[J.M.GALLANAR=Éditeur]
Madame D.L.M./ Elie Fréron
[JEAN JACQUES
ROUSSEAU]
EXTRAIT du NO. 39 de L’ANNEE
LITTERAIRE 1778.
/REPONSE DE M.
FRERON.
[novembre/décembre 1778. == Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto Édition, t. XV,
pp. 379-390.]
[379] EXTRAIT du NO. 39 de L’Année Littéraire 1778.
LETTRE de Madame D.L.M. à l'Auteur de ces feuilles, au sujet d'un avis
imprimé dans le Mercure du 25 Novembre 1778, concernant un Recueil de Musique
de Chambre composée par J. J. Rousseau.
La cause de J. J. Rousseau devient la
cause commune d'un sexe aimable, qui semble reconnoître les obligations qu'il
lui doit , par la chaleur avec laquelle il défend & venge sa mémoire. Vous
avez lu dans un de mes derniers Nos. une lettre éloquente de Madame D.R.G.
touchant cet illustre Ecrivain: en voici maintenant une autre non moins bien
écrite , non moins solidement pensée, de Madame D.L.M. Il est bon que je vous
mette sous les yeux l'avis qui a donné lieu à ce morceau intéressant.
“Toutes les productions du célebre Rousseau
, publiées pendant sa vie ont toujours été reçues avec une forte
d'enthousiasme ; celles qu'on annonce aujourd'hui, obtiendront sans doute un
accueil encore favorable. On a vu dans le Devin du Village , & dans le
Dictionnaire de Musique à quel degré cet homme extraordinaire possédoit la
pratique & la théorie du plus ravissant des beaux-arts ; il est à présumer
qu'on trouvera la même source de plaisir dans les nouvelles [380] productions
musicales que sa veuve vient offrir au public.
On aime à se représenter l'éloquent & profond Auteur du Contrat Social,
modulant sur un clavier des airs champêtres, des vaudevilles & des romances
; mais on s'étonne de voir ce véhément écrivain , ce génie libre & fier,
accoutumé à méditer sur les intérêts des souverains & des peuples , &
né ce semble , pour leur faire adorer la justice, oubliant tout-à-coup sa
destinée glorieuse , pour embrasser la profession des mercenaires, &
devenir un simple copiste de musique. Celui qui consacra des hymnes à la vertu,
qui fut réveiller en nous l'instinct sublime de la liberté , qui fait encore
retentir la voix de la nature dans le cœur des meres, n'a-t-il donc pu
subsister des produits de ses chefs-d'oeuvre?
La langue Françoise entre ses mains, n'est-elle
pas devenue un instrument aussi mélodieux que celle du Tasse, aussi
riche que celle de Pope , aussi expressif que celle des orateurs de Rome
& d'Athenes? L'homme enfin qui devoit tenir un des premiers rangs parmi
ses semblables , à qui tôt ou tard on élevera des monumens publics , étoit-il
donc fait pour vivre & mourir au sein de l'indigence? Est-ce là le sort du
bienfaiteur de l'humanité ? Proscrit par ses concitoyens , fugitif au milieu
des Alpes, toléré chez une nation hospitaliere; mais obligé d'imposer à
son génie un silence absolu , il ne laisse pour héritage à sa respectable veuve
que des mémoires dont elle ne peut tirer aucun parti , parce que des
convenances sociales en arrêtent la publicité. L'unique ressource de Madame
Rousseau consiste en un recueil de petits airs composés par l'Auteur d'Emile
& d'Héloise: [381] elle offre ce recueil au public moyennant une
souscription un louis , &c.” *[*Extrait du Mercure du 25 novembre 1778.]
Cet avis a excité la juste indignation de
Madame D.L.M. ; elle a cherché mais inutilement à en deviner l'auteur, &
dans son incertitude elle m'a fait l'honneur de s'adresser à moi pour lui
donner quelques éclaircissemens.
