LES DIALOGUES OU L’ENVERS D’UNE SCENOGRAPHIE

 

Isabelle Chanteloube

Université Lyon III


L’écrivain crée de toutes pièces la situation d’énonciation dans laquelle il s’adresse au public. La scène de parole n’est pas choisie par hasard, mais pour légitimer le contenu d’un discours. Dans quelle mesure la scène d’énonciation des Dialogues sert-elle le discours de Jean-Jacques Rousseau ? Le dispositif dialogal est extrêmement rare chez Rousseau, qui le réserve à quelques passages de l’Emile et à la Préface de la Nouvelle Héloïse. Nous verrons d’abord que ce dispositif, fondé sur le dédoublement des instances énonciatives et sur la quête du sens, semble mettre en péril la parole rousseauiste. Ensuite, nous tenterons de démontrer que les Dialogues demeurent cependant l’œuvre d’un orateur, mais d’un orateur soucieux de reconstruire les bases de son discours, ébranlées par les condamnations, les persécutions, le Complot. Bases qui ne sont autres que les trois preuves aristotéliciennes, l’ethos, le pathos et le logos. Enfin nous nous proposerons de définir la scénographie qui se dévoile au lecteur à travers ce processus de reconstruction du discours.

 

I. Les dialogues et le discours

Que reste-t-il du discours dans les Dialogues, à la fois comme dispositif énonciatif et comme dispositif générique ?

Comme dans tous ses autres ouvrages, Rousseau fait prédominer le plan du discours, par opposition au plan du récit, selon Benveniste : la forme dialogale implique, en effet, que deux interlocuteurs (ou plus) se donnent la réplique, et c’est bien le cas : Rousseau et le Français s’entretiennent sans discontinuer dans les trois Dialogues, leurs deux voix alternent au présent.

Du point de vue des genres oratoires, les Dialogues se rattachent au genre judiciaire. Par leur titre, Rousseau juge de Jean-Jacques, qui annonce un procès ; par l’objectif qui leur est assigné par Rousseau lui-même dans Du Sujet et de la forme de cet écrit : le comportement adopté par le public à son égard, l’assurance universellement partagée de sa faute, « tout cela, couvert pour [lui] d’un mystère impénétrable ne pouvant s’accorder avec [ses] raisons, [l’] a engagé à les dire pour les soumettre aux réponses de quiconque aurait envie de le détromper »1 ; par le rôle joué par chacun des membres du duo : le Français est l’accusateur impitoyable de Jean-Jacques dont la culpabilité ne fait, pour lui, aucun doute, Rousseau son avocat infatigable.

 

Tous les moyens sont mis en œuvre pour que se fasse jour la vérité sur l’accusé. Le choix de la forme dialogale, qui est, à l’origine, une forme philosophique, s’avère judicieux. Il montre une pensée en mouvement, une recherche, au cours de laquelle la vérité se découvre progressivement. Or, dans les Dialogues, la vérité sur J-J, quoiqu’elle soit donnée comme évidente par le Français, est à découvrir. Ensuite, le dialogue, en tant que genre philosophique, s’occupe traditionnellement moins des faits, que des notions, il vise à démêler le vrai du faux, le juste de l’injuste. Le dossier d’accusation ayant été délibérément tenu secret par les accusateurs de J-J, à supposé qu’il existe, le procès ne peut en aucun cas porter sur les faits, mais sur les méthodes utilisées pour le juger, le punir, le mettre au ban de la société.

 

Le modèle socratique inspire la répartition des rôles dans ce dialogue « à conversion », selon la classification proposée par Suzanne Guellouz2, dialogue pédagogique entre un sage, animé d’une véritable passion de la vérité et de la justice, pointilleux sur les termes et sur les définitions, et un naïf, qui reproduit sans se poser de questions les opinions toutes faites des « Messieurs » qu’il vénère et qu’il n’a jamais osé contredire, mais qui cède volontiers à la pression exercée par son interlocuteur. Rousseau le personnage en est incontestablement le meneur de jeu, et la maïeutique socratique fonctionne à merveille : son succès est manifeste lorsque le Français finit par reconnaître que nul ne peut avancer aucune preuve de la culpabilité de J.J.3.

 

Cependant les Dialogues ne sont pas un discours comme les autres, Rousseau n’y investit pas la scène générique comme il a coutume de le faire.

 

L’oralité nous est livrée en « différé »: tout dialogue reproduit un échange déjà passé, par opposition au discours oratoire prélude à la lecture publique. « Dans un cas », précise S. Guellouz, il s’agit de re-produire par écrit ou de feindre un échange oral : l’oralité est donc en-deçà de l’écriture, dans l’autre cas, il s’agit de passer de l’écrit à l’oral : l’oralité est au-delà de l’écriture »4. Si le genre montre la position de celui qui l’investit, la forme dialoguée montre de toute évidence l’abdication de cette oralité directe et jaillissante qui garantit, selon Rousseau, l’authenticité de la parole. Une entorse significative de l’enfermement de l’auteur dans un silence forcé, qu’il qualifie d’« effrayant et terrible » dans Du Sujet et de la forme de cet écrit, et que M. Foucault considère comme l’expérience première des Dialogues5.

