Alain Grosrichard.
Ornicar, n°25 (1982)
Hélas! mon plus constant bonheur fut en songe. Son accomplissement
fut presque à l'instant suivi du réveil.
J.-J. Rousseau.
Confessions
Septembre
1743. Rousseau, qui vient d'avoir 31 ans, arrive à Venise pour y occuper le
poste de secrétaire de l'Ambassadeur de France, un imbécile, nommé M. de
Montaigu: Je trouvai des tas de Dépêches tant de la Cour que des autres
ambassadeurs, dont il n'avait pu lire ce qui était chiffré, quoiqu'il eût tous
les chiffres pour cela. N'ayant jamais travaillé dans aucun Bureau ni vu de ma
vie un chiffre de Ministre, je craignis d'abord d'en être embarrassé, mais je
trouvai que rien n'était plus simple et en moins de huit joursj'eus déchiffré
le tout. [1]
Durant les
onze mois de son séjour à Venise, Rousseau passera donc ses journées dans
l'Ambassade, à chiffrer et déchiffrer des dépêches, sans que rien l'y ait
préparé. Sans doute vient-il de présenter à l'Académie des Sciences son Projet concernant de nouveaux signes pour la musique, qui
n'est rien d'autre qu'un chiffrage. Mais il s'y propose, justement, de
remplacer la notation traditionnelle trop compliquée (trop cryptée), par un
système de chiffres simples, rendant immédiatement lisible, même par un
débutant, l'air à exécuter. A l'Ambassade, lui qui n'a jamais cessé de rêver
d'une communication de coeur à coeur sans médiation, le voilà devenu
cryptographe professionnel, occupé du matin au soir à coder et décoder des
messages, à brouiller les communications, et à manier en expert les redoutables
pouvoirs de la lettre.
Il ne s'en
plaint pas. Au contraire, on dirait qu'il prend plaisir à cet emploi d'Hermès
fonctionnaire. Payé pour composer et déchiffrer des énigmes, n'a-t-il pas
trouvé l'occasion de satisfaire cette passion d'interpréter qui le tient depuis
l'enfance et qui plus tard, devenue folie, nourrira son délire? Mais la passion
est ici disciplinée. L'interprétation, toujours hasardeuse, se réduit à une
traduction réglée. L'art un peu fou à une sobre technique. Le lot de Rousseau,
si on l'en croit, aura toujours été d'émettre et de recevoir des messages
obscurs. Mais ici, pour une fois, cette obscurité, totale, est aussi totalement
éliminable. Il détient la bonne clé. Il est maître absolu du code.
Ce qui
n'arrive jamais avec la langue commune, toujours vouée à l'équivoque. Comme les
hommes doubles qui la parlent, malheureux fruits de la nature pervertie et de
la loi dégénérée, la langue est dénaturée, mais à moitié seulement, ce qui est
p'ire. Certes, la cryptographie représente la dernière étape dans une histoire
des langues marquée par l'extinction des voix et l'emprise, inséparable de la
montée du despotisme, du signifiant littéral. Le chiffre: qu'est-ce d'autre que
du signifiant littéral ne renvoyant qu'à du signifiant littéral, pour des
sujets (maîtres ou esclaves) condamnés au secret, à la dissimulation, au
mutisme? Mais il apparaît du coup comme une dénaturation radicale de la langue.
Et l'extrême artifice, ici, comme partout chez Rousseau, rejoint presque le
naturel. Dans l'histoire des langues, la cryptographie chiffrée atteint donc le
point extrême qui ferme le cercle et touche au point d'où nous sommes partis [2]: la
communication, sans malentendus, dans le silence. Ce silence de la pure nature,
où les humains, libres et heureux encore, finirent par se rencontrer, se
regarder, se reconneitre hommes et femmes, et à qui l'amour, un jour, arracha
les premières voix.
Le
chiffre, dernier degré dans l'art d'écrire. La voix, premier degré dans l'art
de parler. Deux extrêmes, qu'oppose et sépare toute une histoire, mais entre
lesquels, pourtant, il n'y a qu'un pas. Un seuil: celui de l'Ambassade de
France, que Rousseau, son travail terminé, franchit chaque jour pour aller
prendre l'air de Venise, et s'abandonner au charme des voix inouïes qu'il vient
d'y découvrir.
Elles sont
partout: sur les canaux, dans les églises, dans les salons et les boudoirs. A
l'Opéra, bien sûr. A peine a-t-il quitté son bureau, ses chiffres et ses
faciles énigmes, qu'il court s'enfermer dans une loge, pour retrouver ses voix.
Là, tout seul avec elles, et contre tout usage, il écoute. Mais ce qu'il
rencontre, enveloppée dans l'incomparable plaisir qu'il prend à écouter, c'est
une autre énigme, plus obscure et brûlante que celles qu'il vient de laisser:
sa propre énigme, portée par une voix jusqu'à son coeur, qui en a perdu la clé.
Voici le
texte, et l'énigme, que je me proposerai, dans les pages qui vont suivre, de
faire déchiffrer par Rousseau lui-même:
J'avais
apporté de Paris le préjugé qu'on a dans ce pays-là contre la musique italienne;
mais j'avais aussi reçu de la nature cette sensibilité de tact contre laquelle
les préjugés ne tiennent pas. J'eus bientôt pour cette musique la passion
qu'elle inspire à ceux qui sont faits pour en juger. En écoutant des
barcarolles je trouvais que je n'avais pas ouï chanter jusqu'alors, et bientôt
je m'engouais tellement de l'opéra, qu'ennuyé de babiller, manger et jouer dans
les loges quand je n'aurais voulu quécouter, je me dérobais souvent à la
compagnie pour aller d'un autre cÔté. Là tout seul enfermé dans ma loge, je me
livrai malgré la longueur du Spectacle au plaisir d'en jouir à mon aise et
jusqu'à la fin. Un jour au théâtre de St. Chrysostome je m'endormis et bien
plus profondément que je n'aurais fait dans mon lit. Les airs bruyants et brillants
ne me réveillèrent point. Mais qui pourrait exprimer la sensation délicieuse
que me firent la douce harmonie et les chants angéliques de celui qui me
réveilla. Quel réveil! Quel ravissement! Quelle extase, quand j'ouvris au même
instant les oreilles et les yeux! Ma première idée fut de me croire en Paradis.
Ce morceau ravissant que je me rappelle encore et que je n'oublierai de ma vie
commençait ainsi:
Conservami la bella
Che si m'accende il cor.
Je
voulus avoir ce morceau, je l'eus, et je l'ai gardé longtemps; mais il n'était
pas dans mon papier comme dans ma mémoire. C'était bien la même note, mais ce
n'était pas la même chose. jamais cet air divin ne peut être exécuté que dans
ma tête, comme il le fut en effet le jour qu'il me réveilla. [3]
Un réveil.
Ou plutôt deux: un réveil ponctuel, saisissant, qui semble n'être que le
redoublement en abîme d'un premier réveil dans le cadre duquel il apparaît
inscrit. Quel réveil! Quel ravissement!... Rousseau aurait pu utiliser ces
mêmes mots pour décrire l'effet de sa découverte de la musique italienne, qui
le tire d'un coup du long sommeil dogmatique où le maintenait un préjugé
tenace. J'eus bientôt pour cette musique la passion qu'elle inspire à ceux qui
sont faits pour en juger: il ne cessera plus, dès lors, de chercher à fonder
théoriquement sa conversion brutale, en rendant raison de sa passion. La Lettre sur la musique française, l'Essai
sur l'Origine des langues, le Dictionnaire de
Musique, entre autres, s'y emploieront, avec des arguments dont il n'est
pas inutile de rappeler les grandes lignes.
La musique
italienne n'est pas une autre musique que la musique française, c'est la
Musique même. Elle en révèle l'essence, elle en fait saisir les prestigieux
pouvoirs, qui distinguent la musique de tous les autres arts d'imitation. La
plus belle peinture, en effet, n'imitera jamais que le visible. La musique
semblerait avoir les mêmes bornes par rapport à l'ouïe; cependant elle peint
tout, même les objets qui ne sont que visibles: par un prestige presque
inconcevable elle semble mettre 1'oeil dans l'oreille [4]. Suit
une remarque qui résonne étrangement avec ce qui est arrivé à Rousseau au
théâtre de Saint-Chrysostome: la plus grande merveille d'un art qui n'agit que
par le mouvement est d'en pouvoir former l'image du repos. La nuit, le
sonnneil, la solitude et le silence entrent dans le nombre des grands tableaux
de la musique. On sait que le bruit peut produire l'effet du silence, et le
silence l'effet du bruit; comme quant on s'endort à une lecture égale et
monotone, et qu'on s'éveille à l'instant qu'elle cesse. La musique donne donc à
entendre le visible, aussi bien qu'elle donne à voir l'inaudible (elle peint
des choses qu'on ne saurait entendre dit l'Essai sur
l'Origine des langues [5]), parce
que le corps sonore a le pouvoir de représenter aussi bien n'importe quel corps
visible que l'absence de tout corps visible (la nuit) ou sonore (le silence).
Le son fait ainsi fonction de représentant universel.
Mais, à ce
pouvoir représentatif s'enjoint un autre. Car si la musique met I'oeil dans
l'oreille, elle y met aussi le coeur [6]. Elle
agit plus intimement en excitant, par un sens, des affections semblables à
celles qu'on peut exciter par un autre; (...) et l'art du musicien consiste à
substituer à l'image insensible de l'objet celle des mouvements que sa présence
excite dans le coeur du contemplateur; (...) il ne représentera pas directement
[les choses], mais il excitera dans l'âme les mêmes mouvements qu'on éprouve en
les voyant. [7]
Or ce
double pouvoir, à la fois représentatif et expressif, métaphorique et
métonymique, la musique ne le doit pas à quelque privilège physique
des sons, ni même de leur harmonie, aussi savante qu'elle soit: Le seul
physique de l'art se réduit à bien peu de choses, et l'harmonie ne passe pas au
delà [8].
