Ngo Van
Jean-Jacques
Rousseau et quelques figures de la lutte anticolonialiste et révolutionnaire au
Viet Nam ...
« L’oppression
nous vient de France,
mais
l’esprit de libération aussi. »
Nguyên an
Ninh.
C’est grâce à une toute petite note de mon livre Viet
Nam, 1920-1945, Révolution et contre-révolution sous la domination coloniale
(L’Insomniaque, 1995), débusquée par Tanguy L’Aminot et qui mentionne un début
de traduction en quôc ngu, la langue vernaculaire du Viet Nam, du
Contrat social, que j’ai rencontré le groupe des Etudes Jean-Jacques
Rousseau. Je suis heureux d’avoir l’occasion ici d’évoquer quelques
vivantes figures du combat révolutionnaire et anticolonialiste du Viet Nam.
Il est, je pense, inutile de préciser que je ne suis un
spécialiste ni de Rousseau, ni de rien du tout. Mais il se trouve que j’ai été
mêlé à des événements qui m'ont fait côtoyer des gens qui, à leur manière, et
en dépit du temps et de l'espace, ont témoigné de l'actualité de Rousseau.
Au Viet Nam,
c’est dans la lecture clandestine d’ouvrages traduits en caractères chinois
venus en fraude de Chine que les lettrés formés à l’ancienne école du début du
siècle jusque dans les années 20, découvrirent Rousseau et les penseurs des
Lumières. Car, le moins qu’on puisse dire, c’est que la colonisation s’est bien
gardée d’apporter, avec ses armes et lourds bagages, la culture émancipatrice.
Et c’est par un détour par l’Est, c’est-à-dire par la Chine et le Japon que la
pensée occidentale a pénétré le pays.
Parmi les lettrés «modernistes»
et révolutionnaires qui ont marqué l’histoire du pays, Phan bôi Châu
(1867-1940) voulait chasser les Français du Viet Nam, mais, à l’époque, il
était partisan d’un régime monarchiste constitutionnel. En 1905, il s’est rendu
au Japon dans l'espoir d'y trouver aide et soutien. Là, il a rencontré le
lettré chinois Liang Qichao, réfugié à Tokyo depuis 1898 après l’échec de la
Réforme des Cent jours, et qui avait rejoint le groupe des Réformateurs, animé
par le Cantonais Kang Youwei. Liang Qichao était le principal
propagateur de Rousseau en Chine:
« De
talents éminents, aptes à guérir la maladie d’un pays, il y en a plusieurs
dizaines dans l’Europe moderne. Si je considère le remède qui s’adapte le mieux
à la situation actuelle de la Chine, [j’en conclus que] ce ne peut être que le Contrat
social de Rousseau.»
(Cité p.426, dans la thèse de Wang Xiaoling sur L’influence
de la pensée politique de Rousseau en Chine avant la révolution de 1911, qui
m’a éclairé sur les rousseauistes chinois dont les traductions ont permis aux
lettrés viets qui ne lisaient pas le français d’accéder à Rousseau. )
Phan bôi Châu, pour se présenter à Liang, lui écrivit: « Dès
mon premier cri en venant au monde, j’étais votre ami; dix années passées à
lire vos ouvrages ont fait de moi un parent par alliance » *. Et Phan bôi
Châu de raconter: « Cette lettre le toucha et il m’invita à venir le voir avec
Tang Bat Hô comme interprète. Quand nous voulions nous exprimer plus
directement, nous prenions le pinceau... »* De Liang Qichao, Phan bôi Châu
connaissait déjà Mâu tuât chinh biên, (Les Evénements de 1898); Trung
quôc hôn ((L’Ame de la Chine), La Guerre du Moyen-Orient ; La
Guerre franco-prussienne .
« Lorsque j’étais venu voir Liang Qichao, il m’avait montré L’histoire
des trois héros de l’Italie (Mazzini, Garibaldi, Cavour) qu’il était alors
en train d’écrire. J’avais été enthousiamé par Mazzini et notamment par cette
pensée de lui: « Education et violence doivent aller de pair ». Tout
en poussant les étudiants à partir outre-mer, je ne cessai pour autant
d’encourager le développement de l’action révolutionnaire dans le pays.
J’écrivais donc une Suite à la lettre d’outre-mer écrite avec du sang,
que Lê Dai traduisit en vietnamien et diffusa à travers tout le Viet Nam.
... Quand le vent morne charrie une odeur fétide
Comment rester impassible, l’épée sous
le bras?
Dans nos coeurs chaque goutte de sang
bouillonne de colère
Voici le ciel, voici la terre et nous
voici nous
Frères, dégainez l’épée
Il n’est pas d’autre façon de nous
unir. » *
Phan bôi Châu précise dans ses Mémoires , qu’il ne
s’est pas fait faute de puiser dans la bibliothèque bien fournie du fraternel
Liang Qichao.