 

La disparition de l’oralité virtuelle va de pair avec d’autres détériorations sensibles du discours. Nous assistons, en effet, à la relégation de l’auteur, toujours jusque là aussi locuteur, parlant directement, sans intermédiaire, au public qu’il souhaite convaincre, et signant fièrement ses œuvres de son nom authentique, en position de troisième personne, « non-personne » du discours, en dépit du titre de l’ouvrage. La parole en trompe-l’œil est assumée par des locuteurs-reflets, dépourvus d’une identité crédible.

 

Nous assistons dans le même temps à la relégation du public-destinataire, et donc du lecteur, en position de troisième personne. L’opinion ayant été pervertie et abusée par les « Messieurs », il n’est plus possible de la convaincre et de la toucher directement au moyen d’un discours. « Pour le laisser vivre parmi les hommes, il a bien fallu le peindre à eux tel qu’il était », dit le Français.6 Ou encore : « Il fallait peindre le personnage à tout le monde sans que jamais ce portrait passât devant ses yeux. Il fallait instruire l’univers de ses crimes, mais de telle façon que ce fût un mystère ignoré de lui seul. Il fallait que chacun le montrât du doigt sans qu’il crût être vu de personne. En un mot c’était un secret dont le public entier devait être le dépositaire sans qu’il parvint jamais à celui qui en était le sujet ».7

 

A cette triple mise à distance – de l’oralité, du locuteur, du destinataire – qui témoigne d’une altération évidente du discours en tant que mode d’énonciation et en tant que genre, il faut ajouter une transformation de la matière du discours. Si l’on se réfère aux ouvrages antérieurs, Rousseau n’a jamais fait que répondre à des questions qui avaient été soulevées et auxquelles il se flattait de posséder des solutions. Les Discours traitent de questions explicitement posées, et les ouvrages suivants répondent aux questions que les hommes se posent sur la politique, l’éducation, la morale et que les philosophes n’ont pas su résoudre, faute de méthode ou d’honnêteté. Les Confessions elles-mêmes tentent de répondre, preuves à l’appui, aux questions que se posent ses contemporains sur sa moralité. Dans les Dialogues, c’est l’auteur qui est en quête de réponses. C’est lui qui interroge, qui force à parler les autres, qui imagine les paroles qu’ils tiennent à son sujet :

 

Cependant pour ne pas outrager toute une génération, il fallait bien supposer des raisons dans le parti approuvé et suivi par tout le monde. Je n’ai rien épargné pour en chercher, et pour en imaginer de propres à séduire la multitude, et si je n’ai rien trouvé qui dut produire cet effet, le Ciel m’est témoin que ce n’est faute de volonté ni d’efforts, et que j’ai rassemblé toutes les idées que mon entendement m’a pu fournir pour cela.8

 

Le discours, sans matière stable et définie, nourri uniquement de suppositions, semble tourner à vide. Comme le dit bien Rousseau dans Du Sujet et de la forme de cet écrit, le dialogue est une « forme » appropriée à discuter le pour et le contre ; loin d’émaner d’un flot d’idées et d’émotions, l’énonciation des Dialogues repose sur un artifice de persuasion. Elle est un négatif de la parole « pleine et vive », inspirée et riche, qui se déployait dans ses précédents ouvrages.

 

 

II. La reconstruction des fondements du discours

 

 

A. L’ethos

 

Faut-il pour autant parler d’une impasse des Dialogues ? La modification sensible du système d’énonciation ne pourrait-elle pas avoir une fonction autre que celle de montrer l’impuissance et l’isolement de l’auteur ? En fait, un transfert s’est opéré qui nous échappe à première vue tant il dérange nos habitudes de lecteur. Rousseau n’a pas d’informations capitales à nous donner sur quoi que ce soit d’extérieur à lui-même : il a tout dit sur l’Homme et sur la Société. En revanche, sur lui, il lui reste à dire tout ce qui est nécessaire à la sauvegarde de son honneur. Non pas en évoquant le passé, comme il l’a fait dans les Confessions : ses confidences sincères et courageuses n’ont pas, nous dit-il, fait sentir la « fausseté des idées horribles et fantastiques qu’il voyait répandre de lui sans en pouvoir découvrir la source »9 ; mais en se focalisant sur cette partie de lui-même qui a été tellement méconnue, malmenée, déformée, bafouée : son image. Une image qui, dans tout discours, fait corps avec le locuteur et qui se projette dans ce qu’il dit, par la manière dont il le dit : autrement dit, son ethos, dimension essentielle du discours oratoire selon Aristote :

