Réédition: Jean-Baptiste Roussy-Roussy, Le Sosie de Jean-Jacques Rousseau, Reims,  sans date [1874].

 

 

ON ATTEND 1,OOO SOUSCRIPTEURS

 

Pour imprimer un ouvrage nouveau, encore en manuscrit, ayant pour titre:

 

LE  SOSIE

DE

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

 

Ou la reproduction immatérielle et accidentelle de cet homme illustre,

au moral, au physique et en psychologie.

 

   Le titre de cet ouvrage et la première apparition d’un Sosie dans le monde ont de quoi faire sensation et exciter la curiosité publique.

   La chaîne des vérités qu’il contient se continue sans solution pendant le cours de leur existence et n’est rompue que par la mort de cet illustre mortel. Chacun des chaînons marque un événement arrivé à la même époque de leur vie et semble ne faire qu’un seul être avec son Sosie.

 

QUELQUES RAPPORTS DE CONFORMITE PRIS AU HASARD PARMI LE NOMBRE:

 

   Une réminiscence de Rousseau sous un frais bocage;

   Rousseau à Lyon fut hébergé la nuit chez un pédastre;

   Les lieux intimes de Rousseau, les sites pittoresques, les lieux sombres et solitaires;

   A Lyon fit rencontre de Mme de Larnage, femme d’amour, ce qu’il en arriva;

   Contrariétés qu’éprouva Rousseau au sujet de ses ouvrages;

   Une bonne aubaine de Rousseau à soixante ans.

 

   Cet ouvrage est écrit par son Sosie même: avec son portrait d’après sa photographie. Il comportera 80 pages environ d’un format in-12.

  Les souscripteurs ne paieront rien d’avance; seulement, à la livraison, 1 franc 25 centimes broché.

   L’édition sera tirée à 1,000 exemplaires; ce nombre atteint, on ne pourrait plus se procurer l’ouvrage.

 

                               Va, déesse aux cent voix, publier sur la terre

                               Qu’un Sosie apparaît, dévoilant des mystères

                               Inconnus aux mortels. Le Sosie de Rousseau

                               Va tirer la lumière de dessous le boisseau.

 

   Comptant, Monsieur, que vous voudrez bien honorer mon ouvrage de votre adhésion, j’ai l’honneur de vous saluer.

 

                                                   Le Sosie de Jn-Jques Rousseau,

 

                                                                Jn-Bte ROUSSY-ROUSSY.

 

8257. — Reims, Imp. E. LUTON

 

 

LA VERITE,

ou

J.J. ROUSSEAU montrant à

Robespierre le livre des Destins

 

—————

 

Tandis que la reconnoissance publique acquitoit avec une sainte alégresse les dettes de l’humanité envers le vertueux J.J. Rousseau, et que nos cœurs pleins d’une doouce ivresse payoient le tribut dû à ses lumières et à ses vertus, les Voltaire, les Helvetius, les Montesquieu, les Locke, les Francklin, ces hommes qui en allumant le flambeau de la raison et de la vérité, ont dessillé nos yeux obscurcis par l’erreur, ont arraché le masque de la superstition et du fanatisme, et préparé la chûte des tyrans qui opprimoient la terre gémissante sous leur verge de fer; tous ceux enfin, qui ont jetté et fait éclore les germes d’une révolution, qui en faisant la gloire de la France, assure à jamais son bonheur et l’entière félicité de l’Univers:

   Tous ces héros de l’humanité, de la vertu et de la liberté, qui regardent les Français comme leurs enfants, jettant du séjour de la paix qu’ils habitent, un regard paternel sur les bords de la Seine applaudissent au spectacle touchant de la vertu et de l’humanité couronnées par un grand peuple. Aussi-tôt ils résolurent de célébrer ce grand jour et de couronner aussi leur Emule dans le grand art de rendre l’homme heureux. Une couronne de chène est préparée et l’on en ceint le front de l’auteur du Contrat social au milieu des applaudissements de tous les habitants de ce sleiux fortunés. le Philosophe la reçoit comme un hommage rendu, non à sa personne, mais à la vertu et à la vérité, dont il fut constamment et l’ami et l’apôtre.

   Parmi ceux qui s’empressoient de participer à cette auguste fête, le philosophe de Genève aperçoit un homme dont la contenance forcée, malgré les efforts qu’il faisoit pour paroître partager la joie commune, déceloit la rage et le désespoir qui déchiroient son cœur ambitieux, jaloux et vindicatif. La fureur et le désespoir sembloient animer son visage farouche; sa bouche écumoit du poison de l’envie, son oeil étoit cave, hagard et égaré; de ses propres mains il déchiroit ses entrailles et sembloit méditer encore des projets d’oppression, de meurtre et d’assassinat. Quel est cet homme, dit Jean-Jacques, il ne paroît ps digne d’habiter ce séjour. Ne seroit-ce point Machiavel? Aussi-tôt vingt-mille voix s’écrièrent, non, Machiavel au prix de lui n’étoit qu’un apprenti scélérat: c’est notre assassin; c’est Robespierre; c’est l’oppresseur de son pays, un tigre plus cruel que les Busiris, les Nerons et tous les monstres qui ont désolé la terre: il s’est souillé de crimes inconnus jusques à lui. A son nom tous les sages frémirent; car ils étoient instruits des forfaits de cet execrable scélérat.