Comme celle des couleurs, l'hannonie des sons peut produire des impressions
agréables, mais elle laissera le coeur froid et l'imagination inactive. Le
prestige inconcevable des sons, dans la musique, tient à la mélodie, donc au chant:
C'est par les chants, non par les accords, que les sons ont de l'expression, du
feu, de la vie, c'estle chant seul qui leur donne les effets moraux qui font
toute l'énergie de la musique. [9] Mais le
chant lui-même n'est rien d'autre que l'imitation des accents pathétiques de la
voix, expressions naturelles des passions qui par eux passent jusqu'au coeur:
Les accents qui nous font tressaillir, ces accents auxquels on ne peut dérober
son organe pénétrant par eux jusqu'au coeur, y portent malgré nous les
mouvements qùi les arrachent et nous font sentir ce que nous entendons. [10]
C'est
donc, en demière analyse, de la voix pathétique et accentuée, d'où elle est
née, que la musique tient son double pouvoir, qu'elle fait voir et sentir en
donnant à entendre, qu'elle peint à l'imagination les objets et qu'elle porte
au coeur les sentiments. [11] Et
c'est cette musique originaire et essentielle que Rousseau découvre tout à coup
en arrivant à Venise.
Mais
pourquoi à Venise, et si tard? Pourquoi cette longue surdité aux pouvoirs de la
voix? Le préjugé, dont parle Rousseau, explique-t-il tout?
Que peut
un oeil, une main, une oreille? Que peut un sens? Question familière, en ce
XVIlle siècle marqué par la philosophie empiriste, puis sensualiste, où l'on se
passionne, depuis Locke jusqu'à Condillac, pour le problème de la vicariance
des sens, imaginant pour l'illustrer les expériences les plus variées. Qu'on
puisse voir par la main, il suffit de lire, par exemple, la Lettre sur les aveugles de Diderot pour s'en convaincre.
Contraints par leur infirmité d'exercer leur toucher, les aveugles ont pour
ainsi dire des yeux au bout des doigts, qui leur donnent du monde environnant
une connaissance sinon aussi vaste, du moins plus objective que celle des
clair-voyants. Le géomètre Saunderson voyait par la peau. De sa main, Mélanie
de Salignac, aveugle née comme lui, peut faire un miroir sensible [12]. La
rétine est une peau, pourquoi la peau ne deviendrait-elle pas une rétine
caressant les objets et capable même d'y distinguer les couleurs? On m'a parlé,
confie Diderot, d'un aveugle qui connaissait au toucher quelle était la couleur
des étoffes [13].
Mais si un
aveugle-né peut en remontrer sur le visible à ceux qui y voient, il leur
apprend qu'ils se servent aussi mal de leurs oreilles que de leurs yeux. C'est
que les secours que nos sens se prêtent mutuellement les empêchent de se
perfectionner. [14]
Un aveugle saura, aux seuls bruits, déterminer la place et la nature des
objets, établir une topophonie précise du lieu où il se trouve. Il percevra et
enregistrera des sons que nous confondons et oublions. Et, parmi ces sons, les
voix, qu'il verra, aussi étrange que cela nous paraisse. Mélanie de Salignac
recevait par l'oreille des sensations qui nous sont inconnues. Elle distinguait
des voix blondes et des voix brunes. [15]
Saunderson a la mémoire des sons à un degré surprenant; et les visages ne nous
offrent pas une diversité plus grande que celle qu'il observe dans les voix.
Elles ont une infinité de nuances délicates qui nous échappent, parce que nous
n'avons pas à les observer le même intérêt que l'aveugle. [16] Les
voix sont des visages, pour les aveugles. Et ils pratiquent une sorte de
phonègnomonie qui vaut bien notre physiognomonie, dont Pernety puis Lavater
rêvaient de faire une science exacte. Pour Mélanie de Salignac, qui avait non
seulement I'oeil mais le coeur dans l'oreille, le son de la voix avait (...) la
même séduction ou la même répugnance que la physionomie pour celui qui voit. Un
de ses parents, receveur général des finances, eut avec la famille un mauvais
procédé auquel elle ne s'attendait pas, et elle disait avec surprise: Qui
l'aurait cru d'une voix aussi douce? [17] Comme
quoi même un aveugle peut encore se tromper, et doit toujours mieux raffiner sa
science de la voix.
Raison de
plus, pour nous autres voyants, de prendre l'aveugle comme maÀtre, et
d'apprendre de lui à toucher et entendre. Le conseil de Diderot deviendra
principe d'éducation, systématiquement appliqué, dans l'Emile
de Rousseau. Mais lui-même semble n'avoir pas eu besoin de tous les artifices
pédagogiques qu'il imaginera à l'intention des autres, pour atteindre à la
finesse de sens d'un aveugle né. Cette finesse de tact, cette oreille à la fois
juste et sensible, il affirme l'avoir reçue de la nature. Et lorsqu'il déclare,
rejoignant le sentiment des aveugles-nés rapporté par Diderot, que chaque
individu a sa voix particulière qui se distingue de toute autre voix par
quelque différence propre, comme un visage se distingue d'un autre [18], il
parle d'expérience. A lire les Confessions, on est
en effet frappé de l'extrême attention que le jeune Rousseau porte aux voix.
Rares sont les portraits où la voix n'entre pas comme élément détenninant,
signe caractéristique confirmant la physionomie d'un visage ou au contraire la
dénonçant comme masque, révélant sous ses apparences, l'essence d'un être,
bref, mettant I'oeil et l'oreille dans le coeur: voix de boeuf de l'abbé Palais
(p.186) (Lavater, lui aussi voyait des animaux se profiler sous les visages);
voix aigre de la Giraud (p.143), voix nette, juste et flûtée, mais qui n'osait
se développer de Mlle de Menthon (p.189), voix double -tantôt d'homme, tantôt
de femme – du juge-mage Simon (p.141) (qui fait irrésistiblement penser à celle
du Baron de Charlus), belle voix de basse étoffée et mordante qui remplissait
l'oreille et sonnait au coeur de l'ami Gauffecourt (p.212) etc... Mais surtout,
bien sûr, voix de Mme de Warens, cette voix argentée de la jeunesse qui fit
toujours sur moi tant d'impression, qu'encore aujourd'hui je ne puis entendre
sans émotion le son d'une jolie voix de fille. (p.195).
On a tout
dit sur cet unique et court temps de ma vie où je fus moi pleinement sans
mélange et sans obstacle et où je puis véritablement dire avoir vécu. [19] Elle
avait 28 ans, lui 17 à peine lorsqu'il la rencontra. Il ignorait tout encore
(prétend-il) de l'union des sexes, à laquelle celle qu'il appelle maman allait
initier celui qu'elle appelle petit, et qu'il désirait si peu: je l'aimais trop
pour la convoiter... J'aurais voulu lui dire: non, maman, il n'est pas
nécessaire. (p.196-7). Etre avec elle, tout seul avec elle, lui suffisait. Tout
seul? Pourtant, dans la place, il y avait déjà Claude Anet, l'amant en titre,
le tiers, l'autre, irremplaçable pour maman. Non point tant au lit qu'auprès
des foumeaux et des cornues où elle cuisait ses drogues, dont il fournissait la
matière première: les plantes, qu'il fallait chercher dans la montagne. Car
maman avait la passion de la botanique ou plutôt de sa caricature: cette
botanique d'apothicaire, dangereuse et dégoûtante, qui viole l'innocence de la
nature en la forçant à sécréter des poisons. Sur ce terrain-là, jeanJacques
renoncera vite à rivaliser avec Anet. De maman, il lui abandonne la part sombre
et inquiétante. Mais c'est pour se réserver l'autre part, claire et pure, qui
sera toute à lui: sa voix.
Parmi les
talents qu'elle avait cultivés, la musique n'avait pas été oubliée. Elle
avait de la voix, chantait passablement et jouait un peu de clavecin. Elle
avait eu la complaisance de me donner quelques leçons de chant... (p.117). Il
étudie, s'exerce avec passion: Ce qui me rendait surtout alors cette étude
agréable était que je pouvais la faire avec Marnan, pour un moment arrachée aux
drogues, au rival, et toute à lui. Ne faisant plus qu'un avec lui, non par le
coït charnel, mais par la réunion des voix: la musique était pour nous un point
de réunion dont j'aimais à faire usage. Elle ne s'y refusait pas; j'étais alors
à peu près aussi avancé qu'elle; en deux ou trois fois nous déchiffrions un air.
Quelquefois la voyant empressée autour d'un fourneau, je lui disais: Maman,
voici un duo charrnant qui m'a bien l'air de faire sentir l'empyreume à vos
drogues. Ah par ma foi, me disait-elle, si tu me les fais brûler je te les
ferai manger. Tout en disputant je l'entraînais à son clavecin: on s'y
oubliait; l'extrait de genièvre ou d'absynthe était calciné, elle m'en
barbouillait le visage, et tout cela était délicieux. (p.180-1).
Un duo:
deux voix se faisant écho l'une à l'autre sans sortir de l'unité de mélodie [20] où
elles s'enlacent et s'entrecharment, deux êtres à ce point absorbés dans leur
commun rêve sonore qu'ils en oublient le troisième – ou ses emblèmes – qui
brûle à côté et se réduit en cendres. Elle m'en barbouillait le visage et tout
cela était délicieux. Triomphe, innocent encore, de petit, couvert par sa belle
des restes noirs du rival consumé, et les dévorant presque.