 

Les preuves inhérentes au discours sont de trois sortes : les unes résident dans le caractère moral de l’orateur ; d’autres dans la disposition de l’auditoire ; d’autres enfin dans le discours lui-même, lorsqu’il est démonstratif ou qu’il paraît l’être.10

 

Aristote considère même l’ ethos comme la plus importante des preuves : « C’est au caractère moral de l’orateur que le discours emprunte sa plus grande force de persuasion »11. L’orateur ne saurait persuader l’auditoire s’il ne donne pas de lui-même une image favorable, image qui séduira l’auditeur et captera sa bienveillance. Bien entendu, la plupart du temps, l’orateur est connu de l’auditoire avant sa prise de parole ; Ruth Amossy fait une distinction entre l’ethos proprement discursif que construit l’orateur par sa manière de s’exprimer et de se comporter pendant le discours, et l’ethos prédiscursif, constitué par l’ensemble des données préalables à partir desquelles l’auditoire se forge déjà une idée de l’orateur avant même qu’il ne prenne la parole. L’orateur agit donc aussi en fonction de cet ethos préalable, qui facilite la persuasion s’il est positif, mais qu’il peut également corriger en s’exprimant d’une certaine manière, s’il est plutôt négatif.12

 

Dans les Dialogues, Rousseau est précisément préoccupé par sa réputation, son honneur, par cet ethos prédiscursif sur lequel il s’appuyait pour énoncer avec autorité dans ses précédents ouvrages, et que les interprétations, les rumeurs, et peut-être, avoue-t-il dans les Dialogues, son étourderie, sa trop grande confiance, ont terni et dégradé. Le discours et l’image sont liés : tant qu’il n’aura pas retrouvé l’estime du public, il ne pourra pas lui parler et n’importe lequel des écrits que ses ennemis font circuler sous son nom pourra lui être imputé. L’image fausse que l’on a donnée de lui jette une ombre sur ce qu’il a dit et fait, et elle fait obstacle à la communication entre lui et les autres. La dissociation entre Rousseau, le visiteur de bonne foi, et Jean-Jacques, l’écrivain calomnié, est une nécessité.

 

Dans le premier Dialogue, Rousseau le personnage, réussit à imposer l’idée qu’il y a deux images de J-J, et qu’il importe de déterminer laquelle est la vraie, avant de le juger, puis il convainc son interlocuteur de lire les ouvrages de J-J, tandis que lui-même ira le rencontrer. Rousseau le personnage nous présente, dans le deuxième Dialogue, l’auteur, tel qu’il l’a vu au cours des entretiens qu’il est censé avoir eus avec lui entre le Premier et le Deuxième Dialogue. Les termes qu’il emploie pour définir sa démarche nous prouvent bien que le dialogue va se focaliser sur l’ethos de J-J., et non sur son discours, toujours apte à dissimuler la vraie personnalité :

 

Sans m’arrêter à de vains discours qui peuvent tromper, ou à des signes passagers plus incertains encore, mais si commodes à la légèreté et à la malignité, je résolus de l’étudier par ses inclinations ses mœurs, ses goûts, ses penchants, ses habitudes, de suivre les détails de sa vie, le cours de son humeur, la pente de ses affections, de le voir agir en l’entendant parler, de le pénétrer s’il était possible au-dedans de lui-même, en un mot, de l’observer moins par des signes équivoques et rapides que par sa constante manière d’être ; seule règle infaillible de bien juger du vrai caractère d’un homme et des passions qu’il cache au fond de son cœur.13

 

Mais quel est le caractère que doit présenter l’orateur pour inspirer confiance à l’auditoire ? Quelles sont les qualités qui sont le plus à même d’assurer sa crédibilité ? Chez Aristote les trois composantes du caractère qui font un bon orateur sont le bon sens (phronésis), la vertu (areté), et la bienveillance (eunoia) ; Ekkehard Eggs propose pour les trois termes une traduction qui lui paraît à la fois plus moderne et plus exacte : « les orateurs inspirent confiance si leurs arguments et leurs conseils sont compétents, raisonnables, et délibérés, s’ils sont sincères, honnêtes et équitables, et s’ils montrent de la solidarité, de l’obligeance et de l’amabilité envers leurs auditeurs. »14

 

Rousseau, dans le deuxième Dialogue, décrit J-J en s’appuyant exactement sur ces trois composantes. Il fait d’abord un sort à la sympathie dont témoigne J-J envers les autres – de la page 195 à la page 212 – puis il évoque sa compétence – de la page 212 à la page 235 – enfin sa vertu de la page 235 à 287. La présentation du caractère de J-J, qu’elle l’envisage sous l’aspect de la sociabilité, de l’intelligence, de la moralité, tend, cependant, à prendre le contre-pied de ce qui est requis du bon orateur, de celui que l’on est porté à croire quand il parle.