“MONSIEUR,
Je n'ai point l'honneur de vous connoître, ni
même d'être liée avec personne qui le soit avec vous. Mais une lecture suivie
de l'Année littéraire , où j'ai vu la sagesse de vos jugemens , & la
touchante persévérance avec laquelle vous avez défendu la mémoire de feu
Monsieur votre pere, contre les antagonistes que sa critique aussi sure que
sévere, lui avoit suscités , m'a inspiré autant de confiance en votre honnêteté
, que de déférence pour vos lumieres. Permettez donc, Monsieur , qu'entraînée
par mon estime , je vous supplie de me tirer d'embarras , sur un point qui ne
laisse pas que de m'en causer : le voici. Est-ce dans la classe des amis , ou
dans celle des ennemis de J. J. Rousseau, qu'il faut placer l'auteur de
l'avis qui se trouve dans le Mercure du 25 novembre , concernant un
recueil de Musique de chambre composée par ce grand homme ? En sollicitant
votre complaisance, je crois devoir vous déduire les motifs de la perplexité où
me jette cet avis. Peut-être sera-ce d'ailleurs en donner un fort bon à
MM. les Rédacteurs du Mercure: [382] car enfin, quoique par sa nature ce
Journal soit autorité à tout admettre, privilege dont M. de la Harpe ,
& ses dignes coopérateurs usent bien amplement , quand ils nous donnent des
logogriphes, encore faut-il qu'ils nous les donnent pour ce qu'ils sont.
L'avis dont il est ici question, Monsieur , a
sans doute pour objet d'engager le public à grossir l'avantage que Madame
Rousseau espere retirer de la souscription qu'elle propose , & dont le prospectus
est dans les mains de tout le monde. Si on pouvoit s'assurer que cet avis fût
de M. le Marquis de Gérardin , la question que j'ai l'honneur de vous
faire seroit décidée ; mais contre deux raisons de croire le qu'il en est ,
j'en trouve quatre de croire qu'il n'en est pas. Par exemple , l'épithete de respectable
, adressée à Madame Rousseau, indique M. de Gérardin : cette
veuve n'est certainement aussi respectable pour personne que pour lui, à qui
les dernieres dispositions de
Jean-Jaques imposent envers elle , les devoirs les plus étendus &
les plus sacrés. L'intérêt que l'Auteur de l'avis prend à elle , annonce bien
encore un ami de l'homme célébré qui l'avoit élevée au rang de son épouse. Mais
à côté de ce qui prouve cet intérêt, il y a des choses qu'il est impossible
d'attribuer à l'amitié. Comment cet avis seroit-il donc de M. de
Géradin ? Quant à moi, je ne puis le penser.
1̊. M. de Gérardin, dont la vaste
érudition est si connue, & qui se nourrissant habituellement de la lecture
des anciens , ne sauroit ignorer que rien n'est beau, estimable, touchant, que
ce qui est naturel & simple, n'auroit pas fait [383] un puéril étalage , de
phrases bien froides , bien recherchées , bien emphatiques , bien entortillées
bien alambiquées, & sur-tout bien déplacées , qui ne signifient pas
grand'chose, & qui n'aboutissent à rien , si ce n'est à présenter Jean-Jaques
, sous le jour le moins propre à lui attirer la considération de ceux qui ne
l'ont pas personnellement connu.
2̊. M. de Gérardin, si digne d'être
comparé à Aristée , n’auroit pas dit de la veuve de J. J. Rousseau
, que ce nouvel Eudamidas lui a laissée à protéger , que son unique
ressource consiste en un recueil de petits airs composés par Auteur d'Emile
& d'Héloise. Non, il ne l'auroit pas dit; & parce qu'il sait bien
que cela n'est pas vrai ; & parce qu'Aristée ne recommanda ni la
mere , ni la fille , ni les créanciers d'Eudamidas à la commisération
des Corinthiens.
3̊. On a beau, ainsi que M. de Gérardin,
posséder la musique jusqu'au point d'avoir sur cet art agréable , des systêmes
absolument neufs, & certainement sublimes, quand on fait des vers aussi
pathétiques , aussi harmonieux , aussi poétiques , aussi admirables en un mot,
que ceux dont il décore le monument que sa magnificence érige à la mémoire de Jean-Jaques
, on se garde bien de dire au détriment de la poésie, que la musique est le
plus ravissant des beaux-arts. J'avoue que les charmes de la musique
agissent sur tel organe absolument insensible à ceux de la poésie : mais cela
ne prouve pas que leur effet soit plus ravissant ; cela prouve seulement
qu'il est plus général.