Le duo,
écrira Rousseau, est de toutes les sortes de musiques, la plus difficile à
traiter. Il ne convient qu'à quelques rares situations dramatiques: l'instant
d'une séparation, celui où l'un des deux amants va à la mort ou dans les bras
d'un autre, le retour sincère d'un infidèle, le touchant combat d'une mère et
d'un fils voulant mourir l'un pour l'autre; tous ces moments d'affliction où
l'on ne laisse pas de verser dans des larmes délicieuses, voilà les vrais
sujets qu'il faut traiter en duo avec cette simplicité de paroles qui
convient au langage du coeur. Tous ceux qui ont fréquenté les théâtres lyriques
savent combien ce seul mot addio peut exciter d'attendrissement et
d'émotion dans tout un spectacle. [21]
Chacune de ces relations duelles, toujours menacées de se rompre, Rousseau a pu
les avoir vécues, réellement ou fantasmatiquement, durant les longues années
passées auprès de Mme de Warens. A chacune a pu correspondre un duo, ce moment
musical d'autant plus bouleversant que les voix, confondues dans un même addio,
n'en finissent pas de chanter l'imminence de leur séparation. Mais le comble de
l'émotion est atteint, ajoute Rousseau, lorsque ce sont non seulement deux voix
d'amants, mais deux voix égales, qui s'unissent; or entre les voix
égales celle qui font le plus d'effet sont les dessus, parce que leur diapason
plus aigu se rend plus distinct, et que le son en est plus touchant. Aussi les duo
de cette espèce sont-ils les seuls employés par les Italiens dans leurs
tragédies; et je ne doute pas que l'usage des castrati dans les rôles
d'hommes ne soit dû en partie à cette observation. [22]
C'est peut
être justement parce qu'à 17 ans jeanjacques n'a plus sa voix d'enfant que ses
duos avec Mme de Warens ne peuvent atteindre à cette perfection spéculaire qui
semble suspendre indéfiniment l'instant du déchirement. Heureux Venture, qui
possède, lui, une si jolie voix de haute-contre, et dont Rousseau s'engoue si fort
qu'il imitera jusqu'à son nom. Mais il paraît que maman n'apprécie pas les
haute-contre, et moins encore les castrati. Ce qu'elle entend, dans la
voix de petit, ce n'est pas la demande de l'enfant qu'il s'est accoutumé à être
et voudrait tant demeurer pour elle, mai~ le désir de l'homme qui s'y exprime
malgré lui. Le jour vint donc enfin, plutôt redouté qu'attendu, où il fallut
bien se résoudre à renoncer au leurre délicieux du duo, et à briser le miroir
sonore pour expérimenter ce qui, derrière, eût dû rester à jamais caché. Mon
coeur confirinait mes engagements sans en désirer le prix. je l'obtins
pourtant. je me vis pour la première fois dans les bras d'une femme, et d'une
femme que j'adorais. Fus-je heureux? Non, je goûtai le plaisir. je ne sais quelle
invincible tristesse en empoisonnait le charme. J'étais comme si j'avais commis
un inceste. Deux ou trois fois en la pressant avec transport dans mes bras
j'inondais son sein de mes larmes... (p.197).
Scène
dramatique d'abord, en ce que s'y réalise, cette fois, ce que le duo des voix
ne faisait que mimer ludiquement. Car l'autre, le tiers, celui qui, dit
Rousseau lui tenait lieu de père ou de grand frère – Anet – ne brûle plus in
effigie dans la pièce voisine. Il agonise réellement, brûlant de fièvre, la poitrine
consumée par une pleurésie qu'il a gagnée en courant 1-a montagne. Il se meurt
à côté, il est mort. Sans doute les deux événements n'ont-ils pas été
contemporains chronologiquement. Mais il est très frappant de noter que, dans
les Confessions, le récit de la mort d'Anet suit immédiatement
celui de l'initiation sexuelle de petit par maman. Or, la sincère douleur que
Rousseau déclare avoir éprouvée le jour de cette mort est, tout comme le
plaisir trouvé entre les bras de maman, inexplicablement empoisonnée:
Le lendemain [de cette mort] j'en parlais avec Maman dans l'affliction la plus
vive et la plus sincère, et tout d'un coup au milieu de l'entretien j'eus la
vile et indigne pensée que j'héritais de ses nippes et surtout d'un bel habit
noir qui m'avait donné dans la vue. je le pensais, par conséquent je le dis...
Lâche et odieux mot! (p.205). Car il signifie: maman, ce n'est plus des restes
calcinés de ses emblèmes que tu dois me couvrir, pour me punir en riant du duo
où nous nous sommes délicieusement oubliés, mais des noires dépouilles de mon
rival que nous avons laissé mourir pour nous retrouver seul à seule.
Cette
situation nouvelle, Jean-Jacques la refusera, de toutes ses forces. Orphée,
peut-être, mais Œdipe, non. Trop tard. Il ne prendra pas la place de l'autre,
mais ne retrouvera pas pour autant son rôle de petit. Il se blottira contre le
corps de maman, mais sans y trouver désormais ni la mère et sa tendresse
innocente – à tout jamais perdue –, ni la maîtresse et la jouissance sensuelle
à laquelle il aspire – pour toujours interdite – jouir? Ce sort est-il fait
pour l'homme? Ah si jamais une seule fois en ma vie j'avais goûté dans leur
plénitude toutes les délices de l'ainour, je n'imagine pas que ma frêle
existence y eût pu suffire; je serais mort sur le fait. (p.219).
J'étais
donc brûlant d'amour sans objet... Mais, au-delà de l'horreur de l'inceste,
trop complaisamment avouée peut-être, d'où vient ce tourment qui le brûle à la
recherche d'un insaisissable objet de jouissance, sinon d'avoir accepté
de maman le prix qu'il ne désirait pas: le premier corps de femme? De ne sêtre
pas contenté du prestige de la voix, qui donne à voir ce qui n'est pas? Car, en
cherchant à saisir l'objet que la voix suggère aux seuls yeux qui sont dans
l'oreille, non seulement il ne trouve pas ce qu'il attendait, mais perd ce
qu'il possédait, et qui faisait le véritable objet de sa jouissance: la voix
même de maman.
Son désir
insatisfait, Rousseau l'investit dans une soudaine et insatiable frénésie
d'études. Il se plonge dans les livres, emmagasine le plus de savoir possible.
Il se lance dans les mathématiques, se casse la tête sur la géométrie du Père
Lamy, puis sur la Science du calcul et l'Analyse démontrée du Père Reynaud (p.232). Mais, dans le
même temps, il s'est trouvé assailli soudain d'un mal étrange, qui, dit-il, ne
le quittera plus: un matin, voici qu'un terrifiant vacarme, une sorte
d'harmonie infernale éclate en lui, qui vient brouiller son écoute, anéantir sa
finesse d'oreille, et comme parasiter la voix pure et argentée qui atteignait
naguère sans obstacle son coeur d'enfant: je sentis dans tout mon corps une
révolution subite et presque inconcevable. (...) Mes artères se mirent à battre
d'une si grande force que non seulement je sentais leur battement, mais que je
l'entendais même et surtout celui des carotides. Un grand bruit d'oreilles se
joignit à cela, et ce bruit était triple ou plutôt quadruple, savoir: un
bourdonnement grave et sourd, un murmure plus clair comme d'une eau courante,
un sifflement très aigu, et le battement que je viens de dire et dont je
pouvais aisément compter les coups sans me tâter le pouls ni toucher mon corps
de mes mains. Ce bruit interne était si grand qu'il m'ôta la finesse d'ouïe que
j'avais auparavant, et me rendit, non tout à fait sourd, mais dur d'oreille,
comme je le suis depuis ce temps-là. (p.227)
Dur
d'oreille (et, par surcroît, insomniaque). Lui, que la nature avait doué d'une
sensibilité auditive exceptionnelle, le voilà donc ramené, par un accident qui
a bien l'air d'un châtiment, au rang des autres. je me crus mort, dit-il. Mais
cet accident qui devait tuer mon corps ne tua que mes passions, et j'en bénis
le ciel chaque jour par l'heureux effet qu'il produisit sur mon âme (p.228).
C'est
ainsi, traînant en lui tout un orchestre aux harmonies cacophoniques, qu'il
arrive à Venise. Le préjugé n'est donc pas la seule raison qui explique qu'il
n'ait pas ouï chanter jusqu'alors.
Or, cette
sensibilité de tact, qu'il croit perdue, et ces passions, qu'il déclare tuées,
par quel prodige Venise, tout à coup, les ressuscite-t-elle? Rousseau
théoricien de la musique et des langues, a, ou croit avoir, ici encore, la
réponse.
En
écoutant des barcarolles je trouvais que je n'avais pas ouï chanter
jusqu'alors. Autrement dit: j'avais cru sentir jusqu'ici l'effet d'une voix sur
un coeur, mais je ne savais pas vraiment ce que peut une voix quand elle
chante. C'est que je ne connaissais que la musique française, et chantée en
français. Or la langue française, qui n'est composée que de sons mixtes, de
syllabes muettes, sourdes ou nasales, peu de voyelles sonores, beaucoup de
consonnes et d'articulation [23] et
qui n'a point d'accent, n'est pas propre au chant. Aussi les français
n'imaginent-ils d'effet que ceux de l'hannonie et des éclats de voix qui ne
rendent pas les sons plus mélodieux mais plus bruyants, et ils sont si
malheureux que cette harmonie même leur échappe (...); ils se gâtent l'oreille,
et ne sont plus sensibles qu'au bruit; en sorte que la plus belle voix pour eux
n'est que celle qui chante le plus fort. [24] Au
contraire, s'il y a en Europe une langue propre à la musique, c'est
certainement l'italienne; car cette langue est douce, sonore, harmonieuse et
accentuée plus qu'aucune autre, et ces quatre qualités sont précisément les
plus convenables au chant. [25] Bref,
lorsqu'il commence à chanter, le Français tend toujours à crier. Tandis que
l'Italien, lorsqu'il commence à parler, chante déjà.
Conséquence,
en effet, de l'extrême différence de musicalité entre les deux langues: les
voix de parole et de chant se rapprochent dans la même proportion. [26] S'il
veut passer de la parole à un chant qui ne soit pas un cri, un français devra
nécessairement prendre une autre voix. La voix pathétique et
accentuée, qui est l'expression naturelle et spontanée de la passion, ne sera
donc pour lui qu'un instrument, un supplément artificiel. De sorte que, si je
suis français, ma passion ne se peut exprimer en chantant: je la chanterai
toujours faux. En effet, ou bien ce ne sera pas ma voix qui la
chantera, donc ce ne sera pas ma passion; ou bien, si je garde ma
voix, si je parle, ce ne sera plus ma passioN, qui s'exprimera, mais
sa froide représentation. Dans les deux cas, chantant ou parlant, ma voix sonnera
faux, même si je suis sincèrement passionné.
