SARANE ALEXANDRIAN

 

La sexualité de Narcisse

 

 

Le traitement de Samuel Tissot a l'avantage de ne pas user de moyens expéditifs. Ses remèdes sont modérés : « Les deux plus efficaces, sans conteste, sont le quinquina et les bains froids ». Il recommande le bon air, le sommeil, l'exercice, les évacuations, et un régime alimentaire approprié : surtout pas de fruits, - ils incitent à la masturbation ! -, mais des oeufs à la coque, des « viandes jeunes » (veau, poulet), et les « graines farineuses, préparées et cuites en crème avec du bouillon de viande ». Ne boire que de l'eau de source, du chocolat et du lait. Les masturbateurs ainsi s'améliorent et guériront même au bout d'un certain temps : « Ils ne doivent point espérer que l'on puisse réparer dans quelques jours des maux qui sont les produits des erreurs de quelques années ».

 

~ Les adeptes du culte de la Nature

 

Au XVIIIe siècle où, sous l'impulsion de Voltaire, on traita de « superstitions » toutes les croyances religieuses au nom des « lumières » de la raison, on fit du culte de la Nature une sorte de religion laïque dont le baron d'Holbach, dans le Système de la Nature, rédigea en 1769 l'Evangile. La première phrase de sa préface était : « L'homme n'est malheureux que parce qu'il méconnaît la Nature37». Il reprocha à celui-ci de se laisser abuser par des illusions : « Il voulut être métaphysicien, avant d'être physicien : il méprisa les réalités pour méditer des chimères  l'expérience, pour se repaître de systèmes et de conjectures ». D'Holbach parla de la Nature si dévotieusement qu'il crut bon de préciser : « Je ne prétends point personnifier cette nature, qui est un être abstrait. Ainsi quand je dis "la nature veut que l'homme travaille à son bonheur", c'est pour éviter les circonlocutions et les redites, et j'entends par là qu'il est de l'essence d'un être qui sent, qui pense, qui veut, qui agit, de travailler à son bonheur ». Pourtant, dans la conclusion de son livre, Abrégé du Code de la Nature, c'est la Nature elle-même qui s'adresse à l'homme pour lui dire : « J'approuve tes plaisirs, lorsque sans te nuire à toi-même, ils ne seront point funestes à tes frères que j'ai rendus nécessaires à ton propre bonheur ». C'était un principe applicable évidemment à la sexualité, comme le montreront les partisans de la « religion naturelle ».

 

Le plus fougueux sectateur du culte de la Nature fut Diderot, qui commença avec modération dans ses Pensées sur l'interprétation de la Nature, mais qui alla peu à peu jusqu'à l'athéisme intégral. Il ne pouvait donc penser que la masturbation, besoin inspiré par la Nature, était répréhensible en soi. Néanmoins, dans l'Encyclopédie française, publication sans cesse menacée d'être interdite par le gouvernement, il fut obligé de faire des concessions aux préjugés de son temps. L'article non signé Manstupration (ou Manustupration) n'est pas de lui, mais de son ami le médecin anglais Robert James qui, témoin du succès d'Onania et citant Samuel Tissot, va dans le sens de leurs divagations. La manustupration est « une excrétion forcée de semence déterminée par des attouchements, titillations et frottements impropres ». Pour plaire aux puritains, l'auteur la définit comme « une infâme coutume née dans le sein de l'indolence et de l'oisiveté ». Etant un adepte du culte de la Nature, il tient toutefois à déclarer : « Nous disons que la manustupration qui n'est point fréquente, qui n'est point excitée par une imagination bouillante et voluptueuse, et qui n'est enfin déterminée que par le besoin, n'est suivie d'aucun accident et n'est point un mal (en médecine) ». Mais si l'on tombe dans l'excès, on risque toutes sortes de maladies dont l'auteur fait la liste effrayante, en surenchérissant encore sur ses prédécesseurs.

 

La véritable opinion de Diderot sur la masturbation, il la donnera dans Le Rêve de d'Alembert, trois dialogues philosophiques où il mit en scène d'Alembert, sa maîtresse Julie de Lespinasse et le médecin Bordeu, dont les travaux sur le pouls et sur les fonctions des glandes faisaient autorité. Diderot entendait prouver ainsi que les idées émises dans ce livre étaient celles du groupe des Encyclopédistes. Dans le troisième dialogue, Bordeu et Julie de Lespinasse, en tête à tête, discutent librement de la sexualité :

 

BORDEU. - Mademoiselle, pourriez-vous m'apprendre quel profit ou quel plaisir la chasteté et la continence rigoureuse rendent soit à l'individu qui les pratiquent, soit à la société ?

MLLE DE LESPINASSE. - Ma foi, aucun.

BORDEU. - Donc, en dépit des magnifiques éloges que le fanatisme leur a prodigués, en dépit des lois civiles qui les protègent, nous les rayerons du catalogue des vertus, et nous conviendrons qu'il n'y a rien de si puéril, de si ridicule, de si absurde, de si nuisible, de si méprisable, rien de pire, à l'exception du mal positif, que ces deux rares qualités.

MELLE DE LESPINASSE. - On peut accorder cela.

BORDEU. - ...Et les actions solitaires ?

MELLE DE LESPINASSE. - Eh bien ?

BORDEU. - Eh bien ? Elles rendent du moins plaisir à l'individu, et notre principe est faux, ou...

MELLE DE LESPINASSE. - Quoi, Docteur !

BORDEU. - Oui, Mademoiselle, oui, et par la raison qu'elles sont aussi différentes et qu'elles ne sont pas aussi stériles. C'est un besoin, et quand on n'y serait pas sollicité par le besoin, c'est toujours une chose douce. Je veux qu'on se porte bien, je le veux absolument, entendez-vous ? Je blâme tout excès, mais dans un état de société tel que le nôtre, il y a cent considérations raisonnables pour une, sans compter le tempérament et les suites funestes d'une continence rigoureuse, surtout pour les jeunes personnes38.

 

Au cours de cette discussion, Bordeu veut faire admettre à la Muse des Encyclopédistes, célibataire sans enfant, que si elle avait une fille dépérissant à cause « de la surabondance et de la rétention du fluide séminal » et que s'il l'avertissait « qu'elle est menacée d'une folie qu'il est facile de prévenir et qui est quelquefois impossible à guérir », elle aimerait mieux lui conseiller de se masturber que de la laisser s'étioler.

 

MELLE DE LESPINASSE. - Je balançais à vous demander s'il vous était jamais arrivé d'avoir une pareille confidence à faire à des mères ?

BORDEU. - Assurément !

MELLE DE LESPINASSE. - Et quel parti ces mères ont-elles pris ?

BORDEU. - Toutes, sans exception, le bon parti, le parti sensé.

 

Diderot place cette morale dans la bouche de Bordeu : « Tout ce qui est ne peut être ni contre nature ni hors nature ». Mais ses amis, apprenant qu'il en avait fait les héros de ces dialogues anticonformistes, lui demandèrent de renoncer à les publier  ne parut pas de son vivant.

 

Jean-Jacques Rousseau qui, à la différence de Diderot, était un déiste, n'en fut pas moins l'homme qui poussa ce cri fameux, en visitant l'île de Saint-Pierre : « O nature ! ô ma mère ! me voici sous ta seule garde ». C'est son culte de la Nature qui l'entraîna dans ses promenades et qui, dans ses Confessions, lui fit révéler ses fautes, persuadé que, venant de la nature, elles étaient pardonnables. Il ne manqua pas de dire qu'il se masturbait assidûment dans sa jeunesse - il fut le premier à l'avouer dans des Confessions - mais sur le ton moralisateur qui lui est propre. Revenu d'un voyage en Italie, où il avait senti s'éveiller sa sexualité, il se crut malade parce qu'il avait des érections :

 

Bientôt rassuré, j'appris ce dangereux supplément qui trompe la nature, et sauve aux jeunes gens de mon humeur beaucoup de désordres aux dépens de leur santé, de leur vigueur, et quelquefois de leur vie. Ce vice que la honte et la timidité trouvent si commode, a de plus un grand attrait pour les imaginations vives : c'est de disposer, pour ainsi dire, à leur gré, de tout le sexe, et de faire servir à leurs plaisirs la beauté qui les tente, sans avoir besoin d'obtenir son aveu.

 

Vivant auprès de Mme de Warrens, qu'il appelle Maman, Rousseau a l'occasion de rencontrer des jeunes filles, comme Mlle Galley ou la Merceret, sans oser les entreprendre : « Je n'imaginais pas comment une fille et un garçon parvenaient à coucher ensemble  je croyais qu'il fallait des siècles pour préparer ce terrible arrangement ». Il en est donc réduit à se masturber sans cesse, jusqu' à ce que Mme de Warrens, son éducatrice, pour l'empêcher de s'adresser à des prostituées, en fasse son amant. Mais comme elle était frigide, et qu'elle lui donna bientôt son intendant comme rival, Rousseau n'interrompit guère ses habitudes masturbatoires avant l'incident qui lui arriva lors d'un voyage à Lyon. Il s'était assis un soir sur un banc à Bellecour, et un homme en bonnet, qu'il prit pour un ouvrier en soie, se mit à côté de lui :

 

Il m'adresse la parole  conversation liée. A peine avions-nous causé un quart d'heure que, toujours avec le même sang-froid et sans changer de ton, il me propose de nous amuser de compagnie. J'attendais qu'il m'expliquât quel était son amusement  rien ajouter, il se mit en devoir de m'en donner l'exemple. Nous nous touchions presque, et la nuit n'était pas assez obscure pour m'empêcher de voir à quel exercice il se préparait. Il n'en voulait point à ma personne : du moins rien n'annonçait cette intention, et le lieu ne l'eût pas favorisée. Il ne voulait exactement, comme il me l'avait dit, que s'amuser et que je m'amusasse, chacun pour son compte  pas supposé qu'il ne me le parût pas comme à lui.

 

Effrayé, Rousseau se leva et partit en courant regagner sa chambre, de peur d'être suivi par ce masturbateur cherchant un acolyte. « J'étais sujet au même vice  longtemps » conclut-il.

Pour longtemps, mais pas pour toujours. Rousseau a beau trouver une compagne, Thérèse, et calmer avec elle ses besoins sexuels au point de lui faire cinq enfants, il reste insatisfait. Il était tourmenté de la passion des femmes : « Quand j'en eus une, mes sens furent tranquilles, mais mon coeur ne le furent jamais. Les besoins de l'amour me dévoraient au seuil de la jouissance. J'avais une tendre mère, une amie chérie : mais il me fallait une maîtresse. Je me la figurais à sa place  je me la créais de mille façons pour me donner le change à moi-même ». C'est ainsi que dans la maison de l'Hermitage, qu'on lui offrit d'habiter à l'orée de la forêt de Montmorency, seul avec Thérèse, « au mois de juin, sous les bocages frais, au chant du rossignol, au gazouillement des ruisseaux », il pense à toutes les jolies filles qu'il a rencontrées : « Mon sang s'allume et pétille, la tête me tourne, malgré mes cheveux déjà grisonnants, et voilà le grave citoyen de Genève, voilà l'austère Jean-Jacques, à près de quarante-cinq ans, redevenu tout à coup le berger extravagant ». Son effervescence le précipite dans tous les fantasmes qui rendent la masturbation nécessaire : « Dans mes continuelles extases, je m'enivrais à torrents des plus délicieux sentiments qui jamais soient entrés dans un coeur d'homme. Oubliant tout a fait la race humaine, je me fis des sociétés de créatures parfaites ». Il écrit La Nouvelle Héloïse dans cette retraite en parlant de ses « fantasques amours » et de ses « érotiques transports », et c'est probablement en se masturbant trop qu'il réveille la cystite dont il est atteint depuis des années.

Mais sitôt remis, « ivre d'amour sans objet », Rousseau reçoit les visites de Madame d'Houdetot, qui lui inspire un délire amoureux sans précédent : « Je ne décrirai ni les agitations, ni les frémissements, ni les palpitations, ni les mouvements convulsifs, ni les défaillances de coeur que j'éprouvais continuellement ». Sans les rétentions d'urine qui, tout un hiver, lui imposèrent l'usage des sondes, ses masturbations auraient été incessantes. Il dit à Mme d'Houdetot qu'il renonce à l'idée de coucher avec elle, parce qu'elle est la maîtresse de son ami Saint-Lambert  fait : « J'aurais pu commettre le crime  a été cent fois commis dans mon coeur ». Son coeur avait inévitablement pour auxiliaire sa main quand il jouissait mentalement de la femme réelle dont il était privé.

 

Dans son traité d'éducation, Emile, Rousseau ne semble plus se souvenir qu'il s'est tant masturbé. Il dramatise cette habitude : « Défiez-vous de l'instinct (...) Il serait très dangereux qu'il apprît à votre élève à donner le change à ses sens et à suppléer aux occasions de les satisfaire : s'il connaît une fois ce dangereux supplément, il est perdu ». Il demande à l'éducateur de tout faire pour empêcher son élève de se masturber jusqu'à vingt ans : « Veillez donc avec soin sur le jeune homme, il pourra se garantir de tout le reste  garantir de lui. Ne le laissez seul ni jour ni nuit, couchez tout au moins dans sa chambre : qu'il ne se mette au lit qu'accablé de sommeil et qu'il n'en sorte qu'à l'instant qu'il s'éveille ». A vingt ans, si l'élève ne supporte pas la continence, mieux vaut l'emmener au bordel que de lui conseiller la masturbation : « Je demanderai volontiers au gouverneur de certain jeune homme combien de fois il est entré dans un mauvais lieu au service de son élève39». En utopiste candide, Rousseau dirige ce personnage abstrait, qui ne se masturbe jamais, du bordel à sa fiancée Sophie, aussi abstraite que lui.

 

Pour Rousseau, comme pour Diderot, la masturbation n'est pas un péché  il la qualifie de « vice », alors que Diderot n'y voit qu'un « besoin ». De toute manière, l'influence de ses Confessions fut décisive parce qu'il y montra que cet acte est dans la nature : qu'on le juge bon ou mauvais, il est naturel de l'accomplir et d'en parler.

 

~Pourquoi Giorgio Baffo, magistrat de Venise, « se caressait l'oiseau »

 

Les partisans des « lumières » - celles de l'esprit humain - furent nommés en Italie des illuminati  adeptes des Encyclopédistes français, ils formaient une élite intellectuelle professant comme eux le culte de la Nature. L'un des plus originaux de ces illuminati fut un Vénitien, Giorgio (alias Zorzi) Baffo, né en 1694 d'une antique famille aristocratique (son père était le patricien Zan Andrea Baffo) qui, à cause de sa noble origine, entra à vingt ans au Grand Conseil de Venise présidé par le doge avec les chefs des trois Quarantias, tribunaux comportant chacun quarante membres. En 1732, après des stages en différents postes, Giorgio Baffo fut élu par 31 voix contre 5 à la Quarantia criminelle, chargée des homicides, servant aussi de Chambre d'appel et même de Chambre des comptes poursuivant les fraudeurs de la République.

 

Occupant cette fonction à trente-huit ans, il l'exercera jusqu'à soixante-quatorze ans (il mourut en 1768), à part deux années où il eut pour mission d'être inspecteur à la laine et au bois.

 

On pourrait croire que ce haut magistrat, ayant à juger des crimes de sang et des délits fiscaux, était un homme redoutable à l'humeur sévère. Intègre dans sa tâche professionnelle, il fut pourtant dans ses loisirs le poète érotique le plus truculent de son temps. En ses capitoli (poèmes en tercets), ses canzone (récits en vers), ses madrigaux et ses sonnets, il a porté le plus loin possible la tradition ouverte à la Renaissance par l'Arétin dans ses Sonnets luxurieux et par son disciple Lorenzo Veniero dans La Putain errante. Baffo a associé le burlesque et l'obscène d'une manière stupéfiante. Dans toute sa poésie il se donna pour un obsédé sexuel ne pensant qu'à la mona (ce qu'on traduit en français par le con ou par la moniche), et aux moyens de bien se servir de son cazzo (dont l'équivalent chez le marquis de Sade est le vit). Il y écrivait, usant du dialecte vénitien par fierté de sa ville : « Mi voi morir a forza de chiavar » (Moi je veux mourir à force de baiser). Baffo trouve tellement beaux ces deux mots, le cazzo et la mona, qu'il les met dans tous ses poèmes. Il emploie aussi leurs synonymes vénitiens, comme l'osello (l'oiseau) pour le pénis, la Marfisa ou la Felippa pour la vulve :

 

J'étais un jour à l'osteria avec ma pipe,

Quand j'aperçois par l'ouverture

D'une porte entrebâillée

Une jolie fille qui se branlait sa Felippa.

 

Il voudrait bien lui sauter dessus, mais il y renonce parce que c'est la fille du patron. Il se vantait d'exploits plus imaginaires que réels, car ce n'était pas un débauché : Casanova, dont il courtisa la mère, qui était actrice, a laissé de lui le portrait d'un homme de bonne compagnie.

