PTIVAR, La Vérité, ou J.J. Rousseau montrant à Robespierre le livre des Destins (sans lieu ni date, 7 p.) [1794].

LA VERITE,

ou

J.J. ROUSSEAU montrant à

Robespierre le livre des Destins

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Tandis que la reconnoissance publique acquitoit avec une sainte alégresse les dettes de l’humanité envers le vertueux J.J. Rousseau, et que nos cœurs pleins d’une douce ivresse payoient le tribut dû à ses lumières et à ses vertus, les Voltaire, les Helvetius, les Montesquieu, les Locke, les Francklin, ces hommes qui en allumant le flambeau de la raison et de la vérité, ont dessillé nos yeux obscurcis par l’erreur, ont arraché le masque de la superstition et du fanatisme, et préparé la chûte des tyrans qui opprimoient la terre gémissante sous leur verge de fer; tous ceux enfin, qui ont jetté et fait éclore les germes d’une révolution, qui en faisant la gloire de la France, assure à jamais son bonheur et l’entière félicité de l’Univers:

   Tous ces héros de l’humanité, de la vertu et de la liberté, qui regardent les Français comme leurs enfants, jettant du séjour de la paix qu’ils habitent, un regard paternel sur les bords de la Seine applaudissent au spectacle touchant de la vertu et de l’humanité couronnées par un grand peuple. Aussi-tôt ils résolurent de célébrer ce grand jour et de couronner aussi leur Emule dans le grand art de rendre l’homme heureux. Une couronne de chène est préparée et l’on en ceint le front de l’auteur du Contrat social au milieu des applaudissements de tous les habitants de ce sleiux fortunés. le Philosophe la reçoit comme un hommage rendu, non à sa personne, mais à la vertu et à la vérité, dont il fut constamment et l’ami et l’apôtre.

   Parmi ceux qui s’empressoient de participer à cette auguste fête, le philosophe de Genève aperçoit un homme dont la contenance forcée, malgré les efforts qu’il faisoit pour paroître partager la joie commune, déceloit la rage et le désespoir qui déchiroient son cœur ambitieux, jaloux et vindicatif. La fureur et le désespoir sembloient animer son visage farouche; sa bouche écumoit du poison de l’envie, son oeil étoit cave, hagard et égaré; de ses propres mains il déchiroit ses entrailles et sembloit méditer encore des projets d’oppression, de meurtre et d’assassinat. Quel est cet homme, dit Jean-Jacques, il ne paroît ps digne d’habiter ce séjour. Ne seroit-ce point Machiavel? Aussi-tôt vingt-mille voix s’écrièrent, non, Machiavel au prix de lui n’étoit qu’un apprenti scélérat: c’est notre assassin; c’est Robespierre; c’est l’oppresseur de son pays, un tigre plus cruel que les Busiris, les Nerons et tous les monstres qui ont désolé la terre: il s’est souillé de crimes inconnus jusques à lui. A son nom tous les sages frémirent; car ils étoient instruits des forfaits de cet execrable scélérat.

   Cependant le bon Jean-Jacques, le cœur navré des maux dont le monstre avoit inondé sa patrie, s’approche et lui dit: je ne te reprocherai ni ta perfidie, ni ta scélératesse; mais je veux te montrer un spectacle qui fera ton désespoir: suis-moi. Je vais te découvrir les destins de la France, et que son bonheur fasse éternellement ton supplice. Disant ces mots, il ouvre devant lui le livre des destins.

