Réédition
: Arsène HOUSSAYE, “Les Charmettes”, La
Presse, 22, 23 et 24 janvier 1863.
Les Charmettes.
I
Les
Charmettes, 15 janvier.
A Venise, j’avais entrevu Jean-Jacques dans
la gondole de la Padoana; je voulus le voir aux Charmettes.
Il neigeait à Venise, il neigeait à Milan,
il neigeait à Turin. Le Mont Cenis était une avalanche. Je le traversai en
traîneau avec des bottes de sept lieues, mais je faillis y rester. Un
ambassadeur, surpris par la tourmente, y avait été emprisonné deux jours et
deux nuits entre quetre murailles de neige. Ce ne fut donc pas dans le beau
triomphe du mois de mai, dont parle Mme de Sévigné, que j’arrivais aux
Charmettes. Mais les Charmettes ont leur beauté les jours d’hiver comme les
jours de printemps; on y cueille le perce-neige avant la pervenche.
Les Charmettes ont été le Paradis retrouvé,
le Paradis reperdu de Jean-Jacques: “Depuis que je me suis, malgré moi, jeté
dans le monde, je n’ai pas cessé de regretter mes chères Charmettes”. Un autre
Jean-Jacques en jupons, George Sand, pour appeler le génie par son nom, s’est
écriée, dans un jour de poésie: “Qui de nous n’a pas vécu en imagination aux
Charmettes, les plus beaux jours de sa jeunesse?”
Oui, tout le monde a ses Charmettes
imaginaires; mais je voulais voir les vraies Charmettes.
Les Charmettes sont à la porte de Chambéry.
L’hôtelier me réveilla en me disant d’un air joyeux que le soleil serait du
pèlerinage.
Un phaéton invraisemblable m’attendait à la
porte. “Je croyais qu’il n’y avait qu’un pas, dis-je à l’hôtelier, qui m’avait
montré la colline par-dessus les toits. — Oh! monsieur, on n’y va jamais à
pied. D’ailleurs, ce cheval, que vous voyez là, connaît la maison. Il vous y
conduira tout droit; il y va tous les jours de sa vie; il mourra de chagrin le
jour où il n’ira plus.
Je me résignai à monter dans le phaéton,
qui suivit une de ces belles avenues de platanes qui décorent Chambéry. On se
trouva bientôt dans la rue du Bocage. Dès le début, tout est poétique. Voici un
ruisseau qui gazouille dans la neige et les glaçons. Ce ruisseau s’appelle l’Albane. Combien de fois Jean-Jacques
s’est couché dans l’herbe pour boire l’eau à la source! L’Albane n’est pas
précisément le ruisseau bien appris qui murmure joliment le glouglou de Mme Deshoulières; c’est tour à tour un
torrent impétueux qui jaillit sur les rochers et une fontaine paresseuse qui
roule son flot voluptueux sur un lit de fleurs.
Le cheval n’avait pas fait cent pas, que
l’automédon me dit que, les jours de neige, de givre, de gelée et de verglas,
Phébus n’allait pas plus loin.
Je montai la montagne, déjà tout au
souvenir de Mme
de Warens. Je ne pouvais pas attendre comme elle que les neiges fussent
fondues. “A peine les neiges commençaient à fondre, que nous quittâmes notre
cachot de Chambéry, et nous fûmes assez tôt aux Charmettes pour y avoir les
prémisses du rossignol”.
Pour moi, je n’eus pas les prémisses du
rossignol. Une belle volée de corbeaux battait des ailes sur la colline. le
chemin si touffu l’été n’était décoré que de troncs gigantesques de
marronniers, qui presque tous, ont vu souvent passer jean-Jacques. au bout de
dix minutes, me croyant bien loin encore de la maison de Mme de Warens, les yeux égarés sur quelques
villas, je pensai à cette retraite idéale que rêvait plus tard Rousseau. “Je
n’irais pas me bâtir une ville en campagne et mettre au fond d’une province les
Tuileries devant mon appartement. sur le penchant de quelque agréable colline
bien ombragée, j’aurais une petite maison rustique, une maison blanche aux
contrevents verts”.
Cette rustique retraite que peignait
Jean-Jacques il y a un siècle, je la voyais m’apparaître en pierre et en
ardoise au milieu de svignes et des vergers, sous les grands arbres tapissés de
glycines et d’églantiers.
Dans son rêve, Rousseau n’avait fait que se
souvenir. La maison blanche aux contrevents verts, il l’avait habitée; c’était
celle que je voyais depuis un instant. “Là, à mi-côte, sont quelques maisons
éparses, fort agréables pour quiconque aime un asile un peu sauvage et retiré”.
C’était en 1736. Depuis plus d’un siècle,
la maison est restée là toute souriante encore, même par l’hiver, comme si elle
attendait aux neiges fondantes ses bienheureux hôtes. “Au devant, un jardin en
terrasse; une vigne au-dessus, un verger au-dessous; vis-à-vis, un petit bois
de châtaigniers; plus haut, dans la montagne, des prés pour l’entretien du
bétail; enfin tout ce qu’il fallait pour le petit ménage champêtre”. Sans
oublier la poétique fontaine. oui, tout est là, qui les attend encore. Mais nous n’irons plus au bois, les lauriers sont
coupés. L’an passé, une hache sacrilège a détruit le bois de châtaigniers.
Quand ils y vinrent la première fois
l’écolier de Genève et la belle aventureuse de Vevay, ils étaient maîtres du
monde. Jean-Jacques embrassait Mme de Warens “en l’inondant de larmes
d’attendrissement et de joie.” — “Ce séjour est celui du bonheur et de
l’innocence.” — A quoi bon souligner ces derniers mots? Passons vite. — Si nous
ne les trouvons pas ici, il ne faut les chercher nulle part:
Hoc
erat in votis: modus agri non ita magnus,
Hortus
ubi, et tecte vicinus fugis aquæ fons,
Et
paulum sylvæ super his foret...
Cependant, je m’étais arrêté sans bien
savoir si je ne me trompais pas. une vieille fermière, presque centenaire, —
car tout se conserve aux Charmettes, — vint à moi et me demanda si je voulais
entrer. C’était la jardinière des Charmettes, non pas tout à fait la femme de
Claude anet, mais peu s’en faut. Elle garde religieusement le costume
traditionnel. J’étais tout au siècle passé et la bonne femme ne me ramena pas
au siècle présent.
La maison est à deux pas du chemin. Je
remarquai en passant l’ancienne chapelle, un vrai colombier. Jean-Jacques aimait
l’autel de la nature. Pour moi, si je loge Dieu quelque part, je veux que Dieu
soit bien logé. Je le vois mieux à la basilique de Saint-Marc ou à Notre Dame
de Paris, dans quelque merveille architecturale que dans une chapelle
construite avec un peu de boue par quelque maçon sans art et sans foi.
J’étais déjà sur la terrasse. Je franchis
le seuil de la porte avec émotion. C’est le même seuil, c’est la même porte.
Voilà le vestibule. Voilà l’escalier de pierre. Mais je ne monte pas encore,
parce que la jardinière m’appelle dans la salle à manger.
C’est une pièce assez haute qui s’ouvre sur
la terrasse par deux fenêtres. Les murs sont recouverts d’anciennes fresques
représentants des colonnes carrées. les solives du plafond sont peintes en
gris. Le buste de Jean-Jacques et celui de Voltaire sont là vis-à-vis l’un de
l’autre qui se regardent comme deux chiens de faïence. A Ferney, on trouve
aussi Voltaire et Jean-Jacques. Ils ne se font pas meilleure figure. Au
Panthéon, leurs tombeaux se touchent. On aura beau faire pour les réconcilier.