 

Comme sa poésie était autobiographique, et fait allusion à des événements de Venise datés, on s'aperçoit que ses obscénités sont aussi fortes après avoir été élu juge à la Quarantia qu'avant. Naturellement, Giorgio Baffo ne publia pas de tels poèmes de son vivant  circulait des copies à Venise et même ailleurs, qui lui valaient des admirateurs et des détracteurs. « Le docteur Sibiliato veut que j'écrive/ Des bêtises aussi grosses que des maisons » disait-il  il eut à répondre au sonnet d'un jésuite, le père Bettinelli, blâmant sa poésie, preuve qu'on la lisait. Ses oeuvres complètes parurent en 1771 à Londres, trois ans après sa mort, en quatre volumes qu'il avait certainement préparés lui-même pour une publication posthume, car chacun d'eux est précédé d'une pièce d'introduction. La traduction française d'Alcide Bonneau, également en quatre volumes, publiés à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis en 1884, est accompagnée par les poèmes originaux mis en regard. Elle est plus scrupuleuse que la traduction en prose qu'en avait donné huit ans auparavant A. Ribeaucourt. Giorgio Baffo a raconté sans cesse qu'il se masturbait et il a même chanté les louanges de l'inventeur d'une si agréable occupation : SUITE DANS LE LIVRE

 

~ 4 ~

 

Les enseignements de la médecine du plaisir

 

 

 

~La thérapeutique des « égarements secrets »

 

Tout au long du XIXe siècle des médecins s'avancèrent sur la voie ouverte par Samuel Tissot, et firent de l'étude des maladies provoquées par la masturbation une spécialisation de la médecine. Il y a plusieurs raisons à cet acharnement thérapeutique envers une activité dont se préoccupaient autrefois les confesseurs et les directeurs de conscience, plutôt que les membres de la faculté. D'abord, le public était tellement sensibilisé par les articles sur les méfaits de l'onanisme dérivés du livre de l'auteur suisse que les parents consultaient les cliniciens, chaque fois qu'ils surprenaient en leurs enfants des signes de la pratique du plaisir solitaire. Par pudeur, on nommait leurs actes des « égarements secrets » ou des « habitudes secrètes ». Ensuite, certains de ces médecins, convaincus du bien-fondé de cette science (qu'ils auraient pu appeler la « masturbologie », tant ils en étaient férus), voulaient l'enrichir de leurs propres observations  diagnostiquer le mal qui minait un de leurs patients, lui faisaient avouer qu'il s'était plus ou moins masturbé, et en concluaient qu'il n'avait pas d'autre maladie que celle-là  quelques-uns encore, obsédés par un souci moralisateur, croyaient sauver la société en empêchant des individus de devenir asociaux en jouissant d'eux-mêmes.

 

Le plus réputé des « masturbologues », sous le Premier Empire, fut le docteur Jacques-Louis Doussin-Dubreuil, dont les Lettres sur les dangers de l'onanisme sont écrites, dit-il, à un étudiant en médecine de Bordeaux « qui, lui-même, s'est livré à l'onanisme, mais qui m'en a fait l'aveu assez à temps pour se guérir », et auquel il fournit des instructions afin qu'il devienne « le médecin de ses camarades ». Doussin-Dubreuil y reproduit de nombreuses lettres de consultants lui révélant l'étendue de leurs malheurs. Tel ce garçon de seize ans qui se plaignait de maux de tête et de ventre, de points de côté, de faiblesse dans les jambes. Son médecin de famille, voyant que des pilules pour le foie ne l'amélioraient pas, lui demanda s'il s'adonnait à la masturbation : « Je lui avouai que, la tête remplie d'idées lascives, le soir je prenais plaisir à m'endormir en m'y livrant, et renouvelais souvent le jour cette détestable manoeuvre. Dans le commencement je cédai d'abord à ce besoin de jouissance régulièrement, de quatorze jours en quatorze jours ». Le médecin lui fait lire L'Onanisme de Tissot, et l'adolescent en est deux fois plus malade : « Mon imagination fut vivement frappée des pronostics que renferme ce livre  plus que la mort ». Par autosuggestion, il ressent tous les symptômes indiqués par Tissot : les toux, les tremblements convulsifs, les coliques, etc. Désormais, s'il avait un rêve érotique, il se réveillait dans les pires angoisses : « Outre un feu interne qui me consumait l'épine du dos, mon ventre et mes côtés me semblaient rongés par des insectes ». Il lutta contre son envie de se masturber en se « faisant balancer tous les jours sur une balançoire », puis il multiplia les précautions :

 

Actuellement je me fais garder la nuit : la moindre chaleur me fait mettre en érection  (...) Je ne dors que de trois heures en trois heures : si je dors plus longtemps je crains une pollution  et marche un peu (...) J'ai sur le ventre un cercle de bois, pour empêcher la couverture de toucher à ma partie.

 

Le docteur Doussin-Dubreuil tira la conclusion de ce cas sans comprendre qu'il s'agissait d'une névrose d'angoisse à évolution dramatique : « Le malheureux jeune homme, mort il y a deux ans, à la suite d'une agonie de quarante-huit heures, avait eu pendant la dernière année de sa vie le courage de passer la nuit assis dans une chaise, un collier au col et les mains liées avec deux cordes attachées à chaque côté de sa chaise  lui-même, que par ce moyen il réussirait enfin à perdre sa meurtrière habitude40». On voit que les masturbologues faisaient plus de mal que les confesseurs (car au moins ceux-ci donnaient l'absolution) : ils poussaient sans le vouloir les adolescents dans un comportement d'autodestruction, en les culpabilisant à l'excès. Persuadé que la masturbation rend épileptique, Doussin-Dubreuil voit des malades sous son influence le lui confirmer, comme celui-ci, âgé de trente-deux ans :

 

Voici la description de mes accès  par un de mes amis, qui plusieurs fois en a été témoin. Je fais un demi tour, en frappant involontairement de la plante du pied sur le carreau  les membres roides, les dents serrées, et la pointe de la langue prise entre les dents (celles qu'on nomme incisives)  ma face et mes mains deviennent livides. Point de doute, Monsieur, que mon malheureux état ne dépende des pollutions multipliées que je me suis procurées moi-même depuis l'âge de seize ans.

 

Dans la réédition de son livre, Doussin-Dubreuil publie la lettre d'un militaire de trente ans, qui s'est toujours masturbé, et qui s'étonne de se porter bien : « Je ne ressens aucun des symptômes que les masturbateurs sont accoutumés d'apercevoir ». En effet, comme l'horloger de Tissot, ne devrait-il pas râler d'agonie sur un grabat ? Mais il a eu peu à peu des difficultés d'érection dans le coït : « Prisonnier pendant trois ans des Anglais, et privé pendant tout ce temps de femmes, je ne m'aperçus pas de la progression de mon impuissance ». Il la constate à son retour en France et cesse de se masturber. En revanche, il a des pollutions toutes les nuits. S'il a un répit de quatre ou cinq jours, il est réveillé par une érection incomplète mais permanente, « au point d'être obligé de descendre du lit, et de mettre les pieds nus sur quelque chose de froid pour la faire cesser ». Ce militaire qui a de l'appétit, digère fort bien et fait beaucoup d'exercice, demande au médecin : « Indiquez-moi les moyens de faire cesser les pollutions nocturnes ». Il n'y en a pas d'autre que se masturber ou faire l'amour, mais il s'adresse à un soi-disant spécialiste qui ne veut pas le savoir.

Un autre correspondant, qui a de l'embonpoint, de la santé, une belle constitution, lui avoue : « C'est vers l'âge de sept ou huit ans que, souffrant beaucoup d'une colique très forte, je m'avisai, pour venir à bout de la calmer, de me coucher sur le ventre, afin de me mettre à même de pouvoir le frotter contre le drap du lit  suite des mouvements un peu longtemps continués, j'éprouvai un chatouillement dans le pénis, qui me fit un si grand plaisir, qu'après en avoir eu la connaissance, je recommençais assez souvent la même manoeuvre, mais surtout le matin, parce qu'on me laissait très tard au lit ». En pension, un camarade lui apprit la manière habituelle de se masturber, mais cela lui fit horreur. Il continua ses frictions sur le ventre : « Les bâtons de chaise, les pieds de table, ceux des bancs, des colonnes du lit, les rampes d'escalier, tout ce que je rencontrais de rond et de dur, me devint propice et servit à me satisfaire dans mes moments de frénésie solitaire ». Il ne se sent ni fatigué ni malade, mais comme on ne doit pas se procurer de pollutions, il réclame un moyen de se délivrer des idées lubriques qui le tourmentent pendant des nuits entières.

Doussin-Dubreuil, n'ayant aucun pouvoir sur les pensées, voulut au moins limiter les gestes et dit : « Un grand nombre d'aveux de ce genre qui m'ont été faits m'ont suggéré l'idée de faire exécuter en or ou en argent, par un orfèvre de Paris, chez lequel on en trouve pour tous les âges, un étui percé à jour, dans lequel on introduit la verge. Cet étui, qu'il est facile de fixer assez bien, et sans danger pour qu'on ne puisse s'en débarrasser pendant le sommeil, doit être garni intérieurement d'une peau ou d'un linge fin : les enfants doivent le porter nuit et jour ». Il est singulier de penser qu'au temps de Napoléon, des hommes et des garçonnets se promenaient dans Paris avec un étui à pénis en or ou en argent !

 

Sous Louis-Philippe, le docteur Léopold Deslandes affirma que L'Onanisme de Tissot était un mauvais livre, plein d'exagérations, et cita plusieurs confrères partageant son avis. Il voulut faire une monographie de l'onanisme élevant le débat, mais il retomba lourdement dans les erreurs de ses devanciers. Le docteur Deslandes commença en posant cette question : « Les plaisirs vénériens peuvent-ils devenir nuisibles ? » Oui, naturellement, il le démontra en décrivant les organes génitaux en leurs trois fonctions de repos, d'éveil et d'action. Il constata : « Une des causes qui font que la masturbation est, en général, plus pernicieuse que le coït, vient précisément de l'état de l'âme pendant qu'ils s'accomplissent. Le masturbateur n'ayant pas, comme dans le congrès, un objet matériel qui soit le principe et la fin de ses plaisirs, il faut que son imagination y supplée et invente. Ce travail d'esprit rend à la fois les secousses qu'il se procure plus fortes et le corps plus disposé à les sentir41». La moitié de son livre expose les maladies qu'on attrape en faisant l'amour ou en se masturbant, et le tableau est effrayant : on les a pratiquement toutes, si l'on s'y complaît.

 

Le coït n'est un abus que lorsqu'on l'exécute de manière anormale, dit-il, tandis que l'onanisme est toujours un abus et doit être interdit. Et là, son livre de médecine se transforme en manuel de police, indiquant aux parents comment se conduire en agents de l'ordre public : « Presque tous les adolescents se masturbent » reconnaît-il avec consternation. Mais ils se dissimulent si bien pour le faire que l'on doit apprendre à être plus malins qu'eux : « Ayez l'oeil sur celui qui cherche l'ombre et la solitude, qui reste longtemps seul sans pouvoir donner de bons motifs de cet isolement ». L'adolescent n'a pas le droit d'être un rêveur fuyant la société, ni celui d'être constipé : « Méfiez-vous d'un jeune homme qui va souvent et reste longtemps aux latrines ». Il n'a pas le droit non plus de dormir tranquille, car il faut le surveiller au lit : « C'est alors surtout que le masturbateur peut être pris sur le fait. Jamais ses mains ne sont en dehors du lit, et généralement il se plaît à cacher sa tête sous les couvertures ». On doit suspecter celui qui, à peine couché, parait plongé dans un profond sommeil : c'est un simulateur. S'il a le visage rouge ou une respiration précipitée : « Qu'alors on découvre brusquement le jeune homme, on trouve ses mains, s'il n'a pas eu le temps de les déplacer, sur les organes dont il abuse ou dans leur voisinage. On peut trouver aussi la verge en érection, ou même les traces d'une pollution récente ». Cet espionnage malsain semble à ce médecin un moyen légitime de prévention.

 

Pour soigner un onaniste, il prescrit d'agir sur le désir, la volonté et le pouvoir. On atténuera son désir « en lui posant des ventouses scarifiées et des sangsues dans le voisinage des parties sexuelles ». On restreindra son pouvoir en lui enfermant le bas-ventre dans une ceinture de chasteté, et pour que « la volonté résiste au désir de se masturber », on fera appel à la crainte. D'abord, la crainte religieuse, en affirmant au masturbateur qu'il se damne, et si cela ne suffit pas, la crainte de la mort : « Concevez-vous tout ce qu'il y a d'étourdissant dans ces mots dits froidement et par un homme grave à un masturbateur : « Dans trois mois, vous n'existerez plus ». Quand il s'effondre, pâle et tremblant, le médecin lui dit qu'il a un moyen de le sauver, et le trouve docile à son traitement. Mais si le jeune homme demeure incorrigible, le docteur Deslandes conseille à ses confrères : « Il vous reste une ressource : la vue d'un masturbateur mourant ». Ici, cet auteur atteint le sublime du ridicule : le médecin devra amener son patient au chevet d'un agonisant dans le coma et le persuader que c'est la masturbation qui l'a amené là.

 

A côté de ces masturbologues moralisateurs, François Lallemand, professeur de médecine à Montpellier, dans les trois volumes de son ouvrage Des pertes séminales involontaires, apparaît comme un scientifique s'exprimant avec sang-froid sur les malaises qu'il soigne, sans tenir la masturbation pour « une infamie ». Si elle aggrave le cas d'un malade, il la qualifie de « mauvaise habitude » ou de « funeste passion », mais sans jamais lui attribuer sa maladie. Il s'occupe surtout des pollutions diurnes, car les pollutions nocturnes lui semblent moins préjudiciables pour la santé. Un cordonnier de vingt-neuf ans, M. M***, vint le consulter pour une gastrite chronique :

 

M. M***, d'un tempérament nerveux, avait contracté, dès l'âge de onze ans, la funeste habitude de l'onanisme, et n'y avait complètement renoncé que depuis quelques années. De douze à quinze ans, il s'y était livré cinq à six fois par jour, et sa fureur était même portée si loin, qu'il s'y abandonnait souvent en sortant des bras de sa maîtresse.

 

Ce cordonnier, fréquentant les prostituées en dehors de ses masturbations, avait contracté de quinze à vingt-six ans sept blennorrhagies. La septième lui avait occasionné une rétention d'urine :

 

A vingt-sept ans, M. M*** se maria, et se livra au coït pendant neuf mois trois ou quatre fois par jour. A partir de cette époque les désirs vénériens devinrent moins vifs  moins facilement en érection, le sperme s'échappait avant qu'elle fût complète, et quelquefois, pendant la nuit, sans que le malade en eut la conscience.

 

Le professeur Lallemand estima que tous ses symptômes-tristesse, mauvaises digestions, douleurs de poitrine - venaient de pollutions diurnes inaperçues : « Ayant bien constaté l'existence des pertes séminales pendant les selles, et l'émission des urines (...) je proposai au malade la cautérisation ». Après l'introduction d'une sonde d'argent pour lui vider la vessie, il cautérisa « la partie la plus voisine du col, puis la surface de la prostate et la portion membraneuse du canal ». Pendant un jour, son malade eut des urines douloureuses teintées de sang. Les jours suivants, il se rétablit peu à peu : « Le treizième jour, M. M***, tourmenté par des érections fortes et énergiques, céda à la tentation et reprit ses fonctions conjugales suspendues depuis huit mois42».

 

Parfois, c'étaient les malades eux-mêmes qui se rabaissaient à ses yeux, et lui qui les détrompait. Tel Henri B***, sergent du génie, avouant : « Dès l'âge de neuf ans je me suis livré à l'infâme et brutale passion de la masturbation. J'ai cessé ces manoeuvres à quinze ans, parce que j'ai eu le bonheur de lire l'Onanisme de Tissot. C'est à dater de cette époque que j'eus des pollutions nocturnes ». Adoptant le vocabulaire apocalyptique de Tissot, ce militaire de vingt ans souffre par auto-suggestion des maux que celui-ci a décrits et gémit : « Tout le système nerveux est attaqué, j'ai presque toujours les yeux rouges et cernés : il y a des instants où ils font des petits sauts, comme s'ils voulaient sortir de leurs orbites ». Il a pris des bains de rivière, des lavements froids, il s'est même mis en hiver de la neige et de la glace sur les testicules. Rien n'y a fait : il est maudit à cause de ses masturbations anciennes. Mais le docteur Lallemand découvrit qu'il avait des vers : « Il me fut très facile de juger que c'étaient des ascarides, parmi lesquels se trouvaient peut-être quelques tricocéphales ». Il prescrivit au sergent un puissant vermifuge matin et soir : « Huit jours après il vint m'annoncer que ses pollutions avaient cessé et que son existence était entièrement changée ».

 

Malheureusement, le docteur Lallemand n'est pas encore le médecin humaniste qu'on attendait. Il ne ramène pas toutes les maladies à la masturbation, mais il est prêt à faire souffrir un petit garçon pour l'empêcher de se masturber. Une femme du peuple lui amena son fils de huit ans, qu'elle avait surpris se livrant à la masturbation. Le docteur Lallemand n'hésita pas : il lui introduisit jusque dans la vessie une sonde de gomme élastique pour provoquer une inflammation de l'urètre. Pendant quinze jours, à cause de la phlogose qui en résulta, le pauvre enfant eut tellement mal qu'il ne put se toucher le sexe. Lallemand s'en félicita et vanta cette méthode pour mater les masturbateurs « comme on voit certains ivrognes dégoûtés pour toujours du vin, après en avoir bu dans lequel on avait mêlé quelques gouttes d'acide sulfurique ». Il préconisait aussi l'excision du prépuce contre les petits fautifs : « La plaie qui résulte de cette opération a déjà l'avantage d'empêcher, d'une manière sûre, toute manoeuvre de la part de ces enfants ».