« C’est seulement après mon départ à l’étranger — c’est-à-dire
en Chine et au Japon— dit-il, que je lus le Contrat social de Rousseau
... »* Liang Qichao est aussi l'auteur du Contrat social, doctrine
monumentale de Rousseau. Min yue lun juzi Lu suo zhi xue shuo, ( Xin min
cong bao, Yokohama, 5 &19 juillet 1902), et d'Etudes sur Rousseau, Lu
suo xue an ( Qing yi bao 21/11, 1/12 et 21/12/ 1901).
C’est la lecture de Rousseau qui a, semble-t-il, radicalisé
ses prises de position politiques et lui a fait sauter l'étape de la lutte pour
la monarchie constitutionnelle. Ainsi, après la révolution de 1911 en Chine,
Phan bôi Châu organisa en 1912 la Ligue pour la restauration du Viet Nam, Viet
Nam quang phuc hôi, dont le but est d’instaurer l’indépendance du Viet Nam
et l’établissement d’une république démocratique. Au moyen, s’il le fallait, de
la lutte armée et d’attentats terroristes.
Condamné à mort par contumace par les Français en 1913 après
une affaire des bombes qui avaient tué deux Français à Hanoi, il fut kidnappé
par la Sûreté à Shanghai et ramené à Hanoi en 1925. Gracié, il fut assigné à
résidence à Huê jusqu’à sa mort en 1940.
* * *
Son compagnon,
le lettré Phan châu Trinh (1872-1926), né en Annam, avait été nommé
mandarin des Rites en 1903, mais en 1905, écœuré par la corruption et
l'immobilisme archaïque de la Cour de Huê soigneusement entretenus par le
protectorat français, il avait quitté son poste, renonçant au confort du
mandarinat.
Au
début de 1906, déguisé en coolie et caché par les cuisiniers du bateau, il
s'était embarqué pour rejoindre Phan bôi Châu à Canton. Il le suivit au Japon
où Phan bôi Châu organisait l'accueil des étudiants annamites émigrés
clandestins.
Mais
demander le soutien militaire des Japonais pour chasser les Français du pays
était selon Phan châu Trinh une idée dangereuse. Et il quitta Phan bôi Châu.
Rentré au pays, Phan châu Trinh
adressa en octobre 1906 au gouverneur général un Mémoire sur 1es maux dont
souffre 1e peup1e annamite, appelant son attention sur la corruption du
mandarinat dont la rapacité aggravait la misère d'une population déjà écrasée
sous le poids des impôts, taxes et corvées. Il soulignait la responsabilité
française, complice de cet état de choses, et appelait à des réformes pour
revoir la sélection des mandarins, abolir le vieux système des examens,
réformer le code féodal barbare de l'empereur Gia long resté en vigueur en
Annam et au Tonkin, mettre sur pied une éducation moderne ... Les
mandarins corrompus lui en vouèrent une haine mortelle.
Au printemps de 1908,
éclatèrent dans le Centre Annam des manifestations paysannes qui se propagèrent
comme traînées de poudre. Pour la première fois, le régime colonial dut
affronter directement des protestations ouvertes et spontanées des masses
paysannes écrasées de misère. La répression fut sanglante.
La Cour de Huê saisit ce
prétexte pour sévir contre les lettrés modernistes. Dans toutes les provinces
se développa une véritable inquisition. Les écoles furent détruites, les maîtres
persécutés. Dans la même année, lorsque les paysans de son village marchèrent
sur le chef-lieu de la circonscription de Dai loc (Quang nam), Phan châu Trinh,
bien qu’il se trouvât alors à Hanoi, fut accusé d’en être le meneur. Amené à
Huê, il fit la grève de la faim. La Cour mandarinale le condamna à mort. Sur
l'intervention de la Ligue des droits de l'homme, sa peine fut commuée en
détention à vie, et il fut expédié au bagne de Poulo Condore.
Après trois
ans de travaux forcés, en 1911, une nouvelle intervention de la Ligue des
droits de l'homme l'arrachait au bagne. Et il s'expatria en France.
Il n’en avait
pas encore fini avec l’emprisonnement, puisque au cours des quatorze années de
sa vie de paria passées dans la métropole, il passa plusieurs mois à la prison
de la Santé, sur accusation de complot. Cette histoire tragico-burlesque sera
racontée plus tard par son ami de combat Phan van Truong, (1878-1933) dans Une
histoire de conspirateurs annamites à Paris, ou la Vérité sur l’Indochine, parue
en 1928 à Saigon, au style limpide d'un épique discret et plein d'humour. Phan
van Truong, qui fut aussi ami des idées rousseauistes écrit, page 190:
«A
côté des bruits diffamatoires, on répand, en outre, des assertions risibles. on
prétend, par exemple, que j’ai des idées révolutionnaires parce que j’ai lu
Jean-Jacques Rousseau, comme s’il suffit de lire Jean-Jacques Rousseau pour
devenir révolutionnaire. S’il en était ainsi, je me permettrais de conseiller
aux socialistes et communistes de propager à profusion les œuvres de cet
écrivain pour révolutionner le monde. »
Ce
livre, dévoré en cachette, eut une grande influence dans la prise de conscience
historique et politique des jeunes autochtones. En mai 1925, Phan châu Trinh se
rembarqua pour Saigon. Il fit le 19 novembre 1925 une causerie sur Ethique et
morale d’Europe et d’Asie orientale, dans un café, qui rassembla jusque
dans la rue un millier de personnes, jeunes pour la plupart, venues avant tout
pour manifester leur sympathie au vieux «retour d'exil».