Pourquoi les condamner à ce tête-à-tête éternel?
Mais voici deux figures qui sont mieux
faites pour s’entendre et qu’on a mises face à face. A droite, dans ce vieux
cadre vermoulue, reconnaissez-vous Mme de Warens, métamorphosée en Omphale avec
un Hercule qui file à ses pieds? Cet Hercule est-ce Jean-Jacques ou Claude
Anet? Ce n’est ni l’un ni l’autre. C’est le hasard qui a fait de ce tableau le
portrait de Mme
de Warens. Un de ses amis le lui apporta un jour en lui disant: — Vous
reconnaissez-vous? — C’était une toile déjà ancienne dans la manière du Ricci,
achetée à Turin et offerte à la belle baronne.
J’en dirai autant d’une toile plus petite
représentant Armide et Renaud, peinte à l’école du Castiglione. C’est encore,
d’un peu loin, le portrait de Mme de Warens, mais toujours par rencontre.
Rousseau n’est pas plus le renaud avec sa cuirasse dégrafée par des Amours
qu’il n’a été l’Hercule avec la quenouille soulevée par Cupidon. Dans ces deux
portraits, Mme
de Warens est à peu près telle que la peint Rousseau, le meilleur des trois
peintres, le plus ému, le plus coloré, le plus voluptueux; car Rousseau a
répandu sur son portrait ce duvet de pêche et cette fleur de volupté qu’il
buvait à pleines lèvres sur les joues de Mme de Warens.
Mais pourquoi avoir mis en face de Mme de Warens en Omphale et en Armide cet
abominable portrait du Jean-Jacques de la rue Plâtrière, quand il ne buvait
plus que les ivresses d’antichambre et de cuisine que lui servait Thérèse Levasseur?
Et encore, si ce portrait n’était pas si mal peint! On ne trouverait pas un
peintre d’enseignes qui ne refusât de le signer1
.
La jardinière trouva que je m’attardais
trop aux tableaux. Ses vaches mugissaient à l’étable, son coq la suivait avec
inquiétude. Elle m’appela dans le salon, en me criant: “Voilà la montre de M.
Rouseau!” Et elle me présenta une grosse machine du temps de Louis XIV, qui ne
marquait plus l’heure depuis plus d’un siècle. Il y a Jean Rousseau sur la
cadran; c’est sans doute un objet d’art travaillé par un des aïeux de
Jean-Jacques et apporté depuis au musée des Charmettes où j’imagine
Jean-Jacques n’avait pas laissé de montre. Quoi qu’il en soit, une lettre est
là de sir William *** qui offre cent livres de ce bijou.
Le clavecin que j’avais aperçu en rentrant
m’attirait plus que la montre. pour celui-là, il est authentique. Il a bien sa
date, son caractère, sa physionomie. J’y voyais Rousseau “en pet-en-l’air
ouaté”, cherchant la musique de l’avenir et ne trouvant que le Devin du Village.
Je me suis approché, et pour plus
d’illusion, j’ai voulu jouer: Je l’ai
planté, je l’ai vu naître, mais, hélas! je suis tombé dans la cacophonie
familière à Jean-Jacques. Les morts réveillés à la trompette du jugement
dernier n’auront pas, j’imagine, ces voix de l’autre monde. D’ailleurs, outre
les touches enrouées, quatre n’existent plus du tout. Des Anglaises
sentimentales, qui avaient lu la Nouvelle
Héloïse, ont emporté tous les fa
dièze. Aussi, la jardinière, habituée aux larcins, me suivait des yeux avec
inquiétude. Elle m’expliqua que les visiteurs lui donnaient beaucoup de fil à
retordre. Elle me raconta toutes leurs malices pour emporter les reliques du
grand homme. — Figurez-vous, monsieur, me dit-elle avec indignation, que ces enragés-là
ont emporté le lit de M. Rousseau. — Dans leur poche? — Oui, monsieur. — Le
lit? — C’est à dire que c’était une chaise longue; ils l’ont démolie et
déchiquetée. Il n’en reste plus un morceau.
Un moraliste ne manquerait pas de remarquer
ici que l’esprit du démon a tout perverti. Les pèlerins qui pleurent
d’attendrissement à la lecture des Confessions,
trouvent trop simple d’emporter une fleur des Charmettes, “ce séjour du bonheur
et de l’innocence”, c’est au lit qu’ils s’attaquent.
Et pourtant, combien de fleurs dans toutes
les saisons! L’aubépine et la violette, le perce-neige et la pervenche! Et la
rose des jardins! et la rose des sentiers! et ces branches d’arbres ou
d’arbustes toutes chargées de neiges et de pourpre! et les véroniques, ces fleurs
aimées de la Savoie! Le dernier propriétaire des Charmettes, un savant
professeur de mathématiques2
, qui fut le conservateur honoraire de ce musée
d’un souverain, s’écriait poétiquement: “Quel dommage que Mme de Warens,
dans son premier voyage aux Charmettes, n’ait pas arrêté se sregards non loin
de la fameuse Pervenche, sur les charmantes véroniques dont le bord du chemin
est émaillé. Elles enchantent l’œil par leur forme ténue et élégante, mais
surtout par le bleu tendre et fin de leurs pétales symétriques. Ces véroniques
sont une merveilleuse harmonie dans l’épaisse verdure à côté de la corolle
purpurine du petit géranium des bois”.
Mais Mme de Warens, qui s’était arrêtée pour une
pervenche:
La pervenche, oeil des bois, que
le buisson protège!
ne
s’était pas arrêtée pour une véronique.
Si on retrouve Rousseau au rez-de-chaussée,
on ne le retrouve guère au premier. Quand on arrive sur le palier, à la vue de
la porte de sa chambre qui a encore la chattière, la serrurerie et la peinture
du temps, le cour va battre; mais dès qu’on entre, on sent “que les oiseaux
sont envolés et que le vent a emporté le nid”. D’autres existences ont passé
par-là qui, peu à peu, ont fait envoler pour jamais les ombres solitaires qui
aimaient tant à y revenir.
Mais ne les retrouve-t-on pas à chaque pas,
dans le jardin, dans le verger, dans la vigne, ici devant ce rosier, là devant
cette vieille quenouille, plus loin sous ce berceau où le chèvrefeuille et la
clématite s’enlacent aux ceps capricieux? Quelle moisson de souvenirs à travers
ces champs où l’éternelle Nature, surprise un jour par le poète, continue son
poème des fleurs et des fruits!
Oui, ils sont bien là tous les deux. Je
revenais de Venise, où j’avais vu peindre encore Titien et Véronèse, tant Venise
est toujours Venise. Le temps, qui détruit tout si vite, qui depuis un siècle a
presque détruit tout le passé, a oublié Venise et les Charmettes. On dirait des
deux côtés le château de la Belle-au-Bois-Dormant.
Mais le poétique Hérault de Séchelles va
nous réveiller. Commissaire de la Convention à Chambéry, il a fait inscrire sur
une plaque de marbre, scellée sur la façade de la maison, ces vers de Mme d’Epinay, — ou de Hérault de Séchelles:
Réduit par Jean-Jacques habité,
Tu me rappeles son génie,
Ta solitude, sa fierté
Et ses malheurs et sa folie.