Dans la
langue italienne, au contraire, la différence entre voix de parole et voix de
chant est presque nulle, et il est aisé d'y reconnaître au chant l'homme qu'on
a entendu parler. [27]
C'est pourquoi l'Italien, même s'il lui arrive de mentir en parlant, ne
chantera jamais faux. Mieux: si vous voulez saisir son coeur à nu, faites-le
chanter. Peu importe que vous compreniez ou non le sens de ses paroles. Ce qui
leur donne vie, feu et signification, est la voix pathétique et accentuée qui
chante en elles.
Voilà pour
l'explication théorique: en entendant chanter Venise, tout se passerait pour
Rousseau comme si la détérioration de son audition se trouvait largement
compensée par un gain du côté de l'émission. Le parasitage intérieur demeure.
Mais le parasitage extérieur de la voix par la langue (française) est supprimé.
Venise, avec sa musique et sa langue, créerait ainsi les conditions d'une (ré)
initiation à la musique reposant sur une (re,) découverte des pouvoirs de la
voix, dont l'auteur des Confessions donne des
exemples, et celui des textes théoriques l'explication.
Or, en
voulant expliquer, la théorie musicale semble avoir eu pour fonction de
masquer, plutôt que de dévoiler,les ressorts cachés de la soudaine passion de
Rousseau pour la musique italienne.
Car,
depuis les barcarolles des gondoliers, qui chantent à voix alternée les
strophes de la Jérusalem délivrée du Tasse [28]
jusqu'à ces chants inouïs entendus un soir à l'Opéra, ce que Rousseau décrit,
dans les pages des Confessions consacrées à son
séjour vénitien, ce sont les degrés successifs d'une autre initiation, plus
intime et plus amère, que celle du futur théoricien.
Cette
initiation, qui répète et confirme celle dont maman s'était faite
l'irresponsable mystagogue, quelques vers, écrits à Venise, pourraient en
accompagner les premiers pas:
Beaux sons, que votre effet est tendre!
Heureux l'amant qui peut s'attendre
D'occuper en d'autres moments,
La bouche qui vous fait entendre,
A des soins encor plus charrnants! [29]
Mais à
nouveau, comme à Chambéry, ce que l'initié rencontre, derrière la voix qui
cause son désir et fascine son regard, n'est pas l'objet de jouissance attendu.
C'est un mystère, proprement pétrifiant, et qui lui arrache une nouvelle fois,
et presque dans les mêmes termes, l'aveu formulé en sanglotant, dix ans
auparavant, entre les bras de maman: Non, la nature ne m'a point fait pour
jouir. Elle a mis dans ma mauvaise tête le poison de ce bonheur
ineffable, dont elle a mis l'appétit dans mon coeur. (p.320)
A Venise,
déclare Rousseau, je partageais tout mon temps entre l'Ambassade (les chiffres)
et l'Opéra (les voix). Et les filles? demanderez-vous, car ce n'est pas dans
une ville comme Venise qu'on s'en abstient. (p.316). J'étais trop occupé pour y
songer, répond-il, et je vécus près d'un an dans cette ville, aussi sage que
j'avais fait à Paris. Un véritable Emile? Pas tout à fait. D'abord, parce que
je n'avais pas perdu la funeste habitude de donner le change à mes besoins.
Ensuite, parce que, simples parenthèses dans une vie occupée à tout autre
chose, affirme-t-il, il avoue avoir approché du sexe deux seules fois, par les
singulières occasions que je vais dire..
En fait,
du début à la fin de son séjour, Rousseau n'a cessé d'approcher du
sexe, même et surtout quand il écoutait chanter des voix. Et les singulières
occasions de ses deux aventures ne se comprennent que rapportées à tout le
reste (les chiffres, les voix), dont elles font saillir, en retour,
l'énigmatique signification.
Laissons
de côté ici les voix des gondoliers chantant Le Tasse, dont il reconnaîtra plus
tard que c'était son propre destin, mot pour mot, qu'elles annonçaient [30].
Quant à la voix de Saint Chrysostome, nous comprendrons plus loin de quelle
bouche d'or elle sortait.
Restent
les voix des Scuole, ces maisons de charité établies pour donner
l'éducation à des jeunes filles sans bien. Ces filles, dont la plus vieille n'a
pas vingt ans, chantent tous les dimanches, à Vêpres, enfen-nées dans des
tribunes grillées qui les dissimulent aux regards de l'auditeur. je n'ai l'idée
de rien d'aussi voluptueux, d'aussi touchant que cette musique: les richesses
de l'art, le goÛt exquis des chants, la beauté des voix, lajustesse de
J'exécution, tout dans ces délicieux concerts concourt à produire une
impression (...) dont je doute qu'aucun coeur d'hornme soit à l'abri (...). Ce
qui me désolait était ces maudites grilles, qui ne laissaient passer que des
sons, et me cachaient les Anges de beauté dont ils étaient dignes. La voix
italienne, qui ne trompe pas, ressemble à celui qui chante, et donne à voir
l'invisible – qui ne peut être ici, que la Beauté même. Jean-Jacques eût dû se
satisfaire de ce que ces voix angéliques lui donnaient à voir. Hélas,
l'occasion lui est offerte par un ami influent, M. Le Blond, de voir réellement
l'objet interdit, caché derrière la grille séparant les voix des corps: En
entrant dans le salon qui renfermait ces beautés si convoitées, je sentis un frémissement
d'amour que je n'avais jamais éprouvé. M. Le Blond me présenta l'une après
l'autre ces chanteuses célèbres, dont la voix et le nom étaient tout ce qui
m'était connu. Venez, Sophie,... elle était horrible. Venez, Cattina,... elle
était borgne. Venez, Bettina,... la petite vérole l'avait défigurée. Presque
pas une n'était sans quelque notable défaut. Le Bourreau riait de ma cruelle
surprise.
Cruelle
surprise, en effet, puisque ce que le regard rencontre, médusé, derrière la
voix, n'est pas l'objet parfait que la voix suggérait, mais l'objet horrible.
Et cette horreur s'affiche – comme autant de serpents sur le bouclier à tête de
Méduse – en un rassemblement de métonymies multiples du défaut.
J'étais désolé: ainsi des voix italiennes, elles aussi, nous leurrent? Plût au
Ciel que je n'eusse jamais cherché à voir, à savoir ce qui se cache'derrière
elles 1 Que faire, sinon n'en pas croire ses yeux? Ce que Rousseau s'empresse
de faire: La laideur n'exclut pas les grâces; je leur en trouvai. je me disais,
on ne chante pas ainsi sans âme: elles en ont. Enfin, ma façon de les voir
changea si bien, que je sortis presque amoureux de tous ces laiderons. J'osais
à peine retourner à leurs Vêpres. J'eus de quoi me rassurer. je continuai de
trouver leurs chants délicieux, et leurs voix fardaient si bien leurs visages,
que tant qu'elles chantaient, je m'obstinais en dépit de mes yeux à les trouver
belles. (p.315)
Je sais
bien (qu'elles ont toutes un notable défaut), mais quand même... Cette réalité
qu'elles m'ont, hélas, fait désirer de voir, les mêmes voix, en réinstallant
I'oeil dans l'oreille, en fardant les visages, en sont aussi le plus
convainquant déni, l'instrument privilégié de sa Verleugnung. Verleugnung:
c'est le terme dont se sert Freud dans son article sur le fétichisme [31].
Rousseau, fétichiste de la voix? Peut-être. Mais poursuivons, car l'initiation
ne fait encore que commencer.
Le récit
des deux singulières occasions où Rousseau affirme avoir approché du sexe suit
immédiatement celui des Vêpres aux Scuole. Cette proximité même est un
indice, qui, on va le voir, supporte l'épreuve.
Deux
aventures, donc, et qui s'achèvent de la même façon: à la confusion de
Jean-Jacques.
Avec la
Padoana, courtisane à succès, Rousseau se convainc tout à coup, au moment même
où il la possède, qu'elle vient de l'empoisonner de la vérole, et ne sort de
ses bras que pour se précipiter chez un chirurgien. Comme s'il avait fallu
absolument qu'il lui trouvât quelque notable défaut: je ne pouvais concevoir
qu'on sortît impunément des bras de la Padoana. (p.317). Or – voilà le point
important – tout a comrnencé, comme avec maman, comme avec les filles des Scuole,
parce qu'il n'a pas su résister au prestige d'une voix: Dominique me laissa
chez elle;je fis venir des sorbetti, je la fis chanter, et au bout
d'une demi heure je voulus m'en aller en laissant sur la table un ducat; mais
elle eut le singulier scrupule de n'ën vouloir point qu'elle ne l'eût gagné, et
moi la singulière bêtise de lever son scrupule. [32] La
Padoana – la putain –, exactement comme maman, tient à lui offrir un prix,
qu'il ne sait pas refuser. Et, ici comme là, le cadeau est empoisonné. Mais la
Padoana non seulement le déçoit, puisqu'il trouve en elle l'horrible défaut qui
empoisonne sa jouissance, mais le châtie, puisque ce défaut, un poison, menace
explicitement le sexe du coupable et son usage.
Bien
entendu, il est indemne, le poison n'est que dans sa tête. Mais rien ne peut
égaler le malaise d'esprit que je souffris durant trois semaines sans qu'aucune
incommodité réelle, aucun signe apparent le justifiât (...). Le chirurgien
lui-même eut toute la peine irnaginable à me rassurer. Il n'en put venir à bout
qu'en me persuadant que j'étais conformé d'une façon particulière, à ne pouvoir
pas aisément être infecté. Il ne s'agit plus ici de dénier l'horrible réalité
découverte dans l'autre (la Padoana peut bien, après tout, être pourrie de
vérole). L'essentiel, pour Rousseau, est que le défaut du sexe de l'autre ne
menace pas le sien en retour: ce dont il demande, dans l'angoisse, au
chirurgien de le persuader. Lequel n'y parvient qu'en lui assurant que la
nature l'a ainsi confonné (ou malformé) qu'il ne risque, en aucun cas de perdre
l'usage de son organe. je tiens cet avantage de la nature, répète-t-il, tout
heureux. Et voyez ma vertu, semble-t-il ajouter: je suis incastrable, et je
n'en ai jamais abusé [33]. Mais
l'alerte a été chaude, et l'aventure devrait lui servir de leçon.
