[J.M. GALLANAR= éditeur]
JEAN JACQUES ROUSSEAU
LES PRISONNIERS DE GUERRE, COMÉDIE.
[1743, mai, Bibliothèque de Neuchâtel, ms. R.
101== Du Peyrou/Moultou
1780-1789 quarto édition, t. XIV, pp. 47-83 (1782); la Pléiade édition, pp.
843-874,1842-1844, 1978.]
LES PRISONNIERS DE GUERRE, COMÉDIE.
[48] ACTEURS
GOTERNITZ, Gentilhomme Hongrois.
MACKER, Hongrois.
DORANTE, Officier François prisonnier la
guerre.
SOPHIE, fille de Goternitz.
FREDERICH, Officier Hongrois, fils de Goternitz.
JACQUARD, Suisse, valet de Dorante.
Le Scene est en
Hongrie.
[49] LES PRISONNIERS DE GUERRE, COMÉDIE.
SCENE PREMIERE.
DORANTE, JACQUARD.
JACQUARD.
Par mon foy , Monsir, moi ly comprendre rien à sti pays l’ongri, le fin l'être pon, & les méchans : l'être
pas naturel, cela.
DORANTE.
Si tu ne t'y trouves pas bien, rien ne t'oblige
d'y demeurer. Tu es mon domestique, & non pas prisonnier de guerre comme
moi, tu peux t'en aller quand il te plaira.....
JACQUARD.
Oh ! moi point quitter sous , moi fouloir pas
être plus libre que mon maître.
DORANTE.
Mon pauvre Jacquard, je suis sensible à ton
attachement ; il me consoleroit dans ma captivité, si
j'étois capable de consolation.
[50] JACQUARD.
Moi point souffrir que sous l'affliche touchours , touchours , sous poire comme moi, sous consolir
tout l'apord.
DORANTE.
Quelle consolation ! ô France , ô ma Patrie !
que ce climat barbare me fait sentir ce que tu vaux ! quand reverrai-je ton
heureux séjour? quand finira cette honteuse inaction où je languis , tandis que
mes glorieux compatriotes moissonnent des lauriers sur les traces de mon Roi.
JACQUARD.
Oh! sous l'afre été
pris combattant pravement. Les ennemis que sous afre tués, l'être encore pli malates
que sous.
DORANTE.
Apprends que dans le sang qui m'anime la gloire
acquise ne sert que d'aiguillon pour en rechercher davantage. Apprends que
quelque zele qu'on ait à remplir son devoir pour
lui-même, l'ardeur s'en augmente encore par le noble desir
de mériter l'estime de son maître en combattant sous ses yeux. Ah ! quel
n’est pas le bonheur de quiconque peut obtenir celle du mien, & qui sait
mieux que ce grand Prince peut sur sa propre expérience juger du mérite &
de la valeur ?
JACQUARD.
Pien , pien , sous l'être pientôt tiré te sti prisonnache , Monsir votre pere avre écrit qu'il traffaillir pour faire échange sous.
[51] DORANTE.
Oui, mais le tans en est encore incertain &
cependant le Roi fait chaque jour de nouvelles conquêtes.
JACQUARD.
Pardi! moi l'être pien
content t'aller tant seulement à celles qu’il sera encore ; mais sous l'être
plis amoureux pisque sous fouloir tant partir.
DORANTE.
Amoureux! de qui?.. ( à part.) auroit-il pénétré mes feux secrets !
JACQUARD.
Là , te cette temoiselle
Claire, te cette cholie fille de notre Bourgeois à
qui sous faire tant de petits douceurs. ( à part. ) Oh! chons
pien d’autres doutances, mais il saut faire semplant te rien.
DORANTE.
Non Jacquard , l'amour que tu me supposes n'est
point capable de ralentir mon empressement de retourner en France. Tous climats
sont indifférens pour l'amour. Le monde est plein de
belles dignes des services de mille amans, mais on n'a qu'une Patrie à servir.
JACQUARD.
A propos te belles. Savre
sous que l'être après timain que notre prital te Bourgeois épouse le fille de Monsir
Goternitz.
[52] DORANTE.
Comment ! que dis - tu ?
JACQUARD.
Que la mariache de Monsir Macker avec Mamecelle Sophie qui étoit
différé chisque à l'arrivée ti frère te la temoicelle, doit se terminer dans teux
jours, parce qu'il avre été échangé plitôt qu'on n'avre cru &
qu'il arriver aucherdi.
DORANTE.
Jacquard , que me dis - tu là ! Comment le
sais-tu ?
JACQUARD.
Par mon foy je l'afre appris toute l'heure en pivant
pouteille avec in falet te
la maison.
DORANTE.
(à part.) Cachons mon trouble , . . . (haut)
je réfléchis que le messager doit être arrivé ; va voir s'il n'y a point de
nouvelles pour moi.
JACQUARD.
( à part. ) Diaple
! l'y être in noufelle de trop à ce que che fois ! ( revenant.) Monsir,
che safre point où l'être la poutique
le sti noufelle.