A la gloire, à la vérité
Il osa consacrer sa vie,
Et fut toujours persécuté
Ou par lui-même ou par l’envie.
Après le départ de Mme de Warens, les Charmettes étaient
devenues la propriété d’un chanoine de la cathédrale de Chambéry, qui ne
professait pas tout à fait les opinions de Rousseau en matière de religion. Les
Confessions avaient paru. Déjà
commençait le pèlerinage aux Charmettes. Le chanoine laissa faire d’abord, mais
bientôt, fatigué des hymnes à la philosophie qu’on chantait dans sa maison, il
ferma sa porte; bien plus, il exorcisa le démon du philosophe qui revenait
toutes les nuits.
Un crêpe de deuil, un linceul de mort
s’étaient étendus sur les Charmettes. Adieu panier, les vendanges sont faites!
Il y a encore des paniers, il y a encore des vendanges; mais où sont les mains
amoureuses et les lèvres brûlantes? Jean-Jacques n’est plus là pour se
barbouiller à la même grappe mordue avec Mme de Warens!
Un jour enfin — il ne fallut rien moins que
la Révolution — les habitants de Chambéry, qui commençaient à aimer le
Jean-Jacques des Charmettes par le philosophe de Genève, mirent le chanoine à
la porte pour rendre un culte à la religion du Contrat social, mais surtout à la religion de l’amour.
II
Pour l’histoire intime de l’art et de la
littérature, on n’a pas assez consulté les archives notariales. Les romanciers
eux-mêmes ne se doutent pas des trésors ensevelis dans les feuilles de papier
timbré. Que de traits de lumière! que d’échappées! que d’horizons vers le
passé! La vie privée est là. Les murailles qui la protégeaient tombent devant
nous. Le secret des affaires, qui est souvent le secret du cœur, a brisé son
cachet. Le notaire à qui l’on confessait sa maison, comme un prêtre son cœur,
n’a rien dévoilé pendant qu’il vivait. Mais tous ces parchemins vieillis
appartiennent à l’histoire après deux ou trois générations.
N’est-il pas curieux aujourd’hui d’entrer
dans l’étude d’un notaire de Chambéry pour y rechercher Jean-Jacques et Mme de Warens? Nous allons les trouver, non
pas dans un contrat de mariage, — ce qui eût peut-être fait leur bonheur, mais
ce qui eût privé la France d’un homme de génie, — nous allons les trouver dans
le bail des Charmettes.
Mme de Warens comme fermière, Jean-Jacques
comme témoin.
Je m’imaginais que les Charmettes avaient
appartenu à Mme
de Warens, qui n’en a jamais été la fermière; bien mieux, comme vous allez voir
en lisant le bail, les bêtes: bœufs, vaches, porcs, chèvres et jusqu’aux
poules, toute la république de la basse-cour, étaient à M. Noeray.
Mais ce qui était bien la propriété de
Jean-Jacques et de Mme de Warens, c’étaient les abeilles et les pigeons, c’était
l’admirable paysage qui se déployait en mille tableaux variés sous les fenètres
des Charmettes; c’était ces merveilleux levers du soleil que le futur
philosophe, poète sans le savoir, voyait du haut des vignes; c’étaient les
moissons d’or et les vendanges de pourpre qui mûrissaient sous leur travail;
c’était tout d’ailleurs, puisque moyennant 220 livres, ils étaient maîtres
absolus dans toute l’étendue de leur royaume, trois fois grand comme celui de
Platon à Colonne.
Voici le bail passé par noble Claude Noerey
à dame Louise-Eléonore Delatour, Baronne de Warens:
L’an mil sept trente
huit et le sixième jour du mois de juillet à Chambéry dans la maison du signeur
comte de St Laurent où habite dame Françoise Louise Eléonore de Latour baronne
de Warens par devant moy note collégié soussigné et
en présence des témoins sous-nommés s’est étably et constitué noble Claude
François fils de feu noble Célius Noerey capitaine grenadier dans le régiment
de Tharantaise natif et habitant de cette ville lequel de gré pour luy et les
siens a ascensé ainsy que par le présent il ascense à la ditte dame Françoise
Louise Eléonore de Latour baronne de Warens native de Vevay habitante en la
présente ville cy présente et acceptante, les biens appartenant au dit noble
Claude François Noerey situés aux Charmettes et à Montagnole consistant en
maison, granges, prés, verger, terres, vignes et généralement en quoy qu’ils
consistent et puissent consister sans s’y rien réserver et tels que les a tenu
cy devant Me Pierre Renaud, procureur au sénat par contrat
d’ascensement du huict may mil sept cent trente sept reçu par Me Falquet note, dont les confins sont
icy tenus pour exprimés et c’est pendant le terme de neuf années neuf prises entières perceüs et recueilles à
commencer par prise de la présente année qui a été remise toute entière à la
ditte dame, et à finir au dernier juin de l’année révolue du dit ascensement
passé sous les conditions cy après, scavoir qu’il sera pris acte d’état de la
maison et autres batiments en bon père de famille, d’avoir soin de faire
cultiver les dits biens aussy en bon père de famille sans y laisser introduire
aucune servitude, que la ditte dame payera les servis des dits biens au seignr des fiefs de qui les
biens dépendent, et en rapportera quittance au dit sieur ascensateur à la fin
de chaque année; étant convenu en outre que si pendant la durée du présent les
dits biens ou quelqu’uns d’iceux dépendant du dit ascensement viennent à être
mis à la taille ensuite de la péréquation générale, les dites tailles seront à
la charge du dit ascensateur, ayant aussy été convenu que si la de de Warens fait quelques
réparations dans les dits biens elles resteront acquises au dit ascensateur.
Sera tenue la de de Warens de rendre à la fin du présent
la somme de cent septante quatre livres onze sols huict deniers pour le chadal
de deux bœufs et des vaches qui lui ont été remis par le dit Me Renaud, outre dix
brebis, sept poules et un coq qui lui ont été de même remis par le dit Me Renaud et de laisser
cinq veisseaux de froment, cinq de seigle, cinq d’orge et trois quartans de
fèves à la fin du présent ensemencés dans les dits biens attendu que la même
quantité de bled lui a été remis ensemencé; bien entendu cependant que le droit
solonique soit le moitié des grains qui proviennent des dits grains qui doivent
être laissés à la fin du présent appartiendra à la ditte dame de Warens soit à
ceux qui auront le droit d’elle de la ditte quantité de semences cy dessus
préalablement prélévée, et c’est en achevant par la ditte dame la culture des
dits biens. Sera aussy tenue la ditted ame de laisser les vignes dépendantes
des dits biens, deüment cultivées comme elle les a trouvées au mois de juin
dernier; sera aussy tenue la dite dame de rendre à la fin du présent un
charriot estoimé vingt livres, une charrue, une herse, et un berroton, le tout
fort usé et presque hors de service, et rendra aussy à la fin du présent six
quartans de bled noir qui lui ont été remis. Et concernant les meubles qui sont
dans la maison du dit sr ascensateur il en sera pris un mémoire
entre les parties par elle signé qui fera corps du présent. Et au moyen de tout
ce que dessus la de dame de Warens promet bien payer la
dépense de deux cent vingt livres annuellement au terme cy devant exprimé, à
peine de tous dépens, dommages intérêts à l’obligation de tous ses biens
présents et àvenirs qu’elle se constitue tenir et le dit sr Noerey promet faire
jouir la ditte dame des dits bien ascensés pendant la durée du présent aux
mêmes peines et obligations de biens que cy devant. Ainsy convenu entre les
parties qui ont promis observer le contenu au présent chacune enc e qui la
concerne et de ne venir au contraire directement ni indirectement en jugement
ny dehors aux mêmes peines et obligations que cy devant. Passé sous et avec
toutes autres deües promissions, soumissions, renonciations et clauses
requises. Fait et prononcé au lieu que dessus en présence du sieur Philibert
Falquet, secrétaire de l’intendance générale de Savoye bourgeois de Chambéry et
du sieur Jean Jacques Rousseau habitant en la présente ville témoins requis qui
ont signé avec le dit noble Noerey et la ditte dame de Warens sur la minute qui
contient quatre pages et trois quarts d’autre sur trois feuillets.