Il
récidive, pourtant. Avec une courtisane, encore, mais d'une autre classe, et
insoupçonnable, elle, sur sa santé: la Zulietta. L'occasion? Sa voix,
comme on pouvait s'y attendre. Comment résister au prestige d'une voix
italienne? Elle ne parlait qu'italien: son accent seul eût suffi pour me
tourner la tête. (p.318)
Passons
sur les détails de l'aventure, -dont -chacun est pourtant hautement
significatif, pour ne retenir que ceci: la Zulietta ne s'entiche de Rousseau
que parce qu'elle le prend pour un autre, qui fut autrefois son amant:
Elle me prenait à sa place (...). Elle prit possession de moi comme d'un homme
à elle.. Par une sorte de contrat, elle en fait un esclave à ses ordres,
l'installe dans une relation typiquement sado-masochiste qui, loin de déplaire
à Rousseau, lui promet le type de jouissance qui certainement, si on l'en
croit, lui convient le mieux.
Mais
enfin, il brûle de voir ce que laisse imaginer cette voix de maîtresse à la
fois douce et impérieuse, et ce tour de gorge bordé d'un fil de soie garni de
pompons couleur de rose. jamais si douce jouissance ne s'offrit au coeur et au
sens d'un mortel... je n'avais point d'idée des voluptés qui m'attendaient.
(p.320)
En effet!
Car, au moment où il va toucher au but, tout à coup, au lieu des flammes qui me
dévoraient, je sens un froid mortel courir dans mes veines; les jambes me
flageolent, et prêt à me trouver mal, je m'asseye, et je pleure comme un
enfant.
Qui
pourrait deviner la cause de mes larmes, et ce qui me passait par la tête à ce
moment-là?. Personne, sans doute, à commencer par lui-même. Le voici à nouveau
médusé, impuissant, sanglotant stupidement comme un enfant au moment même où il
est mis en position de se montrer homme digne de son nom avec une femme qui
représente pour lui l'idéal de la maîtresse. Il y a là quelque chose
d'inconcevable, se dit-il, à moins de supposer à ce corps parfait quelque
défaut secret que j'aurais vu sans le savoir. je me mis à chercher ce défaut
avec une contention d'esprit singulière. Vaine recherche d'abord, au terme de
laquelle il se reprend et parvient à nouveau au seuil de la jouissance. Mais au
moment que j'étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la
première fois souffrir la bouche et la main d'un homme, je m'aperçus
qu'elle avait un téton borgne. je me frappe, j'examine, je crois voir que ce
téton n'est pas conformé comme l'autre. Me voilà cherchant dans ma tête comment
on peut avoir un téton borgne, et persuadé que cela tenait à quelque notable
vice naturel, à force de tourner et retourner cette idée, je vis clair comme le
jour que dans la plus charmante personne dont je pusse fonner l'image, je ne
tenais dans mes bras qu'une espèce de monstre, le rebut de la nature, des
hommes, et de l'amour. (p.321-22) [34]
Zulietta
aura beau dire des choses à me faire mourir d'amour, ce ne sont plus les
accents passionnés qu'il entend dans cette voix italienne, mais la cinglante
leçon qu'à la fin elle lui donne: Zanetto, lascia le donne, e studia la
matematica.
Laisse les
femmes, et retourne à tes chiffres, à tes mathèmes! Ce que Rousseau s'était
déjà mis à faire, après s'être. trouvé dans une situation comparable, aux
Charmettes. C'était alors la place d'Anet qu'il avait dû occuper, et sur le
sein trop maternel de Mme de Warens qu'il avait sangloté: horreur, c'est ma
mère! Cette fois-ci, il est encore à la place d'un autre, mais c'est une putain
au. sein borgne,qu'il étreint: horreur, ce n'est pas ma mère! Quel que soit
celui qu'il remplace, jamais il n'est à la bonne place. Quelle que soit la
femme qu'il étreint – maman ou putain –, toujours il rêve de l'autre, qui
détiendrait, enfin, l'objet qui lui permettrait de jouir. Mais non, la nature
ne m'a point fait pour jouir, – du moins d'un corps d'une femme.
Avec la
Zulietta, Rousseau, semble-t-il, a compris. Après une série d'échecs, voici
donc ce qui aurait pu en être l'épilogue heureux: une dernière aventure, qui,
justement, n'en sera pas une.
L'éternel
scénario. Ils sont trois: lui, un autre, et la fille. L'autre, c'est Carrio,
l'ami inséparable, grand amateur de filles, qui propose à Rousseau
l'arrangement peu rare à Venise d'en avoir une à nous deux. (p.323). On la
trouve. Elle est sûre: Anzoletta a douze ans. Mes entrailles s'émurent en
voyant cet enfant.. Comment oser imaginer de la posséder? Mais comment, aussi,
renoncer à en jouir? Elle avait de la voix (...), nous lui donnâmes
une épinette et un maÎtre à chanter.. Délicieuses soirées, passées à l'écouter.
Insensiblement mon coeur s'attachait à la petite Anzoletta, mais d'un
attachement paternel, auquel les sens avaient si peu de part qu'à mesure qu'il
augmentait il m'aurait été moins possible de les y faire entrer, et je sentais
que j'aurais eu horreur d'approcher de cette fille devenue nubile, comme d'un
inceste abominable. [35]
Comme si
la voix d'Anzoletta, d'abord cultivée pour suppléer à ce que son corps asexué
d'enfant ne peut encore offrir au désir d'un homme, était devenue, au fur et à
mesure que la femme se formait dans l'enfant, le seul objet de désir et de
jouissance de celui qui l'écoute, l'enveloppe transparente mais inviolable qui
présente et protège à la fois une beauté intouchable. je suis certain que
quelque belle qu'eût pu devenir cette pauvre enfant, loin d'être jamais les
corrupteurs de son innocence, nous en aurions été les protecteurs.
Papa
chantant avec petite, accompagnés par l'ami Carrio: c'est exactement la
situation de Chambéry (maman, petit, Anet), mais renversée et pacifiée. Cette
situation, où une voix inlassablement entendue, conserve sa beauté rêvée au
corps d'où elle s'échappe, aurait pu se prolonger sans fin, regrette Rousseau,
s'il n'avait dû, injustement accusé par Montaigu d'avoir vendu les chiffres,
quitter prématurément Venise. Pour aller où? Il dit avoir songé à Genève, étape
provisoire, en attendant qu'un meilleur sort écartant les obstacles pût me
réunir à ma pauvre maman.
Ainsi
l'amer chemin de l'initié eût-il fait cercle, le reconduisant à son point de
départ qu'il n'aurait jamais dû quitter: maman. Ou plutôt: la voix de
maman, et ce point de réunion dont j'aimais à faire usage, le duo charmant de
deux voix innocentes embrassées dans l'unité de la même mélodie. Car, encore
une fois, ce n'est pas tant pour avoir commis l'inceste que Rousseau a perdu
son bonheur d'enfant. Si le premier de ses châtiments touche l'organe par où il
a commencé à pêcher, c'est pour avoir cherché à voir ce qui se cachait derrière
cette voix maternelle. Or, qu'y a-t-il enfin découvert, au terme de ses
épreuves vénitiennes, sinon – qu'il se donne comme laideur, venin, monstruosité,
mutilation – l'horrible défaut qui ne cessera plus d'empoisonner sa
jouissance et rendra tout rapport sexuel insupportable désormais, pour lui.
Laisse donc les femmes, semblent lui répéter maintenant tout un choeur de
sirènes rassemblées autour de la Zulietta. Notre défaut, tu le découvriras
toujours, sous une forme ou sous une autre, dans la réalité de nos corps de
femmes offerts nus à tes regards téméraires. Car ce que tu y cherches, et qui
brille affreusement par son absence, est l'invisible même que nos voix seules,
mettant I'oeil dans l'oreille, peuvent te donner à voir. Ne te tourrnente donc
pas, pauvre aveugle, à tenter de saisir au-delà d'elles l'illusoire beauté que
tu sais bien qu'elles te dérobent. Elle est dans nos voix, qui la
conservent pour toi, l'inaccessible belle qui t'enflamme le coeur.
Théâtre de
St Chrysostome, un soir. Quel soir? Pour quel opéra? Rousseau ne nous renseigne
pas. Les érudits non plus, que je sache. Qu'importe? Qui n'a compris, à lire
simplement le récit des Confessions, sur quelle
scène, et pour quelle répétition dramatique s'est levé ce soir-là le rideau?
Seul dans
sa loge, coupé du monde, Rousseau s'est endormi profondément. Fait notable,
puisque, lui qui fut autrefois grand dorrneur, affirme avoir totalement perdu
le sommeil depuis son accident des Charmettes et le vacarme intérieur qui s'en
est suivi [36].
Ce vacarme intérieur s'est-il subitement calmé? Ou plutôt, comme projeté au
dehors, ne revient-il pas au dormeur sous fonne de ces airs brillants et
bruyants qui, prodige de la musique, ne troublent pas son sommeil? Silence
intérieur miraculeusement rétabli, que déchire soudain, par un prodige inverse
du précédent, une voix angélique venue de l'extérieur, mais qui se faisant
entendre au-dedans de la tête, chante:
Conservami la bella
Che sim'accende il cor...,
conserve
moi la beauté (la belle) qui m'enflamme ainsi le coeur [37], réveillant
en sursaut le dormeur de son sommeil de mort: Quel réveil! Quel ravissement!
Quelle extase, quand j'ouvris au même instant les oreilles et les yeux! Ma
première idée fut de me croire en Paradis.
Quelle est
cette voix de Paradis? Une de ces nombreuses voix vénitiennes, peut-être, qui
ont déjà tiré Rousseau de son sommeil dogmatique? Une voix accentuée,
pathétique, mélodieuse, rassemblant et représentant toutes les autres, symbole,
en somme, de ce que fut pour lui la découverte de la musique italienne: la
révélation de l'essence de la musique, la rencontre, bouleversante, d'un pur
fragment de réel épargné par le temps, la répétition, dans sa simplicité
première, de ce moment inassignable de la jeunesse du monde – vrai Paradis – où
les humains, vivant encore dans l'innocence de l'origine étaient sur le point
d'en sortir, instituant à la fois la musique, la langue et la différence des
sexes dans le premier duo d'amour?