Il déclara en substance: notre éthique
n'est plus qu'un fruit desséché, et c’est à nous que nous devons nous en
prendre pour la revivifier. L'éthique, c'est ce qui fait de l'homme, à toute
époque et partout, un homme: l'humanité, l'équité, la politesse réciproque, la
raison, le respect de la parole donnée ...
La
morale au contraire dépend de l'espace et du temps, elle est comme un
vêtement, elle change selon les pouvoirs; notre système monarchique
désuet charrie avec lui ses règles morales, non seulement sa morale familiale
qui a abouti, avec le temps, à un despotisme répondant au despotisme royal, où
les enfants se soumettent à l'esprit d'esclavage, où la femme doit obéissance à
son mari, mais aussi sa morale nationale qui depuis les temps anciens se résume
en deux mots: roi et sujet; le peuple n'a pas le droit d'intervenir dans les
choses de la nation, il n'a pas de citoyenneté.
En Europe, poursuivait Trinh,
la morale familiale a cédé le pas à la morale nationale, mais les nations
européennes qui sont des nations guerrières se sont battues entre elles ...
Elles et nous devons avancer maintenant vers l'époque sociale où seront brisées
les inégalités. Déjà il existe en Europe des jeunesses socialistes, des
jeunesses démocratiques, dont les vues dépassent les frontières nationales. Le
chemin sera long car, si l'idée socialiste se développe en Europe, chez nous,
c'est le « chacun pour soi » et tant pis pour ceux qui meurent en
route; on oublie le peuple, son malheur, sa misère; on étudie pour des titres
et des fonctions; plus le peuple est esclave, plus le trône est fort et plus
les mandarins s'enrichissent; cet état d’esprit s’étend aux interprètes, aux
secrétaires, et même aux boys et aux cuisiniers; chacun espère devenir maire, chef
de canton... et ainsi pouvoir à son tour dominer.
Si nous voulons qu'un jour le Viet Nam
devienne indépendant, il faut propager l'idée de socialisme, de solidarité. Et
Trinh ajoute:
En les observant
superficiellement, nous pensons que les Européens appartiennent à une race
ambitieuse, cruelle, terrible; mais, non, nous nous trompons. Si nous vivions
longtemps en Europe, nous saurions que les Européens ont une éthique supérieure
à la nôtre, car ils sont imprégnés de l’idée de liberté transmise à partir
d’Athènes et de Rome. Au 17ème et 18ème siècle, des esprits ont cherché à
briser les entraves du despotisme pour aider leurs semblables à conquérir la
liberté. La Fontaine dans ses Fables, Pascal, Montesquieu avec L’Esprit
des Lois, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau avec Le Contrat Social. Depuis
plus de soixante ans, sous le protectorat d'un pays pourtant très civilisé, la
Sûreté française nous inscrit sur ses listes noires quand nous manifestons
notre attachement à notre pays; elle nous accuse de manoeuvres subversives. Ne
nous laissons plus paralyser. Si les Français nous poussent ainsi au désespoir,
il n'y aura pas culpabilité à ne pas leur être loyal. (Phan châu Trinh, Dao
duc va luan ly A chau va Au chau, Saigon 1926.) Ces déclarations de Trinh
sont comme un écho au Discours sur l’origine de l’inégalité.
« Le despote n’est le maître qu’aussi longtemps
qu’il est le plus fort ... Sitôt qu’on peut l’expulser, il n’a point à réclamer
contre la violence. L’émeute qui finit par étrangler ou détourner un sultan est
un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposait la veille des vies
et des biens de ses sujets. La seule force le maintenait, la seule force le
renverse; toutes choses se passent ainsi selon l’ordre naturel. »
Trinh a aussi rappelé la
sentence: « On peut tuer un lettré mais on ne peut pas l'avilir » (Si
kha sat bat kha nhuc). Et commenté: que la richesse ne nous enivre pas, que
la pauvreté ne nous change pas, que l'autorité et la force ne nous fassent pas
courber la tête, là est l'homme véritable (phu qui bat nang dam, ban tien
bat nang di, uy vu bat nang khuat, thu chi dai truong phu). Meng Tseu
(Mencius), le disciple de Confucius, qui vécut au 4ème-3ème siècle avant J.-C),
a dit que le peuple est ce qu'il y a de plus précieux. Un souverain qui n’agit
pas comme il le devrait idéalement, a cessé moralement d’être souverain et il
n’est « rien d’autre qu’un individu quelconque ». Que doit faire le peuple
quand le roi est cruel? Meng Tseu n'a pas répondu à cette question, mais l'histoire
l'a fait: quand le roi est cruel, le peuple le tue. Mais prenons garde de
pousser le peuple à se soulever avec des couteaux et des bambous, de l'exposer
à la mort sans aucune utilité ; les flagorneurs n'en deviendraient que
plus arrogants et plus oppressifs.