Insinué au bureau du tabellion de Chambéry au fol. 583 du 2e livre d 1738 suivant
quittance de sr Charroct insinuateur du 8 juilet 1738.
Rivoire,
note.
220 livres pour toute une maison meublée,
pour toute une petite ferme avec bœufs, vaches, moutons, poules et coq, pour
une grande vigne où l’on récoltait, où l’on récolte encore aujourd’hui deux à
trois mille bouteilles d’un vin digne de renommée. Je ne parle pas par ouï
dire: j’en ai bu presqu’une bouteille à mon déjeuner.
Le bail résout-il une question souvent
posée? Comment, disent les sceptiques, voulez-vous voir les meubles de Mme de Warens aux Charmettes, puisqu’elle a
quitté les Charmettes treize ans avant sa mort? Les meubles n’étant pas à Mme de Warens, elle les a tout naturellement
laissés à la maison, n’emportant que ses hardes un peu frippées et ses rares
bijoux.
Sur une petite table à jeu en noyer, dont
les incrustations en ébène et en bois de rose représentent un damier, — une
table qui est encore un des précieux restes du mobilier de Mme de Warens, — un registre est étalé qui
est un témoignage de l’esprit des visiteurs. C’est tout un chapitre de la
bêtise humaine, que je voudrais renvoyer à la satire de Jules Noriac. Mais
puisqu’il n’est pas là, je vais donner une idée du style des bons pèlerins qui
vont aux Charmettes.
..........................................................................................................................................................................................................................................................................................
»Contresigné:
JUD.»
«Tu
étais si bien ici, ô Jean-Jacques! pourquoi n’y es-tu pas resté?
»MARIUS, sergent-major décoré»
«Tu y
serais encore et bien heureux; mais comme Napoléon, tu as voulu avoir ton
Sainte-Hélène.
»UN CAPITAINE.»
«O
Rousseau! tu as aimé sur la terre comme on aime dans le ciel.
»Mme ***.»
«Plus
heureux que moi, ô Rousseau, tu as trouvé un heureux asile où tu as passé des
jours agréables.
»
***.»
«Etant
venu à Cahmbéry pour y faire procéder à une rectification de nom à propos de
mon mariage avec Mlle Chaufer (Caroline), je n’ai pas voulu quitter cette
charmante ville sans avoir vu l’heure à la montre de Jean-Jacques.
»
LEONARD.»
«Quel
bonheur, ô Jean-Jacques! de ressentir dans son sein les premiers
tresssaillements d’un fils que j’élèverai dans tes principes!
»
MADAME VILMORE.»
«Venu
de Washington, le pays de la liberté, pour visiter les Charmettes.
»
UN COUSIN DE FRANKLIN.»
«Simple bourgeois de Paris, je suis venu avec mon épouse pour visiter
les Charmettes, et, joignant l’utile à l’agréable, faire de cette promenade une
leçon sur les égarements d’un cœur trop tendre.
»
ARTHUR DUBOSC.»
» ***.»
Je ne commente pas.
J’en pourrais citer cent autres aussi
boufonnes; mais je dois citer aussi ce cri éloquent, ce cri d’un enfant trouvé:
«O
Jean-Jacques, si j’étais ton fils!
» J.»
Il n’avait signé que par une seule
initiale, l’initiale du nom de baptême, puisqu’il n’avait pas de nom.
J’allais oublier la dernière remarque toute
fraîche encore:
«Jean-Jacques Rousseau avait annexé la Savoie à la France un siècle
avant Napoléon III.»
Jean-Jacques avait annexé les Charmettes,
sinon la Savoie. On assure ici que l’empereur a parlé d’acheter la maison de
Rousseau, _ une vraie page d’histoire littéraire qui vaut bien la peine d’être
conservée. — Ce n’est pas là un beau spécimen d’architecture, avec sa
forme carrée et ses contrevents verts.
J’aimerais mieux une chaumière pittoresque ou une ruine qui, en tombant, montre
encore un souvenir d’art; mais enfin, avec son toit bleu, ses berceaux de
vignes, sa façade tapissée de plantes et de fleurs, elle a aussi son caractère,
et l’architexte qui la signe s’est appelé: le
Bonheur.
Le jardin, le berceau, la treille, la
vigne, le verger, la prairie, la ferme, les rustiques,
— tout a gardé la physionomie dautrefois. Tout cela semble âgé de plus de cent
ans. Sans doute les arbres ont disparu. Cette allée de platanes qui conduit au
verger, ces vinaigriers, cette glycine, ces églantiers que je vois devant la
maison sont trop jeunes pour me faire illusion, mais ils n’ont rien changé à
l’aspect et ils s’harmonisent dans le tableau ancien comme de nouveaux venus
dans la famille qui donnent plus de relief encore aux cheveux blancs des aïeux.
Et d’ailleurs les Charmettes ne sont toujours les Charmettes que parce qu’elles
reprennent tous les ans, pour masquer leur physionomie séculaire, l’éternelle
jeunesse du renouveau: la nature sourit sur la mort et parle d’amour aux
vivants.
Ce qui manque au tableau, ce sont les
pigeons et les abeilles. Je m’obstinais à chercher les pigeons sur le toit ou
sur les épaules de Jean-Jacques. “Le pigeon est fort timide et difficile à
apprivoiser. Cependant, je vins à bout d’inspirer aux miens tant de confiance,
qu’ils me suivaient partout et se laissaient prendre quand je voulais. Je ne
pouvais paraître au jardin ni dans la cour sans en avoir à l’instant deux ou
trois sur les bras et sur la tête; et enfin, malgré le plaisir que j’y prenais,
ce cortège me devint si incommode que je fus obligé de leur ôter cette
familiarité. J’ai toujours pris un singulier plaisir à apprivoiser les animaux,
surtout ceux quis ont craintifs et sauvages. Il me paraissait charmant de leur
inspirer une confiance que je n’ai jamais trompée: je voulais qu’ils
m’aimassent en liberté”.
On devrait nourrir des pigeons aux
Charmettes en souvenir de ceux de Jean-Jacque, come on fait à Venise en
souvenir de la république. Et les ruches, pourquoi ne pas les rebâtir? “J’avais
une petite famille au bout du jardin; c’étaient des abeilles! Je ne manquais
guère, et souvent maman avec moi, d’aller leur rendre visite. Je m’intéressais
vivement à leur ouvrage; je m’amusais infiniment à les voir revenir de la
picorée, leurs petites cuisses quelquefois si chargées qu’elles avaient peine à
marcher. Les premiers jours, la curiosité me rendit indiscret et elles me
piquèrent deux ou trois fois; mais, ensuite, nous fîmes si bien connaissance
que, quelque près que je vinsse, elles me laissaient faire, et quelque pleines
que fussent les ruches prêtes à jeter leur essaim, j’en étais quelquefois
entouré. J’en avais sur les mains, sur le visage, sans qu’aucune me piquât
jamais”. Vif et charmant tableau que je voyais çà et là devant moi en
traversant le verger.