DORANTE.
Tu n'as qu'à parler à Mademoiselle Claire, qui,
pour éviter que mes lettres ne soient ouvertes à la poste , a bien voulu se
charger de les recevoir sous une adresse convenue , & de me les remettre secrétement.
[53] SCENE II.
DORANTE.
Quel coup ma flamme ! c'en est donc fait, trop
aimable Sophie, il faut vous perdre pour jamais , & vous allez d'un riche ,
mais ridicule & groffier vieillard. Hélas! sans
m'en avoir encore fait l'aveu tout commençoit à
m’annoncer de votre part le plus tendre retour ! non, quoique les injustes
préjugés de son pere contre les François dussent être
un obstacle invincible à mon bonheur, il ne falloit
pas moins qu’un pareil événement pour assurer la sincérité des voeux que je fais pour retourner promptement en France : les ardens témoignages que
j'en donne ne sont-ils point plutôt les efforts d'un esprit qui s'excite par la
considération de son devoir, que les effets d'un zele
assez sincere ! mais que dis-je, ah! que la gloire
n'en murmure point, de si beaux feux ne sont pas faits pour lui nuire : un cœur
n'est jamais assez amoureux, il ne fait pas , du moins , assez de cas de
l’estime de sa maîtresse , quand il balance à lui préférer son devoir, son pays
, & son Roi.
[54] SCENE III.
MACKER, DORANTE,
GOTERNITZ.
MACKER.
Ah! voici ce prisonnier que j'ai en garde. Il
faut que je le prévienne sur la façon dont il doit se conduire avec ma future.
Car ces François qui , dit-on , se soucient si peu de leurs femmes , sont des
plus accommodans avec celles d'autrui , mais je ne
veux point chez moi de ce commerce là, & je prétends du moins que mes enfans soient de mon pays.
GOTERNITZ.
Vous avez là- d'étranges opinions de ma fille.
MACKER.
Mon Dieu , pas si étranges. Je pense que la
mienne la vaut bien , & si . . . brisons là-dessus . . . Seigneur Dorante !
DORANTE.
Monsieur ?
MACKER.
Savez-vous que je me marie ?
DORANTE.
Que m'importe?
MACKER.
C'est qu'il m'importe à moi que vous appreniez
que je ne suis pas d'avis que ma femme vive à la françoise.
[55] DORANTE.
Tant pis pour elle.
MACKER.
Eh oui, mais tant mieux pour moi.
DORANTE.
Je n'en sais rien.
MACKER.
Oh! nous ne demandons pas votre opinion
là-dessus : je vous avertis seulement que je souhaite de ne vous trouver jamais
avec elle, & que vous évitiez de me donner à cet égard des ombrages sur sa
conduite.
DORANTE.
Cela est trop juste, & vous serez
satisfait.
MACKER.
Ah ! le voilà complaisant une fois ; quel
miracle !
DORANTE.
Mais je compte que vous y contribuerez de votre
côté autant qu'il sera nécessaire.
MACKER.
Oh ! sans doute , & j'aurai soin d’ordonner
à ma femme de vous éviter en toute occasion.
DORANTE.
M’éviter! gardez - vous en bien. Ce n'est pas
ce que veux dire.
[56] M A C K E R.
Comment?
DORANTE.
C'est vous au contraire qui devez éviter de
vous appercevoir du tans que je passerai auprès
d'elle. Je ne lui rendrai des soins que le plus directement qu'il me sera
possible , & vous , en mari prudent vous n'en verrez que ce qu'il vous
plaira.
MACKER.
Comment diable ! vous vous moquez ; & ce
n'est pas là mon compte.
DORANTE.
C'est pourtant tout ce que je puis vous
promettre , & c'est même tout ce que vous m'avez demandé.
MACKER.
Parbleu ! celui-là me passe ; il faut être bien endiablé après les femmes
d'autrui pour tenir un tel langage à la barbe des maris.
GOTERNITZ.
En vérité, seigneur Macker,
vos discours me sont pitié & votre colere me fait
rire. Quelle réponse vouliez-vous que fit Monsieur à une exhortation aussi
ridicule que la vôtre? la preuve de la pureté de ses intentions est le langage
même qu'il vous tient : s'il vouloit vous tromper,
vous prendroit-il pour son confident ?
[57] M A C K E R.
Je me moque de sou qui s'y fie. Je ne veux
point qu'il fréquente ma femme, & j'y mettrai bon ordre.
DORANTE.
A la bonne heure ; mais comme je suis votre
prisonnier, & non pas votre esclave , vous ne trouverez pas mauvais que je
m’acquitte envers elle en toute occasion des devoirs de politesse que mon sexe
doit au sien.
MACKER.
Et! morbleu ! tant de politesses pour la femme
ne tendent qu’à faire affront au mari. Cela me met dans des impatiences....
vous verrons ....vous verrons.... vous êtes méchant, Monsieur le François. Oh
parbleu, je le serai plus que vous.