Le 27 novembre, Phan châu Trinh
traita de Monarchie et démocratie.
Rongé par la tuberculose, il expira à
Saigon le 24 mars 1926. L’émotion populaire fut immense. Des milliers d'hommes,
de femmes, de jeunes gens défiant la police omniprésente défilèrent pendant une
huitaine de jours devant la dépouille du défunt, allumant des baguettes
d'encens sur l'autel dressé pour lui au 54 rue Pellerin. Le 4 avril 1926, ses
funérailles se transformèrent en rassemblement monstre contre les maîtres...
Autour du corbillard de celui dont la voix a été un sabre qui a effrayé le
pouvoir, (Phan bôi Châu dans le discours d’adieu), les Jeune Annam
aux brassards blancs, avec leurs larges banderoles «Vive la révolution
annamite!», et en masse, des coolies et ouvriers des décortiqueries de Cholon
qui avaient quitté le travail, les élèves de la ville et des provinces, des
ouvriers et employés de l'Arsenal, des paysans de Ba Diem et Hoc mon, connus
pour leur esprit de révolte...
***
Nguyên an Ninh (1900-1943), de la génération suivante, fut
formé à l’école française. En 1920, il arriva à Paris où il allait fréquenter
anarchistes et socialistes.
De retour au
pays en l922 avec une licence en droit, Nguyên an Ninh aurait pu s'intégrer
facilement à la société coloniale, accepter un confortable emploi de magistrat
assorti d'une concession de terre, mais c’était contraire à son éthique.
Il voulait
secouer la jeunesse scolarisée, l'engager à faire l'effort de se cultiver
elle-même et de se battre pour l’émancipation du peuple annamite.
Dans son
exposé sur «l'Idéal de la jeunesse annamite», en 1923, il dénonce la
tradition confucéenne introduite avec les marchandises chinoises et qui, usée
et pervertie, n'a engendré qu'une couche sociale prééminente (thuong luu)
au conservatisme gonflé de suffisance. Il dénonce aussi la culture utilitaire
dispensée par l'école française en vue de former des « esclaves du
gouvernement français ».
« En
notre pays, écoles publiques et écoles privées abrutissent notre jeunesse, car
le gouvernement a besoin d'un peuple faible et servile. C'est pitié de voir la
sorte d'hommes domestiqués qu'elles engendrent.
Pendant que la masse des Annamites
labourent et triment durement pour leur subsistance, une minorité les saigne au
profit d'une puissance d'Europe. Notre tâche présente est de préparer les
paysans à la lutte, de « produire la graine de l'arbre de demain ».
La liberté doit se préparer par une culture ouverte sur le monde actuel, sur
ses besoins et ses méthodes d'action. Ce n'est pas la littérature léguée par
nos ancêtres qui nous éclairera, car il n'en émane plus qu'un esprit dégénéré,
fatigué, agonisant... Quittons nos montagnes et nos fleuves. Lorsque, d'un œil
clair, nous aurons regardé l'univers et les sociétés des hommes, nous nous
connaîtrons mieux nous-mêmes, et nous reviendrons ici où nous sommes nés, ici
où notre esprit créateur et notre lucidité seront utiles. [...] Ce qu'il nous
faut, ce ne sont pas des imitations serviles qui, loin de nous libérer, nous
attachent à ceux que nous imitons. [...] On a souvent parlé du rôle
civilisateur de la France représentée par la caste dirigeante actuelle. On a
fait un livre intitulé: Le Miracle français en Asie. Et qu'est ce
miracle? C'est un miracle en effet que de pouvoir en un laps de temps si court
faire descendre jusqu'à l'ignorance épaisse un niveau intellectuel qui s'était
déjà beaucoup abaissé [...] précipiter un peuple aux idées démocratiques dans
la servitude complète [...]. Parler du rôle éducateur, du rôle civilisateur des
maîtres de l'Indochine, décidément, messieurs, cela fait sourire.
Cette
conférence de Ninh est reproduite dans le beau et généreux livre de Léon Werth,
Cochinchine, édité pour la première fois en 1926.
En l923, Ninh lança le journal La
Cloche fêlée, titre repris du poème de Baudelaire. Ninh ne s’est jamais, à
ma connaissance, expliqué sur cette référence, ce titre insolite donné à un
journal engagé dans le combat anticolonialiste, mais je crois que pour tous
ceux qui l'ont approché un jour ou l'autre, cette référence poétique n'a rien
d'étonnant, elle est tout à fait dans sa forme d’esprit sensible, ennemi de
tout cloisonnement, schématisme et sectarisme.
...
Bienheureuse
la cloche au gosier vigoureux
Qui,
malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette
fidèlement son cri religieux,
Ainsi
qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !
Moi,
mon âme est fêlée et lorsqu’en ses ennuis
Elle
veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
Il
arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble
le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au
bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et
qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.