Le propriétaire des Charmettes a joliment
raillé la pompe d’Ermenonville, où est mort Jean-Jacques. “Il n’y a aucune
comparaison à faire de la simplicité des Charmettes avec la richese et la
magnificence du parc célèbre visité par les prices et les rois. Ici, point de temple de la philosophie, point de prairie arcadienne, point d’autel à la rêverie, point de tour de Gabrielle; point de ces rochers
artificiels formés de pièces numérotées. On y trouve bien moins encore de ces
beautés de luxe dont se moque si plaisamment Rousseau, de ces bells pattes
d’oie, de ces beaux boulingrins de fin
gazon d’Angleterre, de ces beaux sables de toutes couleurs, de ces beaux ifs
taillés en dragons, en magots, en pagodes, en marmouzets, en toutes sortes de
monstres; de ces beaux fruits, de ces belles fleurs de porcelaine, de ces beaux
vases leins de rien. Aux Charmettes, la nature est dans toute sa rusticité
primitive, dans cet état d’abandon et d’aimable négligé qui plaît tant. Enfin
on n’y truve rien d’autre que ce qui se
voit dans la campagne”. Et, en effet, si l’amour a passé par là, l’art n’y
a jamais passé.
Jean-Jacques et Mme de Warens, en pleine nature, ne
songeaient pas à s’endimancher. La fraîche, grasse et nonchalante Mme de Warens était toujours dans le
déshabillé des belles paresseuses. Il faut l’en féliciter, les femmes bien
habillées sont comme les phrases bien faites qui à force d’art cachent la
nature. Que j’aime bien mieux le style et les habits négligés!
III
La chambre à coucher de Jean-Jacques et
celle de Mme
de Warens, qui sont voisines à ce point qu’il ont dû l’un et l’autre se tromper
de porte, ont encore le même aspect par les peintures et le papier, sinon par
les meubles. L’œil est surpris d’abord par les vives couleurs du papier à
fleurs et par les arabesques des peintures à l’italienne. Il y a, si j’ai bonne
mémoire, dans l’alcôve, comme au-dessus des portes du salon, des roses toutes
fraîches encore quoiqu’elles soient âgées de plus d’un siècle. L’alcôve est là
toujours dans la chambre de Mme de Warens; mais ce lit en acajou
supprime toute illusion.
Cette petite glace, dans la chambre de
Jean-Jacques, a été son miroir. Est-ce là qu’il apprit ce qu’il nous conte plus
loin, qu’il était “fort joli garçon?”
La fermière m’avait affirmé qu’on
avait pièce à pièce, crin à crin,
lambeau à lambeau, emporté la chaise longue. Elle est encore là, mais toute
dépouillée et toute en ruines, sous une étoffe rougeâtre qui montre les dents.
Le propriétaire l’a enfermée dans sa chambre pour la mettre à l’abri du culte
des pèlerins.
Mais une chose qui est restée dans toute sa
simplicité, ce sont les Evangiles dans la petite chapelle qui servait
d’oratoire à Mme
de Warens, où elle s’enfermait les jours de repentir, où Rousseau ne pénétrait
jamais, lui qui déjà s’agenouilait devant “l’autel de la nature”. Sur l’autel
de la chapelle, on retrouve ausi un tableau fort mal peint représentant
Notre-Dame des Ermites.
Et puisque j’ai parlé du livre des Livres,
qu’est devenue la bibliothèque? On sait que Rousseau avait écrit sur chaque
volume: Mme de Warens. On m’a montré deux de ces volumes avec
les illustres autographes: ce sont les Voyages
dans le Levant de Tournefort.
Mais Jean-Jacques a lui-même fort
dépareillé les livres des Charmettes. “Il faut que j’aie appris et rappris bien
vingt fois les églogues de Virgile, dont je ne sais pas un mot. J’ai perdu et
dépareillé des multitudes de livres par l’habitude que j’avais d’en porter
partout avec moi, au colombier, au jardin, au verger, à la vigne. Occupé
d’autre chose, je posais mon livre au pied d’un arbre ou sur la haie; partout
j’oubliais de le reprendre et souvent, au bout de quinze jours, je le
retrouvais pourri ou rongé des fourmis et des limaçons”.
Au-dessus des vignes, le long des prés,
j’ai retrouvé le poétique chemin de Jean-Jacques, le chemin qu’il prenait pour
voir l’aurore illuminant le réseau de
rosée; car on se levait matin dans la petite ferme. C’est un admirable
point de vue aux vastes horizons. La neige criait sous mes pieds; le vent
agitait les panaches engivrés des cerisiers; j’arrivai jusque sur l’escarpement
qui domine Chambéry; la ville se dessina sous mes yeux avec ses profils et ses
méandres pittoresques. Au lointain bleu, je vis vaguement à travers les brumes
d’argent, une échappée du Bourget. Beau spectacle! Là, les cimes neigeuses, et
le lac d’azur; sous moi, la ville en travail; près de moi, les Charmettes, qui
disent tant de belles et douces choses! J’aurais voulu aller en face, sur cette
autre colline où était le bois de châtaigniers paululum sylvœ. Il ne reste qu’un bocage de Chenaie; c’est là que
Rousseau a déjeuné sur l’herbe avec Mme de Warens; ce romanesque déjeuner qui
est une des plus savoureuses pages des Confessions.
Pour ceux qui voudront voir Mme de Warens dans un autre miroir que dans
celui de Jean-Jacques, je donnerai ce curieux portrait peint par un mauvais
peintre, qui charme par ses airs naïfs et qui saisissait la ressemblance comme autrefois
les barbouilleurs du Pont-au-Change, — quand le Pont-au-Change était tout un
atelier. — C’est un portrait à la plume par M. de Conzié, un voisin de campagne
dont il est parlé dans les Confessions.
Ce portrait est criant de vérité. M. de Conzié l’avait écrit pour le compte de
Mellarade3, un curieux qui avait peut-être aimé de
loin Mme
de Warens. M. de Conzié nous montre Mme de Warens avec Rousseau, avant Rousseau
et depuis Rousseau. On verra que la baronne, avant les jours de misère
profonde, “eut l’heureuse ressource de plaire à un vieux seigneur de la
première distinction”. C’était le marquis d’Alinges, qui la prit aux Charmettes
et la logea chez lui au Reclus. mais lisons le Mémoire de M. de Conzié:
«Vous
voudriez, monsieur le comte, que je vous instruisisse de quelques anecdotes
touchant la feue baronne de Warens. Je puis effectivement vous en apprendre
quelques-unes, l’ayant vue d’abord à son arrivée à Evian en 1726, si je ne me
trompe, et ensuite durant longues années à Chambéry. Voici son premier début n
savoie où j’étais pour lors à la suite du feu roi Victor, qui buvait les eaux
d’Amphion à Evian.