Mais, ce
soir qu'on peut situer aussi bien au début qu'à la fin du séjour de Rousseau,
que chante donc cette voix, s'adressant sans doute à une autre pour l'implorer
(conserve-moi la beauté...)? L'instant d'une séparation, celui où l'un des deux
amants va à la mort ou dans les bras d'un autre (...), le touchant combat d'une
mère et d'un fils voulant mourir l'un pour l'autre, – un pathétique addio?
Ou, au contraire le retour sincère d'un infidèle? Le début de l'initiation, ou
son terme? Le Paradis qu'on va perdre, ou celui qu'on aspire à retrouver?
Ma
première idée fut de me croire en Paradis. La seconde fut probablement de
constater que ce Paradis n'était qu'un Paradis d'Opéra. Car ce n'est pas sur la
banale réalité des choses que le dormeur ouvre soudain les oreilles et les
yeux. Il s'éveille dans un rêve, dans un monde fantastique savamment concerté
par le plus extrême artifice pour faire illusion [38], mais
où c'est le réel perdu, c'est-àdire le réel même, plus vrai que la réalité, qui
se répète et qu'il rencontre, comme Saint-Preux pénétrant dans l'Êlysée de
Julie.
Saint-Preux.
C'est lui, cet avatar romanesque de Rousseau, qu'il faut laisser parler à
présent, pour en savoir plus sur cette voix d'Opéra dont l'auteur des Confessions avoue l'effet bouleversant, laissant au
théoricien de la musique la charge de l'expliquer.
Pour
Saint-Preux, comme pour Rousseau, la musique italienne est une révélation. Deux
lettres à Julie (I, 47 et 48) en expliquent le comment et le pourquoi. Or ces
deux lettres, écrites coup sur coup, font immédiatement suite à une lettre de
Julie (I, 46) consacrée à rappeler à son amant, qui semble l'avoir oublié,
cette vérité de bon sens: qu'elle est une femme. Tu me reproches une faute
(...) et l'attribues à un défaut dont je m'honore. Tu me reproches
d'avoir été de mon sexe une fois en rna vie, comme si jamais une femme devait
cesser d'en être. Suit une vigoureuse mise au point sur la différence des
sexes: On ne peut, dit-elle, imaginer un modèle commun de perfection pour deux
êtres dont la différence morale découle d'une différence physique inéliminable:
Une femme parfaite et un homme parfait ne doivent pas plus se ressembler d'âme
que de visage; ces vaines imitations de sexe sont le comble de la déraison;
elles font rire le sage et fuir les amours. Enfin, je trouve qu'à moins d'avoir
cinq pieds de haut, une voix de basse et de la barbe au menton, l'on ne doit
point se mêler d'être homme. [39] Tu
crois me plaire, en me prêtant toutes les perfections d'un homme? Mais mes
prétendues perfections t'aveuglent... Les yeux de l'amour, tout perçants qu'ils
sont, savent-ils voir les défauts?... L'amant qui loue en nous des perfections
que nous n'avons pas, les voit en effet telles qu'il les représente. (p.128-9)
A quoi
Saint-Preux répond: c'est ta faute, si je vois en toi ce qui n'est pas. Ainsi,
hier, au souper, ta voix... Ton parler qui nous rendait tous plus attentifs et
faisait voler l'oreille et le coeur au devant de chaque mot. Cet air que tu
chantas à demi-voix, pour donner encore plus de douceur à ton chant, et qui,
bien que français, plût à Milord Edouard même (p.129)... Milord Edouard, c'est
justement le visiteur qui vient d'arriver d'Italie, d'où il ramène un chanteur,
nommé Regianino. Après le souper, Saint-Preux a passé la nuit en leur
compagnie, à entendre ou exécuter de la musique italienne, car il s'est trouvé
des duo et il a fallu hasarder d'y faire ma partie. En entendant
chanter de la musique italienne, Saint-Preux s'est senti envahi d'un trouble
qu'il ne sait encore expliquer: je n'ose te parler encore de l'effet qu'elle a
produit sur moi;j'ai peur, j'ai peur que l'impression du souper d'hier ne se
soit prolongée sur ce que j'entendais, et que je n'aie pris l'effet de tes
séductions pour le charme de la musique. Autrement dit: est-ce ta voix que j'ai
retrouvée dans cette voix italienne avec laquelle je chantais en duo, ou elle
que je pressentais dans ta voix si douce, quoiqu'elle chantât en français? N'es-tu
pas la première source de toutes les affections de mon âme, et suis-je à
l'épreuve des prestiges de ta magie? Si la musique eût réellement produit cet
enchantement, il eût agi sur tous ceux qui l'entendaient. Mais tandis que ces
chants me tenaient en extase, M. d'Orbe dorinait tranquillement dans un
fauteuil.... Il va maintenant tenter à son tour de dormir, écrit-il en
tenninant sa lettre: Viens avec moi ma douce amie, ne me quitte point durant
mon sommeil; mais soit que ton image le trouble ou le favorise, soit qu'il
m'offre ou non les noces de la Fanchon, un instant délicieux qui ne peut
m'échapper et qu'on me prépare, c'est le sentiment de mon bonheur au réveil.
(p.130)
Ce réveil,
c'est celui qui est évoqué dans la lettre qui suit: Ah ma Julie, qu'ai-je
entendu?... Quels sons touchants? Quelle musique? (p.131). Il sort à peine d'un
second concert, où il vient à nouveau d'entendre le chanteur italien. Il en est
sûr, maintenant: c'est bien la musique, portée par cette voix italienne, qui
l'a rendu fou la veille au soir. Il s'expIique, accumule les arguments qui sont
exactement ceux de Rousseau dans ses écrits théoriques. Mais il a oute – et là,
il n'est plus théoricien: je n'avais qu'un regret, mais il ne me quittait
point; c'était qu'un autre que toi formât les sons dont j'étais si touché, et
de voir sortir de la bouche d'un vil castrato les plus tendres
expressions de l'amour. 0 ma Julie... (p.134)
Le voilà
donc, l'horrible défaut: elle le donne à voir et à entendre, cette voix qui met
I'oeil et le coeur dans l'oreille, cette voix si touchante, si tendre, et qui
pourtant sort de la bouche d'un vil castrato. Castrato, s.m.:
musicien qu'on a privé dans son enfance des organes de la génération, pour lui
conserver la voix aiguë qui chante la partie appelée dessus ou soprano
(...). Il se trouve en Italie des pères barbares qui, sacrifiant la nature à la
fortune, livrent leurs enfants à cette opération, pour le plaisir des gens
voluptueux et cruels qui osent rechercher le chant de ces malheureux. [40] La
nature frémit. Ah ma Julie! qu'ai-je entendu?... J'ai peur, j'ai peur. De quoi
Saint-Preux avait-il peur, en entendant chanter le premier soir Regianino [41],
sinon de confondre la douce voix de son amante et celle du vil castrato? De
retrouver dans l'une ce qu'il venait d'entrevoir dans l'autre: l'image
terrifiante, empoisonnant sa jouissance, d'un corps châtré? Châtré, le mot imprononçable
en français: Quoique le mot castrato ne puisse offenser les plus
délicates oreilles, il n'en est pas de même de son synonyme français.. C'est
que, commente le Dictionnaire de Musique, le mot
italien s'admet comme représentant une profession, au lieu que le mot français
ne représente que la privation qui y est jointe. [42]
Aussi
Saint-Preux s'empresse-t-il de fermer les yeux sur ce qu'il vient de voir, de
dénier l'insupportable réalité. Il adjure sa Julie, à qui justement il prête
(ce qu'elle lui reproche) toutes les perfections d'un homme, d'apprendre la
musique italienne, de chanter à la place du castrat, de lui offrir une voix
capable de farder, comme Rousseau le disait des laiderons des Scuole,
l'horrible défaut dont il ne veut rien savoir: 0 ma Julie 1 n'est-ce pas à nous
de revendiquer tout ce qui appartient au sentiment? Qui sentira, qui dira mieux
que nous ce que doit dire et sentir une âme attendrie? Qui saura prononcer d'un
ton plus touchant le cor mio, l'idolo amato? Ah, que le cocur
prêtera d'énergie à Part, si jamais nous chantons ensemble un de ces duos
charrnants qui font couler des larmes si délicieuses... (p.134)
Mais, même
s'il n'a pas lu le Dictionnaire de Musique,
SaintPreux doit savoir que les duos d'amour les plus touchants sont ceux où se
mêlent deux voix égales. Faudra-t-il donc que Julie ait une voix de
basse et de la barbe au menton, et se mêle d'être homme, comme lui? Elle vient
de lui écrire clairement qu'elle s'y refuse, et revendique hautement le défaut
qui la fait femme. Leurs deux voix, pour être égales, seront-elles alors deux
voix de dessus? L'usage des castrati dans les rôles d'hommes permet aux
italiens d'atteindre à cette perfection musicale et dramatique. Pour que
Saint-Preux chante comme Julie, faudra-t-il donc qu'il se mêle d'être femme,
comme elle? Faudra-t-il -horreur à quoi le iitre du roman pourtant prépare –
qu'il subisse le sort d'Abélard, pour qu'avec sa nouvelle Héloïse il retrouve
enfin l'énergie et la vivacité de l'accent qui anime la musique italienne,
e'l cantar che nelle'anima si sente? (p.135)
(et le chant qui se sent dans l'âme).
Après un
bel air, lit-on dans le Dictionnaire de Musique,
on est satisfait, l'oreille ne désire plus rien; il reste dans l'imagination,
on l'emporte avec soi, on le répète à volonté; sans pouvoir en rendre une seule
note, on l'exécute dans son cerveau tel qu'on l'entendit au spectacle; on voit
la scène, l'acteur, le théâtre; on entend l'accompagnement, l'applaudissement;
le véritable amateur ne perd jamais les beaux airs qu'il entendit en
sa vie; il fait recommencer l'opéra quand il veut. [43] C'est
un de ces airs, semble-t-il, que Rousseau entendit à St Chry5ostome. Noté (avec
quels chiffres?), longtemps conservé, ce n'est pas sur le papier qu'il est
resté (il n'était pas sur mon papier comme dans ma mémoire. C'était bien la
même note, mais ce n'était pas la même chose. jamais cet air divin ne peut être
exécuté que dans ma tête, comme il le fut en effet le jour qu'il me réveilla.).