 

Prenons d’abord le goût de la solitude, a priori incompatible avec la « bienveillance » attendue. J-J a la réputation de « repousser tous les nouveaux venus »15 ; de son abord farouche, on a coutume de conclure à sa misanthropie, et même à son inhumanité : «  Il fuit les hommes parce qu’il les déteste ; il vit en loup-garou, parce qu’il n’y a rien d’humain dans son cœur », déclare Le Français16. Rousseau ne nie pas cette propension à la solitude, mais il lui donne une interprétation toute différente de celle qu’on lui attribue ordinairement, de celle que Diderot, notamment, lui a donnée dans une formule qui a beaucoup blessé Rousseau : « Il n’y a que le méchant qui soit seul »17. Or la fuite est bien plus un effet de la crainte que de la haine qui porte à nuire à autrui. Le méchant a besoin des autres pour exercer sur eux sa malveillance, au lieu que « quiconque se suffit à lui-même ne veut nuire à qui que ce soit »18. Le paradoxe n’est donc qu’une étape du raisonnement : à l’image rébarbative d’un « ennemi du genre humain » se substitue celle d’un être doux et craintif, calme et indépendant, qui présente de grandes analogies avec l’homme primitif que Rousseau a dépeint dans le Discours sur l’origine de l’Inégalité.19

 

Dans le domaine intellectuel, Rousseau s’ingénie d’abord à mettre en péril l’image de J-J :

Si, comme je vous l’ai dit, je fus surpris au premier abord de le trouver si différent de ce que je me l’étais figuré sur vos récits, je le fus bien plus du peu d’éclat pour ne pas dire de la bêtise de nos entretiens.20

 

Immense s’avère l’écart entre l’idée que l’on de fait de l’auteur éloquent, et cet homme timide, qui cherche ses mots, ne les trouve pas, lâche des propos étourdis, s’embrouille et, le plus souvent, préfère se réfugier dans le mutisme. Cette incapacité à maîtriser la parole, cette inaptitude à la réflexion suivie, sont expliquées par une sensibilité hors du commun qui lui fait préférer à l’effort pénible la jouissance passive de l’instant présent. Comme l’homme primitif, encore une fois, « incapable d’une prévoyance un peu suivie, et tout entier au sentiment qui l’agite, il ne connaît pas même pendant sa durée qu’il puisse cesser d’en être affecté »21. L’état qu’il goûte le plus est celui de la rêverie, et de ce goût dérive même, selon son visiteur, tous ses penchants et toutes ses habitudes22.

 

Aussi décevant est le caractère moral de J-J : Rousseau répète à maintes reprises qu’il n’est pas vertueux. Certes il ne fait pas de tort aux autres, il n’est pas intéressé, il ne garde pas de rancune envers ses ennemis. Mais il n’a aucun mérite à cela : il ne fait que suivre sa pente naturelle. Comme il n’y a aucune bassesse en lui, aucune convoitise des biens superflus, aucun amour-propre, et qu’il préfère se remémorer les moments agréables que ressasser « les souvenirs tristes et déplaisants qui sont inutiles »23, il est bon naturellement, sans effort, sans combat, donc sans vertu ; « sa morale est moins une morale d’action qu’une morale d’abstinence »24.

 

A quoi bon construire un ethos aussi peu flatteur, ou du moins si peu conforme à l’idée que l’on se fait de l’orateur ? Quel profit l’auteur peut-il bien tirer de ce portrait ? D’abord, rappelons-le, il s’agit de démontrer l’innocence de J-J. Un homme craintif, incapable de dissimuler ses sentiments, inapte à la réflexion, ne saurait être qu’inoffensif. Mais il ne faut pas se leurrer sur les intentions de Rousseau auteur. Les traits que l’on peut prendre pour des défauts sont en réalité des qualités, y compris pour un penseur et un orateur. Il est vrai que, pour nous induire en erreur, il a tendance à employer des termes péjoratifs, comme « ineptie », « paresse », « indolence ». Il serait plausible, après tout, qu’il ait envie de sacrifier son image d’écrivain et de philosophe à son honneur et à sa réputation. J-J ne déclare t-il pas, par la bouche de Rousseau :

 

Dans la position où je suis si j’avais à faire des livres, je n’en devrais et n’en voudrais faire que pour la défense de mon honneur, et pour confondre et démasquer les imposteurs qui la diffament : il ne m’est plus permis sans me manquer à moi-même de traiter aucun autre sujet.25

 

Il n’en est rien, en réalité. Les défauts qu’il s’attribue ne le disqualifient qu’en apparence pour parler. Ils le disqualifient pour parler comme les autres, les écrivains de métier, les auteurs. Pour parler de choses superficielles qui permettent aux beaux-esprits de briller. « S’il certain qu’il ne s’affecte pas comme tous nos Auteurs de toutes les questions un peu fines qui se présentent, et qu’il ne suffit pas, pour qu’une discussion l’intéresse, que l’esprit puisse y briller »26, J-J se montre, en revanche, capable de s’enflammer pour de grands sujets, de se passionner pour la justice et pour la vérité :