DORANTE.
A la maison cela peut être ; mais j'ai peine à
croire que vous le soyez sort à la guerre.
GOTERNITZ.
Tout doux , seigneur Dorante,
il est d'une nation.....
DORANTE.
Oui, quoique la vraie valeur soit inséparable
de la générosité, je sais malgré la cruauté de la vôtre en estimer la bravoure.
Mais cela le met-il en droit d'insulter un soldat qui n’a cédé qu'au nombre,
& qui, je pense, a montré assez de courage pour devoir être respecté, même
dans sa disgrace !
[58]GOTERNITZ.
Vous avez raison. Les lauriers ne sont pas
moins le prix du courage que de la victoire. Nous-mêmes depuis que nous cédons
aux armes triomphantes de votre Roi, nous ne nous en tenons pas moins glorieux,
puisque la même valeur qu'il emploie à nous attaquer, montre la nôtre à nous
défendre. Mais voici Sophie.
SCENE IV.
GOTERNITZ, MACKER, DORANTE, SOPHIE.
GOTERNITZ.
Approcher, ma fille, venez saluer votre époux,
ne l’acceptez-vous pas avez plaisir de ma main ?
SOPHIE.
Quand mon cœur en seroit
le maître, il ne le choisiroit pas ailleurs qu'ici.
MACKER.
Fort bien belle mignonne ; mais.... ( à Dorante. ) quoi! vous ne vous en allez pas ?
DORANTE.
Ne devez - vous pas être flatté que mon
admiration confirme la bonté de votre choix ?
[59] MACKER.
Comme je ne l’ai pas choisie pour vous, votre
approbation me paroît ici peu nécessaire.
G O T E R N I T Z.
Il me semble que ceci commence à durer trop
pour un badinage. Vous voyez, Monsieur, que le seigneur Macker
est inquiété de votre présence ; c'est un effet qu'un cavalier de votre figure
peut produire naturellement sur l'époux le plus raisonnable.
DORANTE.
Eh bien ! il faut donc le délivrer d'un
spectateur incommode, aussi bien ne puis-je supporter le tableau d'une union
aussi disproportionnée. Ah! Monsieur, comment pouvez-vous consentir vous-même,
que tant de perfections soient possédées par un homme si peu fait pour les connoître ?
S C E N E V.
MACKER, GOTERNITZ,
SOPHIE.
MACKER.
Parbleu ! voilà une nation bien extraordinaire
, des prisonniers bien incommodes. Le valet me boit mon vin , le maître caresse
ma fille. ( Sophie fait une mine.) Ils vivent chez moi comme s'ils étoient en pays de conquêtes !
[60] GOTERNITZ.
C'est la vie la plus ordinaire aux François ,
ils y sont tout accoutumés.
MACKER.
Bonne excuse, ma foi! ne faudra-t-il point
encore en saveur de la coutume que j'approuve qu'il me fasse cocu?
SOPHIE.
Ah ciel ! quel homme !
GOTERNITZ.
Je suis aussi scandalisé de votre langage que
ma fille en est indignée. Apprenez qu'un mari qui ne montre à sa femme ni
estime ni confiance , l'autorise autant qu'il est en lui, à ne les pas mériter.
Mais le jour s'avance , je vais monter à cheval pour aller au-devant de mon
fils qui doit arriver ce soin.
MACKER.
Je ne vous quitte pas , j'irai avec vous s'il
vous plaît.
GOTERNITZ.
Soit ; j'ai même bien des choses à vous dire
dont nous nous entretiendrons en chemin.
MACKER.
Adieu mignonne, il me tarde que nous soyons
mariés pour vous mener voir mes champs & mes bêtes à cornes, j'en ai le
plus beau parc de la Hongrie.
[61] SOPHIE.
Monsieur, ces animaux là me sont peur.
MACKER.
Va, va, poulette, tu y seras bientôt aguerrie avec moi.
S C E N E VI.
SOPHIE.
Quel époux ! quelle différence de lui à Dorante , en qui les charmes de l'amour redoublent par les graces de ses manieres, & de
ses expressions. Mais hélas ! il n'est point fait pour moi. A peine mon coeur ose-t-il s'avouer qu'il l'aime , & je dois trop
me féliciter de ne lui avoir point avoué à lui-même. Encore s'il m'étoit fidele , la bonté de mon pere
me laisseroit, malgré sa prévention & ses engagemens, quelque lueur d'espérance. Mais la fille de Macker partage l'amour de Dorante
; il lui dit sans doute les mêmes choses qu'à moi, peut-être est-elle la seule
qu'il aime. Volages François ! que les femmes sont heureuses que vos
infidélités les tiennent en garde contre vos séductions ! Si vous étiez aussi constans que vous êtes aimables, quels coeurs
vous résisteroient ! Le voici; je voudrois
fuir, & je ne puis m'y résoudre : je voudrois lui
paroître tranquille , & je sens que je l'aime
jusqu'à ne pouvoir cacher mon dépit.