»Ce
prince allait à la messe de l’église paroissiale accompagné simplement de
quelques seigneurs de sa cour, du nombre desquels était feu M. de Bernex,
évêque d’Annecy. A peine le roi était-il entré dans l’église, que Mme de Warens arrêta le
prélat par sa soutane, se jeta à ses genoux, en lui disant les larmes aux yeux:
In manus tuas domine commendo spiritum
meum. cet évêque s’arrêta en la relevant, et il parla cinq à six minutes
avec cette jeune pénitente, qui de là se rendit directement au logis de ce
prélat, lequel, la messe finie, alla la joindre, et après une conversation
assez longue avec elle, revint à la cour, sans doute pour en rendre compte au
roi. Cette fugue, comme vous le pensez bien, monsieur le comte, fit un éclat
subit dans cette petite ville; et, dès ce moment, les uns disaient que c’était
une scène d’une Magdelaine véritablement repentante, d’autres, et surtout les
Suisses, qui étaient venus à Evian partie pour boire les eaux et partie pour y
voir le roi, soutenaient que ce repentir n’était que simulé, et que le vrai
motif de la fuite de cette baronne, était le dérangement qu’elle avait mis dans
les affaires d’intérêt de son mari par une prodigalité inconsidérée. Exemple
qui n’est pas le premier à citer de jeunes et aimables femmes, qui moyennant
leur esprit et figure, savent captiver leurs maris au point de les maîtriser.
»D’autres Suisses arrivèrent en bateau après dîner. A peine eurent-ils
débarqué que le bruit se répandit dans toute la ville que ces nouveaux venus,
parents, disait-on, de Mme de Warens, venaient pour l’enlever. Ce
bruit, tout mal fondé qu’il était, prit, à ce que je pense, quelque crédit à la
cour, puisque le lendemain matin on fit partir avant le jour cette dame dans la
litière du roi, escortée de quatre de ses gardes du corps qui la conduisirent
en droiture accompagnée d’une bourgeoise à Annecy dans le couvent du premier
monastère de la Visitation pour l’y faire instruire de notre religion. Cette
baronne me parut alors âgée de vingt-quatre à vingt-six années. Depuis cette
époque je la perdis de vue par mon retour en Piémont où je restai jusqu’en
1733, que je revins à Chambéry pour m’y fixer. Ce fut l’hiver de cette même
année que j’eus l’occasion de lier société avec elle, car au sortir de la
Visitation elle avait pris une petite maison à Annecy après son abjuration;
d’ailleurs elle y était pour ainsi dire forcée, ne jouissant pour lors que de
quinze cents livres de pension que notre roi lui faisait donner, comme nouvelle
convertie. Mais monseigneur de Mazim, évêque pour lors de Maurienne, l’ayant
connue, la gratifia d’une somme annuelle de cinq cents livres, et monseigneur
de Bernex lui en donna autant, alors cette baronne trouvant sans doute la ville
d’Annecy trop petite pour l’étendue de ses projets et de ses vues, vint
s’établir à Chambéry, non pour se soustraire à la vigilance d es pieuses
institutrices; car sa conduite jusque là avait été exempte de tous soupçons et
à l’abri même de la calomnie qui communément poursuit les nouvelles venues, dès
qu’elles ont de l’esprit et de la figure.
» A
propos de figure, je veux vous donner ici une esquisse de las ienne. Sa taille
était moyenne, mais point avantageuse, eu égard qu’elle avait beaucoup et
beaucoup d’enbonpoint, ce qui lui avait arrondi un peu les épaules et rendu sa
gorge d’albâtre aussi trop volumineuse, mais elle faisait aisément oublier ces
défauts par une physionomie de franchise et de gaîté intéressante. Son ris
était charmant, son teint de lis et de rose, joint à la vivacité de ses yeux,
annonçaient celle de son esprit et donnaient une énergie peu commune à tout ce
qu’elle disait. Sans le plus petit air de prétention, tant s’en faut, car tout
en elle respirait la sincérité, l’humanité, la bienfaisance, sans donner le
plus petit soupçon de vouloir séduire par son esprit non plus que par sa
figure, car elle négligeait par trop cette dernière, sans néanmoins l’affecter,
comme quelques prétendues savantes de son sexe.
» Je
ne veux pas vous laisser ignorer, monsieur le comte, une anecdote de cette
baronne, crainte d el’oublier; quoi qu’ile n soit la voici: M’entretenant un
jour avec elle tête à tête de son changement de religion et d’état, elle me
dit: croiriez-vous, mon ami, qu’après mon abjuration, je ne me suis jamais mis
au lit, durant deux ans environ, sans à prendre comme on dit la peau de poule
sur tout mon corps, par la perplexité dans laquelle mes réflexions me
plongeaient, sur ce changement de religion qui m’avait fait secouer les
préjugés de mon éducation, de ma religion et abjurer celle de mes pères. Cette
longue incertitude était terrible pour moi qui ai toujours cru à un avenir
éternallement heureux ou malheureux. Cette indécision m’a bien longtemps bourreaudée, ce fut là son expression;
mais rassurée à présent, continua-t-elle, mon âme et mon cœur sont tranquilles
et mes espérances ranimées. Je ne vous rends, monsieur le comte, que fort
imparfaitement et en précis les expressions vives et animées dont elle se
servit à cette occasion; elles firent en moi une sensation qui ne s’en est
point encore effacée, quoique à la veille de remplir notre seizième lustre.
» Les
grâces de son parler, son esprit déjà enrichi de différentes lectures, la rendaient
extrêmement séduisante et agréable dans al conversation et m’attachaient
intimement à sa maison, où j’allais journellement et y mangeais fréquemment
avec Jean-Jacques dont elle avait déjà commencé l’éducation, usant toujours
d’un ton de maman tendre et bienfaisante, y mêlant de temps à autre celui de la
bienfaitrice, auquel Jean-Jacques répondait toujours avec docilité et même
soumission.
»
Après quelques années de séjour à Chambéry, elle prit une campagne à portée de
la mienne, ce qui continuait à me mettre à même de lui faire plus fréquemment
ma cour et Jean-Jacques de me voir journellement. Son goût décidé pour la
lecture faisait que Mme de Warens le sollicitait vivement pour
qu’il se livrât tout entier à l’étude de la médecine, ce à quoi il ne voulut
jamais consentir. Comme je le voyais tous les jours et qu’il me parlait avec
confiance, je ne pouvais douter de son goût décidé pour la solitude et je puis
dire un mépris inné pour les hommes, un penchant déterminé à blâmer leurs
défauts, leurs faibles; il nourrissait en lui une défiance constante en leur
probité. Ce fut dans cette maison de campagne qu’il commença à barbouiller du
papier, soit en vers, soit en prose, sur différents sujets dont il me faisait
lecture plutôt je crois comme à son voisin que pour se décider par mes
lumières, en quoi il pensait juste. Etant arrivé à Paris, il fit imprimer, pour
son coup d’essai, une méthode qu’il avait forgée aux Charmettes pour apprendre
parfaitement la musique en moins de trois mois; heureusement pour Jean-Jacques,
cette brochure tomba entre les mains du savant aristarque de ce temps-là, je
veux dire du fameux abbé Desfontaines. Quand je vous dis heureusement, monsieur
le comte, je ne parle que d’après Jean-Jacques, qui me dit qu’ayant été
pulvérisé en out sens et en tout genre et avec toutes raisons par ledit docte
abbé, il lui avait prouvé qu’il ne savait encore rien, pas même écrire français
et qu’il fallait lire et apprendre à lire avant que de vouloir écrire, et dès
lors, je m’appliquai à profiter de cette juste leçon, et je quittai la plume.