Pourtant, cet air a ceci de singulier qu'il s'exécute sur la scène, et qu'il le
réveille.
Ne
serait-ce pas parce qu'il est de même nature que celui qui, se rencontrant
avec l'air précédemment chanté par Julie, plongeait Saint-Preux dans le
trouble, et l'empêchait de dormir? Ne vient-il pas lui aussi (pouvons-nous en
douter à présent? [44])
de la même ignoble bouche, – celle d'un vil castrato? Illusion dans un paradis
d'illusions, ce visible et sonore représentant de la privation, travesti en
arnant éploré, ne joue-t-il pas aussi d'autres rôles? Celui des filles des Scuole
(Sophie, l'horrible; Cattina, la borgne; Bettina, la grêlée), celui de la
Padoana la femme venimeuse, de la Zulietta, la monstrueuse, d'Anzoletta, la
petite fille sans sexe) – celui de maman, enfin? Et sa voix équivoque (de femme
ou d'enfant mutilé?) ne sort-elle pas de ce rêve factice représenté sur la
scène, comme un appel ou une réponse, pour venir à la rencontre d'une autre
voix chantant depuis toujours sur une autre scène, et pour lui donner
l'occasion, l'instant insassignable d'un réveil, de se répéter?
Au théâtre
de St-Chysostome, Rousseau semble, pour un soir, avoir recouvré la finesse
d'oreille d'un aveugle-né. Cette sensibilité de tact qui lui a permis d'avoir,
pour la musique italienne, la passion qu'elle inspire à ceux qui sont faits
pour en juger, il affirme l'avoir reçue de la nature. Mais pourquoi oublie-t-il
ici ce qu'il écrivait plus haut, au début des Confessions,
évoquant sa petite enfance à Genève?
J'étais
toujours avec ma tante, à la voir broder, à l'entendre chanter, assis ou debout
à côté d'elle, et j'étais content (...). je suis persuadé que je lui dois le
goût ou plutôt la passion de la musique qui ne s'est bien développée en moi que
longtemps après (p.11), – à Venise, pourrait-il ajouter.
Cette
passion pour la musique véritable (italienne) dont SaintPreux ne sait à quelle
voix il la doit (celle de Julie ou celle de Regianino?), voici donc que
Rousseau en situe l'origine dans l'effet de la voix de cette tante Suzon, soeur
de son père, et qui lui tint lieu de mère dès sa naissance. C'est elle qui le
sauva de cette maladie des parties naturelles (qui devait se réveiller,
précisément, à Venise), dont il serait mort sans ses soins: J'étais né presque
mourant; on espérait peu de me conserver. J'apportai le germe d'une incommodité
que les ans ont renforcée, et qui maintenent ne me donne quelquefois des
relâches que pour me laisser souffrir plus cruellement d'une autre façon. Une
soeur de mon père, fille aimable et sage, prit un si grand soin de moi qu'elle
me sauva. (p. 7-8)
Quand il
n'était pas avec son père, il était auprès d'elle, seul à seule, à la
contempler et à l'écouter. Il n'a rien oublié, dit-il, ni la façon dont elle
était habillée et coiffée, ni sa figure agréable, ni la douceur de son regard,
ni les caresses de sa voix: Elle chantait avec un filet de voix fort douce
(...). L'attrait que son chant avait pour moi fut tel que non seulement
plusieurs de ses chansons me sont toujours restées dans la mémoire, mais qu'il
m'en revient même aujourd'hui que je l'ai perdue, qui, totalement oubliées
depuis mon enfance, se retracent à mesure que je vieillis, avec un charme que
je ne puis exprimer. Dirait-on que moi, vieux radoteur, rongé de soucis et de
peine, je me surprends quelquefois à pleurer comme un enfant en marmotant ces petits
airs d'une voix déjà cassée et tremblante? (p.11).
Cinquante
ans après l'avoir entendue, répondre de sa voix de vieillard effaré par la
noirceur du monde, à cette voix sereine, ressurgie intacte des ruines de la
mémoire, la reprendre, chanter à son tour: ultime et vaine tentative pour
reconstituer un duo d'amour, qui eût pu durer toujours, puisque, le père étant
le frère de la mère, nul rival ne menaçait de le briser.
Mais une
chanson, surtout, lui revient. Quant à l'air, du moins, car il ne peut combler
certaines lacunes dans les paroles. Il écrirait bien à Paris pour faire
retrouver les paroles manquantes, mais à quoi bon? Ce seraient bien les mêmes
mots, mais ce ne serait pas la même chose, ou la chose même: sa voix
qui, comme celle entendue à Venise, ne se peut répéter que dans la tête: je
suis presque sûr que le plaisir que je prends à me rappeler cet air
s'évanouirait en partie, si j'avais la preuve que d'autres que ma pauvre tante
Suzon l'ont chanté. (p.12)
Cet air,
Rousseau se rappelle du moins fort bien qu'il commençait ainsi
Tircis, je n'ose
Ecouter ton Chalumeau
Sous l'Ormeau;
Car on en cause
Déjà dans notre hameau...
Tircis:
celui à qui la chanson s'adresse, pour répondre à une demande signifiée par son
chalumeau. Tircis, par conséquent, dont l'enfant occupait la place lorsqu'il
écoutait, tout yeux tout oreilles, la voix maternelle lui renvoyer cet aveu
d'amour retenu par la pudeur, – est le même berger de la VIIe églogue de
Virgile. C'est lui qui, opposé à Corydon dans un duel vocal, chantait la beauté
du jeune Lycidas, et rendait hommage à Priape, son dieu, lui promettant, s'il
lui était favorable, de remplacer par de l'or le marbre de sa statue [45]. Haec
memini, voilà ce dont je me souviens concluait Mélibée, arbitre de la
joute, et frustra victum contendere Thyrsim, et Thyrsis eut beau
protester, il fut vaincu.
Mais tout
ceci, Rousseau, qui n'a plus sa mémoire, l'a sans doute oublié maintenant [46].
Comme il a oublié, de la chanson de Suzon, les paroles de la seconde strophe.
Sauf quelques rimes qui, mises bout à bout semblent effacer, par le sens
qu'elles font naître, le refus pudique qui accompagnait l'aveu d'amour de la
première strophe
............ un berger
............ s'engager
............ sans danger...
On a
retrouvé le texte de cette seconde strophe. Là où Rousseau n'entend plus que un
berger s'engager sans danger..., la voix qu'il entendait enfant chantait au
contraire
Un coeur s'expose
A trop s'engager
Avec un berger...
A la
tendre mise en garde, au non, c'est trop risqué qui fait le sens – de toute
cette charison, Rousseau a donc substitué, en oubliant certaines paroles, un
oui, c'est sans danger, une autorisation à poursuivre impunément le duo au-delà
du simple échange de voix.
Je cherche
où est le charme attendrissant que mon coeur trouve à cette chanson: c'est un
caprice auquel je ne comprends rien.... Mais, ajoute-t-il immédiatement, le
charme de cette chanson me bouleverse si fort, qu' il m'est de toute
impossibilité de la chanter jusqu'à la fin, sans être arrêté par mes larmes.
(p.11)
Il ne peut
aller jusqu'au bout de son plaisir sans être arrêté par les larmes, comme il
fondait en larmes entre les bras de Madame de Warens ou de la Zulietta. Or, au
bout de la chanson se trouvait un vers, que Rousseau n'a pas oublié celui-là.
Un vers contenant une image où se montre clairement, en se donnant en quelque
sorte à voir à l'oreille, l'objet du désir, en même temps que s'énonce le péril
qu'il y aurait à vouloir le saisir sous l'enveloppe séduisante qui le recouvre:
Et toujours l'épine est sous la rose
chante la
voix séduisante, qui se désigne ici, et une fois pour toutes, comme la rose de
sa propre chanson – fleur épineuse qui ne conservera sa beauté que pour celui
qui renonce à la posséder.
Ce père,
endormi auprès du cadavre de son fils, et qui dans son rêve entend la voix du
disparu soudain lui dire: père, ne vois-tu pas, je brûle, – qu'est-ce qui le
réveille? s'interroge Lacan, après Freud [47].
Est-ce ce que nous appelons la réalité? Ce bruit du cierge qui vient de
basculer sur le drap mortuaire, auquel il a mis le feu? Ou plutôt, bien
autrement réels quoiqu'impercep tib les aux sens, l'éclat de cette voix qui se
sent dans l'âme et le feu que ses paroles y allument? Qu'est-ce qui réveille? –
sinon, dans le rêve, une autre réalité à rechercher dans ce que le
rêve a enrobé, enveloppé, nous a caché, derrière le manque de la représentation
dont il n'y a là que le tenant-lieu? [48] Car
qui parle, du père ou du fils, dans cette voix sans corps surgie de nulle part?
Et pour signifier quoi? – sinon, entre l'un et l'autre, une impossible
rencontre, dont le rêve, un instant poursuivi, répète qu'elle est à jamais
manquée.