Il a
appelé son journal « organe de propagande des idées françaises »,
formule déconcertante à première vue, mais tout à la fois diplomate et sincère.
Ces « idées françaises » n'étaient pas celles des administrateurs et des
colons, mais celles des libertés démocratiques. « L'oppression nous vient
de France, mais l'esprit de libération aussi », disait-il.
Le journal
parut en français, toute publication en quôc ngu étant soumise à
autorisation préalable. La Cloche fêlée attaqua le pouvoir colonial et
sa société, du gouverneur Cognacq aux colons; elle inaugurait ainsi en
Cochinchine l'affrontement ouvert de la presse avec l'administration, testant
les possibilités légales d'appeler les dong bao (compatriotes,
littéralement issus de la même matrice) à la lucidité et de les inciter à
préparer eux-mêmes l'avenir de la « nation indochinoise ».
Le numéro du
21 avril l924 exhorta les jeunes des écoles à partir pour la France où la
culture était libre.
« Ce
n'est pas dans ce pays que nous pouvons acquérir ce qui nous manque. Ce n'est
pas dans les gouvernements actuels de l'Indochine qu'il nous faut mettre nos
espoirs en l'avenir de notre race. Un peuple esclave qui compte sur son maître
pour sortir de la servitude oublie trop vite les raisons pour lesquelles on l'a
fait esclave. »
Ninh
colportait lui-même son journal dans les rues de Saigon. Ses lecteurs,
semi-clandestins, ne pouvaient être que ceux qui connaissaient le français,
instituteurs, élèves, petits fonctionnaires annamites et ils risquaient le
blâme ou le renvoi s'ils étaient surpris en train de lire cet « écrit
séditieux ». La pression administrative harcelante sur son imprimeur le conduisit
à installer sa propre imprimerie, rudimentaire, et de rédacteur et colporteur,
il se fit aussi typographe.
En 1925, dans
une brochure, La France en Indochine, Ninh alerta l’opinion de la
métropole sur le malaise social en Indochine où la « mission civilisatrice
de la France républicaine est révélée sous son vrai jour ».
«Dans ces dernières années, malgré tous les efforts
des coloniaux pour confiner les Annamites dans leur pays [...] des Annamites
ont pu venir en France et observer la vie européenne [...] Ils en ont rapporté
les idées démocratiques européennes, l’esprit critique de l’Europe, une vigueur
et une foi revivifiées par le souffle occidental. Il y ont reçu des mains des
Français même l’acte de condamnation du régime imposé par les coloniaux à
l’Indochine. Les coloniaux ne peuvent pas les empêcher de lire Montesquieu,
Rousseau et Voltaire. Déjà quelques esprits se révèlent et s’affirment. [...]
Ils prêchent la réclamation des libertés élémentaires qui protègent la dignité
humaine, la réclamation des réformes qui concilient l’esprit démocratique du
peuple annamite et les idées européennes. [...] Ils ne combattent plus en
secret et par pur patriotisme. Ils combattent ouvertement au nom des idées
humanitaires et des principes de 1789 ».
Ninh rappelle
aussi que « Les livres chinois ne peuvent pénétrer en Indochine qu’en
fraude, même les traductions d’ouvrages de Rousseau et Montesquieu. »
Dans la logique de ces convictions, en 1926, Ninh se met à
la traduction de Rousseau en langue vernaculaire, le quôc ngu, afin que
cette pensée soit accessible au plus grand nombre. Bien qu’on ignore quelle
édition il utilisa, il est probable qu’il traduisit Rousseau directement du
français en vietnamien. Sa traduction
consiste en un
fragment du Contrat social ( chapitres 1 à 6 du
Livre I ): initialement, Ninh envisagea de réaliser une traduction
complète de l’ouvrage de Rousseau, mais
ses activités militantes, la prison et la maladie l’en empêchèrent. Il incita cependant à plusieurs reprises
d’autres révolutionnaires à poursuivre
cette entreprise. Le fragment traduit par Ninh a été publié avec la
traduction de sa Conférence prononcée en français en 1923 à Saigon sur l’Idéal
de la Jeunesse annamite, dans laquelle, on l'a vu, il combat la tradition
confucéenne.
Beaucoup de jeunes se sont jetés sur la lecture de
Rousseau. Ce dont d’ailleurs, s’alarma le docteur Paul Carton (célèbre par
ailleurs en France pour son régime diététique) qui exerça aux colonies et
écrivit dans Le Faux Naturisme de Jean-Jacques Rousseau., 2ème
Edition de 1931) :
«Indiscutablement, Jean-Jacques Rousseau fut donc un
grand déséquilibré, et voici l'homme que nos éducateurs modernes considèrent
comme un dieu et nos révolutionnaires comme un saint. Et ce sont les idées
fausses de ce dément, charlatan déclamateur, qui a fini par le délire de la
persécution, que, sous prétexte d'éducation nouvelle, on infuse à l'école, dans
des leçons trop souvent libertaires et communistes et que l'on propage chez les
peuples colonisés. Par exemple, le Contrat social, traduit en annamite,
est enlevé chez les libraires en Indochine, et dévoré par les indigènes. Ils le
considèrent comme leur Evangile social. Il est le ferment de leur révolte et
l'instigateur de leurs assassinats.