 

Ce même homme dont l’œil terne et la physionomie effacée semble dans les entretiens indifférents n’annoncer que de la stupidité change tout à coup d’air et de maintien, sitôt qu’une matière intéressante pour lui le tire de sa léthargie.27

 

Sa maladresse, si gênante dans la conversation mondaine, prouve son incapacité à feindre comme à dissimuler ses passions. Ce sont les « méchants », dit Rousseau, qui « savent composer leur extérieur, gouverner leurs regards, leur air, leur maintien, se rendre maîtres des apparences »28. Les hommes dotés d’une âme sensible sont trop occupés de ce qu’ils ressentent pour soigner leurs paroles, les arranger avec art. Du reste les beaux-esprits et les beaux parleurs sont-ils capables de pensées neuves et importantes ? La réflexion coûte de pénibles efforts au rêveur perpétuellement absorbé par ses contemplations et ses chimères ; son absence d’amour-propre le détourne de se consacrer à un tel travail. Mais quand il prend la peine de penser et de mettre sur le papier le fruit de ses réflexions, c’est qu’il est mu par un véritable intérêt, celui du genre humain, et que les révélations qu’il sent devoir faire ont un caractère d’urgence. L’apologue du monde idéal, au début du Premier Dialogue dit bien à quelles conditions et poussés par quels motifs les habitants de ce monde enchanté, naturellement portés au silence et à la compréhension immédiate, consentent à « faire des livres » :

 

Quelque heureuse découverte à publier, quelque belle et grande vérité à répandre, quelque erreur générale et pernicieuse à combattre, enfin quelque point d’utilité publique à établir ; voilà les seuls motifs qui puissent leur mettre la plume à la main : encore faut-il que les idées soient assez neuves, assez belles, assez frappantes, pour mettre leur zèle en effervescence et le forcer à s’exhaler.29

 

Les écrivains de talent ont tant de plaisir à parler et à écrire qu’ils « trouvent toujours quelque chose à dire »30. Cette « démangeaison de parler » est suspecte. Dire est aisé « pour qui ne veut qu’agencer des mots ». L’homme sensible, en revanche, n’use du langage qu’avec parcimonie et ne parle que tant qu’il a quelque chose à dire :

 

Pourquoi vouloir que je fasse encore des livres quand j’ai dit tout ce que j’avais à dire, et qu’il ne me resterait que la ressource trop chétive à mes yeux de retourner et de répéter les mêmes idées ?31

 

Rousseau ne renonce pas au discours en se mettant en retrait du dialogue, en le faisant prendre en charge par son alter ego. Au contraire il manifeste le désir fou d’un contrôle absolu sur le discours. Le dédoublement entre Rousseau et J-J rend explicite la co-existence entre l’ « être de discours », le locuteur L, et l’« être au monde », le locuteur , pour reprendre la distinction d’Oswald Ducrot32. Il permet à l’auteur de dire ce qu’il a à dire et de montrer ce qu’il est indépendamment de son discours, de rendre manifestes les sources mêmes de l’énonciation. La description détaillée de l’homme naturel J-J par Rousseau renforce la position de l’auteur dans le champ ou plutôt à la marge du territoire occupé par les philosophes de métier, qu’il regarde avec dédain. Même s’il dépoussière fortement l’image classique de l’orateur en substituant à l’image du tribun habile et éloquent celle d’un rêveur et d’un timide, il reste fidèle à la rhétorique, en tant que technique de persuasion qui fait du caractère de l’orateur la première et la plus importante des preuves.

 

 

B. La reconstruction de l’auditoire

 

L’orateur innocenté et rétabli dans son droit à la parole risque néanmoins de trouver face à lui un auditoire qui n’a pas accès à cette image, mais à l’ethos monstrueux monté de toutes pièces par ses ennemis. Le vrai J-J n’est connu que de Rousseau, l’abjection du personnage fait, au contraire l’unanimité. C’est le seul argument, mais il est de taille, qui reste au Français pour contrecarrer la thèse de Rousseau avocat de J-J :

 

Vous me répéterez sans doute que ce n’est point l’homme que vous avez vu : mais c’est l’homme qu’a vu tout le monde excepté vous.33

 

A quoi sert cette bonne image de J-J si Rousseau est le seul à la voir ? Les preuves résident aussi, selon Aristote, « dans la disposition de l’auditoire ». Et, comme le dit C. Perelman, « l’important dans l’argumentation n’est pas de savoir ce que l’orateur considère lui-même comme vrai ou comme probant, mais quel est l’avis de ceux auxquels elle s’adresse »34. Il faut donc travailler non seulement sur l’ethos, mais aussi le public lui-même. Nous avons dit que l’opinion, comme l’auteur, était toujours désignée en tiers dans les Dialogues. C’est que le débat entre le Français et Rousseau n’a pas seulement pour fonction de redéfinir l’image du locuteur, mais aussi de reconstruire l’auditoire, pour qu’il soit à nouveau disposé à entendre le discours.