[62]
SCENE VII.
DORANTE, SOPHIE.
DORANTE
Il est donc vrai , Madame, que ma ruine est
conclue , & que je vais vous perdre sans retour. J'en mourrois
, sans doute si la mort étoit la pire des douleurs.
Je ne vivrai que pour vous porter dans mon coeur plus
long-tans , & pour me tendre digne, par ma conduite & par ma confiance,
de votre estime & de vos regrets.
SOPHIE.
Se peut-il que la perfidie emprunte un langage
aussi noble aussi passionné ?
DORANTE.
Que dites-vous ? quel accueil ! est-ce là la
juste pitié que méritent mes sentimens ?
SOPHIE.
Votre douleur est grande en effet , à en juger
par le soin que vous avez pris de vous ménager des consolations.
DORANTE.
Moi , des consolations ! en est - il pour votre
perte ?
SOPHIE.
C'est-à-dire en est -il besoin ?
[63] DORANTE.
Quoi! belle Sophie ? pouvez - vous ? ....
SOPHIE.
Réservez, je vous en prie , la familiarité de
ces expressions pour la belle Claire , & sachez que Sophie telle qu'elle
est ; belle ou laide, se soucie d'autant moins de l'être à vos yeux, qu'elle
vous croit aussi mauvais juge de la beauté que du mérite.
DORANTE.
Le rang que vous tenez dans mon estime &
dans mon coeur est une preuve du contraire. Quoi !
vous m'avez cru amoureux de la fille de Macker ?
SOPHIE.
Non en vérité. Je ne vous fais pas l'honneur de
vous croire un coeur fait pour aimer. Vous êtes comme
tous les jeunes gens de votre pays, un homme fort convaincu de ses perfections
, qui se croit destiné à tromper les femmes, & jouant l'amour auprès
d'elles , mais qui n'est pas capable d'en ressentir.
DORANTE.
Ah ! se peut - il que vous me confondiez dans
cet ordre d'amans, sans sentimens & sans
délicatesse , pour quelques vains badinages qui prouvent eux-mêmes que mon coeur n'y a point de part, & qu'il étoit
à vous tout entier.
SOPHIE.
La preuve me paroît singuliere. Je serois curieuse
d'apprendre [64] les légeres subtilités de cette
Philosophie françoise.
DORANTE.
Oui , j'en appelle en témoignage de la sincérité de mes feux , cette conduite
même que vous me reprochez : j'ai dit à d'autres de petites douceurs , il est
vrai : j'ai folâtré auprès d'elles. Mais ce badinage & cet enjouement ,
sont-ils le langage de l'amour ? Est-ce sur ce ton que je me suis exprimé prés
de vous ? Cet abord timide, cette émotion, ce respect, ces tendres soupirs ,
ces douces larmes , ces transports que vous me faites éprouver , ont-ils
quelque chose de commun avec cet air piquant & badin que la politesse &
le ton du monde nous sont prendre auprès des femmes indifférentes ? Non ,
Sophie , les ris & la gaîté ne sont
point le langage du sentiment. Le véritable amour n'est ni téméraire ni évapore
; la crainte le rend circonspect ; il risque moins par la connoissance
de ce qu'il peut perdre, & comme il en veut au coeur
encore plus qu'à la personne , il ne hasarde gueres
l'estime de la personne qu'il aime pour en acquérir la possession.
SOPHIE.
C'est-à-dire , en un mot , que contens d'être tendres pour vos maîtresses , vous n'êtes
que galans, badins & téméraires près des femmes
que vous n'aimez point. Voilà une constance & des maximes d'un nouveau goût
, fort commodes , pour les cavaliers ; je ne sais si les belles de votre pays
s'en contentent de même ?
[65] DORANTE.
Oui , Madame , cela est réciproque , &
elles ont bien autant d'intérêt que nous , pour le moins, à les établir.
SOPHIE.
Vous me faites trembler pour les femmes
capables de donner leur coeur à des amans formés à
une pareille école.
DORANTE.
Eh ! pourquoi ces craintes chimériques ?
n'est-il pas convenu que ce commerce galant & poli , qui jette tant
d'agrément dans la société n'est point de l'amour ; il n'est que le supplément.
Le nombre des coeurs vraiment faits pour aimer est si
petit, & parmi ceux -là , il y en a si peu qui se rencontrent, que tout languiroit bientôt si l'esprit & la volupté ne tenoient quelquefois la place du coeur
& du sentiment. Les femmes ne sont point les dupes des aimables folies que
les hommes sont autour d'elles. Nous en sommes de même par rapport à leur
coquetterie, elles ne séduisent que nos sens. C'est un commerce fidelle, où l'on ne se donne réciproquement que pour ce
qu'on est. Mais il faut avouer à la
honte du coeur que ces heureux badinages sont souvent
mieux récompensés, que les plus touchantes expressions d'une flamme ardente
& sincere.
SOPHIE.