 

Hélas ! il n'était pas le seul à être impitoyable. Certains médecins pensaient qu'il fallait mettre les masturbateurs en prison, mais Alexandre Weill, au nom du docteur Goldschmid de Francfort-sur-le-Mein, déclara : « La prison ne sert de rien, il faut frapper sans miséricorde, les parents ne s'y opposeront pas ». Dans une pension aux éducateurs vertueux, « si par hasard, chose extrêmement rare, l'enfant vicieux se touchait, il faudrait le frapper jusqu'au sang devant ses compagnons ou ses compagnes, et ne jamais avoir pitié ni de ses douleurs, ni de ses plaintes, ni de ses cris. Dût l'enfant mourir sous les corrections, il vaut mieux qu'il meure à quatre et à cinq ans que de vivre idiot ou criminel. Car ce vice idiotise, crétinise l'homme43 ». Tuer les enfants plutôt que les voir se masturber, n'est-ce-pas une noble mission pour un médecin et un croyant ? Voilà où on en était arrivé au XIXe siècle !

 

Des médecins trouvèrent injustes de priver les femmes des secours de la masturbologie, et il en résulta des livres emphatiques comme Des habitudes secrètes chez les femmes du docteur Rozier, en 1815, et Des égarements secrets ou de l'onanisme chez les personnes du sexe du docteur Doussin-Dubreuil, en 1828, réplique de celui qu'il avait fait sur les hommes. Mais le docteur Pouillet, estimant être le premier auteur sérieux sur la masturbation féminine, prétendit que c'étaient « deux brochures presque introuvables et qui ne sont d'ailleurs que des ébauches ».

 

Le docteur Rozier eut pourtant du succès sous la Restauration avec son livre deux fois réédité, qui est une suite de lettres doucereuses à une demoiselle, débutant ainsi : « Jeune personne, je vais vous faire connaître quelques-unes des altérations que la santé éprouve de l'erreur qui peut-être vous a séduite ». Si elle se masturbe, elle risque de devenir « un spectre ambulant ». Il lui fait la liste des infirmités qui la guettent : elle aura des dartres, des crampes du dos, « un gonflement considérable du cou », des aphtes dans la bouche, des tremblements, des palpitations, des accès épileptiques, la danse de saint Guy, des scrofules, du rachitisme, une maladie de poitrine telle la phtisie, et pour finir « il est sûr qu'elle tombera dans l'idiotisme », et qu'elle sera affligée d'une « gangrène sèche » dans la vieillesse. Mais elle vieillira avant l'âge, et il le lui prouve en décrivant une patiente de vingt-quatre ans qui à force de se masturber lui est apparue comme « une femme chargée de près d'un siècle », effrayante de maigreur, bossue, ridée, la bouche ouverte et les yeux hagards. Elle était abandonnée de tous, car les femmes qui se masturbent « ne sont plus capables d'amitié ». Après avoir ainsi épouvanté cette demoiselle, le docteur Rozier poursuivit par une série de lettres à la mère d'une fillette pour l'alarmer : « J'ai vu moi-même dans l'hospice des Enfants, rue de Sèvres, en l'an 1812, une petite personne de sept ans aussi, qui était atteinte de ce penchant au plus haut degré. Elle était privée de presque toutes les facultés intellectuelles ». Ayant bien inquiété cette mère, il la rassure ensuite par deux lettres : « Des moyens de prévenir les habitudes secrètes chez les très jeunes filles », et « Des moyens (moraux et hygiéniques) d'arrêter les habitudes secrètes ». Leur cause est l'oisiveté, affirme-t-il, et leurs remèdes sont un programme de travaux domestiques et un régime tranquillisant.

Le docteur Théodore Pouillet, en raison de son livre sur l'onanisme des femmes, paru en 1876 et dont la troisième édition en 1880 fut « considérablement augmentée », passa pour le grand spécialiste de la question. Il décrivit d'abord minutieusement les diverses formes de cette activité : la masturbation clitoridienne personnelle, effectuée par «chatouillement, titillations ou frottements plus ou moins rapides sur le dos du gland clitoridien », et la masturbation clitoridienne étrangère, c'est-à-dire où la femme, au lieu de se servir de sa propre main, se laisse masturber par des « vieillards lubriques », ou par des jeunes gens entreprenants. En effet, quand un jeune homme cherche à obtenir les faveurs d'une femme, « il n'hésite pas, dès qu'il croit le moment propice, à glisser la main sous les vêtements féminins et à se livrer à des manoeuvres44».

Mais il définit aussi la masturbation urétrale, moins étudiée : « Le méat urinaire, avec un bourrelet érectile et les deux glandules dont on voit les orifices à droite et à gauche, à l'entrée du canal urétral lui-même, sont pour certaines manuélisatrices des organes de la volupté, des foyers par excellence et presque exclusif du plaisir érotique45». Elles se stimulent le méat avec le doigt ou à l'aide d'un instrument : l'une, par exemple, « se frotte le méat urinaire avec la tête d'une longue épingle noire à cheveux »  utilisent un sifflet d'ivoire ou un cure-oreille. Il arrive que la masturbatrice perde dans l'urètre l'épingle à cheveux dont elle use et qu'un chirurgien soit appelé à la lui retirer de la vessie. Il est exact que le fait était fréquent à l'époque, dû au manque d'éducation sexuelle des filles.

Le docteur Pouillet évoque aussi « la souillure mammaire et anale » (sic), car des femmes jouissent en se faisant sucer les mamelons, ou « se contentent de chatouiller elles-mêmes l'extrémité érectile du sein ». Il y a pire, selon lui : « De malheureuses délirantes vont plus loin, et se livrent à des attouchements anaux, à une véritable pollution rectale. Pour ce faire, elles utilisent les doigts, voire même des corps étrangers ». Sur la masturbation vaginale, le docteur Pouillet fait des descriptions d'après les aveux de ses clientes :

 

Une femme de la campagne, des environs de Vichy, m'a conté que dans son pays plus d'une fois elle avait entendu dire et vu elle-même que les villageoises se servaient, pour assouvir leurs désirs, de raves, de carottes et de poireaux. O moeurs pures des champs !46

 

Il analyse les causes physiologiques, sociales, intellectuelles et morales de l'onanisme féminin, examine en détail ses signes caractériels et ses conséquences. Il indique le traitement prophylactique pour le prévenir et le traitement curatif « pour déraciner le vice, lorsqu'il est confirmé ». On assiste alors au tableau atterrant des sévices que la médecine recommandait pour empêcher les jeunes filles de se masturber.

On commençait par les moyens de douceur, consistant à leur imposer un exercice physique avant de se coucher, en leur promettant une récompense si elles le faisaient bien : « Par exemple, de tirer de l'eau à un puits, faire moudre du café ou tourner un rouet jusqu'à la fatigue  fatigué, l'exciter à tourner encore en doublant la récompense ». Le docteur Pouillet pense que rien n'est mieux que de les occuper pendant plusieurs heures de la journée « à mouvoir circulairement un corps quelconque fixé sur un pivot, tel qu'un moulin à café ». Il cite avec éloge le cas d'un père de famille qui, suspectant sa fille de sept ans de se masturber, lui faisait tourner chaque soir du dîner jusqu'à son coucher un moulin à café vide, afin qu'elle ait pendant la nuit la main trop engourdie pour la masturbation. Cet idiot ne s'avisait pas qu'elle pouvait la faire de la main gauche ou jouir rien qu'en se mettant son oreiller entre ses cuisses.

 

D'autres moyens de douceur seront des médicaments anaphrodisiaques - camphre, lupalin, bromure de potassium, seigle ergoté - et s'ils ne suffisent pas, le docteur Pouillet dit qu'il faut employer les moyens violents, qui sont : « l'infibulation, la camisole de force, la ceinture contentive, et l'amputation du clitoris et la section des nerfs ischio-clitoridiens ».

Ce médecin trouve que l'infibulation, la camisole de force ne donnent pas toujours les résultats qu'on en espère, et que les bandagistes doivent améliorer leurs ceintures de chasteté (ils écouteront aussitôt son conseil). Reste donc l'amputation du clitoris, dont il est un chaud partisan : « Pratiquée à l'aide du bistouri, des ciseaux ou du couteau galvano-caustique, la clitoridectomie semble n'offrir aucun danger ». Bien sûr, « Il faut recourir à cette opération lorsque les autres méthodes curatives auront échoué », mais il cite avec admiration ces interventions chirurgicales abusives :

 

Une jeune fille de vingt-quatre ans, féroce masturbatrice (sic), en était arrivée peu à peu à un état complet de décadence morale et physique (...) L'examen local permit de voir un clitoris facilement érectile, bien que normal. Le simple toucher de cet organe produisait des accidents convulsifs (...) Le couteau galvano-plastique trancha le clitoris et les petites lèvres. Trois semaines après l'opération, au centre d'une cicatrice unie, on pouvait voir le reste du clitoris, seulement il n'était plus le siège d'une excitabilité morbide (sic). SUITE DANS LE LIVRE

 

 

~ 5 ~

 

Les exercices mystiques

de la magie autosexuelle

 

 

 

~Les « sacrifices d'amour » de l'Oeuvre de Miséricorde

 

Il existe une mystique de la masturbation, comme nous l'avons vu dans le culte du Phallus des premières civilisations. Cette mystique n'a pas disparu avec le christianisme, et a même pris une forme nouvelle à partir du monothéisme et de ses rites. Au lieu d'être un geste de libation en l'honneur d'un dieu païen, ce sera un geste de prière, fait en joignant la main au sexe, et non les deux mains ensemble. On pourrait citer divers cas isolés de cette mystique masturbatoire de l'ère chrétienne, comme celui de Samuel Pepys, personnage officiel à Londres sous le règne de Charles II, qui le 24 décembre 1667, lors de la grand-messe de Noël dans la Chapelle de la Reine à Saint-James, au milieu d'une foule compacte, se masturba en contemplant une jolie femme près de lui. Son Journal commente ainsi cet incident : « Dieu me pardonne de l'avoir fait dans la Chapelle !47 » Ce n'était pas son premier écart de ce genre, car le 18 Août précédent, au cours d'une messe à l'église Saint Dunstan, il avait caressé sa voisine si intimement qu'elle avait tiré des épingles de sa poche pour menacer d'en piquer sa main libertine. Dieu ne punit pas les masturbateurs puisque Samuel Pepys, après de telles actions, fut nommé secrétaire de l'Amirauté, membre du Parlement et président de l'Académie royale !

Plutôt que de s'attarder sur lui, il sera bien plus significatif de rapporter un cas collectif, celui des « sacrifices d'amour » de l'abbé Maréchal, car il montrera qu'un groupe d'hommes et de femmes a trouvé licite de s'abandonner à la masturbation religieuse, au temps même où des médecins et des théologiens traitaient l'onanisme comme une maladie et un péché mortel.

 

Ces événements sexuels étranges se sont passés dans le cadre de l'Oeuvre de Miséricorde, une hérésie née en France au XIXe siècle, et dont le succès inquiéta un moment l'Eglise apostolique et romaine. Le 6 août 1839, Eugène Vintras, trente-deux ans, fabricant de carton à Tilly-sur-Seulle, ayant pour protecteurs un ex-notaire passionné d'ésotérisme, Ferdinand Geoffroi, et un médecin, le docteur Liégeard, voit arriver dans le moulin qu'il habite un mystérieux vieillard qui lui fait des révélations indiquant qu'il est saint Joseph, et que confirme ensuite l'apparition de l'archange saint Michel. Prédisposé à l'illuminisme par une enfance pleine de piété exaltée, Vintras se croit élu pour réaliser l'avènement du règne du Saint-Esprit : « Ce règne est le Règne de l'Amour. L'Esprit Saint va répandre sur le monde régénéré les feux divins d'une charité ardente attendue par tous les hommes ». Il trouva aussitôt des partisans. L'un d'eux, l'abbé Charvoz, curé de Montlouis dans le diocèse de Tours, auteur d'un Précis d'antiquités liturgiques, l'appuya de ses connaissances théologiques. Ce fut lui qui décida que l'Oeuvre de Miséricorde serait dirigée par une Septaine, en expliquant : « La Septaine est symbole des sept dons du Saint-Esprit dont use le Seigneur pour renouveler toute chose dans son amour ». Un bulletin distribué gratuitement, La Voix de la Septaine, diffusa les croyances de la secte.

 

A tous ses adeptes, Vintras révélait le nom de leur ange gardien, que lui apprenait dans ses visions l'archange saint Michel, et qui servait désormais à les désigner. L'abbé Charvoz devint Amenoraël, le Dr Liégeard Azanaël, Alexandre Geoffroi fils, à qui il dictait ses propos médiumniques, Gehoraël. Vintras lui-même fut Strathanaël, nom qu'il faisait précéder d'une croix dans sa signature, comme les prélats. Sa femme sera Dolphodaël, son fils aîné Laurdaël, archange des séraphins, son fils cadet Birmanaël, archange-chef des douze légions des donataires. Une aristocrate bretonne de cinquante ans, la comtesse d'Armaillé, conspirant pour mettre sur le trône un aventurier, Naundorf, se prétendant le fils de Louis XVI, sera Dhocédoël : « Vintras l'informa que Dieu avait, dans le ciel, prononcé l'union mystique de Strathanaël et de Dhocedoël, union nullement incompatible avec sa situation conjugale de prophète, puisque purement intellectuelle. Les nouveaux époux seraient l'Adam et l'Eve du monde régénéré48 ». Dès lors la comtesse d'Armaillé dormira dans un lit à côté de celui de Vintras et de sa femme, et l'on peut s'imaginer son état d'âme quand ceux-ci avaient des rapports conjugaux.

Le baron de Razac, dans les combles de son château de Sainte-Paix, édifia une chapelle où Vintras vaticina devant ses fidèles, quand il ne le faisait pas dans sa propre chapelle de son moulin de Tilly. Les révélations qu'il recevait de l'archange saint Michel et de saint Joseph (qu'il était le seul à voir) lui firent créer « la croix de grâce » que chacun porta à son cou, et le credo de la secte. Bientôt des miracles eurent lieu dans sa chapelle, où s'élevaient soudain des parfums et de la musique, notamment celui des « hosties ensanglantées » : les hosties dont il se servait pour la communion se couvraient inexplicablement de sang frais. Il y avait là un truc de magicien, comme en usent souvent les médiums et les illuminés, en se croyant autorisés par Dieu à la fraude.

Vintras éveilla une telle crédulité dans le clergé chrétien que l'abbé Héry, curé de Vandargues dans l'Hérault, lui envoya de sa paroisse cinquante francs, en lui demandant : « 1) le nom de mon ange gardien  2) le nom d'ange de mon frère Martin Fénelon  à quel ordre dans le ciel appartient mon père décédé ». Vintras précisait en effet si l'ange, selon son ordre, était trône, puissance, invincible, principauté ou archange49. Ainsi la bonne de l'abbé Maréchal était Xirphaël, chérubin. La quantité de demandes de ce genre, accompagnées de dons d'argent, firent accuser Vintras d'escroquerie. En réalité, il ne faisait que répondre aux solliciteurs et employait les dons à ses oeuvres pieuses. Mais les autorités, ne pouvant le convaincre de menées subversives pour remplacer Louis-Philippe par Louis XVII, ni le punir de faire des prières et des miracles, ne trouvaient que ce moyen de le neutraliser et d'interrompre l'exaltation religieuse qu'il suscitait. Arrêté en avril 1842, Vintras fut condamné à cinq ans de prison au terme d'un procès où l'on grossit exagérément les charges contre lui.

 

Vintras avait pour homme de confiance l'abbé Maréchal (Ruthmaël de son nom d'ange), un prêtre de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où sa mère avait été loueuse de chaises, mais qui s'en était retiré pour vivre à Saint-Cloud chez deux vieilles filles, les demoiselles Garnier, Victoire et Joséphine, autrement dit Generaël et Belmanaël. Il s'attendait à être nommé cardinal quand Louis XVII régnerait. Durant l'emprisonnement de Vintras, ce fut lui qui dirigea le moulin de Tilly-sur-Seulle et assura la spiritualité de la secte, étant mieux qualifié que le prophète pour dire la messe. Bientôt le beau-frère d'une participante, Adrien Gozzoli, averti de ce qui s'y passait, fit une enquête aboutissant à un pamphlet, Les saints de Tilly-sur-Seulle, où il dénonça les « sacrifices d'amour » de l'abbé Maréchal.

 

Tout de suite, l'abbé Maréchal déploya une passion extraordinaire pour inculquer à ses fidèles que le règne du Saint-Esprit serait le règne de l'Amour : « Il célébrait la sainte messe en sanglotant de la façon la plus bruyante. Le saint sacrifice terminé, il se jetait sur chacun des assistants, sans distinction de sexe  prodiguait des étreintes qui ne finissaient pas. Il criait, toujours pleurant et sanglotant : « Amour ! Amour ! Amour ! » et tous de répéter ce mot et tous de l'imiter dans ses tendres démonstrations50». L'abbé Maréchal ne tarda pas à recevoir des communications du ciel, comme Vintras : « Il se mit à donner des consultations prophétiques pendant les nuits. Il les donnait dans sa chambre, couché dans son lit, les yeux fermés et grimaçant d'extase. Il avait le soin de les annoncer dans le jour et de désigner ceux auxquels il serait permis d'y assister ».

