He became a millionaire and assumed the sole direction of the bank in 1765.

Having gained a reputation as a financial writer, Necker was appointed France's Director of the Royal Treasury in 1776, and a year later Director General of the Finances. In addition to attempting to raise money for the American War of Independence, he instituted a number of financial and social reforms, which earned him the antagonism of the aristocracy and even Marie-Antoinette. In 1781 he was forced to retire but he was recalled in 1788 to attempt to rescue France from imminent bankruptcy. Necker lent French government 2 millions of his own and got an advance 75 millions from businessmen and bankers. Once again, Necker faced the political pressure because his policy was on the people side instead of the monarchy. Eventually, Louis XVI let Necker go once again in 1788.

He retired in September 1790 to Coppęt, Switzerland, where he remained until his death in 1804.

His wife, née Suzanne Curchod, had been a friend and lover of Edward Gibbonand remained a friend of Buffon until his death. Necker and his wife had only one child, a daughter, later known as Madame de Staël.

[7] La famille Romilly, originaire de Montpellier, a fourni des hommes distingués aux lettres, au barreau, ŕ la diplomatie et ŕ l'armée 1. L'un d'eux, né ŕ Londres en 1739, reçu ministre en 1763, et Pasteur dans une des Églises françaises de cette ville en 1766, fit admirer longtemps son imagination vive et colorée, son sens droit et sa grande pénétration. Un critique genevois regarde ses sermons comme les meilleurspubliés par les prédicateurs protestants aprčs ceux de Saurin. Romilly s'était lié avec Diderot, d'Alembert et Voltaire. Il était l'ami de Rousseau ; mais il fait toujours, dans ses entretiens avec ces libres penseurs, l'apologiste de la religion chrétienne 2.[ Charles Weiss (1853) Histoire des réfugiés protestants de France, http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/weiss_charles/histoire_protestants_1/protestants_tome_1.pdf ]

[8] Vernes, Jacob (1728 - 1791) Pasteur, homme de lettres, correspondant de Voltaire pasteur a Genčve, CG. Auteur des Confidences philosophiques. Londres 1771 http://dbserv-bcu.unil.ch/Tango2000/todai/fleuron.taf?function=searchouvrage

[9] Socinianisme : Terme appliqué au hasard sur un grand corps de la doctrine anti-trinitaire. La Divinité est la question centrale du Socinianisme. A partir du point de vue Catholique et Unitaire, ils affirment que Dieu est absolument simple. Ils ont conclue, que la différence des personnes est destructive vis ŕ vis de cette simplicité. De cette logique, ils niaient la trinité comme non sainte.

[10] V.C. : La Vénérable Compagnie des Pasteurs