Conservami
la bella che si m'accende il cor, entend dans sa tête, un soir, à l'opéra,.l'homme du tempérament
le plus combustible que la nature ait jamais produit [49]. Mais
qui parle, de l'amant ou de l'aimée, de l'enfant ou de sa mère, dans cette voix
venue de derrière la scène de la représentation pour répéter une autre
rencontre à jamais manquée avec un autre impossible réel: une femme sans
horrible défaut? Ecrire un opéra à son tour, inventer l'improbable
Devin qui saura réunir, en les faisant chanter ensemble, le berger et la
bergère un moment séparés, faire pleurer, eux aussi, les autres à sa musique,
ce sera peut-être, pour Rousseau, sa façon de continuer à rêver, son hommage à
une réalité qui ne peut plus se faire qu'à se répéter indéfiniment, en un
indéfiniment jamais atteint réveil. [50]
Mais le
duo un moment reconstitué dans le paradis de l'opéra se brisera, dans le roman
comme dans la vie: Saint-Preux perdra sa Julie, Emile perdra sa Sophie, comme
Rousseau perdra la sienne, qui lui enflamma pourtant si bien le coeur, le jour
qu'il la vit apparaître devant lui habillée en jeune homme: Elle était à cheval
et en homme. Quoique je n'aime guères ces sortes de mascarades [51], je
fus pris à l'air romanesque de celle-là, et pour cette fois ce fut de l'amour
(...). Elle vint, je la vis, j'étais ivre d'amour sans objet, cette ivresse
fascina mes yeux, cet objet se fixa sur elle, je vie ma Julie en Mme
d'Houdetot, et bientôt je ne vis plus que Mme d'Houdetot, mais revêtue de
toutes les perfections dont je venais d'orner l'idole de mon coeur (...). Mais
en souiller la divine image eut été l'anéantir. J'aurais pu commettre le crime,
il a cent foi ' s été commis dans mon coeur: mais avilir ma Sophie 1 ah cela se
pouvait-il jamais! Non non (...) j'aurais refusé d'être heureux à ce prix. je
l'aimais trop pour vouloir la posséder [52]: tant
il est vrai que toujours l'épine est sous la rose.
Il lui
reste à la contempler, cette intouchable rose: avec la même passion d'enfant
dont il brûlait pour la musique, dans l'air de Venise, il se livrera à la
botanique, non (comme Anet) pour arracher à notre mère commune, la nature, les
secrets qu'elle nous cache, et qui nous empoisoxinent, mais pour effleurer
simplement la beauté qu'elle conserve, revêtue de sa robe de noces [53], à
tout regard innocent.
Il faut
interrompre ici, pour lui donner suite ailleurs, cette longue série d'échos que
l'air de Venise fait entendre, pour qui veut bien leur prêter l'oreille, à
Chainbéry, à Clarens, à Genève, partout enfin dans I'oeuvre de Rousseau.
Toutefois, puisqu'aussi bien ce sont les aveugles qui nous apprennent ce que
peut une voix sur une oreille et un coeur, écoutons pour tenniner la leçon
d'une aveugle, et l'écho qui, par une étrange coïncidence, résonne en elle:
Elle
aurait volontiers passé sa vie au concert ou à l'opéra, écrit Diderot de
Mélanie de Salignac. Il n'y avait guère que la musique bruyante qui l'ennuyât..
Mais une mélodie chantée produisait sur elle un effet qu'aucun mot ne peut
rendre. je ne saurais le comparer, disait-elle, qu'à l'ivresse que j'éprouve
lorsque, après une longue absence, je me précipite dans les bras de ma mère,
que la voix me manque, que les membres me tremblent, que mes larines coulent,
que les genoux se dérobent sous moi Je suis comme si j'allais mourir de
plaisir. [54]
Or ce
n'est pas de plaisir qu'elle est morte, ajoute immédiatement Diderot, mais
d'une tumeur aux parties naturelles intérieures qu'elle n'eut jamais le courage
de déclarer. Car elle avait le sentiment le plus délicat de la pudeur; et quand
je lui en demandai la raison: C'est, me disait-elle, l'effet des discours de ma
mère; elle m'a répété tant de fois que la vue de certaines parties du corps
invitait au vice; et je vous avouerais, si je l'osais, qu'il y a peu de temps
que je l'ai comprise, et que peut-être il a fallu que je cessasse d'être
innocente.
1. Confessions, VII, pléiade, 1, p.297.
2. Second Discours, II, pléiadc,.III, p.191. Il s'agit bien
de cryptographie chiffrée, et non dé la langue des signes qui se
situe, au contraire, du côté de l'origine.
3. Confessions, VII, p.314.
4. Dictionnaire de Musique, art. imitation,
in Oeuvres, Petitain, 1839, t. VI, p.440 (souligné par moi). Repris dans l'art.
Opéra, p.579, et dans l'Essai
sur l'origine des langues, Ducros, 1968, p.175.
5. Essai sur l'origine des langues, p.175.
6. ibid, p.167.
7. ibid, p.175. Dictionnaire de
Musique, pp 490 et
579.
8. Examen de deux principes avancés par M. Rameau, in
Petitain, t. 6, p.193-4. Dictionnaire de Musique,
art. air.
9. ibid, art. air.
10. Essai sur l'origine des langues, p.35.
11. Examen de deux principes avancés par M. Rameau, p.194.
12. Additions à la Lettre suries aveugles, ed Gamier 1964,
p.163.
13. ibid, p.152.
14. Lettre sur les Aveugles, p.88.
15. ibid, p.155-156.
16. ibid, p.88.
17. ibid, p.155.
18. Dictionnaire de Musique, art. voix,
p.751.
19. Rêveries, Xe promenade, pleiade, I, p.1098-99.
20. Dictionnaire de Musique, p.428.
21. ibid, p.429.
22. ibid.
23. Lettre sur la Musique française, Petitain, t. VI, p.143.
24. Nouvelle Héloüe, I, lettre 48, pléiade, t. Il, p.132.
25. Lettre sur la Musique française, p.148.
26. Dictionnaire de Musique, art. voix,
p.751.
27. ibid.
28. Cf. Dictionnaire de Musique, art. barcarolle:
N'oublions pas de remarquer, à la gloire du Tasse, que la plupart des
gondoliers savent par coeur une grande partie de son poème de la Jérusalem délivrée, que plusieurs le savent tout
entier, qu'ils passent les nuits d'été sur leurs barques à le chanter
alternativement d'une barque à l'autre; que c'est assurément une belle barcarolle
que le poème du Tasse... (p.302)
29. Fragment d'une Epitre à M. B(ordes), pléiade, II, p.1145.
30. cf. l'anecdote
rapportée par Corancez (in De J. J. Rousseau). je
reviendrai ailleurs sur les étranges rapports de Rousseau avec I'oeuvre du
Tasse.
31. Freud: Le Fétichisme (1927), in La vie
sexuelle, P.U.F., 1969, p.134: Le fétiche est le substitut du phallus de
la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel, nous savons
pourquoi, il ne veut pas renoncer. Le processus était donc celui-ci: l'enfant
s'était refusé à prendre connaissance de la réalité de sa perception: la femme
ne possède pas de pénis. Non, ce ne peut être vrai car si la femrne est
châtrée, une rnenace pèse sur la possession de son propre pénis à lui, ce
contre quoi se hérisse un morceau de narcissime dont la Nature prévoyante a
justement doté cet organe. Cf. aussi la passionnante analyse d'O. Mannoni. je sais bien mais quand même, in Clés
pour l'imaginaire..., Seuil, 1969, p.11: Le fétichiste sait bien
que les fernmes n'ont pas de phallus, mais il ne peut y ajouter aucun mais
quand même, parce que, pour lui, le mais quand même, c'est le fétiche.
32. Souligné par
moi.
33. Ma santé de ce
côté n'ayant jamais reçu d'atteinte m'est une preuve que le chirurgien avait
raison. Cette opinion ne m'a jamais rendu téméraire et si je tiens en effet cet
avantage de la nature, je puis dire que je n'en ai pas abusé. (p.317)
34. Souligné par
moi.
35. Souligné par
moi. Comparer avec ces lignes du livre V: A force de l'appeler maman, à force
d'user avec elle de la familiarité d'un fils je m'étais accoutumé à me regarder
comme tel. (p.196)
36. J'avais été
jusqu'alors grand dormeur. La totale privation du sommeil qui se joignit à ces
symptômes, et qui les a constamment accompagnés jusqu'ici acheva de me
persuader qu'il me restait peu ire temps à vivre. (p.228)
37. La belle me
conserve..., traduisent B. Gagnebin et M. Raymond dans l'édition de la pléiade,
ce qui me semble peu recevable.
38. Opéra,
s.m. Spectacle dramatique et lyrique où l'on s'efforce de réunir tous les
charmes des beaux-arts dans la représentation d'une action passionnée, pour
exciter, à l'aide de sensations agréables, l'intérêt et l'illusion. (Dictionnaire de Musique, p.569)
39. Nouvelle Héloïse, I, lettre 46, p.128, (souligné par
moi).
40. Dictionnaire de Musique, art. castrato,
p.335.
41. qui réapparaîra
dans la suite, puisqu'il donnera des leçons de chant aux deux amants et se fera
le complice de leur correspondance clandestine.
42. Dictionnaire de Musique, p.336.
43. ibid., art. air, p.292-93.
44. Deux des
chanteurs engagés cette année-là à Saint-Chrysostome ont laissé un nom: le
castrat Carestini et la prima donna Caterina Aschieri, nous apprend J. Tiersot dans
son classique J. J. Rousseau (collection Les maîres
de la musique, Alcan, Paris, 1912, p.73). L'air entendu par Rousseau devait
être chanté par une vedette. Or, d'après les paroles, il semble exclu que cette
vedette fût une femrne. Reste donc le castrat Carestini. Les résultats (encore
hypothétiques) de l'enquête externe rejoindraient par conséquent ceux de
l'enquête inteme menée dans ces pages.
45. Bucoliques, VII, vers 67-68 et 33 à 36.
46. Aux Channettes,
dit-il, j'ai appris et rappris bien vingt fois les égologues de Virgile, dont
je ne sais pas un seul mot. (p.242)
47. Freud, Science des rêves, chap. VII, PUF, 1976,
p.433-34. Lacan, Séminaire (XI), p.57.
48. Lacan, op. cit.,
p.59.
49. Confessions, IX, p.446.
50. Lacan, op.
cit., p.57.
51. et pourtant, à
Venise (entre autres occasions): J'entre, je me fais annoncer sous le nom d'una
Siora Maschera (une darne masquée). Sitôt que je fus introduit, j'ôte mon
masque et je me nomme. Le Sénateur pâlit et reste stupérait... (p.302).
52. Confessions, IX, p.439-440 et 444.
53. Rêveries, septième Promenade, p.1062.
54. Additions à la Lettre sur les Aveugles, pp.160 et 158.