 

Ce fut en état de transe, comme s'il transmettait un message de l'archange saint Michel, que l'abbé Maréchal leur enseigna ce qu'il appelait « La sainte liberté des enfants de Dieu » qui consistait à se masturber non par vice mais par vertu, en prenant le Très-Haut à témoin de son acte, fait pour se délivrer d'obsessions sexuelles pouvant conduire au stupre ou à l'adultère. Il vantait la masturbation comme « un moyen de tuer la concupiscence », il affirmait que ce geste plaît beaucoup à Dieu « quand on élève son âme vers lui, et quand on se met en sa sainte présence pour le commettre »51.

 

Cette doctrine n'était évidemment pas accessible à tous, c'est pourquoi l'abbé Maréchal sélectionna au confessionnal, en écoutant les aveux des pécheurs, ceux qui étaient aptes à la pratiquer. S'il constatait qu'ils étaient « parvenus au degré », c'est-à-dire ouverts à sa conception, il leur apprenait que la masturbation est un sacrifice d'amour : « Ce sacrifice est, selon l'abbé Maréchal et ses adeptes, un des actes les plus agréables à Dieu que puissent commettre les enfants bénis de son oeuvre. Il est recommandé à ceux qui se sentent de la sympathie l'un pour l'autre de l'offrir ensemble très souvent. Chaque fois qu'ils le font, ils sont sûrs de créer un esprit dans le ciel. Offert isolément, il n'a plus cette puissance52».

 

Pour prouver la véracité de ses dires, l'abbé Maréchal paya de sa personne. Il commença par séduire une fille de seize ans, Marie ( la belle-soeur de Gozzoli ), et après avoir passé une nuit dans sa chambre à se masturber avec elle, il dit à Joséphine, la vieille fille surnommée Belmanaël : « Cette enfant a franchi la barrière : veux-tu la franchir aussi ? » Elle ne se le fit pas demander deux fois : « La demoiselle Joséphine, qui a quarante-huit ou quarante-neuf ans, accepta la proposition avec enthousiasme et devint, à dater de ce moment, l'un des auxiliaires les plus zélés du confessionnal53». Joséphine-Belmanaël manifesta une ferveur intense pour se masturber et convertir les autres à la masturbation : « Une jeune paysanne de Tilly, sortant du confessionnal et encore tout étourdie de ce qu'elle venait d'y entendre, passa presque immédiatement aux mains de la demoiselle Joséphine G., qui se hâta de l'initier aux pratiques de la plus honteuse débauche ». L'abbé Maréchal couvrit ainsi de son autorité religieuse une activité qu'à cette époque on évoquait avec horreur : « Le vice le plus dégradant, celui qui a son nom dans la langue médicale comme il a son nom dans la langue obscène est devenu le pain quotidien de plusieurs de ses pénitents et de ses pénitentes54».

Adrien Gozzoli se lamente sur le comportement de Marie Geoffroi, nonobstant ses seize ans : « Je sais que la jeune fille dont je suis le parent par alliance, familiarisée avec toutes ces infamies, qui sont devenus autant d'impérieux besoins pour elle, a commis le crime avec chacun des coupables tour à tour  et d'habitude, avec le prêtre  plume frémit en le retraçant... avec son propre frère ! » En effet, Alexandre Geoffroi, clerc d'huissier, secrétaire de Vintras qui lui a dit qu'il était Géhoraël, l'archange-chef des vertus, voulant convaincre une femme de se masturber avec lui se vanta de l'avoir fait avec sa soeur, en précisant : « Ce n'était pas pour ma satisfaction personnelle, c'était pour soulager Marie ». On peut le croire, car Geoffroi fils était prudent. A une dame de Caën lui demandant : « Qu'est-ce donc que votre sacrifice d'amour ? », il éluda la question plusieurs fois, et finit par répondre : « Ah ! si l'on croyait que vous puissiez le comprendre, on vous le dirait bien, mais non ».

 

L'ex-notaire Geoffroi père et sa femme, à l'indignation de Gozzoli, laissèrent leur fille faire tout ce qu'elle voulait. C'est que l'abbé Maréchal, dans une extase nocturne, apprit du ciel qu'elle épouserait le fils de Naundorf, quand il deviendrait Louis XVII, et qu'elle serait ainsi la Dauphine, future reine de France : « La jeune fille et ses parents pleuraient de joie, puis ils se hissèrent sur d'immenses échasses. La prophétie fut acceptée pour indubitablement divine ».

 

Les séances d'onanisme collectif avaient lieu au moulin, qui comportait une salle de réunion, et au premier étage, auquel on accédait par un escalier de bois, une vaste chambre servant aussi de chapelle avec un autel du Sacré Coeur de Jésus, un autel de la Vierge, et un autel surmonté d'une statue de saint Michel « armé de pied en cap ». Contre un mur, deux lits côte à côte étaient ceux du couple Vintras et de la comtesse d'Armaillé, l'Eve nouvelle. Gozzoli dit : « Si les murs de cette salle pouvaient parler, quels incroyables détails ils raconteraient sur les orgies mystico-lubriques qu'ils virent ! » Il faut toutefois considérer que les participants n'avaient pas l'impression de commettre une action scandaleuse. Ils portaient tous la « croix de grâce » pendant sur la poitrine, une croix blanche, « signe de pureté et d'innocence », attachée à un cordon rose, « symbole de joie et d'amour ». Saint Joseph, dans une révélation à Vintras, avait prescrit d'y joindre un ruban bleu brodé de ces mots : Marie est vierge, immaculée, pure et sans tache. Il est évident que Marie Geoffroi, ornée d'un tel ruban, ne croyait pas pécher en se manuélisant avec autant d'ardeur.

Une jeune femme mariée vint de la Sarthe, envoyée par son mari pour s'informer sur le règne du Saint-Esprit, et ne tarda pas à se livrer à un sacrifice d'amour avec Ruthmaël :

 

Cette jeune dame, qui passa une dizaine de jours à Tilly, en juillet 1845, fut tellement fascinée par l'abbé M., qu'elle s'attachait à lui, pendant toutes les heures du jour, comme l'ombre est attachée au corps qui la produit. Elle le suivait en tous lieux comme un chien suit son maître. Il lui arriva une fois de rester enfermée douze heures entières avec ce corrupteur dans la salle du cénacle. C'est à l'occasion de ces douze heures, consumées en sacrifices d'amour et autres lubricités, qu'un des acolytes de l'abbé écrivait à des croyants : « Le père vient d'avoir douze heures d'extase !55.

 

L'étude du Cantique des cantiques justifiait leur croyance, selon Gozzoli : « Il n'y avait plus de désirs impurs pour eux  purifiait et les sanctifiait tous  agréable ». Ils en étaient venus à penser que la masturbation est une action purificatrice qui met en fuite les démons. C'est ce qui motiva le comportement de la jeune femme mariée de la Sarthe, durant son séjour parmi « les saints du vallon » :

 

Les sens de cette pauvre créature, excités et irrités sans relâche par le prêtre impudique, la jetaient dans un état d'agitation fiévreuse presque permanent. Un jour qu'elle était dans cet état plus fortement que de coutume, elle se saisit d'une chaise, et la brandissant d'une main nerveuse, elle menaça d'exterminer tous les démons de l'enfer avec cette arme improvisée. Ensuite, frappant du poing et des pieds sur l'autel, elle criait, ou plutôt elle hurlait d'une voix éclatante, mais nullement céleste, qui dut tirer de leur sommeil les paisibles habitants de la butte voisine : Anathème à Satan ! Amour éternel à Jésus-Christ !56

 

Ce qu'il y a de plus curieux, dans l'affaire de Tilly-sur-Seulle, c'est qu'il n'y s'agit que de masturbation. On ne peut y soupçonner des scènes de débauche comparables à celles du Portier des Chartreux. Il n'y a pas eu là de fille engrossée, comme en d'autres scandales impliquant des prêtres. Les adeptes s'embrassaient continuellement au nom du Saint-Esprit, et s'isolaient parfois pour se masturber deux à deux, couchés côte à côte, ou l'un en face de l'autre. Il est probable qu'il y eut des cas de masturbation de l'homme par la femme ou l'inverse. Un célibataire de trente-six ans, Hippolyte B., ayant fait voeu de chasteté, était réticent au sacrifice d'amour : « On s'y prit de toutes façons pour faire capituler cette forteresse rebelle. On alla jusqu'à attaquer ses sens par des moyens semblables à ceux qu'emploient des prostituées ». Traduction : une soeur lui a prêté une main complaisante pour l'amener au plaisir. Une anecdote exprime que la petite Marie avait ce genre d'initiative sans vergogne :

 

C'était dans la salle basse qui conduit à la chapelle : l'abbé M., la demoiselle Joséphine G., la dame G., sa fille Marie, une jeune paysanne de Tilly et deux autres personnes étaient réunis dans la salle basse au-dessus de laquelle est situé l'appartement connu sous le nom de chambre-chapelle. On conversait. Tout à coup, au milieu de la conversation, sous les yeux même de sa mère, la jeune Marie s'approche familièrement de l'abbé et met la main sur lui à l'intérieur de ses vêtements. - A ce geste, à cet acte que les malheureuses livrées au vice par état ne commettraient pas devant témoins, la dame G. ne profère pas une parole, ne fait pas un mouvement. Quant au prêtre, il dit en souriant : - « C'est la simplicité de l'enfance ! » - Il ne voyait dans cette action obscène, osée devant plusieurs personnes, que la simplicité de l'enfance ! et la mère de la jeune fille était de la même opinion !57

 

Il est étonnant de voir avec quelle aisance des croyants chrétiens ont accepté de se masturber en commun, malgré les défenses des casuistes. Mais ceux-là aspiraient à une religion d'amour plus libre et plus compréhensive des besoins de la chair. Penser qu'en se masturbant à deux ils créaient une âme dans le ciel était rassurant pour ces chrétiens à qui l'on opposait le péché d'Onan. La semence de l'onanisme, loin d'être dilapidée, est active au second degré si elle est répandue en couple. C'est un principe occulte accrédité par le christianisme ésotérique.

 

On va suspecter l'abbé Maréchal d'être un vicieux s'offrant des plaisirs avec un alibi religieux, mais cette interprétation est trop simpliste. Il y eut une intention pieuse authentique dans ses « sacrifices d'amour ». Il est certain qu'il a voulu éviter, par la masturbation collective, des tentations troubles, des fornications soudaines comme peut en produire la promiscuité entre les membres d'une communauté. On ne lui a pas reproché de copuler avec les femmes de son entourage : justement, la masturbation avait pour but de lui ôter cette envie, et d'apaiser en même temps celles-ci, qu'il surexcitait par son magnétisme sexuel prodigieux :

 

C'était dans la salle qui conduit à la chapelle : l'abbé M., assis devant la table qui sert aux repas communs, était environné de croyantes de tout âge, parmi lesquelles on comptait des voyageuses venues de loin. Il y en avait à sa droite et à sa gauche  lui. Une pieuse croyante qui n'avait pas réussi, à son gré, à se placer assez près de son bon père, pour lui témoigner son affection aussi commodément que les autres, s'était avisée d'un expédient : elle s'était hissée sur la table, devant lui  là, demi-assise, demi-couchée, elle ne se bornait pas à l'embrasser  lui lécher le visage de temps à autre. - Cette fille pieuse, si expansive, qui va avoir soixante ans tout-à-l'heure, si elle ne les a pas, est la demoiselle Victoire G.58.

 

Adrien Gozzoli, qui n'agissait pas par vertu (transfuge de la secte, il voulait lui nuire pour une question d'argent) fit contresigner son pamphlet par trois rénégats : l'ex-juge Lemeneur (Stridoël), vieillard infirme, son fils Napoléon Lemeneur, « président des archanges », et le tisserand Fierville, affirmant : « Nous nous associons sans réserve au contenu de la déclaration qui précède  l'entière vérité des faits criminels qu'elle dénonce. Nous en donnerons toutes les preuves à la justice ». En effet Hélène Lemeneur, fille de l'ex-juge, et Aimée Fierville, fille du tisserand, étaient des masturbatrices passées aux aveux avec force détails. Mais sermonné par les vieux sages de Tilly, qui lui dirent : « Ce serait tuer l'Oeuvre que d'avouer ces choses-là ! », Fierville se rétracta, le 3 mars 1846, et de ce fait la dénonciation que fit Gozzoli au procureur du roi n'eut aucune suite judiciaire. Simplement l'abbé Maréchal, contrarié par cette publicité, retourna à Saint-Cloud avec Victoire et Joséphine, les deux vieilles filles dont la dévotion n'égalait que l'érotomanie.

 

Vintras, « l'Organe de Dieu », apprenant ces événements dans sa prison de Rennes, où il recevait souvent la visite de Jésus-Christ et de Saint-Joseph, édifiant ainsi tous les prisonniers, rappela l'abbé Charvoz de Londres où il se trouvait auprès de Naundorf, prétendant au trône de France. L'abbé Charvoz prit la direction du moulin de Tilly-sur-Seulle, ferma la fabrique de carton pour en faire un immeuble d'habitation réservé à des adhérents vénérables, et riposta à Gozzoli par un contre-pamphlet le traitant de « scélérat, furieux d'orgueil et d'aveuglement ». L'abbé Maréchal revint, le 18 juin 1846, accompagné de deux vieilles dames, prêtes à jurer qu'il était d'une haute moralité : mais Charvoz lui conseilla de repartir. Pendant deux ans, on n'entendit plus reparler de Ruthmaël, dont Maurice Garçon a retrouvé la trace : « Depuis sa disparition, en 1846, il avait mené une vie singulière. La mort de sa mère l'avait fait riche d'une vingtaine de mille francs qu'il avait dépensés à Versailles avec une fille. Puis il était venu s'établir à Paris sous le nom de M. Henry, dans une maison de tolérance clandestine de la rue des Trois-Frères59».

 

Lorsque Vintras sortit de prison, le 25 mars 1848, il s'installa dans un hôtel de la rue de la Chaussée d'Antin à Paris avec son épouse mystique la comtesse d'Armaillé, laissant sa femme à Tilly. L'abbé Maréchal le relança en témoignant de son repentir. Vintras l'accueillit comme l'enfant prodigue, et décida d'en faire un des sept pontifes de la religion du Saint-Esprit. En effet, le Vatican ayant excommunié Vintras et ses fidèles, il ne lui restait plus qu'à se conduire en antipape entouré d'anticardinaux. Le 10 mars 1848, Vintras se nomma « pontife provictimal » lors d'une cérémonie à Tilly où il apparut coiffé d'une tiare surmontée d'une croix et d'un croissant de lune, avec une chasuble rouge portant, devant et derrière, des croix renversées d'un rouge plus sombre, « symbole de la fin du règne du Christ souffrant, et de l'avènement du règne du Christ glorieux ».

 

Ce fut le savant abbé Charvoz, sous le pseudonyme de La Paraz, qui publia « la liturgie du sacrifice nouveau » en déclarant que c'était « la religion chrétienne pure et simple, mais intégrale, la seule, l'unique60 ». En effet, l'hérésie de Vintras n'était pas une nouveauté : elle remontait à Joachim de Flore, au XIIIe siècle, et à ses successeurs mystiques croyant à l'ère du Paraclet. Les ésotéristes chrétiens disent qu'il y a trois règnes dans le christianisme : le règne du Père (celui de la crainte), le règne du Fils (celui de l'expiation) et le règne du Saint-Esprit (celui du rachat et de l'amour). Le devoir du croyant est de préparer ce troisième règne.

 

Adrien Gozzoli, ne désarmant pas, écrivit d'autres pamphlets sur l'affaire des masturbations religieuses de Tilly-sur-Seulle. Il s'attaqua d'abord à l'abbé Charvoz en prétendant qu'il n'était revenu diriger le moulin que pour profiter lui aussi des « sacrifices d'amour »  était d'une chasteté incontestable61. Alors Gozzoli entendit démontrer que le « sacrifice d'amour » était une idée de Vintras lui-même, dès le début de son apostolat, et qu'Alexandre Geoffroi « s'était livré un très grand nombre de fois à ces actes avec le prophète de Tilly62 ». Il exhiba à l'appui des lettres quasi amoureuses de celui-ci à son secrétaire, lettres qui ne prouvaient rien étant donné le style semblable de Vintras dans son Livre d'or. Il reste avéré que « la masturbation pour Dieu » fut une innovation de l'abbé Maréchal dans l'Oeuvre de Miséricorde et qu'elle a été pratiquée fanatiquement par les fidèles pendant un an. Ce qui s'est passé avant, ou après, nous est impénétrable.

Par une circulaire du 2 janvier 1849, Vintras informa ses adeptes de l'« entière résurrection » de l'abbé Maréchal, et dans une cérémonie à Tilly, le 20 Mai 1850, il en fit un des sept pontifes du Carmel annonciateur de la Troisième Révélation, au même titre que l'abbé Charvoz et l'abbé Héry (qui savait maintenant son nom d'ange : Bethmaël). C'était lui donner l'absolution de l'affaire des masturbations collectives. Il y avait sûrement dans l'assistance des personnes qui y avaient participé activement et qui comprirent qu'elles n'avaient pas à être coupables de l'avoir fait.