   Cependant le bon Jean-Jacques, le cœur navré des maux dont le monstre avoit inondé sa patrie, s’approche et lui dit: je ne te reprocherai ni ta perfidie, ni ta scélératesse; mais je veux te montrer un spectacle qui fera ton désespoir: suis-moi. Je vais te découvrir les destins de la France, et que son bonheur fasse éternellement ton supplice. Disant ces mots, il ouvre devant lui le livre des destins.

   Le tyran apperçoit d’abord une peinture vraie et fidelle de tous ses crimes; vois, lui dit notre philosophe, cette ville malheureuse, jadis si florissante, et qui par son opulence et son commerce, vivifioit toutes les nations, dont tes agents ont fait un monceau de cendres; vois ces cadavres sanglants qui la couvrent; entends ces cris plaintifs de la douleur, qui te redemandent des pères, des époux; vois ces artisans, qui enrichissoient l’état par leur industrieuse activité, que tu as réduits à la plus affreuse misère et qui te demandent du pain! Cette cité célèbre étoit égarée; des hommes perfides l’avoient séduite: tu devois la rendre à la République, tu devois, comme un père dont un enfant débauché méprise les avis, la ramener à son devoir par des corrections paternelles; et tu l’as détruite! Vois la Loire encore effrayée du spectacle déchirant qui a désolé ses bords; ces viellards, ces enfans, ces femmes précipités dans les flots avec le tendre fruit qu’elles portoient dans leur sein: écoute les accens du désespoir des habitans de ces malheureuses contrées, qui unissent ton nom à celui de Carrier et les dévouent à l’exécration des races futures. Vois ton fidèle supposé à la vendée, se baigner dans le sang et faire frémir la nature par les atrocités les plus révoltantes. Vois le fer et la flâme porter partout leurs ravages, et ne plus faire de ce pays qu’un vaste cimétière. Vois l’artisan gémissant et opprimé par un homme si peu digne de son nom. Vois Paris devenu le séjour du crime et de la cruauté, ses places regorgeant du sang des citoyens; cet infâme tribunal près duquel on oubliera celui de l’inquisition, et où tu envoyois tes victimes, comme des moutons qu’on traîne à la boucherie. Vois ces nouvelles bastilles où tu faisois gémir une infinité de citoyens vertueux, qui n’avoient d’autre crime qued e détester tes forfaits et ceux de tes complices; ces ultivateurs arrachés à leurs charrues, et plongés dans des cachots, dont la terre te redemandoit les bras pour la fertiliser; ces infortunés que leur âge et leur foiblesse n’ont pu garantir de ta rage. Vois enfin la France entière applaudir à ton supplice, la sérénité succéder à l’effroi sur tous les visages, et une joie universelle bannir sans retour le désespoir dont tous les cœurs étoient atteints.

   Après que Jean-Jacques eut ainsi offert aux yeux du tyran une partie des crimes dont il s’étoit souillé, il lui découvrit les destins de la France; il lui montra le peuple intimement uni à ses représentants et ne faisant plus qu’un, opposant une tranquille fermeté à ceux qui voudroient les désunir; il vit cette société, le refuge des intrigans, qui y viennent abuser les bons citoyens, et dont il fut si longtemps le coriphée, faisant tous ses efforts pour ramener le règne de la terreur et applaudissant encore ceux qui osent dire que la constitution ne doit pas être exécutée; mais bientôt les fusilleurs, les noyeurs, les inventeurs de mine, tous ceux qu’on voit exhaler dans son sein leur rage et leur fureur, reçoivent le prix dû à leurs actions; ceux qui n’ont pas été trompés, rentrent dans la masse des citoyens, et le nom des Jacobins devient un nom d’opprobre.

   Regarde, lui dit encore Jean-Jacques, les nouveaux lauriers dont vient se couvrir la France; ses ennemis, vaincus et consternés, se hâter de fuir devant ses armes victorieuses, et chercher un abri audelà du Rhin, ou implorant sa clémence et recevant ses loix. Enfin il lui montre la france qui, après avoir affermi son gouvernement, ne fait plus qu’un peuple de frères et d’amis. Il lui fait voir l’agriculture en honneur, le commerce florissant et faisant refler dans ses ports les richesses des quatre parties du monde, les arts encouragés y ramener l’étranger de toutes les contrées, enfin les vertus de se shabitans la rendant l’admiration de l’univers et l’arbitre de ses voisins. Robespierre ne pouvant supporter plus longtemps un tableau qui à chaque instant redoubloit son tourment, se hâta de retourner dans le séjour destiné aux pervers, joindre les monstres qui partagerent ses forfaits.