 

Comment démonter les rouages du système qui régit l’opinion ? En montrant précisément que l’opinion est régie par un système, que le public ne réagit pas spontanément, mais qu’il est « sous influence ». De l’unanimité du public contre J-J, Rousseau tire l’argument non pas que le public est injuste, ce serait trop injurieux pour le genre humain qui adhère fortement à cette opinion – et il serait suicidaire de la part de l’orateur de se dresser ainsi contre l’auditoire – mais que le public est malade, victime d’une épidémie d’esprit qui a gagné les hommes « de proche en proche comme une espèce de contagion »35. L’« engouement général », «  le concours unanime de toute la génération présente à un complot d’imposture et d’iniquité »36, sur lesquels Rousseau insiste tant, sont le fruit d’une contamination, c’est-à-dire, concrètement, d’une machination. Ainsi il n’attaque pas de front le public, mais il désigne des responsables, ceux qui ont allumé contre « l’homme du monde le moins fait pour la haine » une aversion universelle. Les philosophes ont cherché à se venger d’un homme qui refusait de suivre leurs principes, c’est-à-dire de professer la morale égoïste à la mode et de jouer le jeu du métier d’auteur 37. Ils ont voulu lui faire payer son indépendance en déformant toutes ses idées, en faisant même circuler sous son nom des écrits subversifs pour achever de le perdre. Son incontestable statut d’ « intellectuel en rupture », pour reprendre l’expression de Benoît Mély, a fait de lui la cible d’un règlement de compte aussi méthodique qu’impitoyable.

 

Rousseau, orateur habile, sait l’art de diviser l’auditoire apparemment homogène. Si l’on excepte le petit nombre des organisateurs du complot, la majorité de ses persécuteurs ne connaissent pas les réelles motivations des Messieurs. Nombreux sont ceux probablement qui se taisent par prudence mais n’approuvent pas des manœuvres qu’ils jugent indignes : « On peut s’abstenir de l’iniquité sans avoir le courage de la combattre »38; une autre image se substitue donc peu à peu à celle de l’auditoire hostile, celle d’un auditoire compatissant mais discret, qui attend pour manifester son désaccord que les passions soient retombées :

 

Un homme juste mais faible se retire alors de la foule, reste dans son coin, et n’osant s’exposer, plaint tout bas l’opprimé, craint l’oppresseur et se tait. Qui peut savoir combien d’honnêtes gens sont dans ce cas ? Ils ne se font ni voir ni sentir : ils laissent le champ libre à vos Messieurs jusqu’à ce que le moment de parler sans danger arrive.39

 

Les Dialogues espèrent donc rétablir le contact avec le public grâce à l’élaboration d’une image de l’auditoire beaucoup plus réaliste, dont Rousseau le personnage, alter ego de J-J et de l’auteur est le modèle : après analyse, l’« engouement général » s’avère, en effet, n’être tout au plus qu’un malentendu savamment entretenu par une poignée d’individus malfaisants.

 

C. Le logos

 

En reconstruisant son image, Rousseau agit sur la preuve éthique, en reconstruisant son auditoire, il agit sur la preuve pathétique, selon la terminologie aristotélicienne. Il manque donc une pièce du « puzzle » : la preuve logique. Où est-elle donc ? C’est d’elle essentiellement qu’il est question dans le premier Dialogue. Rappelons-nous : Rousseau s’évertue à y démontrer qu’il n’y a pas de preuves, c’est-à-dire pas d’arguments satisfaisants, contre J-J, et que l’on s’y est fort mal pris pour le juger. Il critique l’acharnement, le fanatisme de ses juges :

 

Tant qu’on n’a pas entendu l’accusé, les preuves qui le condamnent, quelques fortes qu’elles soient, quelques convaincantes qu’elles paraissent, manquent du sceau qui peut les montrer telles, même lorsqu’il n’a pas été possible d’entendre l’accusé, comme lorsqu’on fait le procès à la mémoire d’un mort, car en présumant qu’il n’aurait rien eu à répondre on peut avoir raison, mais on a tort de changer cette présomption en certitude pour le condamner, et il n’est permis de punir le crime que quand il ne reste aucun moyen d’en douter.40

 

Mais surtout il propose une juste méthode d’investigation, tendant à substituer à l’évidence, aussi forte soit-elle, d’authentiques preuves, élaborées avec objectivité, dans un esprit de tolérance conforme à l’esprit des Lumières dont se réclament ses accusateurs. Il ne dit pas ce qu’il faut dire, mais comment des juges éclairés s’y prendraient pour établir la culpabilité ou l’innocence.