 

Le 17 mars 1852, à la naissance du Second empire, les pouvoirs publics procédèrent à l'arrestation des pontifes de Tilly-sur-Seulle dont l'organisation fut déclarée dissoute. Vintras s'enfuit à Londres et l'abbé Maréchal reçut un passeport pour Versailles, mais la police constata qu'il ne s'y rendit pas. Il disparut sans jamais plus donner signe de vie. Pourtant, l'action de Vintras continua dans une maison qu'il loua à Londres, où l'archange Gabriel lui apparut en octobre 1853. Etant la réincarnation du prophète Elie, il inaugura à Londres une Université éliaque avec chapelle, le 4 octobre 1859, écrivit L'Evangile éternel, et de retour en France fonda des Carmels éliaques dans différentes villes dont Lyon, où il mourut le 7 décembre 1875. Durant ce temps, Maréchal-Ruthmaël demeura introuvable, et on ne sait pas quelle suite il donna à sa sexualité de Narcisse.

 

L'abbé Maréchal est une grande figure de l'histoire de la mystique érotique. On commettrait une erreur grossière en le prenant pour un simple débauché couvrant de sa soutane de prêtre des désirs profanes. Quand on a étudié la psychologie des réformateurs religieux, on sait qu'ils sont capables, par une surabondance ou une déviation de la foi, d'actes paraissant extravagants aux yeux des laïcs rationnels. Ils n'en sont pas moins absolument sincères. L'abbé Maréchal, se croyant mandaté pour assurer le règne du Saint-Esprit, qui est Amour total, a voulu prouver à ses ouailles que ce règne sanctifiait le sexe. Il a pensé que Dieu n'a pas créé les organes génitaux et leurs manifestations orgastiques pour interdire à l'humanité de s'en servir librement. Il s'est persuadé qu'une manière intime d'honorer Dieu était de jouir de ces organes en lui offrant sa jouissance comme une oblation. On peut le blâmer ou en rire, naturellement, mais il demeure supérieur à bien des êtres qui rabaissent la sexualité autrement.

 

~L'Art royal et sacerdotal d'Aleister Crowley

 

Aleister Crowley, le maître de la Gnose moderne, a été également le plus grand théoricien et praticien de la magie sexuelle, qui est l'art de produire, de contrôler, d'utiliser, d'intensifier tous les effets de la sexualité, du désir au plaisir, pour influencer la réalité quotidienne. Il a assumé sa vie sexuelle religieusement, mais en combinant plusieurs religions avec une science extraordinaire. Né en 1875 à Leamington en Grande-Bretagne, fils d'un brasseur de bière qui était le chef d'un groupe de fondamentalistes chrétiens, les Frères de Plymouth, neveu d'un théologien qui enseignait à Londres la Bible aux enfants, il fut élevé dans un puritanisme intransigeant. Chaque fois que sa mère le suspectait de s'être masturbé, elle le traitait d'Antéchrist et le faisait jeûner. Si bien qu'il se révolta, lut l'Apocalypse et pour défier les puritains qui en faisaient leur référence, déclara qu'il serait la Bête 666 chevauchée par la Grande Prostituée de Babylone vêtue de rouge, et rechercha désormais pour compagne cette « femme écarlate » (il en aura neuf pendant sa vie).

 

Crowley fit ses études à Cambridge, et, héritant d'une grande fortune en 1896, publia un recueil de poèmes, White stains (taches blanches), dont le titre fait comprendre qu'il les comparait à des pollutions nocturnes. Commençant par un sonnet à la Vierge Marie, c'est une suite d'hymnes d'érotisme mystique recommandant le déchaînement de la sexualité. Crowley ne fut pas un illuminé comme Vintras, mais un inspiré, un poète dans la tradition de lord Byron et de Swinburne, qui se voulut l'animateur d'une communauté qui serait tout le contraire des Frères de Plymouth.

Il y eut en Europe au XIXe siècle des associations initiatiques, d'une haute tenue intellectuelle, qu'il ne faut pas confondre avec ce qu'on appelle aujourd'hui « les sectes ». Alors que les sectes sont trop souvent dirigées par des mystificateurs abusant des têtes faibles, les associations initiatiques, comme celle des Cathares ou des Templiers, sont des écoles de perfection enseignant une philosophie religieuse approfondie. Tel fut l'Ordre de la Golden Dawn (l'Aube dorée) à Londres, auquel appartinrent le poète Yeats, le romancier Bram Stocker (auteur de Dracula), l'historien de la magie noire Arthur E. Whaite, l'actrice Florence Farr et bien d'autres personnalités. Aleister Crowley y entra en 1898, en prenant pour nom d'initié Frater Perdurabo (en latin : « Je persévèrerai ») et y acquit toutes les notions qui lui permirent de fonder en 1905 sa propre association initiatique, l'Astrum Argentinum, ayant pour devise : « Chaque homme et chaque femme est une étoile ». Son Evangile fut Le Livre de la Loi (The Book of the Law) que lui avait dicté son ange gardien Aiwass, lors de son voyage de noces en Egypte avec sa première « femme écarlate » Rose Kelly.

 

L'idée centrale de la doctrine de Crowley, c'est que les dieux du paganisme existent toujours, tapis dans l'ombre, et exercent encore une influence sur les événements. Le monothéisme ne les a pas fait disparaître à jamais : ceux de l'hindouisme ont d'ailleurs des millions de fidèles leur vouant un culte public. L'initié qui a recours à eux, en combinant leurs pouvoirs à des principes du christianisme primitif, dispose d'une chance accrue. Les dieux que révérait Crowley étaient ceux de l'Egypte pharaonique depuis Thot (le dieu de l'écriture) jusqu'à Seth (le dieu de la destruction des apparences). Il se croyait appelé à les ressusciter dans une religion moderne qui serait celle de Râ-Hoor-Khuit (forme guerrière d'Horus), ayant pour Trinité IAO (Isis-Apopis-Osiris). Il leur associait des dieux gréco-romains, comme Hermès-Mercure, Zeus-Jupiter. Tout en accordant de l'importance à Isis et à Vénus, il mit au-dessus d'elles Babalon - qui n'était autre que Barbélô, « La Première Pensée de Dieu » pour les gnostiques, qu'il assimilait à la Grande Prostituée de Babylone de l'Apocalypse. Les actes d'adoration de Crowley à Babalon furent si convaincus et fervents qu'elle apparaît comme l'archétype de la Féminité.

 

J'ai qualifié Aleister Crowley de « Don Juan métaphysique » parce qu'il chercha plus que l'amour dans les nombreuses femmes qu'il séduisit. Certaines, à son contact, se transformèrent en médiums lui communiquant des messages d'entités invisibles, comme la danseuse Mary d'Asté Sturges, alias soeur Virakam, qu'il mettait en transe pour la faire entrer en relation avec Ab-ul-Diz, un magicien mort. La réputation de Crowley lui valut la visite en 1912 de Théodor Reuss, Grand Maître de l'O.T.O. (Ordo Templi Orientis), association allemande ressuscitant l'idéal des Templiers, qui lui proposa d'en diriger la section britannique, nommée Mysteria Mystica Maxima. Crowley accepta, devint Frère Baphomet dans l'O.T.O., qui comportait neuf degrés d'initiation pour les adeptes  le huitième et le neuvième degrés les instruisaient dans la magie sexuelle. Crowley s'y intéressa d'autant mieux qu'il avait été initié au yoga tantrique en novembre 1901 à Madura dans le temple de Shiva, où il avait pratiqué le coït hiératique (maithuna) avec deux prostituées sacrées.

 

D'après le rituel de l'O.T.O., l'acte sexuel peut servir à réaliser un voeu ou faire arriver un événement dans un futur proche, si on l'accomplit en exécutant des gestes spéciaux et en prononçant des paroles sacramentelles, dans une chambre aménagée en temple. La masturbation doit être un entraînement à cet idéal. C'est pourquoi le huitième degré de l'O.T.O., celui où il fallait être passé maître pour accéder à l'enseignement du neuvième degré sur le coït, était l'apprentissage de la masturbation magique. On s'y préparait en faisant voeu de chasteté au début de l'initiation, ce qui impliquait au septième degré « une abstinence de tout acte sexuel grossier, quel qu'il soit ». Crowley a écrit, pour réglementer toutes les formes de la sexualité, plusieurs traités dont les titres en latin, les citations avec des mots grecs, sanscrits ou hébreux, langues qu'il savait bien, prouvaient qu'ils n'étaient pas fantaisistes, mais fondés sur des textes sacrés. Son traité de la masturbation s'intitula De nuptiis secretis deorum cum hominibus, « Des noces secrètes des dieux avec les hommes », parce qu'il y montra comment se masturber divinement, et non pas banalement ou vulgairement.

 

D'abord, il faut se masturber dans un temple (comme pour faire l'amour). Une simple chambre de bonne peut être un temple si on place le lit à l'est et la tablette du dieu à invoquer à l'ouest (cette tablette est une planche où son nom, inscrit en écriture des mages, est entouré des symboles qui lui correspondent). Au centre est l'autel qui n'est pas nécessairement une pierre cubique aux faces illustrées d'hiéroglyphes, comme dans les messes gnostiques célébrées par Crowley à Cefalu. Une table sera un autel si elle est couverte des objets cultuels nécessaires : vase à libations, pantacle, épée magique, fiole d'huile d'Abramelin le mage (mélange d'huile d'olive, d'huile de myrrhe, d'huile de cannelle et d'huile de galanga, symbolisant l'Arbre de Vie, pour des onctions purificatrices). Ensuite, SUITE DANS LE LIVRE

 

~ 6 ~

 

La révolution surréaliste du sexe

 

 

 

~ Les recherches sur la sexualité de la rue du Château

 

Entre le 27 janvier 1928 et le 1er avril 1932, les poètes et les artistes du groupe surréaliste de Paris organisèrent douze séances de Recherches sur la sexualité. Les comptes rendus des deux premières furent publiés dans La Révolution surréaliste, avec la mention : « à suivre », mais comme la revue disparut peu après, les autres ne sont connus que depuis la publication en volume de l'ensemble en 1990 chez Gallimard. Jamais encore les membres d'un grand mouvement littéraire et artistique ne s'étaient prononcés avec tant de rigueur et de netteté sur tous les problèmes sexuels, avec le souci de fonder une éthique de la liberté. Dans les cénacles romantiques, on n'a pas entendu Victor Hugo se livrer à de telles spéculations avec Alfred de Musset, Sainte-Beuve, Mérimée, Delacroix  des Goncourt cite des aveux très impudiques, les ont faits par jeu ou par vantardise. Aujourd'hui même, parmi les enquêtes sur la sexualité des magazines, aucune n'entre aussi audacieusement dans les détails qu'en ces discussions surréalistes.

 

Les réponses sont d'autant plus émouvantes que ce sont des maîtres de la littérature et de l'art moderne - André Breton, Aragon, Paul Eluard, Benjamin Péret, Jacques Prévert, Antonin Artaud, Max Ernst, Yves Tanguy, Man Ray et bien d'autres - qui les font. Il ne s'agit pas de confidences scabreuses, comme celles des convives d'un dîner bacchique, encore moins de plaisanteries vulgaires de chambrée. Au contraire, le ton des participants est toujours sérieux, réfléchi  communiquent leurs expériences et leurs opinions le plus franchement possible, sur des sujets très intimes qui sont ordinairement inavouables, dans l'intention de mieux se connaître les uns les autres, et surtout d'éclaircir les ténèbres obscurcissant les désirs et les plaisirs du sexe. Le lieu du débat est resté légendaire dans l'histoire du surréalisme. Marcel Duhamel, le futur fondateur de la Série noire, qui dirigeait alors l'hôtel Grosvenor, loua en 1925 un pavillon décrépit, avec une petite cour, 54 rue du Château, et le fit retaper pour y loger ses amis Jacques Prévert, Yves Tanguy et sa femme Jeannette, Benjamin Péret et d'autres au besoin. Cette maisonnette, décorée d'affiches de cinéma, avec des portes ornées de plaques indicatrices (Présidence du conseil ou Direction générale) devint un phalanstère surréaliste dont André Thirion, qui l'occupa avec Georges Sadoul, a raconté l'histoire dans Révolutionnaires sans révolution. La pièce commune, grande et haute de plafond, avait une verrière que voilait un rideau cubiste de Jean Lurçat, des murs tendus de toile d'emballage bis, des meubles peints en vert, de la couleur des bancs publics, et quatre matelas de cuir noir, « pour les visiteurs fatigués et les jolies filles », posés à même le sol recouvert de linoléum. Ce fut dans cette salle de séjour du rez-de-chaussée que se passèrent la plupart des Recherches sur la sexualité (sauf les dernières, qui semblent s'être tenues dans l'atelier d'André Breton), un secrétaire (d'abord Max Morise) étant chargé de transcrire les propos échangés. Dans la première séance, le 27 janvier 1928, après avoir débattu de plusieurs questions préliminaires, les participants en vinrent à la masturbation :

 

PIERRE NAVILLE. - Prévert, que pensez-vous de l'onanisme ?

JACQUES PREVERT. - Je n'en pense plus rien. J'y ai pensé beaucoup autrefois, quand je m'y adonnais.

PIERRE NAVILLE. - Il y a donc un âge où il n'est plus de mise de s'y adonner ?

JACQUES PREVERT. - Il n'y a pas d'âge. C'est limité à des cas particuliers. En soi, par exemple, c'est assez triste.

PIERRE NAVILLE. - Cela a toujours le sens d'un déficit ?

JACQUES PREVERT. - Pour moi oui, toujours.

YVES TANGUY. - Je pense exactement le contraire.

PIERRE NAVILLE. - L'onanisme s'accompagne-t-il toujours de représentations féminines ?

JACQUES PREVERT. - Presque toujours.

PIERRE NAVILLE. - Que pense Breton de ces opinions ?

ANDRE BRETON. - Elles ne sont pas les miennes. L'onanisme, dans la mesure où il est tolérable, doit être accompagné de représentations féminines. Il est de tous âges, il n'a rien de triste, il est une compensation légitime à certaines tristesses de la vie.

PIERRE UNIK. - Je partage entièrement cet avis. Mais, bien entendu, l'onanisme ne peut être qu'une compensation.

RAYMOND QUENEAU. - Je ne vois pas de compensations ni de consolations dans l'onanisme. L'onanisme est aussi légitime en soi et absolument que la pédérastie.

BRETON, UNIK, PERET. - Aucun rapport ! 63

 

Les amis ne se contentent pas d'examiner la masturbation comme un geste individuel, ils veulent aussi déterminer si elle peut constituer un élément positif pour un couple :

 

ANDRE BRETON.- Que pense Prévert de la masturbation de l'homme devant la femme accompagnée de celle de la femme en face de l'homme ?

JACQUES PREVERT. - Je trouve cela très bien.

PIERRE NAVILLE. - Que penses-tu de la masturbation mutuelle ?

JACQUES PREVERT. - C'est encore mieux.

ANDRE BRETON. - Tout le monde est-il de cet avis ?

YVES TANGUY. - Non, je donne la préférence à ce qui a été proposé en premier.

BENJAMIN PERET. - Moi aussi.

ANDRE BRETON. - De même.

MAX MORISE. - Indifférence.

 

Dans la deuxième soirée, le 31 janvier 1928, où se joignent aux précédents Aragon, Man Ray, Jean-Jacques Boiffard, Georges Sadoul, Jacques Baron et Marcel Noll, ceux-ci sont invités à résoudre le problème suivant : « Un homme et une femme font l'amour. Dans quelle mesure et dans quelle proportion sont-ils susceptibles de jouir simultanément ? Cette proportion varie-t-elle en fonction de l'habitude qu'on a d'une femme ? La simultanéité en question est-elle souhaitable ? » Les réponses d'Aragon furent les plus brillantes. La masturbation sera évoquée ensuite à titre d'expérience initiale enfantine :

 

RAYMOND QUENEAU. - Quel est votre premier souvenir sexuel ?

BENJAMIN PERET. - Vers sept ou huit ans j'ai vu à l'école un petit garçon s'enduire le sexe d'encre et se masturber sous le pupitre.

ANDRE BRETON. - A l'école également un garçon montrant son sexe et le désignant par un mot encore inconnu de moi : « ma... ». Le soir même, j'ai raconté cette histoire à mes parents.

MARCEL DUHAMEL. - Toujours à l'école. Sous le pupitre un petit garçon me mit à l'improviste sa main sur la braguette. Cela me laissa un souvenir très agréable.

JACQUES BARON. - Des élèves se masturbaient derrière leur carton à dessin.

 

La troisième séance est une longue discussion sur la pudeur, avec des anecdotes personnelles, et la quatrième, le 15 février 1928, est particulièrement curieuse parce qu'elle a pour protagoniste un opposant, le pseudo-abbé Ernest Gengenbach (qui se faisait alors appeler Jean Genbach), auteur de Satan à Paris, dont certains critiques se sont moqués à tort, car cet ex-séminariste chassé du séminaire à cause de sa liaison avec une actrice, connaissait parfaitement le christianisme ésotérique et se tourmentait de ses contradictions entre sa foi et sa libido. Gengenbach commença par dire que « la sexualité n'existe pas, il n'y a que l'amour », et par protester : « je ne conçois pas qu'on se pose ces questions ». Si c'était pour mieux comprendre le corps, cela ne l'intéressait pas : « Ce que d'autres appellent mon corps est mon âme ». Mais, pressé d'interrogations diverses, Gengenbach avoua qu'il avait fait cinq fois l'amour dans sa vie  deux fois avec une femme qu'il aimait.