   O bon Jean-Jacques! si tu avois vu qu’on abusât de ton nom et de tes immortels ouvrages pour en faire des titres d’oppression et de tyrannie; si les écrits de l’apôtre de la liberté et de la douceur, sont devenus des chaînes et des poignards dans les mains de quelques hommes de sang, combien tu t’applaudis, en voyant la France devenue heureuses des veilles et des travaux qui ont préparé sa gloire et son bonheur.

 

                                                                        Ptivar

 

 

 

Réédition 5: MARIE-LOUISE NERON: Notes et impressions d’un Parisienne, Paris, Librairie Alphonse Lemerre, sans date, p.13-21.

 

 

 

Ouverture des  Sarcophages

de Voltaire et de Rousseau.

 

——————

 

                                                               19 décembre 1897.

 

La question troublante de savoir si oui ou non les sarcophages de Voltaire et de Rousseau devant lesquels la foule s’incline respectueusement contiennent les ultimes dépouilles des deux grands hommes qui rayonnèrent sur leur génération et même sur la nôtre, cette question va avoir sa réponse.

   Les deux tombes qui seront fouillées aujourd’hui livreront elles-mêmes leur secret.

   Cette question, du reste, ne date pas d’hier. Elle fut soulevée en 1866, et, sous l’anonymat, l’empereur Napoléon III y prit une part active, soutenant que les caveaux avaient été violés.

   Un soir, comme on s’en entretenait aux tuileries, un royaliste rallié à l’Empire et qui voulait faire sa cour à l’impératrice Eugénie s’écria:

   — Le grand mal, après tout, si on a vraiment dispersé ces cendres au vent! Les révolutionnaires ont-ils respecté les tombes de Saint-Denis?

   Quelques années auparavant on parlait de cette violation devant M. de Puymaurin, qui avait été ministre sous la Restauration.

   — Ah! plût au ciel, dit-il, qu’il eût été possible de détruire à jamais, avec les ossements de Voltaire et de Rousseau, leurs doctrines pernicieuses et leurs détestables ouvrages.

   Au demeurant, que les restes de Voltaire soient oui ou non au Panthéon, ils ne purent y être portés tout entier.

   Déjà le cœur était dans la famille de Vilette, et au moment de la translation des cendres à l’abbaye de Sellières, dans l’Aube, le 10 mai 1791, un des assistants parvint à s’emparer d’un talon, qui fut donné à un collectionneur, M. Madonnet, propriétaire près de Troyes.

   La famille de M. de Curel, l’auteur du Repas de lion, hérita de cette singulière relique. Peut-être l’a-t-elle encore.

   Un autre assistant ramassa une dent qui s’était détachée, et la fit plus tard enchâsser dans une bague. Mais, cette particularité ayant été connue de quelques amateurs, on ne tarda pas à voir les dents de Voltaire se multiplier au point qu’on en relève soixante-treize dans divers catalogus. C’est beaucoup pour un seul homme.

   La cérémonie d’aujourd’hui, après quatre-vingts ans de contradictions les plus diverses, était donc impatiemment attendue par les lettrés.

   Les cercueils allaient-ils, oui ou non, laisser apparaître les ossements des deux grands hommes?

   Voilà ce que se demandaient les favorisés qui allaient pénétrer dans la crypte du Panthéon. Dès le matin, la grille de l’ancienne basilique est gardée par un agent de ville, et pour passer il est besoin de montrer une invitation. Je n’avais pour carte d’entrée qu’une lettre à en-tête de la Fronde, lettre dans laquelle on me signalait la cérémonie. Notre journal, qui datait de quelques jours à peine, n’avait pas encore été inscrit sur la liste des quotidiens de Paris.

   — Cela ne suffit pas, madame, me dit le municipal; il faut une carte de presse.

   J’étais désolée: être là et ne pas entrer. Je me souviens heureusement que M. Hamel, ancien président de la Société des Gens de lettres, dirigeait en quelque sorte cette cérémonie, car c’était sur sa demande que le ministre avait accordé l’autorisation d’ouvrir les sarcophages. Une carte de visite passée, et je franchis la grille comme les confrères.

   Sous la grande voûte froide du Panthéon, à peine une centaine d’invités. Les femmes brillaient par leur absence; j’étais seule avec deux autres dames, qui avaient par faveur accompagné leur mari et leur père.