4̊. M. de Gérardin à qui la
reconnoissace assure la confiance [384] de la veuve de Jean-Jaques,
n'auroit pas dit de lui, n'a-t-il donc pu subsister du produit de ses
chefs-d'oeuvre ? Question qui pourroit être prise pour un reproche
inconduite. M. de Gérardin sait bien que ce n'étoit pas pour subvenir à
ses besoins physiques , que J. J. Rousseau s'étoit abaissé à
l'occupation mécanique de copier de la musique; mais pour satisfaire au besoin
le plus pressant de sa grande ame, celui d'aider d'estimables indigens, du
produit de son travail ; la modicité de sa fortune n'en permettant pas le
partage.
Il faut donc, Monsieur, s'en tenir à cette
opinion, l'avis consigné dans le Mercure n'est point de M.
de Gérardin.....
Mais il n'appartient qu'à lui d'embrasser
ouvertement les intérêts de Madame Rousseau. De qui l'Auteur de cet avis
tient-il donc une mission qu'il remplit avec tant de maladresse, ou de perfidie
? A quel titre fait-il les honneurs de J. J. Rousseau ? Lorsqu'on n'a ,
ainsi que moi , d'autres droits d'entretenir le public d'un grand homme qu'il
vient de perdre , que ceux qu'on peut tirer du respect & de l’attachement
dont on est pénétré pour sa mémoire , il faut au moins ne présenter l'objet de
ses regrets que sous un point de vue qui les justifie ; & cette obligation
est doublement stricte , quand il s'agit de J. J. Rousseau , puisqu'on
ne peut sans altérer la vérité , affoiblir l'idée qu'il a laissée de son
mérite.
Trouvez bon, je vous prie, Monsieur, que je
jette encore un coup-d'oeil sur ce petit écrit fait avec une si grande
prétention. On y dit en débutant , toutes les productions du [385] célebre
Rousseau publiées pendant sa vie, ont toujours été reçues avec une sorte
d'enthousiasme. Une sorte d'enthousiasme ! certes , c'est rendre une
sorte d'hommage bien étrange au discernement du public, & aux talens
d'un écrivain , qui joignoit aux graces propres à tous les styles, la profondeur
des connoissances , l'élévation des idées, la majesté des images , la richesse
des expressions , que de rappeller en ces termes l'accueil inoui, dont le
public honora toujours ses ouvrages. Ce n'est pas tour. On y supprime
des éloges qui sont dûs au philosophe Genevois , & qui ne sont dûs qu'à lui
; & on lui en adresse qu'il auroit sans doute mérités , s'il eût vécu au
commencement du dix-septieme siecle , mais qui me paroissent ne lui pas
convenir. En effet, après le degré de perfection , où la poésie &
l'éloquence françoises ont été portées depuis cette époque, ne trouvez-vous pas
, Monsieur , qu'il est ridicule de dire en parlant de J. J. Rousseau
comme s'il eût écrit du tems de Ronsard, la langue Françoise entre ses
mains, n'est -elle pas devenue un instrument aussi mélodieux que celle du Tasse
, aussi riche que celle de Pope , aussi expressif que celle des orateurs de
Rome & d'Athenes ? Quelle sorte de louanges ! Quelle sorte
de sentiment peut les inspirer ?