»
Revenons à cette aimable femme. Malheureusement pour elle, n’ayant nul goût
pour les ouvrages auxquels l’éducation accoutume son sexe, la ressource de la
lectur dont son esprit était déjà orné en suffisait plus à la vivacité de son
imagination, et, pour s’occuper, elle entreprit de former une compagnie pour
faire exploiter une minière dans la province de Maurienne, dont ses associés et
elle furent les dupes. Son esprit toujours entreprenant la fit encore succomber
dans d’autres entreprises, dont le succès ne fut pas plus heureux. Ce fut dans
cette maison attenante à la mienne qu’elle forma ses ruinaux projets; heureuse
si le goût de l’agriculture avait remplacé ces premier, il aurait décidé la
tranquillité et la douceur de sa vie, et aurait suffi, joint aux pensions qui
lui restaient, au bien-être modeste de ce qu’il lui fallait, car je lui dois la
justice de vous dire que ses entreprises de richesse ne lui étaient point
inspirées par la cupidité d’en jouir, mais bien plus sûrement pour en procurer
à ses associés, car la générosité et la libéralité étaient au nombre des autres
qualités de son cœur.
»
Après le départ de Jean-Jacques, je continuais de la voir, et souvent j’allais
lui porter de ses nouvelles, quand je soupçonnais qu’elle en manquait.
»
Enfin, cette charmante et digne femme, sans argent, et, j’ose quasi le dire,
sans crédit et accablée de dettes, eut l’heureuse resource de plaire à un vieux
seigneur de la première distinction, qui fournit, durant qu’il vécut, aux
journaliers nécessaires de la subsistance de cette malheureuse baronne; mais le
noble désintéressement dont son âme avait toujours été pénétrée, ne lui suggéra
jamais de confier à ce vieux seigneur le triste et inévitable avenir qui la menaçait.
Aussi, après cette perte, se vit-elle forcée de mendier4 un recoin de chaumière
dans un des faubourgs, où elle n’a végété que par les secours de soins
charitables de ses voisins, qui n’étaient tant s’en faut, dans l’aisance.
»
Finalement, accablée de différents maux qui la retenaient au lit depuis plus de
deux années, elle succomba avec tous les sentiments d’une femme forte et bonne
chrétienne.
» J’ai
toujours condamné Jean-Jacques qu’elle avait décoré du nom de son fils adoptif,
en premier lieu d’avoir préféré les intérêts de Lavasseur à ceux d’une maman
aussi respectable pour lui, en tout sens, que l’était peu sa blanchiseuse
Lavasseur; il aurait bien dû suspendre son orgueil de temps à autre et ne
travailler que pour gagner son indispensable nécessaire pour restituer tout au
moins en partie, ce qu’il avait couté à sa généreuse bienfaitrice.
» Voici, monsieur le comte, un brouillard, ou pour mieux dire un bavardage que je n’ai pu vous communiquer plus tôt par la répugnance que j’avais d’hasarder ce petit détail que je vosu avais offert imprudemment en ne seongeant qu’à l’envie que vous aviez d’en avoir un; je ne vous l’envoie que dans l’intime persuasion que vous le rectifierez. J’aurais pu lui donner plus d’étendue, bien que vous l’auriez rendu précis et orné de ce charmant style que je vous connais; mais je vous le répète, monsieur le comte, ma répugnance à rapporter des faits flétrissants pour Jean-Jacques et d’ailleurs me sentant si peu propre à narrer je ne suis pas allé plus loin.
»
CONZIE des Charmettes. »
J’ai voulu voir la maison où est morte Mme de Warens faubourg Nézin, n° 38. C’est
le tombeau avant la lettre, c’est la préface de la mort. La pauvre femme! C’est
donc là qu’ellee st tombée du haut des Charmettes, tombée du haut de ses rêves,
tombée du haut de son esprit et de sa beauté. Là, dans une chambre obscure, sur
un grabat qui sent le tombeau, loin de Jean-Jacques, loin de tout le monde,
loin d’elle-même, dans la misère la plus désolée, se cachant, — mais, oubliée même
si elle n’eût pas voulu l’être — c’est là qu’elle mourut mille fois avant sa
première heure. quelle lente et sombre agonie, dans cette maison emprisonnée
par les toits voisins, sans air, sans soleil, sans un bouquet d’arbre, sans une
fleur, pas même une fleur des prés pour réjouir les yeux et rappeler l’âme à la
vie! Elle ne voyait même pas le toit bleu des Charmettes, ni les vignes qui
montent plus haut, ni ces bêtes qui pâturaient plus haut encore, à qui, tant de
fois avec Jean-Jacques, elle donnait une poignée d’herbe toute fraîche dans sa
blanche main. Héroïque et résignée, elle a souffert les mille morts de la
misère. Et à la fin on l’a couchée dans le cercueil et on l’a portée dans le
petit cimetière de Lemenc5
, où les Saint-Preux et les Werther de l’avenir chercheront vainement son
épitaphe. Que dis-je? on ne sait même pas où sont les six pieds de terre qui
recouvrent ses os!
Jean-Jacques, qui lui a pardonné, n’a pas
été lui demander pardon sur sa tombe.
Eût-il reconnu la place? oui sans doute; il
y pousse des pervenches.
Rousseau n’avait pas quitté les Charmettes
pour n’y pas retourner. “partant à regret pour Paris, déposant mon cœur aux
Charmettes, y fondant mon dernier château en Espagne, projetant d’y apporter un
jour aux pieds de maman, rendue à
elle-même, les trésors que j’aurais acquis”.
Rendue à elle-même! c’est-à-dire ayant
chassé des Charmettes le rival de Jean-Jacques, M. de Courtilles, ce galant
perruquier “qui prétendait n’avoir point coiffé de jolies femmes dont il n’eût
aussi coiffé les maris, ce beau Léandre, vain, ignorant, sot, insolent, au
demeurant le meilleur fils du monde”.
Et à chaque pas dans la vie, Rousseau rêve
aux Charmettes. “Souvenir des Charmettes! ô mon jardin, mes arbres, ma
fontaine, mon verger, et surtout celle qui donnait une âme à tout cela”.
Il y retourna une dernière fois. “Je quitte
tout, je renonce à tout, je pars, je vole, j’arrive dans les transports de ma
première jeunesse”. Il voulait mourir aux pieds de son amie; mais il venait
chercher “le passé qui n’y était plus et qui ne pouvait renaître”. Il repartit
plus découragé que jamais. On ne s’explique pas bien comment ilc ourba le front
devant son malheur, — devant son rival. — Pourquoi ne mit-il pas Courtilles à
la porte? Tout en voulant faire le bonheur de tout le monde, Mme de Warens eût été ravie de voir d’un peu
plus près la passion de Jean-Jacques — à moins que Jean-Jacques ne fût pas de
taille pour battre le beau Léandre!
Les années se passèrent. quand il partit
pour Venise avec vingt louis pour son voyage, il songea à prendre la route du
mont-Cenis “pour voir en passant ma pauvre maman”. mais il prit la mer “par
motif d’économie”. Si l’amour n’aime pas l’argent, c’est qu’il est payé pour
cela.