Et c'est
Jean-Jacques Rousseau, étranger qui se réclamait toujours de son titre de
citoyen de Genève, bâtisseur d'utopies, cerveau enflammé d'envie et de
vengeance, esprit perpétuellement faux, dieu des autodidactes, des primaires et
des détraqués, destructeur de la famille et désorganisateur de l'ordre social,
que la démocratie a pris chez nous comme drapeau, en lui empruntant ses
soi-disant immortels principes et qu'elle a transféré dans son Panthéon!
Devant un
tel renversement du bon sens et de la raison, on comprendra que nous ayons tenu
à balayer hors du sage Naturisme hippocratique cet homme néfaste, ce faux
naturiste, ce faux prophète, cet idéologue malfaisant, en un mot ce paranoïaque.»
(Ce texte m’a été communiqué
par Tanguy L'Aminot)
Nguyên
an Ninh fut incarcéré en avril 1926 et c’est Phan van Truong (l’auteur déjà
cité plus haut d’Une Histoire de Conspirateurs annamites à Paris) qui
reprit en main La Cloche fêlée. Il y plaça en exergue la sentence
frappante de Meng Tseu en chinois et avec sa traduction française: Le peuple
est tout, l'Etat a une importance secondaire, le prince n'est rien.
En mai 1926,
La Cloche fêlée prend le nom d’Annam. ( Et l’Annam
disparaîtra définitivement lorsque Phan van Truong sera condamné en l928
à deux ans de prison pour « provocation de militaires à la désobéissance
dans un but de propagande anarchiste »).
Le 24 avril
1926, s'était ouvert le procès de Nguyên an Ninh. Il fut condamné à deux ans de
prison pour « manœuvres subversives ». Grande émotion dans le pays, grèves
de protestation parmi la population scolaire. Il y eut désertion en masse dans
tous les établissements importants, tant en province qu'à Saigon. Même au
Collège des jeunes filles annamites de Saigon, à l'Institut catholique Taberd,
et parmi les petits écoliers de Phulam à Cholon. Plus d'un millier d’élèves
furent renvoyés.
Relaxé sous
condition en janvier l927, Ninh s'embarqua en mars pour la France. Rentré en
janvier 1928, L'Annam étant interdit et Phan van Truong inculpé, Nguyên
an Ninh décida de vivre au sein de la paysannerie pauvre pour l'aider à sortir
de sa torpeur, pour tenter d'y introduire le ferment d'une éthique
révolutionnaire de solidarité et de responsabilité commune, dans l’optique de
l'émancipation du pays.
Avec son ami
Phan van Hùm, il parcourait à vélo les régions de Giadinh, Cholon, Tayninh, il
y propageait les idées émancipatrices; il suscitait des débats chez les
travailleurs de la terre, tentait d'élargir leur horizon au-delà de leurs haies
de bambous. Il nouait des liens dans la campagne profonde.
Son charisme
alarma le pouvoir. N'était-il pas, sous le masque d'une existence ascétique et
intellectuelle, en train de mettre sur pied une de ces sociétés secrètes, comme
celle du Ciel et de la Terre en 1916, capables d'embraser tout à coup le monde
paysan contre l'appareil de domination ?
Un soir de septembre, Phan van Hùm est
interpellé à Ben luc par des miliciens qui prétendent garder ses papiers. Il
proteste et un caï lui envoie à la tête un coup de nerf de boeuf. Ninh le
défend avec ses poings. Mais la nuit est noire, et c'est Hùm qui est emmené et
mis aux fers à la maison commune de Longphu. Conduit au parquet de Saigon, il
est inculpé d'imaginaires « coups et blessures à agent dans l'exercice de
ses fonctions », et incarcéré. Quelques jours après, lorsque paraît le
« communiqué du gouvernement », Ninh se rase la tête, se vêt de blanc
et décide de rejoindre Hùm à la Maison centrale parmi les prisonniers de droit
commun.
La Sûreté
transforme qui elle peut en faux témoins: elle torture, elle affame, arrête
enfants, vieux parents qui parfois craquent et dénoncent. La police semble
croire ou fait semblant de croire à une Société secrète Nguyên an Ninh en
train de s'armer, se livrant à la pratique du serment du sang et de la mort
dans la tradition des sociétés secrètes du passé, serment qui n'a rien à voir
avec l'homme de raison qu'est Ninh.
Des centaines
d'arrestations se succèdent en octobre, novembre et décembre. La grande salle
où l'on rassemble les détenus est bientôt baptisée kham hoi (prison de
la société secrète). Chaque matin, des centaines de femmes et d'enfants partis
de leurs villages dans la nuit attendent le moment où ils pourront remettre
quelque nourriture à un mari, un père ou un fils. Beaucoup ne seront relâchés
qu'après avoir été longuement torturés.