 

A tous les niveaux, nous nous trouvons donc en présence non d’un discours, mais des conditions de possibilité d’un discours judiciaire digne de ce nom. Contrairement aux autres ouvrages de Rousseau, Les Dialogues, vaste entreprise de reconstruction des fondements du discours, ne nous confrontent pas à une scène de parole mais à l’envers d’une scène de parole. Le dispositif dialogal nous fait pénétrer dans les coulisses du discours, là où l’orateur se prépare, pose sa voix, jauge son public, sélectionne ses arguments. Ils nous placent en un lieu idéal pour identifier la scénographie mise en place par le locuteur.

 

 

III. Une scénographie pamphlétaire

 

La scène dont nous avons ici le reflet est en tout point paradoxale : l’ethos qui nous est donné à voir est aux antipodes de ce qu’attend l’auditoire ; loin de s’adapter au public, le porte-parole de Rousseau dénonce l’ « engouement collectif » qui obscurcit son jugement. Il ne nous donne aucune preuve de l’innocence de l’accusé, mais démonte le système scandaleux qui est à l’origine de l’accusation. Cette attitude déconcertante n’est pas nouvelle : Rousseau a toujours fait montre d’une farouche indépendance, d’un refus catégorique de se plier au système de pensée dominant, tout en dénonçant vigoureusement des compromissions des philosophes reconnus avec les autorités morales et politiques. Il s’est toujours dressé avec audace contre le confort des préjugés, mu par une conviction de for intérieur, exposant son nom, sa réputation, pour faire triompher l’évidence qui l’habite. Une audace qui peut avoir des conséquences graves : « rien n’expose en même temps à tant de dangers et de risques de la part d’ennemis adroits, que cette audace qui précipite un homme ardent dans tous les pièges qu’ils lui tendent »41. Elle est, selon lui, à l’origine du complot et des mesures prises contre lui.

 

Dans l’isolement idéologique de cet « homme à paradoxes », qui s’érige en prophète, dans cette lutte inégale contre le consensus reposant, selon lui, sur une scandaleuse imposture, dans ce combat désespéré pour le rétablissement des vraies valeurs, nous retrouvons les composantes stables de la stratégie pamphlétaire, telles que Marc Angenot les a mises en évidence dans La Parole pamphlétaire42. Rousseau n’écrit jamais de pamphlets mais il se comporte en pamphlétaire. Et c’est bien cette scénographie que nous exposent les Dialogues, en nous montrant un homme naturel seul face à l’ « engouement collectif », à la « haine universelle », payant le prix de son audace.

 

Les Dialogues ne sont pas uniquement une représentation en abyme de la scénographie rousseauiste, d’ailleurs, ils sont partie intégrante du scénario-catastrophe annoncé par les écrits antérieurs : ils poussent la logique pamphlétaire jusqu’à ses plus ultimes conséquences. Le scandale de l’imposture était le moteur d’une pensée en révolte ; les imposteurs se sont logiquement retournés contre lui, le fauteur de troubles, le prophète prêchant dans le désert. Maintenant l’auteur est persécuté, martyrisé, victime de son obstination à proclamer la Vérité envers et contre tous. Les répliques du Français dévoilent les rouages de la savante machination ourdie contre le pamphlétaire. L’Histoire du précédent écrit raconte en détail les tentatives de Rousseau pour dérober son manuscrit aux mains rapaces de ses persécuteurs, pour atteindre l’opinion coûte que coûte, trouver un dépositaire, etc. Rousseau le personnage, lui-même parle en pamphlétaire, seul contre tous, seul juste détenteur de l’évidence face aux imposteurs. Et J-J occupe la place dévolue à la vérité, évidence absolue et non négociable sur laquelle repose tout discours pamphlétaire. Le prophète, le martyr de la vérité et la vérité elle-même se confondent.

 

Conclusion : Les Dialogues ne sont donc pas une œuvre manquée, fruit du délire de la persécution. Ils tâchent, par le biais du dédoublement, de reconstituer les fondements du discours, menacé par l’action délétère des ennemis de l’auteur. Ces fondements eux-mêmes sont marqués par le paradoxe, car le discours rousseauiste a la particularité d’être un « contre-discours », animé par la ferveur pamphlétaire. Les Dialogues, qui nous montrent l’envers de la scène de parole, tout en la prolongeant, nous fournissent des clefs incomparables pour la comprendre.