Nous voici précisément où j'en voulois venir ; vous m'aimez, dites-vous , uniquement &
parfaitement ; tout le reste n'est que jeu d’esprit ; je le veux ; je le crois.
Mais alors il [66] me reste toujours à savoir quel genre de plaisir vous pouvez
trouver à faire , dans un goût différent, la cour à d'autres femmes , & à
rechercher pourtant auprès d'elles , le prix du véritable amour ?
DORANTE.
Ah ! Madame ! quel tans prenez - vous pour
m'engager dans des dissertations ? Je vais vous perdre, hélas ! & vous
voulez que mon esprit s'occupe d'autres choses que de sa douleur ?
S O P H I E.
La réflexion ne pouvoir venir plus mal à propos
; il falloit la faire plutôt , ou ne la point faire
du tout.
SCENE VIII.
DORANTE, SOPHIE, JACQUARD.
JACQUARD.
St. st. Monsir , Monsir.
DORANTE.
Je crois qu'on m'appelle.
JACQUARD.
Oh moi venir, puisque sous point aller.
DORANTE.
Eh bien? qu'en - ce ?
[67] Monsir , afec la permission te montame
l’être ain piti l’écriture.
DORANTE.
Quoi ! une lettre ?
JACQUARD.
Chistement.
DORANTE.
Donne - la moi.
JACQUARD.
Tiantre, non , Mamecelle Claire mafre chargé te ne la donne sous qu'en grand secrettement.
SOPHIE.
Monsieur Jacquard est exact , il veut suivre
ses ordres.
DORANTE.
Donne toujours, butor, tu fais le mystérieux
fort à propos.
SOPHIE.
Cessez de vous inquiéter. Je ne suis point incommode,
& je vais me retirer pour ne pas gêner votre empressement.
[68] SCENE IX.
SOPHIE, DORANTE.
DORANTE, à part.
Cette lettre de mon pere
lui donne de nouveaux soupçons , & vient tout à propos pour les dissiper.
( Haut.) Eh quoi , Madame , vous me
fuyez?
SOPHIE, ironiquement.
Seriez-vous disposé à me mettre de moitié dans
vos confidences?
DORANTE.
Mes secrets ne vous intéressent pas assez pour
vouloir y prendre part.
SOPHIE.
C'est, au contraire , qu'ils vous sont trop
chers pour les prodiguer.
DORANTE.
Il me siéroit mal
d'en être plus avare que de mon propre coeur.
SOPHIE.
Aussi logez -vous tout au même lieu.
DORANTE.
Cela ne tient du moins qu'à votre complaisance.
[69] SOPHIE
Il y a dans ce sang-froid une méchanceté que je
suis tentée de punir. Vous seriez bien embarrassé si, pour vous prendre au mot,
je vous priois de me communiquer cette lettre.
DORANTE.
J'en serois seulement
fort surpris, vous vous plaisez trop à nourrir d'injustes sentimens
sur mon compte , pour chercher à les détruire.
SOPHIE.
Vous vous fiez fort à
ma discrétion.... je vois qu'il faut lire la lettre pour confondre votre
témérité.
DORANTE.
Lisez la pour vous convaincre de votre
injustice.
SOPHIE.
Non, commencez par me la lire vous-même, j'en
jouirai mieux de votre confusion.
DORANTE.
Nous allons voir : (il lit.) Que de
joie, mon cher Dorante !
SOPHIE.
Mon cher Dorante,
l'expression est galante vraiment.
DORANTE.
Que j'ai de joie, mon cher Dorante, de pouvoir terminer vos peines.
[70] SOPHIE.
Oh! je n'en doute pas, vous avez tant
d'humanité!
DORANTE.
Vous voilà délivré des fers où vous
languissiez....
SOPHIE.
Je ne languirai pas dans les vôtres.
DORANTE.
Hâtez - vous de venir me rejoindre . . . .
SOPHIE.
Cela s'appelle être pressée!
DORANTE.
Je brûle de vous embrayer ....
SOPHIE.
Rien n'est si commode que de déclarer
franchement ses besoins.
DORANTE.
Vous êtes échangé contre un jeune Officier
qui s'en retourne actuellement où vous êtes.
SOPHIE.
Mais je n'y comprends plus rien.
DORANTE.
Blessé dangereusement, il sut fait
prisonnier dans une affaire où je me trouvai ....
[71] SOPHIE.
Une affaire où se trouva Mlle. Claire !
DORANTE.
Qui vous parle de Mlle. Claire?
SOPHIE.
Quoi ! cette lettre n'est pas d'elle?
DORANTE.
Non vraiment; elle est de mon pere, & Mlle. Claire n'a servi que de moyen pour me la
faire parvenir ; voyez la date & le seing.
SOPHIE.
Ah ! je respire.
DORANTE.
Ecoutez le reste.; ( il lit.) A force de
secours & de soins j'ai eu le bonheur de lui sauver la vie; je lui ai
trouvé tant de reconnoissance , que je ne puis trop
me féliciter des services que je lui ai rendus. J'espere
qu'en le voyant vous partagerez mon amitié pour lui, & que vous le lui
témoignerez.