Quand Rousseau apprit la mort de son amie,
ils e consola en espérant la retrouver au ciel: “La meilleure des femmes et des
mères, déjà chargée d’ans et surchargées d’infirmités et de misères, quitta cette vallée de larmes pour passer dans le
séjour des bons, où le souvenir du bien qu’on a fait ici-bas en fait
l’éternelle récompense. Allez, âme douce et bienfaisante, auprès des Fénelon,
des Bernex, des Catinat, et de ceux qui, dans un état plus humble, ont ouvert,
comme eux, leurs cœurs à la charité véritable; allez goûter le fruit de la vôtre
et préparer à votre élève la place qu’il espère occuper un jour près de vous:
heureuse dans vos infortunes, que le ciel en les terminant vous ait épargné le
cruel spectacle des siennes. Si je ne croyais pas la revoir dans l’autre vie,
ma faible imagination se refuserait à l’idée du bonheur parfait que je m’y
promets”.
C’est une belle oraison funèbre, mais je
voudrais voir Jean-Jacques se frapper trois fois sur le cœur pour n’avoir pas
adouci cette horrible fin de Mme de Warens. Mais il croyait que la vie
humaine n’est que l’ébauche de la vie future; il croyait à l’immortalité de
l’âme, à la perpétuité du moi, ne
s’attardant pas à ce profond symbole des anciens: le Léthé où les morts
oublient avant de passer dans l’autre monde.
Cependant la vieille fermière, qui
s’ennuyait de mon culte pour le passé, me dit que ses vaches n’avaient pas
dîné. Elle avait raison: il ne faut pas laisser aux hommes le temps de se
réveiller de leurs rêves.
Je quittai les Charmettes, non sans tourner
plus d’une fois la tête. Je me rappelai cet adieu si touchant de Jean-Jacques à
son cher paradis: “Je ne quittai pas mes Charmettes sans baiser la terre et les
arbres, et sans me retourner plusieurs fois en m’éloignant”.
Je fus distrait dans mes adieux et arraché
à mes souvenirs par la voix un peu rude d’un de ces gamins de la Savoie que
Lépicié et Chardin ont si spirituellement portraiturés, car le type s’est bien
gardé à Chambéry. Ce gamin, tout ébourriffé, un peu plus barbouillé qu’un
ramoneur, chantait cette chanson très savoisienne:
De bailleri on cartan de sâtagne
Que Laisse fusse sandia,
E vin de Chantagne;
De me cutiéri chu le pont
Tot de mon long,
Et de déri à Laisse:
Le bon Dio te caraisse.
C’est du latin de cuisine, — je me trompe:
du latin de Savoie. — Traduction libre: le gamin demandait que l’eau de la
Laise fût pour sa soif changée en vin de Chantagne, un vin savoisien tout à
fait aimable. Il ne manque à la chanson que le gâteau de Savoie.
Et quand le chanteur se tut, j’entendis la
chanson du torrentin, déjà plus enflé que le matin; le soleil de midi frappait
de ses rayons la neige qui s’égoutait au courant. Je me rappelai que
Chateaubriand, à son voyage aux Charmettes, au retour de Jérusalem, comparait
la vallée des Charmettes au voisinage de Taygète, où les ruisseaux descendent
des montagnes; je me rappelai que Virgile, en ses Charmettes, avait chanté
comme jean-Jacques:
Rura
mihi, et rigui placeant...
Sur la haute montagne en regard des
Charmettes, bien au-dessus du bois de chataigniers, l’œil perdu dans les cimes
neigeuses s’arrête sur une croix dont les bras d’or brillent au soleil. Ce
calvaire a été inauguré il y a un an. Ne semble-t-il pas qu’on ait voulu
protester contre le culte des Charmettes, contre le paganisme de Mme de Warens, contre la philosophie de
Jean-Jacques?
Mais il y a une protestation sinon plus
éloquente, du moins plus énergique contre Rouseau. Quand on descend des
Charmettes, on passe devant une crêche, dont le fronton sculpté en marbre
représente cette admirable page de l’Evangile: Laissez venir à moi les petits
enfants — Sinite parvulos venire ad me
— Qu’as-tu fait des tiens, Jean-Jacques? Je les ai remis à Dieu, répond-il.
Ce doux nom des Charmettes est à toute la
vallée. Il y a donc plus d’un heureux aux Charmettes. les jolies villas semées
sur la colline sont toutes des Charmettes, moins la poésie du souvenir. Le
grammairien Claude de Vaugelas, baron de Peroges, a été seigneur des
Charmettes, mais on ne garde rien de lui dans la vallée. C’était un homme sans
défaut, correct dans sa vie comme sa gramaire; mais ce sont nos défauts qui
nous font aimer — quand nos défauts sont les ombres de nos vertus. — La
perfection est ennuyeuse comme l’Apollon du Belvédère.
Et voilà pourquoi on aime Jean-Jacques
Rousseau.
ARSENE HOUSSAYE
1.
Le peintre, comme l’a fort bien remarqué le propriétaire des Charmettes, a
commis un de ces anachronismes familiers aux meilleurs pinceaux. Il a présenté
Rousseau travaillant au Contrat social, et il apeint deux volumes de l’Emile
sue des tablettes. Emile n’a paru qu’après le Contrat social.
M. de Lacretelle
avait écrit au bas de ce portrait: “Devant Rousseau, l’histoire perd son
impassibilité, et, tour à tour, elle l’admire ou le plaint, le bénit ou
l’accuse”.
2
. M. Raymond est connu des lettrés par des Eloges de Pascal et de Joseph de
Maistre, par deux volumes sur la Peinture
et son influence sur les mœurs, par la Métaphysique
des études, et un mémoire sur les Systèmes
de notation musicale. Il a dû écrire ce dernier livre aux Charmettes, en
consultant l’épinette de Rousseau. Mais, s’il aimait la maison de Jean-Jacques,
il tonnait contre les livres du citoyen de Genève avec son compatriote Joseph
de Maistre.
Son fils,
aujourd’hui propriétaire des Charmettes, est encore un savant, mais un savant
qui n’écrit pas.
4
C’est Mme de Warrens qui a dit ce beau mot: Faire
l’aumône c’est payer une dette.
5
. On lit au registre mortuaire de la paroisse de Saint-Pierre-de-Lemenc:
« Le trente
juillet mil sept cent et soixante-deux a été ensevelie au cimetière de Lemenc,
dame Louise-Françoise Eléonore de la Tour, veuve du seigneur baron de Warens, native
de Vevey, dans le canton de Berne, en Suisse, mote hier sur les dix heures du
soir, en bonne chrétienne, et munie des sacrements de l’Eglise, âgée d’environ
soixante trois ans. Il y avait environ trente-six ans qu’elle fit abjuration de
la religion protestante, et a vécu depuis dans la notre, et dès lors a fini ses
jours dans le fauxbourg de Nézin, où elle habitait depuis environ huit ans,
dans la maison du sieur Crépin; elle a habité ci-devant au Réclus, pendant
environ quatre ans, dans la maison du seigneur marquis d’Alinges; elle a passé
le surplus de sa vie, depuis son abjuration, dans cette ville.»
J’ai vu l’église
de Lemenc. C’est sur ce rocher, l’ancien Lemnicum des Romains qu’on a retrouvé
cette admirable caducée en bronze, encore tenu par la main de Mercure,
recueilli au petit musée d’antiquités de Chambéry. L’église est la plus
ancienne du pays. On devine encore quelques sculptures sur sa façade. A
l’intérieur, le pavé n’a été pour ainsi dire qu’une dalle mortuaire, tant il y
avait de tombeaux. C’est là que, dans un encadrement gothique, est la statue de
M. de Boigne, à demi-couchée sur un cénotaphe.
L’église renferme
une chapelle souterraine ou les antiquaires vont étudier les restes mutilés
d’une descente de coix sculptée en pierre.