   Le tyran apperçoit d’abord une peinture vraie et fidelle de tous ses crimes; vois, lui dit notre philosophe, cette ville malheureuse, jadis si florissante, et qui par son opulence et son commerce, vivifioit toutes les nations, dont tes agents ont fait un monceau de cendres; vois ces cadavres sanglants qui la couvrent; entends ces cris plaintifs de la douleur, qui te redemandent des pères, des époux; vois ces artisans, qui enrichissoient l’état par leur industrieuse activité, que tu as réduits à la plus affreuse misère et qui te demandent du pain! Cette cité célèbre étoit égarée; des hommes perfides l’avoient séduite: tu devois la rendre à la République, tu devois, comme un père dont un enfant débauché méprise les avis, la ramener à son devoir par des corrections paternelles; et tu l’as détruite! Vois la Loire encore effrayée du spectacle déchirant qui a désolé ses bords; ces viellards, ces enfans, ces femmes précipités dans les flots avec le tendre fruit qu’elles portoient dans leur sein: écoute les accens du désespoir des habitans de ces malheureuses contrées, qui unissent ton nom à celui de Carrier et les dévouent à l’exécration des races futures. Vois ton fidèle supposé à la vendée, se baigner dans le sang et faire frémir la nature par les atrocités les plus révoltantes. Vois le fer et la flâme porter partout leurs ravages, et ne plus faire de ce pays qu’un vaste cimétière. Vois l’artisan gémissant et opprimé par un homme si peu digne de son nom. Vois Paris devenu le séjour du crime et de la cruauté, ses places regorgeant du sang des citoyens; cet infâme tribunal près duquel on oubliera celui de l’inquisition, et où tu envoyois tes victimes, comme des moutons qu’on traîne à la boucherie. Vois ces nouvelles bastilles où tu faisois gémir une infinité de citoyens vertueux, qui n’avoient d’autre crime qued e détester tes forfaits et ceux de tes complices; ces ultivateurs arrachés à leurs charrues, et plongés dans des cachots, dont la terre te redemandoit les bras pour la fertiliser; ces infortunés que leur âge et leur foiblesse n’ont pu garantir de ta rage. Vois enfin la France entière applaudir à ton supplice, la sérénité succéder à l’effroi sur tous les visages, et une joie universelle bannir sans retour le désespoir dont tous les cœurs étoient atteints.

   Après que Jean-Jacques eut ainsi offert aux yeux du tyran une partie des crimes dont il s’étoit souillé, il lui découvrit les destins de la France; il lui montra le peuple intimement uni à ses représentants et ne faisant plus qu’un, opposant une tranquille fermeté à ceux qui voudroient les désunir; il vit cette société, le refuge des intrigans, qui y viennent abuser les bons citoyens, et dont il fut si longtemps le coriphée, faisant tous ses efforts pour ramener le règne de la terreur et applaudissant encore ceux qui osent dire que la constitution ne doit pas être exécutée; mais bientôt les fusilleurs, les noyeurs, les inventeurs de mine, tous ceux qu’on voit exhaler dans son sein leur rage et leur fureur, reçoivent le prix dû à leurs actions; ceux qui n’ont pas été trompés, rentrent dans la masse des citoyens, et le nom des Jacobins devient un nom d’opprobre.

   Regarde, lui dit encore Jean-Jacques, les nouveaux lauriers dont vient se couvrir la France; ses ennemis, vaincus et consternés, se hâter de fuir devant ses armes victorieuses, et chercher un abri audelà du Rhin, ou implorant sa clémence et recevant ses loix. Enfin il lui montre la france qui, après avoir affermi son gouvernement, ne fait plus qu’un peuple de frères et d’amis. Il lui fait voir l’agriculture en honneur, le commerce florissant et faisant refler dans ses ports les richesses des quatre parties du monde, les arts encouragés y ramener l’étranger de toutes les contrées, enfin les vertus de se shabitans la rendant l’admiration de l’univers et l’arbitre de ses voisins. Robespierre ne pouvant supporter plus longtemps un tableau qui à chaque instant redoubloit son tourment, se hâta de retourner dans le séjour destiné aux pervers, joindre les monstres qui partagerent ses forfaits.

   O bon Jean-Jacques! si tu avois vu qu’on abusât de ton nom et de tes immortels ouvrages pour en faire des titres d’oppression et de tyrannie; si les écrits de l’apôtre de la liberté et de la douceur, sont devenus des chaînes et des poignards dans les mains de quelques hommes de sang, combien tu t’applaudis, en voyant la France devenue heureuses des veilles et des travaux qui ont préparé sa gloire et son bonheur.

                                                                        Ptivar