SOPHIE, à part.
L'histoire de ce jeune officier a tant de
rapport avec.... ah ! si c'étoit lui ....tous mes
doutes seront éclaircis ce soir.
DORANTE.
Belle Sophie, vous voyez votre erreur. Mais de
quoi me sert que vous connoissiez l'injustice de vos
soupçons , en serai-je mieux récompensé de ma fidélité?
[72] SOPHIE.
Je voudrois
inutilement vous déguiser encore le secret de mon coeur;
il a trop éclaté avec mon dépit; vous voyez combien je vous aime , & vous.
devez mesurer le prix de cet aveu sur les peines qu'il m'a coûté.
DORANTE.
Aveu charmant ! pourquoi faut-il que des momens si doux soient mêlés d'alarmes, & que le jour où
vous partagez mes feux soit celui qui les rend le plus à plaindre ?
SOPHIE.
Ils peuvent encore l'être moins que vous ne
pensez. L'amour perd - il si - tôt courage, & quand on aime assez pour tout
entreprendre, manque - t - on de ressources pour être heureux ?
DORANTE.
Adorable Sophie! quels transports vous me
causez! quoi, vos bontés ! .... je pourrois....ah !
cruelle! vous promettez plus que vous ne voulez tenir !
SOPHIE.
Moi je ne promets rien. Quelle est la vivacité
de votre imagination ? J'ai peur que nous ne nous entendions pas.
DORANTE.
Comment ?
SOPHIE.
Le triste hymen que je crains n'est point
tellement conclu[73] que je ne puisse me flatter d'obtenir du moins un délai de
mon pere; prolongez votre séjour ici jusqu'à ce que
la paix , ou des circonstances plus favorables ayent
dissipé les préjugés qui vous le rendent contraire.
DORANTE.
Vous voyez l'empressement avec lequel on me
rappelle: puis-je trop me hâter d'aller réparer l'oisiveté de mon esclavage ?
Ah ! s'il faut que l'amour me fasse négliger le soin de ma réputation, doit-ce
être sur des espérances aussi douteuses que celles dont vous me flattez? Que la
certitude de mon bonheur serve du moins à rendre ma faute excusable. Consentez
que des noeuds secrets .....
SOPHIE.
Qu'osez - vous me proposer? Un cour bien
amoureux ménage - t - il si peu la gloire de ce qu'il aime ? vous m'offensez
vivement.
DORANTE.
J'ai prévu votre réponse, & vous avez dicté
la mienne. Forcé d'être malheureux ou coupable, c'est l'excès de mon amour qui
me fait sacrifier mon bonheur à mon devoir, puisque ce n'est qu'en vous perdant
que je puis me rendre digne de vous posséder.
SOPHIE.
Ah ! qu'il est aisé d'étaler de belles maximes
quand le coeur les combat foiblement!
Parmi tant de devoirs à remplir, ceux de l'amour sont-ils donc comptés pour
rien, & n'est - ce que [74]la vanité de me coûter des regrets qui vous a
fait desirer tendresse ?
DORANTE.
J'attendois de la
pitié & je reçois des reproches ; vous n’avez, hélas ! que trop de pouvoir
sur ma vertu, il faut fuir pour ne pas succomber. Aimable Sophie, trop digne
d'un plus beau climat , daignez recevoir les adieux d'un amant qui ne vivroit qu'à vos pieds, s'il pouvoir- conserver votre
estime en immolant la gloire à l'amour.
Il l'embrasse.
SOPHIE.
Ah ! que faites -vous?
SCENE XII.
MACKER, FREDERICH,
GOTERNITZ, DORANTE, SOPHIE.
MACKER.
Oh! oh! notre future, tubleu
! comme vous y allez! c'est donc avec Monsieur que vous accordez pour la noce.
Je lui suis obligé, ma foi; eh bien beau-pere, que
dites - vous de votre progéniture? Oh ! je voudrois
parbleu que nous en eussions vu quatre fois davantage, seulement pour lui
apprendre à n'être pas si confiant.
[75] GOTERNITZ.
Sophie pourriez - vous m'expliquer ce que
veulent dire ces étranges façons?
DORANTE.
L'explication est toute simple, je viens de
recevoir avis que je suis échangé, & là-dessus je prenois
congé de Mlle. qui aussi bien que vous, Monsieur, a eu pendant mon séjour ici
beaucoup de bontés pour moi.
MACKER.
Oui des bontés, oh! cela s'entend.
GOTERNITZ.
Ma foi, seigneur Macker,
je ne vois pas qu'il y ait tant à se récrier pour une simple cérémonie de
compliment.
MACKER.
Je n'aime point tous ces complimens
à la Françoise.
FREDERICH.
Soit, mais comme ma soeur
n'est point encore votre femme, il me semble que les vôtres ne sont gueres propres à lui donner envie de la devenir.
MACKER.