   L’attente est longue: une heure et demie; deux heures sonnent en résonnant sourdement dans le grand édifice. On cause, ces messieurs discutent.

   — Croyez-vous à la présence des corps?

   — Non, il y a longtemps qu’ils ont disparu.

   C’est l’opinion générale de la plus grande partie des hommes réunis là: les tombes sont vides.

   De vieux érudits se racontent dans un coin les discussions soulevées, les demandes et les réponses qui pendant de si longues années ont passionné les curieux.

   Dans les groupes qui discutent, je reconnais MM. Roujon, Berger, délégués par le ministre de l’Instruction publique, Montorgueil, Stiegler, Jules Clarétie, qui, lui, est un convaincu.

   — Les corps sont ici, dit-il à des amis qui l’interrogent; pour moi, il n’y a pas de doute.

   Puis voici plus loin, près d’un des grands piliers, MM. Berthelot, Duvauchel, un féministe qui s’est occupé de l’érection d’un monument à Rousseau; Clovis Hugues, John Grand-Carteret, le Dr Cabanès, Lardy, qui représente la ville de Ferney. J’en passe de plus connus.

   Enfin, la commission qui doit présider à l’ouverture des tombeaux est au complet; le commissaire de police est présent, il n’y a plus qu’à descendre à la salle souterraine où gisent les deux sarcophages.

   Dans la crypte lugubrement froide, d’un froid de sépulcre, on se trouve devant une petite porte, qui ferme le caveau de Voltaire. L’espace est étroit, on se presse; des jeunes gens, pour mieux voir, escaladent le monument de Soufflot. La porte s’ouvre enfin, et MM. Hamel, J. Clarétie, Roujon, Berger pénètrent dans le caveau. Par cette échappée, on aperçoit la statue en pied de Voltaire, dont la tête au sourire narquois domine l’assistance.

   — Messieurs, Voltaire est bien là.

   C’est M. Hamel qui lance cette phrase d’une voix triomphante. Tout aussitôt le défilé des curieux commence.

   Dans la longue caisse de chêne, on aperçoit le crâne, dont la forme et bien caractéristique, les tibias et les vertèbres de ce qui fut Voltaire.

   Voilà donc ce qui reste de celui qui fit craquer le vieux monde et contribua à renverser, pour sa part, le trône de Louis XVI, dont les cachets aux trois fleurs de lys de France s’apercevaient encore un instant auparavant scellant la bière du terrible rieur.

   Maintenant que la moitié du problème est résolue, il ne reste plus qu’à vérifier le sarcophage de Rousseau.

   Le cercueil qui est triple: cercueil de hêtre, cercueil de plomb et cercueil de chêne, est long à forcer.

   Le bruit de la scie et du marteau résonne longtemps dans l’étroit caveau où repose Rousseau. La nuit tombe. L’obscurité est presque complète dans la crypte. L’anxiété augmente. Rousseau, ainsi que Voltaire, va-t-il nous apparaître dans sa caisse de chêne?

   Un dernier effort et le couvercle est soulevé.

   — Rousseau est superbe, messieurs, intact, les bras croisés sur sa poitrine, crie un des membres de la commission qui se trouve devant le cercueil au moment de l’ouverture.

   — Et le crâne? et le crâne? demande-t-on.

   — Le crâne, le voici, il ne présente aucune trace de blessure.

   Des ah! retentissent triomphants.

   Le défilé commence, émotioné, devant le cercueil où le squelette de Rousseau, admirablement conservé, demeure étendu, loque lamentable dans la poussière fine des étoffes et des chairs réduites en cendre.

   C’est fini, les spectateurs un à un se retirent, remués, fiers d’avoir vu les précieuses reliques.

   — Dire que j’ai tenu dans ma main le tibia de Voltaire, s’exclame avec une joie émue un des jeunes gens présents. Ah! je suis plus content que si j’avais serré la main de Napoléon.

   Voilà donc une légende qui s’envole.

   Combien d’autres fables historiques ne résisteraient pas davantage à un examen sérieux!

   Voilà donc les royalistes de 1814 déchargés d’une accusation qu’on imputait à leur fanatisme. Dans la joie de leur triomphe ils n’osèrent pas jeter au vent ces cendres de leurs deux terribles ennemis.

   Une réflexion s’impose.

   Pourquoi donc ne l’avaient-ils pas dit plus tôt? Le moyen de se disculper était simple, et il semble étonnant qu’il ait fallu attendre un gouvernement républicain pour que fût prise une initiative dont le résultat détruit à jamais la calomnie dont on poursuivait avec insistance les réacteurs de la Restauration.

   Enfin, voilà résolu ce problème qui motiva tant de chroniques et émut tant de chroniqueurs.

   A qui le tout maintenant?

   On demande des légendes à détruire et des calomnies à réduire à néant.