Cependant du
dehors vient un grand réconfort. Ninh sait que chaque jour des paysans de
Giadinh, Cholon, Tan an, quoique soumis à la terreur, signent des pétitions en
sa faveur ...
C'est le 8
mai 1929 qu'a lieu le deuxième procès. Une foule de sympathisants envahit le
prétoire. Ils sont expulsés dès l'ouverture de la séance. Verdict : Nguyên
an Ninh, 3 ans de prison, 1000 francs d'amende et 5 ans de privation de droits
civiques pour formation d'une société secrète. Il sera envoyé à Hatien
pour y casser des cailloux, mais l'administrateur, inquiet de son charisme, le
fit ramener deux jours plus tard à la Maison centrale de Saigon.
Tous les jeunes avaient la
photo de Ninh dans leur chambre à cette époque-là. Tous ceux qui étaient
éveillés à la révolte étaient enthousiasmés par lui et le considéraient comme
leur aîné.
Pour donner
une idée de ce rayonnement humain et intellectuel remarquable, il faut préciser
que c’est sous son influence directe que les deux tendances communistes
(staliniens et trotskistes) formèrent un front unique au sein du journal La
Lutte en 1933. Alors que Ninh lui-même n'appartenait à aucun parti.
Cette
alliance unique — alors que Staline traquait en URSS et ailleurs, avec l’aide
des partis communistes à sa dévotion, les opposants et ceux qui étaient tant
soit peu soupçonnés de «trotskisme»— allait durer près de trois ans.
Staliniens et
trotskistes, d’accord avec Nguyên an Ninh pour une lutte commune contre
les ennemis immédiats, pouvoir colonial et parti constitutionnaliste,
fabriqueront ensemble un journal de défense des ouvriers, coolies et paysans,
sans qu’il soit question de stalinisme ou de trotskisme, les idées de Marx
étant le fond théorique commun. Les articles ne seront pas signés (ni publicité
personnelle, ni expression de tendances). C’est Ninh qui fut la cheville
ouvrière du journal ...
La Lutte
gardera toujours cette orientation éditoriale: un peu de théorie, l’histoire
du mouvement ouvrier au 19e siècle, mais surtout beaucoup de faits
puisés dans l’histoire en train de se faire dans le monde, dans la vie des
ouvriers (grèves, syndicats, salaires, accidents du travail...), dans celle des
paysans (propriétaires fonciers spoliateurs, exactions des notables, brutalités
des colons), dans l’arbitraire et les abus de l’administration, dans les
tortures pratiquées à la Sûreté, dans les violences policières, dans la vie des
bagnards, dans les procès, dans le cynisme des possédants, des
constitutionnalistes...
Ensuite ce sera la rupture entre staliniens et trotskistes
en 1937, sur ordre du Parti communiste français.
Ninh sera de nouveau arrêté en 1937. Déporté juste au début
de la guerre, il mourut au bagne de Poulo-Condore en 1943.**
Au début des années trente, au moment des nombreuses
arrestations, dans les listes de livres saisis chez les suspects que les
journaux publiaient innocemment, ce qui orientait fructueusement les lectures
des jeunes autochtones, en bonne place figurait toujours Rousseau ... N’est-ce
pas là le signe d’une pensée toujours vivante dans ces premières décennies du
20ème siècle?
*
Dernièrement lors d’un séjour à Hanoi, j’ai eu l’occasion
au cours de discussions avec des écrivains et poètes qui avaient joué un rôle
dans le mouvement Humanisme et Belles Lettres, Nhân Van Giai Pham, de
les entendre se référer à Rousseau.
Ce mouvement Nhân
Van Giai Pham a surgi en mars 1956, quand après le rapport de Khrouchtchev
sur les crimes de Staline, quelques voix de poètes et d'écrivains
s'aventurèrent à rompre le consensus apparent au Viet Nam. Ces voix
s’attaquèrent aux « caporaux des lettres et des arts », réclamèrent
avec force les libertés démocratiques, s’élevèrent contre le système de
contrôle de la population par son regroupement en unités de foyers (hô khâu)
qui doivent se surveiller mutuellement, critiquèrent l’arbitraire, les abus et
exactions commis dans la réforme agraire en cours qui commençaient à provoquer
une série de réactions explosives…
La
contestation éclata au printemps de 1956 par la publication dans le recueil Giai
phâm (Belles oeuvres) du poème « Monsieur le Pot à chaux
» de Lê Dat :
Le
sort des personnes qui parviennent à vivre cent ans,
Est
exactement celui d’un pot à chaux.
Plus
ils vivent plus ils dégénèrent,
Plus
ils vivent plus ils se rapetissent.
Ce quatrain
visait le « Vieux père de la nation » (titre que Ho chi Minh s’était lui-même
attribué), ridiculisant le thuriféraire professionnel To Huu, dirigeant des
Lettres et des Arts, auteur de ce chef d’oeuvre :
Vive
Ho chi Minh,
Le
phare du prolétariat!
Vive
Staline,
Le
grand arbre éternel
Abritant
la paix sous son ombre!