Eh corbleu ! Monsieur, si votre séjour de France vous a appris à
applaudir à toutes les sottises des femmes, apprenez que les flatteries de Jean
Matthias Macker ne nourriront jamais leur orgueil.
[76] FREDERICH.
Pour cela je le crois.
DORANTE.
Je vous avouerai, Monsieur, qu'également épris
des charmes & du mérite de votre adorable fille, j'aurois
fait ma félicité suprême d'unir mon sort au sien , si les cruels préjugés qui
vous ont été inspirés contre ma nation, n'eussent mis un obstacle invincible au
bonheur de ma vie.
FREDERICH.
Mon pere, c'est-là
sans doute un de vos prisonniers ?
GOTERNITZ.
C'est cet officier pour lequel vous avez été
échangé.
FREDERICH.
Quoi, Dorante !
GOTERNITZ.
Lui - même.
FREDERICH.
Ah ! quelle joie pour moi de pouvoir embrasser
le fils de mon bienfaiteur.
SOPHIE, joyeuse.
C'étoit mon frere, & je l'ai deviné.
FREDERICH.
Oui, Monsieur, redevable de la vie à Monsieur
votre pere, qu'il me seroit
doux de vous marquer ma reconnoissance & [77] mon
attachement par quelque preuve digne des services que j’ai reçus de lui.
DORANTE.
Si mon pere a été
assez heureux pour s'acquitter envers un cavalier de votre mérite des devoirs
de l'humanité , il doit plus s'en féliciter que vous-même; cependant, Monsieur,
vous connoissez mes sentimens
pour Mademoiselle votre soeur , si vous daignez
protéger mes feux, vous acquitterez au -delà de vos obligations; rendre un honnête homme heureux c'est
plus que de lui sauver la vie.
FREDERICH.
Mon pere partage mes
obligations , & j'espere bien que partageant
aussi ma reconnoissance, il ne sera pas moins ardent
que moi à vous la témoigner.
MACKER.
Mais il me semble que je joue ici un assez joli
personnage.
GOTERNITZ.
J'avoue, mon fils, que j'avois
cru voir en Monsieur quelqu'inclination pour votre soeur; mais pour prévenir la déclaration qu'il m'en auroit pu faire, j'ai si bien manifesté en toute occasion
l'antipathie & l'éloignement qui séparoit notre
nation de la sienne, qu'il s'étoit épargné jusqu'ici
des démarches inutiles, de la part d'un ennemi avec qui, quelque obligation que
je lui aye d'ailleurs, je ne puis ni ne dois établir
aucune liaison.
MACKER.
Sans doute, & c'est un crime de leze-majesté Mademoiselle [78] de vouloir aussi
s'approprier ainsi les prisonniers de la Reine.
GOTERNITZ.
Enfin je tiens que c'est une nation avec
laquelle il est mieux de toute façon de n'avoir aucun commerce; trop
orgueilleux amis, trop redoutables ennemis, heureux qui, n'a rien à démêler
avec eux!
FREDERICH.
Ah ! quittez, mon pere,
ces injustes préjugés. Que n'avez vous connu cet aimable peuple que vous
haïssez, & qui n'auroit peut-être aucun défaut
s'il avoit moins de vertus. Je l'ai vue de près cette
heureuse &brillante nation, je l'ai vue paisible au milieu de la guerre,
cultivant les Sciences & les Beaux Arts, & livrée à cette charmante
douceur de
caractere qui en tout tans lui fait recevoir également bien tous les
peuples du monde, & rend la France en quelque manière la patrie commune du
genre-humain. Tous les hommes sont les freres des
François. La guerre anime leur valeur sans exciter leur colere.
Une brutale fureur ne leur fait point
haïr leurs ennemis , un sot orgueil ne les leur fait point mépriser. Ils les
combattent noblement, sans calomnier leur conduite , sans outrager leur gloire,
& tandis que nous leur saisons la guerre en furieux ils se contentent de
nous la faire en héros.
GOTERNITZ.
Pour cela on ne sauroit
nier qu'ils ne se montrent plus humains & plus généreux que nous.
[79] FREDERICH.
Eh ! comment ne le seroient-ils
pas sous un maître dont la bonté égale le courage. Si ses triomphes le sont
craindre, ses vertus doivent-elles moins le faire admirer? Conquérant
redoutable, il semble à la tête de ses armées un pere
tendre au milieu de sa famille ; & forcé de dompter l'orgueil de ses
ennemis, il ne les soumet que pour augmenter le nombre de ses enfans.
GOTERNITZ.
Oui, mais avec toute sa bravoure, non content
de subjuguer les ennemis par la force, ce prince croit-il qu'il soit bien beau
d'employer encore l'artifice & de séduire comme il fait, les coeurs des étrangers & de ses prisonniers de guerre?
MACKER.
Fi! que cela est laid de débaucher ainsi les
sujets d'autrui. Oh bien ! puisqu'il s'y prend comme cela, je suis d'avis qu'on
punisse sévérement tous ceux des nôtres qui s'avisent
d'en dire du bien.