 

 

MARCEL DUHAMEL. - La première fois que vous vous êtes masturbé, pensiez-vous à une femme ?

JEAN GENBACH. - Oui. J'ai fait cela pendant la guerre devant une compagnie d'Américains qui avaient eu des histoires avec des jeunes filles d'usine.

MARCEL DUHAMEL. - Vous aimiez une femme à ce moment-là ?

JEAN GENBACH.- Je ne pense pas trouver de précision, car à ce moment-là cela ne s'adressait pas précisément à des êtres, comme 3 mois, 1 an, 10 ans plus tard.

PIERRE NAVILLE. - Faites-vous une différence entre se masturber et faire l'amour ?

JEAN GENBACH. - Oui, c'est toujours à défaut de. Mais je préfère me masturber en pensant à une femme que j'aime que de faire l'amour avec n'importe quelle femme qui m'excite et que je n'aime pas. Je prends de préférence une photographie où la femme est nue, ou bien où il y a un mélange de nu et d'habillé.

 

On remarquera que certains interlocuteurs se vouvoient, ce qui rend ces séances plus étonnantes. Ce ne sont pas des familiers qui s'épanchent, mais des hommes livrant leur intimité à d'autres envers qui ils sont d'habitude réservés. Le 27 Février 1928, le meneur de jeu de la cinquième séance est Max Ernst, dont les tableaux de cette période, comme Scène d'érotisme sévère (où trois femmes subissent les attaques d'un rapace) reflètent la vie amoureuse agitée. Il vient à la fois d'épouser Marie-Berthe, après avoir été accusé par son père de détournement de mineure, et de séduire à Mégève une femme mariée qui l'a suivi à Paris. Max Ernst incite ses amis à définir la jouissance que procurent les pollutions nocturnes, rendant la masturbation inutile :

 

MAX ERNST. - J'ai cru jusqu'à maintenant que je me suis réveillé au moment de la jouissance et de l'éjaculation en même temps.

ANDRE BRETON. - Simple illusion à mon sens  je crois savoir que je m'éveillais au moment où l'éjaculation était terminée. Cela dépend de la position du sexe à ce moment : une sensation d'humidité, de froid ou de chaud à ce moment-là.

MARCEL DUHAMEL, MAXIME ALEXANDRE. - Je crois que ce n'est pas vrai.

BENJAMIN PERET. - Pour moi, j'ai cru qu'il s'écoulait un temps très faible entre la jouissance et l'éjaculation.

ANDRE BRETON. - Tu considères que l'éjaculation est terminée au moment où on s'éveille ?

BENJAMIN PERET. - Non, on s'éveille en pleine éjaculation.

MAX ERNST. - Au contraire, j'éjacule, je jouis au moment où le rêve est détruit, au moment où je me réveille.

 

 

RAYMOND QUENEAU. - Je crois que je me réveille juste avant l'éjaculation ou que je ne me réveille pas du tout.

 

Max Ernst affirme que dans le sommeil peut apparaître une « volonté de jouir » se substituant au rêve. D'où cette constatation de Queneau : « Je ne crois pas avoir eu d'éjaculation en rêve sans une certaine volonté masturbatoire, par contre je crois avoir eu jouissance en rêve sans éjaculation ». Tous sont d'accord, et Breton conclut : « Je suis sûr qu'il peut y avoir jouissance en rêve sans éjaculation ». Toutefois il nie que cette jouissance soit produite par un désir inconscient de se masturber : « S'il y avait volonté masturbatoire on sortirait du rêve, c'est pourquoi il n'y a pas de volonté masturbatoire dans le rêve ».

La sixième séance, le 3 mars 1928, est dominée par Antonin Artaud, fatal et tragique, venant de rééditer Le Pèse-nerfs en y ajoutant ses Fragments d'un journal d'enfer, et de jouer le rôle du moine compatissant dans Jeanne d'Arc de Dreyer. Il portait encore la tonsure que le cinéaste avait imposé à ses acteurs, par souci de réalisme. Avec la ferveur sombre de sa mystique athée, Antonin Artaud commença par cette déclaration de principe : « Je trouve la sexualité très répugnante en soi. Je m'en délivrerais volontiers. Je voudrais que tous les hommes en fussent là. Je suis excédé d'être l'esclave de ces sollicitations infectes. Néanmoins je reconnais que dans certains cas on peut s'y livrer comme à une espèce de mort, mais ce doit être une forme de désespoir peu recommandable ». Artaud interpella ses compagnons tour à tour, cherchant en vain à leur faire dire que la sollicitation sexuelle, même accompagnée d'amour, vaut beaucoup moins qu'une « sollicitation intellectuelle d'un ordre très élevé », donnant « une satisfaction décisive de l'esprit ». Il finit par lancer à tous cette question provocante :

 

ANTONIN ARTAUD. - Est-ce que l'idée de la masturbation est une idée infâme pour quelqu'une des personnes ici présentes, est-ce qu'elle l'a toujours été ou à partir de quel moment a-t-elle cessé de l'être ou a-t-elle commencé à le devenir ?

JACQUES PREVERT. - Elle n'a jamais été infâme pour moi, et je n'ai jamais eu l'idée de faire quelque chose d'infâme.

ANDRE BRETON. - Elle n'a jamais été infâme pour moi à proprement parler. Cependant elle m'a longtemps paru un très piètre expédient et quelque chose d'assez misérable, d'autant plus sans doute que j'admettais qu'elle pût avoir des conséquences fâcheuses sur la santé ! Chose curieuse, plus j'ai été amené à la juger admissible, moins je m'y suis adonné. Elle ne me paraît tout à fait acceptable que depuis le jour où j'ai appris, en lisant un ouvrage de Wittels sur Freud, que certains psychanalystes de l'école de Zurich la préconisaient comme un moyen thérapeutique dans certains cas. Depuis ce jour, je ne la considère plus que comme un remède et j'ai contre elle les préjugés que j'ai contre les autres remèdes.

 

MARCEL DUHAMEL. - La masturbation ne m'a jamais paru infâme. Je m'y suis adonné avec ferveur jusqu'à l'âge d'environ quatorze ans, puis beaucoup plus rarement ensuite.

ANTONIN ARTAUD. - Quelques efforts que j'ai pu faire pour me démontrer cet acte comme légitime, je l'ai toujours trouvé infâme et il m'a paru comporter toujours la même somme de diminutions pour moi-même64.

 

Peu de femmes se mêlèrent à ces entretiens, parce qu'elles étaient gênées de s'exprimer aussi crûment sur leur sexualité, à cette époque où même des hommes libérés hésitaient à le faire. Gala en aurait été capable, mais venant de quitter Eluard pour Dali, elle ne tenait pas à s'expliquer sur sa conduite. Ni Valentine Hugo ni Lise Deharme ne voulurent se hasarder en de telles réunions. Les voix féminines seront celles de Jeannette Tanguy, de Simone Vion (une amie d'Albert Valentin, le scénariste d'A nous la liberté de René Clair) de Katia (la jeune femme mariée qu'André Thirion avait « enlevée » à Vidin en Bulgarie) et d'une certaine Madame Léna, militante gauchiste. Elles intervinrent notamment dans la neuvième séance, le 24 novembre 1930, où André Thirion amena plusieurs inconnus (Schwarz, Humm, Victor Mayer, etc.), membres du Parti communiste. Quelqu'un, dont le nom n'est pas indiqué, demanda : « Quelles représentations sont associées pour vous à la masturbation ? »

 

ANDRE THIRION. - Quand je me masturbe, je me représente plusieurs scènes : différentes femmes avec qui par exemple je n'ai pas couché mais que j'ai violemment désirées. Je me représente ces personnes montrant certaines parties de leur corps (érotiques). Dans deux autres cas, j'ai eu des représentations d'une femme que j'aimais. Evolution dans la manière à bander. A dix-sept ans, je pensais pendant le temps de la masturbation à une personne précise. Actuellement série de représentations par un mécanisme analogue au rêve. Je jouis toujours.

ALBERT VALENTIN. - A l'origine, pensée d'une femme que j'ai aimée dans l'attitude de sucer. Au cours de la masturbation, la représentation change et passe à d'autres femmes moins précises. Au moment de la jouissance je reviens à la première. Je jouis toujours.

PAUL ELUARD. - Je me représente en général une femme que j'ai aimée, qui est ma femme,65 et généralement je me la représente faisant l'amour avec moi ou en général (pour le plaisir). Plaisir de la contemplation de mon sexe. Il m'arrive de ne pas jouir. En général je jouis.

ANDRE BRETON. - Elle s'accompagne d'une série de représentations fugitives de femmes différentes (rêve, femmes que j'ai connues ou que je connais mais n'étant jamais la femme que j'ai aimée). En règle générale, je m'arrête à l'éjaculation.

 

Les réponses des participantes sont intéressantes. C'est la première fois dans une réunion intellectuelle que des femmes avouent librement devant des hommes qu'elles se masturbent et quelles images secrètes les motivent.

 

MADAME LENA. - Quand je me masturbe, je jouis jusqu'au bout et cela en pensant à une femme que j'ai beaucoup aimée - ma soeur.

KATIA THIRION. - Dans mon enfance, deux sexes : celui de l'homme et celui de le femme. L'idée de l'amour était très vague. Après avoir connu l'amour, jamais de représentations - sauf un rêve : le sexe de l'homme qui bouge et je ne parviens jamais à jouir comme en faisant l'amour. J'éprouve même un dégoût.

SIMONE VION. - Je ne fais cela qu'en lisant. Puis après vient une crise. J'ai fait cela assez longtemps après avoir fait l'amour avec un homme. Maintenant c'est machinal et cela se fait assez vite. En tout cas, je n'ai aucune représentation. J'éprouve une sorte d'inconscience. Il m'est arrivé de prendre un livre - nullement érotique - pour le faire.

 

Paul Eluard est certainement le plus pervers du groupe, comme on peut en juger dans ses Lettres à Gala. Il ira jusqu'à lui écrire en 1931, lorsqu'elle sera remariée avec Dali et qu'il aura lui-même pour compagne Nusch : « Pourquoi n'as-tu pas tiré ces photos nues de toi ? Et je voudrais en avoir où tu ferais l'amour. Et je ferais l'amour avec toi devant Nusch qui ne pourra que se branler - et tout ce que tu voudras ». On ne s'étonnera pas qu'il pose cette question :

 

PAUL ELUARD. - Vous est-il arrivé de vous masturber jusqu'à éjaculation devant une personne du sexe opposé et sans vous en cacher ?

HUMM. - Oui, une fois.

MADAME LENA. - Très souvent.

ALBERT VALENTIN. - Presque toujours.

PAUL ELUARD. - Très souvent.

SIMONE VION. - Jamais. Et pas de sitôt. Idée insupportable.

PIERRE UNIK. - Plusieurs fois, avec une seule femme.

KATIA THIRION. - Jamais. Mais l'idée ne m'est pas insupportable.

ANDRE BRETON. - Quelquefois. Avec une seule femme, que je n'aime pas.

 

En cette neuvième séance fut posée la question de l'abstinence volontaire : « Il ne s'agit que de ça. Abstinence signifie : refus, se refuser telle chose ».

 

ANDRE BRETON. - Je peux rester deux ans continent.

 

 

ANDRE THIRION. - Je suis resté sans essayer un mois et demi, mais durant ce temps je me branlais. Je ne peux rester plus de quatre jours sans me branler ou sans faire l'amour.

KATIA THIRION. - Dix-huit mois sans faire l'amour. Je suis restée sans jamais me faire de caresses ni rien.

PIERRE UNIK. - Je suis resté entre neuf et dix mois sans faire l'amour. Masturbation durant ce temps. Je peux rester un mois, trois semaines sans me branler. A la suite d'un grand choc sentimental, je peux rester deux mois sans penser à cela.

 

Pierre Unik, le plus jeune poète du groupe après Jacques Baron, avait vingt et un ans lors de cette séance, et se préparait à publier l'année suivante son premier recueil, Le Théâtre des nuits blanches. Il gardait dans son portefeuille un papier où il avait calligraphié : « Jouissance Connaissance Pureté », à côté d'une photo trouvée par terre dans un couloir du métro, représentant une personne bizarre, au sexe ambigu et à l'air hagard. Cela rend d'autant plus touchant ses aveux. Durant la dixième séance, le 26 novembre 1930, réunissant Paul Eluard, Pierre Unik, Yves et Jeannette Tanguy chez André Breton, le débat roule sur la façon dont ils ont envisagé la première fois d'avoir des rapports amoureux.

 

PAUL ELUARD. - Comment as- tu connu la possibilité de te masturber ?

ANDRE BRETON. - A Lorient, vers douze ans, si j'ai bonne mémoire, dans des water-closets de style breton. Par moi-même. Jamais entendu parler. Jouissance profonde, mais inquiétude devant l'éjaculation.

PAUL ELUARD. - Unik, as-tu eu des rapports sexuels accompagnés de désirs avant la masturbation ? Ça t'a ému ? Ça t'a troublé ?

PIERRE UNIK. - Bien avant ? Non.

PAUL ELUARD. - Quand t'es-tu masturbé ?

PIERRE UNIK. - Ça m'a été appris par un type nommé Cordebarre, en classe.

PAUL ELUARD. - Il t'a montré ?

PIERRE UNIK. - Il m'en a parlé seulement. Il m'a indiqué comment faire. J'ai immédiatement associé au mot onanisme lu dans le dictionnaire, qui m'avait frappé à cause des maux funestes que ça entraînait. Je me suis fait des objections et je lui en ai fait part.

PAUL ELUARD. - Sur la santé ?

PIERRE UNIK. - Oui. Comme plusieurs autres camarades m'en ont parlé, j'ai essayé.

PAUL ELUARD. - Je me suis masturbé, je n'ai pas eu d'éjaculation (douze ans). Je me suis masturbé pendant six mois sans éjaculation. Mais avec jouissance.

YVES TANGUY. - Je me suis masturbé depuis l'âge de cinq ans, avec jouissance chaque fois. C'est vers dix ou onze ans que l'éjaculation s'est produite.

 

Pierre Unik pose à Paul Eluard, secrétaire de la séance, une question que celui-ci juge capitale : « D'une façon très absolue, trouves-tu que c'est bien de faire l'amour ? Même si tu n'en as pas envie ? ».

 

ANDRE BRETON. - Sans nécessité physique ou morale, cela nous ramènerait à l'acte gratuit, que je conçois pas, ou à une fanfaronnade.

PAUL ELUARD. - Ce n'est pas plus concevable que la masturbation sans représentations féminines, mais par ailleurs il est pour moi, j'insiste, recommandable de faire l'amour. Mais c'est une idée, pour moi, morale.

ANDRE BRETON.- Pourquoi ?

PAUL ELUARD. - Je considère la chasteté comme immorale et nuisible.

ANDRE BRETON. - Pourquoi ?

PAUL ELUARD. - Parce que pour moi la préoccupation sexuelle est à la base de toute l'activité de l'esprit.

 

On peut regretter que d'autres grands surréalistes, tels Philippe Soupault, Robert Desnos, Michel Leiris, René Crevel, Roger Vitrac, André Masson, aient manqué à ces séances, soit intentionnellement, soit par empêchement. Mais leurs oeuvres nous informent sur les avis, non moins anticonformistes, qu'ils y auraient donnés.

Raymond Queneau, dans ses Journaux révélés seulement après sa mort, a fourni des illustrations saisissantes de ces entretiens. Il y a noté tous ses rêves (pas moins de cent vingt-cinq en 1931), dont un grand nombre de rêves érotiques. Ainsi en septembre 1928 il rêve d'une jeune fille et de sa mère en costume de bain : « La mère, très jeune d'ailleurs, vient changer de costume de bain avec la fille  finis par porter la première dans mes bras. Au bas d'un escalier, je lui propose de faire l'amour en cet endroit  accepte  billard. Pollution. Réveil66».

Sous l'influence des discussions de la rue du Château, Queneau se mit à analyser ses rêves après leur notation. Le 31 Août 1931, il rêve d'une jeune femme blonde, en maillot de bain rouge, et en bas de soie champagne : « Je lui propose (de faire l'amour ?). Elle accepte aussitôt  et me tend son cul. Je lui lèche l'anus. Réveil avec pollution ». Il se reproche plus tard son compte rendu : « Ce que je n'ai pas fait assez ressortir c'est d'abord que les bas au premier abord m'ont excité - et ensuite la façon dont elle a accepté (de faire l'amour) et de se dévêtir immédiatement et sans réserve, non seulement immédiatement, mais en me tendant cette partie du corps que je préfère chez la femme ».