(…)
Tuez,
tuez encore, que la main ne s’arrête pas une minute;
Pour
que rizières et terres produisent du riz en abondance, pour que les impôts
soient recouvrés rapidement.
Pour
que le Parti dure, ensemble marchons du même coeur.
Adorons
le président Mao,
rendons
un culte éternel à Sta-line.
Se sentant
menacé, le pouvoir étouffa l’éclosion des Cent fleurs du printemps et de
l’automne: le 15 décembre 1956, Ho chi Minh signa le décret d’interdiction de
toute publication oppositionnelle sous peine d'emprisonnement allant jusqu'aux
travaux forcés à perpétuité. Le recueil Giai phâm sera saisi alors qu’un autre
jeune poète Trân Dân, qui avait lui aussi perdu tout respect du
« père », était jeté en prison où il tenta de se suicider .
En automne,
la dissidence affronta au grand jour le pouvoir. La revue nouvelle-néeNhan
van (Humanisme) sera saisie à son 6e numéro le 11 décembre. D’autres
feuilles, Dât moi (Terres nouvelles), Tram hoa (Cent fleurs), Noi
thât (Franc parler) furent interdites. Mis au rang des assassins par les
plumitifs de la presse officielle, 476 « saboteurs du front idéologique »
furent, au début de 1958, rassemblés et soumis à des séances de
« rectification idéologique » (chinh huân), obligés de consigner (kiêm
thao) leur autocritique, allant parfois jusqu’à la confession publique :
les uns seront déportés dans les camps de travail des régions difficiles du
Viet Bac (Nord) ou dans les zones agricoles à la frontière du Laos, les autres
envoyés dans les coopératives ou les entreprises pour se « rééduquer
par le travail » (hoc tâp lao dông).
Ces méthodes inquisitoriales ont poussé
certains au suicide. Le philosophe Tran duc Thao, enseignant à l’université de
Hanoi sera, lui aussi, contraint à confesser « son révisionnisme » et
envoyé à la garde des troupeaux. Le lettré Phan Khôi, 73 ans, l’écrivain Truong
Tuu, sympathisant trotskiste, ont refusé de faire leur autocritique. Le premier
fut envoyé en résidence forcée à Chiêm hoa (Tuyên quang), le second exclu de
l’université où il enseignait, et sa femme privée de son petit commerce, leur
seul moyen de subsistance.
Enfin, la
campagne de répression s’acheva en janvier 1960 par le procès de l’ancien
vice-ministre de la propagande de Ho chi Minh, Nguyên huu Dang et de la femme
de lettres Thuy An, sous les verrous depuis 1958 pour refus de confession,
furent condamnés chacun à 15 ans de prison; Trân thiêu Bao (Minh duc),
l’imprimeur de la revue Nhan van à 10 ans, Phan Tai et Nguyen Chi à 5 et
6 ans , pour « espionnage »!
Lê Dat
considère que l’on a surestimé en France l’influence chinoise sur le Mouvement
dit des Cent fleurs vietnamiennes... Les intellectuels pour la plupart ne
lisaient pas le chinois. C’est à la Révolution française que Lê Dat attribue la
plus grande influence. Et Lê Dat, qui a dû aussi « se rééduquer »
dans les Aciéries de Thai nguyên, de chantonner, évoquant cette époque:
Je
suis tombé par terre,
C’est
la faute à Voltaire,
Le
nez dans le ruisseau,
C’est
la faute à Rousseau...
Et
d’ironiser : Non, l’inspiration n’a pas été du tout chinoise, par contre la
punition l’a été...
Dans le monde de l’oppression, de l’exploitation, partout
où des hommes n’acceptent pas de dissocier rêve de vie communautaire,
égalitaire et réalité, on peut dire qu’à un moment donné, fût-ce à l’autre bout
du monde, le choc émerveillé de la rencontre avec l’esprit libertaire de
Rousseau a eu lieu, que ce soit pour lutter contre l’impérialisme colonial ou
contre la bureaucratie dominante.
A
Paris, Mai 1998, Ngo Van
* Cf. Mémoires,
de Phan bôi Châu, Trad. de Georges Boudarel, France-Asie/ Asia, Paris
1969. p. 49, 69, 133, 280.
** Ecrits de Nguyên an Ninh
en français: La
France en Indochine ,Paris 1925; —
Articles dans les journauxLa Cloche fêlée , La Lutte ,
etc. 1923-1939.
• en vietnamien:
Cao -vong cua bon thanh-niên an-nam.
Dân üóc (L’idéal de la
jeunesse annamite. Du Contrat social),
Saigon 1926; Hai Bà Trüng (Les deux Dames Trung, pièce de théâtre
inspirée de l’histoire des deux soeurs qui, au début de l’ère chrétienne,
avaient chassé le gouverneur chinois du territoire viet), Saigon 1928; Tôn giáo
(De la religion); Phê bình Phât giáo (Critique du
bouddhisme), Saigon 1938. — Articles dans les journaux en quôc ngü à Saigon, 1933-1939.