FREDERICH.
Il faudra donc châtier tous vos guerriers qui
tomberont dans ses fers; & je prévois que ce ne sera pas une petite tâche.
DORANTE.
Oh! mon prince ! qu'il m'est doux d'entendre
les louanges que ta vertu arrache de la bouche de tes ennemis; voilà les seuls
éloges dignes de toi.
GOTERNITZ.
Non, le titre d'ennemis ne doit point nous
empêcher de [80] rendre justice au mérite. J'avoue même que le commerce de nos
prisonniers m'a bien fait changer d'opinion sur le compte de leur nation ; mais
considérez , mon fils, que ma parole est engagée, que je me serois
une méchante affaire de consentir à
une alliance contraire à nos usages & à nos
préjugés , & que pour tout dire enfin, une femme n'est jamais assez en
droit de compter sur le coeur d'un François , pour
que nous puissions nous assurer du bonheur de votre soeur
en l'unissant à Dorante.
DORANTE.
Je crois , Monsieur, que vous voulez bien que
je triomphe, puisque vous m'attaquez par le côté le plus fort. Ce n'est point
en moi-même que j'ai besoin de chercher des motifs pour rassurer l'aimable
Sophie sur mon inconstance , ce sont ses charmes & son mérite, qui seuls me
les fournissent; qu'importe en quels climats elle vive , son regne sera toujours par-tout où l'on a des yeux & des coeurs.
FREDERICH.
Entends-tu , ma soeur
; cela veut dire que si jamais il devient infidele tu
trouveras dans son pays tout ce qu'il faut pour t'en dédommager.
SOPHIE.
Votre tans sera mieux employé à plaider sa
cause auprès de mon pere, qu'à m'interpréter ses sentimens.
GOTERNITZ.
Vous voyez, seigneur Macker,
qu'ils sont tous réunis contre nous ; nous aurons à faire à trop forte partie,
ne ferions-nous pas mieux de céder de bonne grace?
[81] MACKER.
Qu'est-ce que cela veut dire ? manque-t-on
ainsi de parole à un homme comme moi?
FREDERICH.
Oui, cela se peut faire par préférence.
GOTERNITZ.
Obtenez le consentement de ma fille, je ne
rétracte point le mien; mais je ne vous ai pas, promis de la contraindre ;
d’ailleurs, à vous parler vrai, je ne vois plus pour vous, ni pour elle, les
mêmes agrémens dans ce mariage. Vous avez conçu sur
le compte de Dorante des ombrages qui pourroient devenir entr'elle
& vous une source d'aigreurs réciproques. Il est trop difficile de vivre
paisiblement avec une femme dont on soupçonne le coeur
d'être engagé ailleurs.
MACKER.
Ouais! vous le prenez sur ce ton? oh , tetebleu je vous ferai voir qu'on ne se moque pas ainsi des
gens ! je m'en vais tout-à-l'heure porter ma plainte
contre qui & contre vous; nous apprendrons un peu à ces beaux Messieurs à
venir nous enlever nos maîtresses dans notre propre pays ; & si je ne puis
me venger autrement , j'aurai du moins le plaisir de dire par-tout pis que
pendre de vous & des François.
[82] SCENE DERNIERE.
GOTERNITZ,
DORANTE, FREDERICH , SOPHIE.
GOTERNITZ.
Laissons-le s'exhaler en vains murmures ; en
unissant Sophie à Dorante je satisfais en même tans ,
à la tendresse paternelle & à la reconnoissance ;
avec des sentimens si légitimes je ne crains la
critique de personne.
DORANTE.
Ah ! Monsieur ! quels transports !....
FREDERICH.
Mon pere , il nous
reste encore le plus fort à faire. Il s’agit d'obtenir le consentement de ma soeur, & je vois là de grandes difficultés ; épouser Dorante , & aller en France ! Sophie ne s'y résoudra
jamais.
GOTERNITZ.
Comment donc ! Dorante
ne seroit-il pas de son goût ? en ce cas, je la soupçonnerois fort d'en avoir changé.
FREDERICH.
Ne voyez-vous pas les menaces qu'elle me fait
pour lui avoir enlevé le seigneur Jean Matthias Macker.
GOTERNITZ.
Elle n'ignore pas combien les François sont
aimables.
[83] FREDERICH.
Non; mais elle fait que les Françoises
le sont encore plus, & voilà ce qui l’épouvante.
SOPHIE.
Point du tout. Car je tâcherai de le devenir
avec elles , & tant que je plairai à Dorante je
m'estimerai la plus glorieuse de toutes les femmes.
DORANTE.
Ah! Vous le serez éternellement belle Sophie!
Vous êtes pour moi le prix de ce qu'il y a de plus estimable parmi les hommes.
C'est à la vertu de mon pere , au mérite de ma
nation, à la gloire de mon Roi que je dois le bonheur dont je vais jouir avec vous;
on ne peut être heureux sous de plus beaux auspices.
FIN.