Je ne puis , Monsieur , m'empêcher de déplorer
la destinée d'un homme à qui ses vertus , & ses talens devoient en procurer
une si différente. Je gémis en voyant que la malignité de l’astre qui présida à
sa naissance n'a pu être corrigée par sa mort. Depuis que nous l'avons perdu ,
presque tous ceux qui ont parlé de lui, ont plus ou moins ouvertement [386]
insulté à sa cendre. Il semble qu'on ait pris à tâche d'avilir la mémoire d'un
homme dont la noble fierté osa lutter contre tous les genres d'infortunes. On a
été jusqu'à se croire dispensé d'observer à son égard les loix de la décence
& de l'honnêteté. Par exemple , Monsieur , est-il concevable que M M. les
Rédacteurs du Journal de Paris, qui ont la réputation d'être honnêtes , aient
consenti à se prêter aux desirs de la personne , qui a mis au jour l'extrait
que l'on trouve dans le N̊. 201 de ce Journal, d'un mémoire daté de
février 1777 ? Si ce mémoire est de J. J. Rousseau, supposition qu'il
faut bien adopter, puisque ces MM. affirment qu'ils l'ont entre leurs mains,
entiérement écrit de sa main, & signé de lui , comment n'ont-ils pas
senti que , soit qu'il ait été surpris à Jean-Jaques , ou confié par
lui, à la personne qui le leur remettoit, on ne pouvoit le rendre public , sans
devenir coupable de la plus criante infidélité, ou du plus insigne abus de
confiance ? L'ancienneté de la date de ce mémoire ne prouve-t-elle pas
que l'auteur vouloit qu'il fût ignoré , puisqu'il ne l'a pas fait paroître ? A
quelle fin le produire après sa mort? Seroit -
ce pour nous donner une idée de sa façon d'écrire?.....Quoique toutes ses
productions me soient cheres , attendu la méprise où celle-là pouvoir
entraîner, si elle avoir été en ma possession, j'aurois cru , en la brûlant ,
faire un sacrifice propitiatoire aux mânes de son auteur. Eh ! quel est l'homme
, qui connoît allez peu les hommes , pour ne pas savoir que la prospérité est
le tarif de leur estime, & que celui qu'on leur montre environné des
horreurs de la misere n'obtient d'eux qu'une [387] pitié si outrageante ,
dût-elle être prodigue de secours , que Jean-Jaques lui auroit préféré
la triste situation qu'il peint avec tant d'énergie ? Mais cette situation
n'étoit point la sienne : jouissez , Monsieur , du plaisir de le penser : il
avoit sans doute fait ce mémoire pour quelqu'un des infortunés que sa
bienfaisance attiroit; car il n'y a point de façon de les servir, qui ne fût à
son usage. Voilà la seule hypothese compatible avec les sentimens & la
position de J. J. Rousseau. Il n'étoit pas riche, il est vrai. parce que
les moyens de le devenir répugnoient à la dignité de son caractere : il s'en
est cent sois expliqué : mais il avoir à sa disposition des moyens honnêtes ,
je dirai même honorables , d'ajouter de l'aisance , au nécessaire qu'il
possédoit ; & s'il négligea de les employer , c'est que des motifs
supérieurs à son propre intérêt dirigerent toujours sa conduite. Je pense ,
Monsieur , qu'on doit conclure de tout ce qui s'est passé relativement à cet
homme extraordinaire, tant durant sa vie, que depuis sa mort , qu'il a
presque toujours eu des ennemis adroits , & des amis gauches : car il
faudroit détester l'humanité, si on pouvoir croire que tous ceux qui ont nui au
meilleur des hommes , en eussent eu l'intention.
Je vous supplie , Monsieur, de vouloir bien
donner place à ma lettre dans votre intéressant Journal , si vous jugez qu'elle
en vaille la peine. Je serois bien flattée que vous daignassiez y répondre par
la même voie. Le saine partie du Public qui s'occupe encore de Jean-Jaques
, est surement dans la même incertitude que moi sur le problême que j'a
l'honneur de vous proposer, & me sauroit gré de lui en procurer [388] la
solution. Je n'ignore pas que vous avez une si invincible aversion pour les
louanges , que vous n'en voulez point admettre , même en faveur de leur
sincérité. Mais quelques vérités obligeantes que je me sente forcée de vous
dire , seront-elles pour moi , un titre d'exclusion ? Les éloges d'une femme
qui n'a , ne peut, ni ne veut avoir aucune espece de célébrité , peuvent-ils
alarmer votre délicatesse, & ne me trouverez-vous pas dans le cas de
l'exception? Je le souhaite vivement, Monsieur , je souhaiterois encore que
vous crussiez me devoir quelque chose pour la justice que je vous rends ; &
qu'il vous parût digne de vous de faire tourner votre reconnoissance au profit
de mon sexe, en prouvant au Public que Madame D.R.G. n'est pas la seule femme
qui fâche vous apprécier.”