 

1 Du sujet et de la forme de cet écrit, in Les Dialogues Paris, G.F. Flammarion, p.57.

2 Voir Le Dialogue, Paris, P.U.F., 1992, p.90.

3 Cet aveu ingénu du Français constitue le tournant du Premier Dialogue : Rousseau – [….] Mais Monsieur, à ce compte-là, cet homme chargé de tant de crimes n’a donc été convaincu d’aucun ? Le Français – Eh non vraiment. C’est un acte de l’extrême bonté dont on use à son égard, de lui épargner la honte d’être confondu. Sur tant d’invincibles preuves n’est-il pas complètement jugé sans qu’il soit besoin de l’entendre ? Où règne l’évidence du délit la conviction du coupable n’est-elle pas superflue ? Elle ne serait pour lui qu’une peine de plus. En lui ôtant l’inutile liberté de se défendre on ne fait que lui ôter celle de mentir et calomnier. Rousseau – Ah grâce au Ciel ! Je respire ! Vous délivrez mon cœur d’un grand poids. Premier Dialogue, Paris, G.F. Flammarion, p.131.

4 S. Guellouz, Le Dialogue, op. cit., p.70.

5 « Le silence est, en effet, l’expérience première des Dialogues, à la fois celle qui les a rendus nécessaires avec leur écriture, leur organisation singulière et celle qui, de l’intérieur, sert de fil à la dialectique, à la preuve et à l’affirmation » ( M. Foucault, Dits et écrits, p.208).

6 Premier Dialogue, op. cit., p.111.

7 Ibidem, p.112.

8 Du sujet et de la forme de cet écrit, p.59.

9 Ibidem, p.329.

10 Rhétorique, le Livre de Poche, p.83.

11 Ibid.

12 Ruth Amossy et Galit Haddad proposent différents exemples de travail sur l’ethos prédiscursif dans Images de soi dans le discours, la construction de l’ethos, Lausanne, Paris, Delachaux et Niestlé, 1999.

13 Deuxième Dialogue, Paris, GF Flammarion, 1999, p.194-195.

14 Ekkehard Eggs, « Ethos aristotélicien, conviction et pragmatique moderne », in Images de soi dans le discours, la construction de l’ethos, Genève, Paris, Delachaux et Niestlé, 1999, p.35.

15 Deuxième Dialogue, op. cit., p.195.

16 Ibid., p.198.

17 Ibid., p.200.

18 Ibid., p.199.

19 « Avec des passions si peu actives, et un frein si salutaire, les hommes plutôt farouches que méchants, et plus attentifs à se garantir du mal qu’ils pouvaient recevoir, que tentés d’en faire à autrui, n’étaient pas sujets à des démêlés fort dangereux » ( Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les hommes, Pléiade, T.III, p.157). Nous soulignons.

20 Deuxième Dialogue, p.213.

21 Ibidem, p.234. Ce passage est à rapprocher également du Discours sur l’Origine de l’inégalité : « Son âme, que rien n’agite, se livre au seul sentiment de son existence actuelle, sans aucun idée de l’avenir, quelque prochain qu’il puisse être, et ses projets bornés comme ses vues, s’étendent à peine jusqu’à la fin de la journée ». (Pléiade, T.III, p.144).

22 Ibid., p.232.

23 Deuxième Dialogue, p.278.

24 Ibidem.

25 Deuxième Dialogue, GF Flammarion, p.258.

26 Ibidem, p.216.

27 Ibid., p.214.

28 Ibid., p.281.

29 Premier Dialogue, p.72-23.

30 Deuxième Dialogue, p.258.

31 Deuxième Dialogue, P.258.

32 Esquisse d’une théorie polyphonique de l’énonciation, in Le dire et le dit, Paris, Minuit, 1984, p.201.

33 Ibid., p.300.

34 Chaïm Perelman, Lucie Olbrecht-Tyteca, Traité de l’argumentation, Vendôme, P.U.F., 1958, p.31.

35 Deuxième Dialogue, p.303.

36 Ibidem.

37 « Ils avaient vu cet homme, adoptant des principes tous contraires aux leurs, ne vouloir, ne suivre ni parti ni secte, ne dire que ce qui lui semblait vrai, bon, utile aux hommes, sans consulter pour cela son propre avantage ni celui de personne en particulier. […] Ils ne purent lui pardonner de ne pas plier comme eux sa morale à son profit, de tenir si peu à leur intérêt et au leur et de montrer tout franchement l’abus des lettres et la forfanterie du métier d’auteur sans se soucier de l’application qu’on ne manquerait pas de lui faire à lui-même des maximes qu’il établissait, ni de la fureur qu’il allait inspirer à ceux qui se vantent d’être les arbitres de la renommée, les distributeurs de la gloire et de la réputation des actions et des hommes, mais qui ne se vantent pas, que je sache, de faire cette distribution avec justice et désintéressement » (Ibid., p.310).

38 Ibidem, p.321

39 Ibid.

40 Premier Dialogue, GF Flammarion, p.136. Nous soulignons.

41 Ibid.

42 La Parole pamphlétaire, Paris, Payot, 1982.

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