Le 1er septembre 1931, il se voit dans un wagon de marchandises avec Max Morise : « Le train va très vite (ou très lentement). On (Max - ou moi ? - ou les deux) cherche à imiter le rythme avec les mains ». Il ajoute ce commentaire : « Imiter le rythme d'un train en marche avec les mains me paraît un symbole clair de la masturbation. Est-elle solitaire ou mutuelle ? Tendances homosexuelles ». Queneau ne note pas ses rêves parce qu'ils sont bizarres, mais pour se connaître soi-même. Voir clair dans ses pulsions, pour les surmonter au besoin. Rêvant qu'il se promène avec Pierre Unik dans un grand magasin, en soulevant les jupes des mannequins pour découvrir si elles n'ont pas de culotte, il se demande : « Le début de ce rêve exprime-t-il les tendances homosexuelles ? En tout cas, il dénote la tendance voyeur : retrousser les jupes ». Il conclut, en se tournant lui-même en dérision : « Je suis très voyeur, en effet - eh ! eh ! petit polisson. Pas de plaisanterie sur ce grave sujet. Polissons-le sans cesse et le repolissons. Encore un bien mauvais calembour ».

 

Lisant La science des rêves de Freud cette année-là, Queneau décode le symbolisme érotique des images oniriques d'objets : « Je fais maintenant l'association entre lettre, enveloppe, portefeuille. Symbole sexuel, j'en suis certain. Pour l'enveloppe, association pour la masturbation ». Mais à l'opposé, des scènes bestiales l'assaillent sans le faire jouir, comme le 7 septembre : « Un rêve obscène non suivi de pollution : un personnage debout encule une femme également debout, couchée en deux ». Le 18 septembre 1931, Queneau constate : « Je ne suis pas satisfait par mes capacités sexuelles, j'attribue leur affaiblissement à de longues périodes de masturbations ». Ce qui l'amène le 9 octobre, à une véritable autocritique : « Cette masturbation de onze à vingt-quatre ans, incessante et incessée, est un cas pathologique ». Ce fut à vingt-quatre ans, le 18 mars 1927, qu'il a perdu son pucelage : « Au régiment, j'ai été une fois au bordel, mais je n'ai pas réussi à faire l'amour ». Avant de se marier avec Janine Kahn, la belle-soeur d'André Breton, il eut quelques rapprochements avec des filles galantes, dont il n'était pas fier : « A Janine j'ai dit que j'avais couché avec une centaine de femmes. Quel sale menteur, je fais. Ça fait huit, je crois ». Il finissait par penser que son incontinence l'avait amoindri : « J'ai de la pollakiurie en raison de pratiques masturbatoires spéciales quand j'étais tout gosse ».

 

Nonobstant ses rapports conjugaux avec la complaisante Janine, Queneau continua d'avoir une vie nocturne grouillante de désirs. Le 19 octobre 1931, il se lève au milieu de la nuit pour observer les étoiles. Se recouchant à quatre heures du matin, il a des rêves compliqués avec son père, Breton et d'autres personnages : « Intercalé dans ces rêves : je baise une femme assise dans un hamac - pollution. Puis une femme dont les fesses sont très fermes et très brunes, que se passe-t-il exactement ? Je la baise - pollution. Puis avec cette femme l'excitation revenue mais, à moitié consciente, je m'interromps. Masturbation au réveil ». En relisant son compte rendu, il remarque : SUITE DANS LE LIVRE

 

~ 7 ~

 

L'art de jouir de soi-même

 

 

 

~Les provocations de la littérature moderne

 

Un roman de Roger Nimier, Les Epées, commence au moment où son héros, François Sanders, quinze ans, élève de troisième dans un lycée parisien, vient de se masturber sur la photo de Marlène Dietrich. Le romancier ne décrit pas l'acte, mais sa conséquence : « Le visage de Marlène Dietrich, plein de sperme, s'étale devant lui. Sur le magazine grand ouvert, le long des jambes de l'actrice, des filets nacrés s'entrelacent comme la hongroise d'argent sur le calot d'un hussard ». Ensuite, l'adolescent sort un carnet de blanchisseuse à couverture de moleskine noire, et y cherche la bonne page : « Il écrit : 22 mars 1937 : 8'. Il tire une barre et additionne 8 au chiffre précédent. Puis il note : 1.454 dans une troisième colonne. "Rien ne vaut une comptabilité bien à jour" dit-il à voix basse67». Voilà un garçon avisé : il sait combien de fois il s'est masturbé depuis la puberté et quel temps il met à chaque séance pour le faire : cette fois-ci huit minutes.

Sans doute est-ce là une provocation littéraire d'un écrivain qui, après la Seconde Guerre mondiale, se voulut le chef de file d'un groupe de « hussards » des lettres, ayant pour caractéristiques l'insolence et la désinvolture. Mais on remarquera que cet auteur n'aurait jamais pu écrire un tel début de roman au siècle précédent, sans que son livre fût saisi par la justice et lui-même condamné à la prison. En outre, des médecins spécialisés l'auraient examiné à travers leurs binocles et lui auraient trouvé « les stigmates de la dégénérescence ». Il y a donc eu une évolution dans les moeurs, puisque maintenant un écrivain n'est pas desservi en se permettant une telle audace, et peut même être admiré comme Nimier en l'osant.

Il y eut très peu de grands écrivains, avant les surréalistes, pour se risquer à parler du « vice solitaire », comme on disait au début du XXe siècle. Au moins Marcel Proust, dans Sommeils, a raconté avec une délicatesse exquise comment il a découvert la masturbation. Ecrivant cela à l'époque où il se couchait le matin pour dormir tout le jour, il regretta d'abord ce temps de l'adolescence où il entrait dans son lit à dix heures du soir, et faisait des rêves érotiques l'amenant au bord de la pollution nocturne : « Quelquefois, comme Eve naquit d'une côte d'Adam, une femme naissait d'une fausse position de ma cuisse  formée par le plaisir que j'étais sur le point de goûter, je m'imaginais que c'était elle qui me l'offrait. Mon corps qui sentait en elle sa proche chaleur voulait se rejoindre à elle, je m'éveillais68».

Les plaisirs solitaires, « qui plus tard ne nous servent qu'à tromper l'absence d'une femme », ne sont pas involontaires, dit Proust, car la première fois qu'il alla s'enfermer pour se masturber dans le cabinet en haut de la maison familiale de Combray, sa décision était déjà prise : « Ce que je venais chercher, c'était un plaisir inconnu, original, qui n'était pas la substitution d'un autre ». Ce cabinet était spacieux, et sa fenêtre toujours ouverte laissait passer un lilas de l'extérieur. Proust, âgé de douze ans, tira le solide verrou et commença à se manipuler : « L'exploration que je fis alors en moi-même, à la recherche d'un plaisir que je ne connaissais pas, ne m'aurait pas donné plus d'émoi, plus d'effroi s'il s'était agi pour moi de pratiquer à même ma moelle et mon cerveau une opération chirurgicale. A tout moment je croyais que j'allais mourir ». Il reprend haleine un instant et, regardant par la fenêtre, s'excite en contemplant « les belles collines bombées qui s'élevaient comme des seins des deux côtés du fleuve ». Cette communion avec la nature sexualisée lui redonna de l'élan : «Enfin, s'éleva un jet d'opale, comme au moment où s'élance le jet d'eau de Saint Cloud ». L'éjaculation n'interrompit pas la griserie, tant le lieu semblait acquiescer à sa jouissance : « A ce moment, je sentis comme une tendresse qui m'entourait. C'était l'odeur du lilas, que dans mon exaltation j'avais cessé de percevoir et qui venait à moi. Mais une odeur âcre, une odeur de sève s'y mêlait, comme si j'eusse cassé la branche. J'avais seulement laissé sur la feuille une trace argentée et naturelle, comme fait le fil de la Vierge ou le colimaçon. Mais sur cette branche, il m'apparaissait comme le fruit défendu de l'arbre du mal69 ».

Cet aveu de Marcel Proust est d'autant plus intéressant que plus tard il s'est engagé corps et âme dans la sexualité de Narcisse, mais qu'il n'a pas rapporté et analysé ses actions en ce genre. Les masturbations de Proust adulte, relevant de son homosexualité, ont été évoquées par des témoins qui fréquentaient comme lui l'établissement d'Albert, ex-valet d'un prince, « Breton d'origine, très catholique, très lié avec l'Action française » qui gérait « un hôtel de passe où un homme qui aimait les garçons pouvait être sûr d'y trouver un garçon ». Marcel Jouhandeau, qui définit ainsi Albert, raconte comment se comportait Proust dans sa maison spécialisée :

 

Il y avait un carreau qui avait des raies. A travers ce carreau, il désignait la personne avec qui il voulait passer un moment. Cette personne était priée de monter, de se déshabiller (il y avait une chaise à côté de la porte), de poser ses vêtements sur cette chaise, et de se masturber devant le lit où Proust était étendu avec le drap jusqu'au menton. Et si Proust arrivait à ses fins, alors c'était fini. Le garçon disait au revoir à Proust, mais ne s'approchait pas, se rhabillait et redescendait. Mais si Proust n'arrivait pas à ses fins, le garçon redescendait, et remontait avec Albert, portant deux nasses où on avait pris des rats vivants. On ouvrait les nasses et les rats s'entre-dévoraient.

 

Et à ce moment-là, Proust arrivait à ses fins. C'est vraisemblablement une image des spermatozoïdes. Et à ce moment-là, Proust jouissait.70

 

Georges Bataille a pris cet épisode pour thème de son Histoire de rats. Proust a donné ici l'exemple de la masturbation perverse, ne partant pas d'un fantasme ordinaire, mais s'excitant par le voyeurisme d'une scène érotique (prostitué masculin se manuélisant jusqu'à l'éjaculation) ou d'une scène de cruauté (combat sanglant de rats).

 

Non moins significatif est le cas d'André Gide, renvoyé à douze ans de l'Ecole Alsacienne parce qu'on l'avait surpris à se masturber en classe. Il a relaté lui-même en détails cet incident : « M. Brunig, le directeur des basses classes, me donnait trois mois pour me guérir de ces « mauvaises habitudes » que M. Vedel avait surprises d'autant plus facilement que je ne prenais pas grand soin de m'en cacher, n'ayant pas bien compris qu'elles fussent à ce point répréhensibles ». En ce jour l'écolier Gide se caressait tranquillement à sa place, comme si c'était une sensualité bénigne : « J'avais bourré mes poches des friandises du dessert  s'évertuait M. Vedel, je faisais alterner le plaisir avec les pralines ». Son professeur, finissant par remarquer son inattention, l'interpella : « Gide ! Il me semble que vous êtes bien rouge ? Venez donc me dire deux mots ». Le fautif se leva et s'approcha de la chaire : « Je ne cherchai pas à nier. A la première question que M. Vedel me posa, à voix basse, penché vers moi, je fis de la tête un signe d'acquiescement : puis regagnai mon banc plus mort que vif71».

Ses parents, quand ils apprirent le motif de son exclusion, risquant d'être définitive s'il ne s'amendait pas, en firent tout un drame. Ils amenèrent leur fils à un médecin réputé, le docteur Brouardel, qui, chargé de le sermonner, employa la méthode d'intimidation recommandée par les masturbologues. Prenant un air féroce et menaçant, il s'écria : « Voici les instruments auxquels il nous faudrait recourir, ceux avec lesquels on opère les petits garçons dans ton cas ». Mais comme s'il tournait en dérision ce qu'il était obligé de dire pour complaire à des parents inquiets, le médecin désigna des armes barbares plutôt que des outils chirurgicaux : « Il indiquait, à bout de bras, derrière son fauteuil, une panoplie de fers de lances touaregs ». Moitié par peur de ce croquemitaine médical, moitié par désir d'éviter de chagriner ses parents, Gide s'efforça de ne plus se masturber et y parvint : « Trois mois plus tard, je reparus sur les bancs de l'école : j'étais guéri  autant qu'on peut l'être ». En effet, il était devenu un masturbateur contrarié, ce qui détermina la forme que prit son homosexualité, ayant pour seul mode de satisfaction la masturbation mutuelle (unilatérale ou réciproque).

Quand il reprit l'habitude de la masturbation dans l'adolescence, Gide le fit avec les tourments que décrit son premier livre Les Cahiers d'André Walter, contenant un Cahier blanc exprimant son impossible amour pour une jeune fille séraphique, et un Cahier noir où s'étale son autoérotisme navré : « On s'enferme dans sa chambre  la chair qui se déguise. On la trouve partout, l'impure ! ». Le psychiatre Jean Delay constate : «André Walter, narcisse huguenot, ne succombe à la tentation que dans l'angoisse et le remords après une lutte obsédante72 ». Pour s'empêcher de se masturber, André Walter a recours aux macérations, aux jeûnes, aux prières, à l'autoflagellation avec une discipline, au port d'une haire, à des marches forcées : « Chasteté !... J'ai fait mon voyage en Auvergne, seul, à pied, et par unique désir d'une mortification poursuivie - pour maîtriser l'inquiétude d'une puberté vagabonde73 ». Jean Delay remarque que Gide n'eut pas la conduite qu'il prêtait à André Walter, et se contentait, pour se punir de se masturber, de lire la Bible dans le tramway ou devant ses camarades, s'attirant ainsi des moqueries lui servant de pénitence. S'accusant de ses fantasmes masturbatoires - « ce rêve de délectations monstrueuses » -, Gide avouera dans son Journal de 1893 : « J'ai vécu jusqu'à vingt-trois ans complètement vierge et dépravé ».

Ce fut l'épisode de Sousse, lors de son voyage en Tunisie, qui lui révéla le plaisir qu'il pouvait ressentir auprès d'un garçon complaisant et déjà expert. Le jeune porteur Ali s'offrit à lui, comme s'il en faisait un jeu : «Le vêtement tomba  nu comme un dieu. Un instant il tendit vers le ciel ses bras grêles puis, en riant, se laissa tomber contre moi. Son corps était peut-être brûlant, mais parut à mes mains aussi rafraîchissant que l'ombre ». Gide met ici en évidence la fonction qu'exerça ses mains en cette étreinte où il masturba son partenaire avant de se masturber lui-même. Se réfugiant ensuite dans la maison familiale de la Roque, il y écrivit Le voyage d'Urien en compensant, par des masturbations incessantes, le manque de relations pédérastiques : « Espérant peut-être trouver quelque échappement dans l'excès même, regagner l'azur par-delà, exténuer mon démon (je reconnais là son conseil) et n'exténuant que moi-même, je me dépensais maniaquement jusqu'à l'épuisement, jusqu'à n'avoir plus devant soi que l'imbécillité, que la folie ». Il dira encore, deux ans plus tard, de cette période de masturbation effrénée : « A la Roque, l'avant-dernier été, j'avais pensé devenir fou. » Il s'était masturbé à mort, pour ainsi dire, ce qui justifie le titre de son livre selon Jean Delay : « La symbolique du Voyage d'Urien, ou du rien, symbolisation de l'expérience du néant ».

 

Durant son voyage en Algérie à vingt-six ans, où il rencontra Oscar Wilde à Alger, ce fut en sa compagnie à l'Hôtel de l'Oasis, le 30 Janvier 1895, que Gide confirma sa passion de masturbateur pédéraste : « Après mon aventure de Sousse, j'étais retombé misérablement dans le vice. La volupté, si parfois j'avais pu la cueillir en passant, c'était comme furtivement ». Cette nuit-là, à l'Hôtel de l'Oasis, tandis que Wilde s'enfermait dans une chambre avec un joueur de darbouka, Gide s'isola dans une autre avec « le petit Mohammed » et trouva à son contact un plaisir sans arrière-pensée qui n'aurait pas été plus vif s'il y avait été question d'amour : « Mais comment nommerai-je alors mes transports à serrer dans mes bras nus ce parfait petit corps sauvage, ardent, lascif et ténébreux ? » Il ne nous laisse pas ignorer que la masturbation réitérée fut la base de leur jouissance et qu'il ne lui suffit même pas de l'accomplir à deux : « Je demeurai longtemps ensuite, après que Mohammed m'eut quitté, dans un état de jubilation frémissante, et bien qu'ayant déjà, près de lui, cinq fois atteint la volupté, je ravivai nombre de fois encore mon extase et, rentré dans ma chambre d'hôtel, en prolongeai jusqu'au matin les échos74».

 

Cette frénésie lui paraissait normale : « Je ne me doutais pas qu'il y eut de quoi surprendre et ce fut l'étonnement de Mohammed qui d'abord m'avertit ». Il croyait donner sa mesure, et cela ne lui fut même pas assez : « Où je la dépassai, cette mesure, c'est dans ce qui suivit, et c'est là que pour moi commence l'étrange : si soûlé que je fusse et si épuisé, je n'eus de cesse et de répit que lorsque j'eus poussé l'épuisement plus loin encore. J'ai souvent éprouvé par la suite combien il m'était vain de chercher à me modérer, malgré que me le conseillât la raison, la prudence  ensuite, et solitairement, travailler à cet épuisement total hors lequel je n'éprouvais aucun répit, et que je n'obtenais pas à moins de frais ». Gide avait donc le besoin d'une masturbation récidivante, jusqu'à en être anéanti  effaçait en lui les vestiges de la honte et du mécontentement de soi-même. Deux ans plus tard, Gide revit Mohammed, d'aspect aussi juvénile mais l'air beaucoup plus vicieux, qui l'entraîna avec son ami Daniel B. jusqu'au quatrième étage d'un hôtel borgne où, n'ayant plus envie de faire main basse sur son sexe, il regarda avec horreur son compagnon le sodomiser devant lui : « Il le coucha sur le dos, tout au bord du lit, en travers  plus que, de chaque côté de Daniel ahanant, deux fines jambes pendantes. Daniel n'avait même pas enlevé son manteau. Très grand, debout contre le lit, mal éclairé, vu de dos, le visage caché par les boucles de ses longs cheveux noirs, dans ce manteau qui tombait aux pieds, Daniel paraissait gigantesque, et penché sur ce petit corps qu'il couvrait, on eût dit un immense vampire se repaître sur un cadavre ».