J'ai l'honneur d'être ,
MONSIEUR,
Votre très-humble & très obéissante
servante ,
D.L.M.
P.S. En commençant ma lettre, Monsieur, mon
dessein étoit de risquer quelques observations sur le style de l’avis
inséré dans le Mercure : mais après y avoir bien pense, j’ai cru que le
rôle d'amie de Jean-Jaques , étant celui qui m'honoroit le plus , &
me convenoit le mieux , je devois me borner à le remplir.
Le 7 décembre 1778.
FIN.
[389] REPONSE DE M. FRÉRON.
MADAME,
Si étois admis dans la confidence du messager
des Dieux de Encyclopédie, il me seroit facile de résoudre le problème que vous
me faites l'honneur de me proposer. Mais j'ignore absolument ce qui se passe
dans le palais de Mercure, & ce qui se fabrique dans ses sorges. Le
cyclope qui a martelé l'avis dont vous vous plaignez , avec tant de raison , a
pris soin lui-même de se dérober à votre vengeance, en se couvrant du manteau
de l'anonyme. Comment donc vous livrer le coupable? Mes incertitudes sont
égales aux vôtres. Mais ce qui me paroît prouvé d'après votre lettre , c'est
qu'on auroit le plus grand tort d'attribuer un pareil avis à M. le
Marquis de Gérardin. Vous raisonnemens sont faits pour dissiper tous les
soupçons à cet égard.
N'en doutez nullement , Madame , l'avis en
question est l’ouvrage d'un ennemi de Rousseau, ou d'une plume vendue à
ses ennemis, d'autant plus cruels, qu'en le couvrant de blessures, ils feignent
de caresser son ombre. Si c'étoit un ami de Rousseau qui eut publié cet avis,
lui auroit-il fait les reproches que vous relevez avec tant de force dans cette
lettre ? Auroit-il choisi pour cela le moment où son ami est à peine descendu
dans le tombeau ? Auroit-il livré cet avis à l’impression, sans le
communiquer à des gens de lettres liés [390] comme lui avec l'illustre Genevois
, qui en eussent fait disparoître les traits offensans pour ce grand homme,
& qui eussent soufflé sur la bouffissure du style dont il est écrit?
Je ne conçois pas qu'on ait pu soupçonner un
seul instant M. de Gérardin , d'avoir mis au jour un avis de
cette nature; lui qui a donné tant de preuves de son attachement à votre
illustre ami? Est-il vraisemblable qu'il ait avancé que l'unique ressource de
Madame Rousseau , consiste en un recueil de petits airs composés par son
mari ? N'auroit-il pas , s'il s’étoit exprimé ainsi, joint la mal-adresse à
la cruauté ? c’eût été désavouer en quelque sorte les services & les ressources
que Madame Rousseau trouve dans son amitié , dans la sensibilité de son
coeur. Je pense donc comme vous, Madame. On ne me persuadera jamais qu'il soit
l'Auteur d'un avis aussi méchant & aussi ridicule, & il doit se
trouver fort offensé qu'on en ait eu même l'idée.
Quel qu'il soit, cet Auteur ténébreux , il doit
rougir de son ouvrage ; qu'il continue d'ensevelir son nom dans l'obscurité
pour laquelle il est fait. Cette précaution qu'il a prise, prouve qu'il a senti
lui-même combien étoit indécent le rôle qu'il jouoit , & révoltant le ton
qu'il osoit prendre en parlant d'un homme tel que Rousseau.
Je ne finirai point cette lettre, sans vous
remercier, Madame, des choses obligeantes, que votre indulgence vous a dictées
pour moi ; votre maniere de penser & d'écrire donne un nouveau poids à votre
suffrage, & m'en sont sentir tout le prix ; puissé-je un jour m'en rendre
digne!
Je suis , &c.
FIN.