 

Cette scène fit penser à Gide que son homosexualité se limitant à la masturbation était moins répréhensible que celle visant à la sodomie : « Pour moi, qui ne comprends le plaisir que face à face, réciproque et sans violence, et que souvent, pareil à Whitman, le plus furtif contact satisfait, j'étais horrifié tout à la fois par le jeu de Daniel, et de voir s'y prêter aussi complaisamment Mohammed ». André Gide a dit qu'il se masturbait à outrance par ce motif : « L'idée de saccage, sous forme d'un jouet aimé que je détériorais ». Jean Delay a analysé ainsi son comportement : « L'onanisme cessa peu à peu d'être le naïf hédonisme de la première enfance pour se compliquer d'une volonté autrement périlleuse, un certain goût de se nuire, de se détruire, de "s'épuiser maniaquement", un abandon à "l'abîme" où il sombrait vertigineusement après une lutte obsédante et vaine ».

Dans Les Faux monnayeurs, le roman qu'il publia en 1925, quand il avait cinquante-six ans, et dont il voulut faire « un carrefour - un rendez-vous de problèmes », André Gide s'est préoccupé de résoudre celui de la masturbation enfantine. Le romancier Edouard (qui le représente) apprend de Mme Sophroniska, psychanalyste, qu'elle soigne un enfant anxieux de treize ans, Boris La Pérouse, qui lui raconte ses rêves sans qu'elle y déchiffre son mal : « Il faut que j'amène Boris jusqu'à l'aveu complet  avant cela je ne pourrai pas le guérir ». Elle soupçonne qu'il a « un gros secret honteux », et découvre bientôt qu'il s'agit de la masturbation, comme elle le rapporte à Edouard :

 

Boris, vers l'âge de neuf ans, a été mis au collège à Varsovie. Il s'est lié avec un camarade de classe, un certain Baptistin Kraff, d'un ou deux ans plus âgé que lui, qui l'a initié à des pratiques clandestines, que ces enfants, naïvement émerveillés, croyaient être "de la magie". C'est le nom qu'ils donnaient à leur vice, pour avoir entendu dire, ou lu, que la magie permet d'entrer mystérieusement en possession de ce que l'on désire, qu'elle illimite la puissance, etc. Ils croyaient de bonne foi avoir découvert un secret qui consolât de la présence réelle par la présence illusoire, et s'hallucinaient à plaisir et s'extasiaient sur un vide que leur imagination surmenée bordait de merveilles, à grand renfort de volupté75.

 

Boris portait sur la poitrine, dans un sachet, un bout de parchemin avec cinq mots de l'écriture de Baptistin : « Gaz téléphone cent mille roubles ». Mme Sophroniska en conclut : « Ils étaient pour ces enfants, ces cinq mots, comme une formule incantatoire, le « Sésame ouvre-toi » du paradis honteux où la volupté les plongeait ». Cette appréciation est bizarre : il est invraisemblable qu'une psychanalyste calquée sur Eugénie Sokolnicka que Freud envoya à Paris pour expliquer son oeuvre aux intellectuels, parle du « paradis honteux » de la masturbation : c'est Gide, dans un retour de sa morale protestante, qui déprécie ce plaisir qu'il se reproche d'avoir pris. Mme Sophroniska dit de Boris : « J'ai su par lui que sa mère l'avait surpris un jour à « faire de la magie » comme il dit ». Sa mère le sermonna et son père mourut peu après : « Il s'est cru responsable de la mort de son père  criminel, damné ». Cela ne fit que donner un sens tragique à ses masturbations, d'où cette réflexion d'Edouard : « On n'obtient rien de bon par l'épouvante ». La maladie nerveuse de Boris est née de la contrainte qu'il dut exercer sur lui-même pour ne plus se masturber. Mme Sophroniska l'encourage à se délivrer de la masturbation : « Je lui ai fait honte d'avoir pu préférer la possession de biens imaginaires à celle des biens véritables, qui sont, lui ai-je dit, la récompense d'un effort. Loin de chercher à noircir son vice (sic), je le lui ai représenté simplement comme une des formes de la paresse ; et je crois en effet que c'en est une  subtile, la plus perfide. » Mme Sophroniska pense que Boris, venant de se libérer de ses « mauvaises habitudes », sera délivré de ses tics et de ses manies dès qu'il se sera ôté du cou son talisman. Mais Edouard se dit sceptique dans son Journal : « Il semble que la maladie s'est simplement réfugiée dans une région plus profonde de l'être, comme pour échapper au regard inquisiteur du médecin ».

 

L'épisode de Boris est ambigu, car une fois « guéri » de la masturbation, il est placé dans un pensionnat où un élève méchant, ayant découvert le talisman qu'il ne porte plus, le met sur son pupitre. Et le soir même, comme s'il était ensorcelé, Boris recommence à se masturber : « Il lui semblait qu'il se perdait, qu'il s'enfonçait très loin du ciel  de cette perdition même, sa volupté ». Il voudra entrer dans la Confrérie des Hommes forts de sa classe, où l'épreuve d'admission est un simulacre de suicide au revolver  se suicide sans le vouloir. Cette mort symbolique, qui a tout l'air d'un châtiment, prouve que Gide dans sa maturité avait encore un compte à régler avec les masturbations de son adolescence, et qu'il le réglait par l'intermédiaire d'une fiction.

 

Un autre classique contemporain, Julien Green, se souvenait de s'être masturbé dès la petite enfance : « J'étais l'innocence même et le restai longtemps, mais il est hors de doute qu'étendu sur le dos, dans mon lit, je prenais plaisir à explorer de la main ce corps dont j'avais à peine conscience comme d'une partie de moi-même. Quel âge avais-je en effet ? Cinq ans peut-être76». La porte de sa chambre demeurait toujours ouverte parce qu'il était l'objet d'une éducation puritaine : « Ma mère me surveillait déjà, ayant pour certaines fautes une horreur que je n'ai connu qu'à elle, et quand elle ne pouvait m'épier, car il s'agissait un peu de cela, ma soeur Mary se chargeait de ce soin à sa place ». Un soir, Mary arriva à l'improviste auprès de son lit : « D'un geste énergique, elle rabattit la couverture jusqu'à mes pieds et avec un grand cri appela ma mère qui accourut, le bougeoir au poing. Dans la lumière, j'apparus tel que j'étais, ne comprenant rien, souriant peut-être, les mains dans la région défendue. Il y eut des exclamations et ma mère, posant son bougeoir, quitta la chambre pour revenir armée d'un long couteau en forme de scie dont on se servait pour couper le pain ». Elle le brandit au-dessus du sexe de l'enfant en s'écriant : « I'll cut it off ! » (Je vais le couper !). Anne Green était Américaine et s'exprimait dans sa langue à son fils, qui ne la parlait pas encore  désespoir », il fondit en larmes. Cet incident, il en convint, laissa en lui des traces profondes : « Une idée terrifiante de la pureté se forma en moi, d'où venait-elle ? De ma mère ». Elle allait jusqu'à l'obliger à se déshabiller dans l'obscurité, afin qu'il ne se vît pas nu. A vingt ans, il était devenu ainsi un jeune homme presque désincarné : « J'étais tellement ignorant des choses de la chair qu'une bonne soeur m'en eût remontré77».

 

SUITE DANS LE LIVRE

 

Sommaire

 

 

PROLOGUE 5

 

1. LE PLAISIR SOLITAIRE DANS LES SOCIETES PAIENNES 11

Origine de la masturbation : pollutions involontaires et pollutions volontaires. 11

Le culte du Phallus et ses conséquences 14

Le dieu Priape dans la Rome antique 21

Les pratiques secrètes de la Chine ancienne 25

La sexualité sauvage en Océanie, en Australie et en Afrique 31

 

2. LES EXIGENCES DE PURETE DU MONOTHEISME 43

Le judaïsme et la lutte contre les impuretés 43

Les règles de l'ascétisme chrétien 47

Le principe « Tout est pur pour les purs » de la Gnose 51

Le péché de mollesse du Moyen Age au XVIIe siècle 54

Le « danger de pollution » au confessionnal 58

La sexualité à main nue en Islam 64

 

3. LA MASTURBOMANIE AU SIECLE DES LUMIERES 69

Samuel Tissot, premier théoricien de l'onanisme 69

Les adeptes du culte de la Nature 74

Pourquoi Giorgio Baffo, magistrat de Venise, « se caressait l'oiseau » 78

Mirabeau et « l'art du Thabala » 85

Les « manilles » du marquis de Sade en prison 89

Le libertinage solitaire des femmes du XVIIIe siècle 95

« La Masturbomanie », poème de Sénac de Meilhan 102

 

4. LES ENSEIGNEMENTS DE LA MEDECINE DU PLAISIR 107

La thérapeutique des « égarements secrets » 107

Pierre Garnier, médecin de l'onanisme seul et à deux 116

Les écrivains en face de la médecine réactionnaire 120

Havelock Ellis et la découverte de l'autoérotisme 127

Les travaux libérateurs des premiers psychanalystes 129

 

5. LES EXERCICES MYSTIQUES DE LA MAGIE AUTOSEXUELLE

137

Les « sacrifices d'amour » de l'Oeuvre de Miséricorde 137

L'Art royal et sacerdotal d'Aleister Crowley 146

Austin O. Spare et sa Bible de la masturbation 154

 

6. LA REVOLUTION SURREALISTE DU SEXE 161

Les Recherches sur la sexualité de la rue du Château 161

René Crevel et la suprême volupté de Narcisse 174

Michel Leiris et l'autoérotisme sacré 177

Salvador Dali le Grand Masturbateur 182

 

7. L'ART DE JOUIR DE SOI-MEME 191

Les provocations de la littérature moderne 191

Les paradoxes de la sexologie 211

L'hygiène intime du féminisme 219

Les fêtes de l'onanisme universel 225

 

EPILOGUE 229

 


 

1 Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 1 (Paris, Payot, 1983).

2 Alain Daniélou, Le Phallus (Puiseaux, Pardès, 1993).

3 Ovide, Les Métamorphoses, Livre III, texte établi et traduit par Georges Lafaye (Paris, Les Belles-Lettres, 1985).

4 Sigmund Freud, « Pour introduire le narcissisme », in La Vie sexuelle, traduit de l'allemand par Jean Laplanche et divers collaborateurs (Paris, Gallimard, 1977).

5 Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, traduit de l'allemand par B. Reverchon-Jouve (Paris Gallimard, 1960)

6 Michel Leiris, L'Afrique fantôme (Paris, Gallimard, 1934).

7 Frédéric Kahn, Notre vie sexuelle, traduit de l'allemand par le Docteur Jean Balzi (Bruxelles, H. Studer, 1946).

8 Michel Leiris, Nuits sans nuit (Paris, Gallimard, 1988).

9 Frédéric Kahn, Notre vie sexuelle, op.cit.

10 Diogène Laërce, Vies et doctrines des plus illustres philosophes (Paris, La Pochothèque, 1999).

11 Philippe Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan (Genève, Institut suisse de Rome, 1979).

12 Le Talmud de Jérusalem, traité Nazir, traduit par Moïse Schwab, t. V (Paris, Maisonneuve et Larose, 1977).

13 Le Talmud de Jérusalem, traité Schebonoth, t. VI. Op.cit.

14 Le Talmud de Jérusalem, traité Niddah, t. VI. Op.cit.

15 Gerson Scholem, La Kabbale (Paris, Editions du Cerf, 1998).

16 Cf Maïni Zafrani, Kabbale, vie mystique et magie (Paris, Maisonneuve et Larose, 1996).

17 Ibid.

18 Moïse Maïmonide, Le Guide des égarés, traduit de l'arabe par Jules Wolf (Paris, Verdier, 1979).

19 Ibid.

20 Ibid.

21 Alexandre Weill, Mystères de l'amour, philosophie et hygiène, traduit de l'hébreu (Paris, Amyot, 1868).

22 Ibid.

23 Ibid.

24 Dr Georges Valensin, Les Juifs et le sexe (Paris, Jacques Grancher, 1983).

25 Aline Rousselle, Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle, II-IVe siècle de l'ère chrétienne (Paris, PUF, 1983).

26 Ibid.

27 Paroles des anciens, apophtegmes des Pères du désert, traduits et présentés par Jean-Claude Guy (Paris, Editions du Seuil, 1976).

28 Ibid.

29 Aline Rousselle, Porneia, op. cit.

30 Ibid.

31 Jean Cassien, Les Institutions cénobitiques (Saint Maximin, Librairie Saint-Thomas d'Aquin, 1925).

32 Jean Stengers et Anne Van Neck, Histoire d'une grande peur : la masturbation (Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1984).

33 Samuel Tissot, L'Onanisme, in Oeuvres complètes, t. 3, accompagnées de notes par J. N. Hallé (Paris, chez Allut, 1809).

34 Ibid.

35 Ibid.

36 Dr Pierre Garnier. Hygiène de la génération. Onanisme seul et à deux (Paris, s.d.)

37 Baron d'Holbach, Système de la Nature (Genève, Slatkine Reprints, 1973)

38 Diderot, Le Rêve de d'Alembert, in Oeuvres complètes, t. XVII (Paris, Hermann, 1987).

39 Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l'Education (Paris, Classiques Garnier, 1992).

40 Dr J.L. Doussin-Dubreuil, Lettres sur les dangers de l'onanisme, ouvrage utile aux pères de famille et aux instituteurs (Paris, Moreau, an 1806).

41 Dr Léopold Deslandes, De l'onanisme et des autres abus vénériens (Paris, A. Lelarge, 1835).

42 Des pertes séminales involontaires, par M. Lallemand, trois volumes (Paris, Béchet jeune, 1836).

43 Alexandre Weill, Mystères de l'amour, philosophie et hygiène (Paris, Amyot, 1868).

44 Docteur Pouillet, De l'Onanisme chez les femmes, 3e édition revue et considérablement augmentée (Paris, Adrien Delahaye et Cie, 1880).

45 Ibid.

46 Ibid.

47 The Diary of Samuel Pepys, 1667, t. 8 (London, G. Bell and sons, 1974). Dans la traduction française du Journal de Samuel Pepys en 1948 ce passage a été coupé, soit par concession à la pudibonderie de l'après-guerre, soit par recours à une édition anglaise expurgée.

48 Maurice Garçon, Vintras hérésiarque et prophète (Paris, E. Nourry, 1928).

49 On trouvera à la fin du livre de Maurice Garçon, avocat spécialisé dans les affaires de sorcellerie, la « liste des pseudonymes des sectateurs de Vintras », c'est-à-dire leurs « Noms d'anges gardiens révélés », avec leur ordre à chacun.

50 Adrien Gozzoli, Les saints de Tilly-sur-Seulle, Caën, 1846.

51 Ibid.

52 Ibid.

53 Ibid.

54 Ibid.

55 Ibid.

56 Ibid.

57 Ibid.

58 Ibid.

59 Maurice Garçon, Vintras hérésiarque et prophète, op. cit.

60 La Paraz, Le Mystère des temps dévoilé (1856).

61 Adrien Gozzoli, Les Aveux de l'abbé Charvoz (Caën, le 30 janvier 1847).

62 Adrien Gozzoli, Le prophète Vintras et les saints de Tilly-sur-Seulle. Un nouveau témoin de leurs turpitudes obscènes (Caën, avril 1851).

63 Recherches sur la sexualité, janvier 1928 - août 1932, livre présenté et annoté par José Pierre (Paris, Gallimard, 1990).

64 Ibid.

65 Le 10 avril 1929 Paul Eluard écrit à Gala, séjournant à Locarno : « Je vais me branler en pensant à toi ». Quand elle vivra avec Salvador Dali, il lui enverra encore des lettres comme celle-ci, en février 1931 : « Tu es pour moi l'incarnation de l'amour, l'incarnation la plus digne du désir et du plaisir érotique. Tu es toute mon imagination. Et j'imagine, cet après-midi que je suis seul, tout ce que tu peux donner de toi, l'audace de ton corps au service du délire de ton esprit. Et je me branle tout doucement ». (Lettres à Gala, Gallimard, 1984).

66 Raymond Queneau, Journaux (1914 -1965) (Paris, Gallimard, 1996).

67 Roger Nimier, Les Epées (Paris, Gallimard, 1948).

68 Marcel Proust, « Sommeils » in Contre Sainte-Beuve (Paris, Gallimard, 1954).

69 Ibid.

70 Marcel Jouhandeau, La Vie comme une fête (Paris, Gallimard, 1976).

71 André Gide, Si le grain ne meurt (Paris, Editions de la N. R. F., 1924).

72 Jean Delay, La Jeunesse d'André Gide, t.1 (Paris, Gallimard, 1956).

73 André Gide, Les Cahiers d'André Walter (Paris, Perrin, 1891).

74 André Gide, Si le grain ne meurt, op. cit.

75 André Gide, Les Faux Monnayeurs (Paris, Gallimard, 1925).

76 Julien Green, Partir avant le jour (Paris, Grasset, 1963).

77 Ibid.

22

 

Début... Cliquez ICI


© 2001 - 2005 Le Jardin des Livres
All rights reserved